Introduction

Charles W. Scheel and Mamadou

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Charles W. Scheel and Mamadou , « Introduction  », Archipélies [Online], 14 | 2022, Online since 15 December 2022, connection on 10 December 2024. URL : https://www.archipelies.org/1253

Ce dossier rassemble des études issues principalement du Colloque « René Maran, la France, l'Afrique et la littérature », qui a réuni à Dakar, les 25 et 26 novembre 2021, des spécialistes de Maran et des chercheurs venus de tous horizons1. Le choix de l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD), en terre sénégalaise, pour la tenue d'un grand colloque international dans le cadre des manifestations de commémoration du centenaire de l'attribution du Prix Goncourt à René Maran, en 1921, pour Batouala, véritable roman nègre, s'était imposé rapidement au groupe René Maran, créé au sein de l'équipe Manuscrits francophones de l'ITEM-CNRS à Paris, en septembre 2020.

En effet, c'est à l'UCAD qu'est conservée une grande partie et de la bibliothèque et des manuscrits de René Maran, dont sa veuve, Madame Camille Maran, avait fait don à la République du Sénégal, en raison de l'amitié qui liait de longue date, son premier président, Léopold Sédar Senghor, et l'écrivain décédé le 9 mai 1960 à Paris. Il convient de souligner les initiatives prises par M. Bernard Michel, petit-fils de René Maran, pour valoriser, à l'occasion du centenaire, les trésors contenus dans ce « Fonds Camille et René Maran », et l'implication de Claire Riffard, ingénieure recherche et responsable de l'équipe Manuscrits francophones de l'ITEM-CNRS, dans la préparation de l'exposition montée dans le hall de la Bibliothèque centrale de l'UCAD lors du colloque. L'histoire de ce fonds et la relation Maran-Senghor ont également été présentés dans une communication incluse dans le présent dossier.

Le colloque – co-organisé par l'UCAD et le CRILLASH (Centre de recherches interdisciplinaires en lettres, langues, arts et sciences humaines) de l'Université des Antilles, en partenariat avec l'Université de Guyane, l'ITEM-CNRS, l'Université Paris 8, CY Cergy Paris Université, et l'EHIC de l'Université de Limoges – a été l'occasion de remettre en chantier et d'interroger d'un œil nouveau, l'œuvre paradoxalement méconnue d'un auteur bien connu. En effet, le nom de René Maran reste puissamment attaché au seul roman Batouala et au Prix Goncourt qui a consacré l'écrivain comme premier passeur de l'Afrique noire. Les écrivains de la négritude ont reconnu en cet écrivain pionnier, un éclaireur, leur précurseur. Senghor, pour qui Batouala avait été un livre de chevet, a affirmé que, dorénavant, « on ne pourra plus faire vivre, travailler, aimer, pleurer, rire, parler les nègres comme les blancs ». Et Césaire a renchéri : « René Maran est le premier homme de culture noir à avoir révélé l'Afrique. Mieux, le premier homme de culture à avoir emmené le noir à la négritude ». Face à l'Occident – au faîte de sa puissance, de son assurance et de sa maîtrise, unique centre du monde qui exporte modèles et exemples – René Maran avait fait injonction de prendre en compte l'autre, sa culture, sa subjectivité.

Le colloque a donc dûment revisité Batouala – notamment sous la forme d'une fort divertissante représentation scénique par des étudiants de l'UCAD, intitulée « Manières de blancs », lors de l'ouverture. Puis des communications ont abordé la question du style et de l'esthétique de l’œuvre, ou la place que Maran a fait dans son roman, et dans d'autres écrits, à la musique. L'axe « René Maran, administrateur colonial » a suscité des analyses de l'essai Asepsie noire d'une part, et de l'autre, des liens entre René Maran et Félix Éboué, qui furent tous deux des fonctionnaires d'origine guyanaise dans l’administration coloniale française en Afrique. Une troisième étude, qui n'avait pu être lue à Dakar mais qui s'interroge sur la question : « René Maran, un administrateur civil anti-système ? », est intégrée ici.

