De la créolisation culturelle

Gerry L’Étang

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Gerry L’Étang, « De la créolisation culturelle », Archipélies [En ligne], 3-4 | 2012, mis en ligne le 15 décembre 2012, consulté le 28 avril 2024. URL : https://www.archipelies.org/1583

Cette livraison d’Archipélies réunit les communications présentées lors d’un séminaire du Centre de Recherches Interdisciplinaires en Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines (CRILLASH) sur la créolisation culturelle qui s’est tenu les 14 et 15 février 2011 à l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG, Schœlcher, Martinique) ; et aux textes exposés lors de cette rencontre ont été adjoints trois autres articles sur le même sujet. Des chercheurs issus de plusieurs disciplines traitent donc ici du concept de « créolisation culturelle », en contribuant à sa déconstruction, à sa théorisation, à l’étude de cas relevant de ce phénomène.

Jean Benoist (anthropologue) repère l’apparition du mot « créolisation » (fin du xixe siècle) et analyse son évolution sémantique au fil des mutations identitaires. Jean-Luc Bonniol (anthropologue) s’attache pour sa part au traitement des sources anglo-saxonnes de la notion et en étudie l’expansion spatiale et temporelle. Gerry L’Étang (ethnologue) se penche, lui, sur la « variation écologique » en tant que facteur de genèse des sociétés créoles. Jean Bernabé (linguiste) interroge à son niveau la pertinence des concepts de « société créole » et de « langue créole » ; et Christian Ghasarian (anthropologue) examine les prolongements idéologiques des termes exprimant l’identité créole.

À ces articles traitant des origines, significations et usages de la créolisation, s’ajoutent des études de cas. Philippe Chanson (anthropologue) étudie la créolisation de la notion de « Dieu » dans les sociétés antillaises. Aletha Stahl (analyste littéraire) quant à elle, observe le développement de l’affirmation identitaire créole parmi le groupe colon de Saint-Domingue, à mesure que progressait l’entreprise révolutionnaire qui l’évincerait de la colonie. Monique Desroches (ethnomusicologue) mesure pour sa part la fécondité et les limites du concept de créolisation, rapporté au champ musical martiniquais, tout en mettant en regard d’autres notions complémentaires. Vincent Huyghues Belrose (historien) quant à lui, traite d’architecture et met au jour les syncrétismes apparus dans celles des Mascareignes. Raphaël Confiant (analyste