Le second jour du colloque revenait en grande partie à des questions littéraires. D'abord sous la forme d'une conférence sur « Les représentations de l'Afrique dans l’œuvre littéraire de René Maran », et plus particulièrement, dans son cycle de romans et de contes animaliers de la brousse africaine. Car Batouala n'a été que la première pierre d'un véritable édifice construit par l'écrivain sur une période de presque quarante ans, pour représenter, avec poésie et humour, le monde fascinant qu'il avait pu découvrir pendant ses affectations dans les postes isolés de l'Oubangui-Chari ou du Tchad, entre 1912 et 1923. Les rapports entre les cultures des ethnies de ces régions et leur représentation romancée dans Batouala, avaient fait l'objet, dès l'ouverture du colloque, d'une communication en visioconférence par un grand connaisseur de la République Centrafricaine (RCA), Jean-Dominique Pénel. Le même environnement géographique est analysé, au sein de l'axe « Nouvelles démarches critiques » dans une lecture écocritique du recueil de contes, Bêtes de la brousse, alors que le roman semi-autobiographique de René Maran, Un homme pareil aux autres, est soumis, lui, à une approche génétique « d’une écriture paradoxale du 'je' ».

L'axe « René Maran poète » avait été inclus dans l'appel à communication du colloque afin de rappeler qu'avant de faire irruption sur la scène parisienne, comme auteur d'un roman au succès scandaleux pour certains, l'écrivain – encore étudiant à Bordeaux – avait publié un recueil de poèmes, suivi par quatre autres au cours de sa carrière ultérieure d'homme de lettres. L'appel a suscité, d'une part, une étude approfondie sur « le paradoxe de la solitude chez René Maran et surtout dans sa poésie », par ce grand témoin de l’œuvre maranienne qu'est Roger Little, et, d'autre part, une analyse minutieuse du recueil de poèmes Le Visage calme, publié en 1922, donc immédiatement après Batouala.

Les derniers axes de réflexion proposés à Dakar portaient sur les « Échos de René Maran dans les littératures africaines » et sur la « Réception de René Maran en Afrique ». Deux des cinq communications proposées sont incluses ici. La première traite de « L’écriture comme antidote de la négation des cultures africaines » et compare Batouala avec Monnè, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma. La seconde s'attaque à la question très controversée : « René Maran, précurseur de la négritude ? », et revisite les lectures de René Maran par Léopold Sédar Senghor et Frantz Fanon.

Une dernière étude, sur le thème « René Maran essayiste : une légitimité par le journal ? », n'a été intégrée dans le dossier que récemment. En effet, entre l'appel à communication et la tenue du colloque, les travaux de Jean-Dominique Pénel sur les archives de la presse française, notamment entre 1900 et 1960, viennent seulement de révéler le rôle, méconnu depuis des décennies, que René Maran, véritable conscience de son temps, a joué dans le paysage médiatique de la francophonie, et au-delà.

L’ampleur de l’œuvre léguée par René Maran, ainsi que la diversité des curiosités et des passions de cet homme multiple, à la fois romancier, conteur, poète symboliste, critique littéraire, administrateur et chroniqueur de presse et de radio, ont été, au cours du colloque, convoquées dans plusieurs champs, faisant l'objet de lectures soucieuses de pluralités, à la croisée des cultures et des continents. On retrouvera donc, dans le présent dossier, au-delà de Batouala et de ses traces séminales, des études consacrées à de multiples facettes de l’œuvre de René Maran et au réseau de difficultés d'interprétation qu’elle tisse.

Last but not least, nous bouclons le dossier avec un poème récent d'Alexandrine Lao, une actrice et dramaturge centrafricaine, qui se réapproprie le personnage de Batouala dans une perspective véritablement nouvelle.

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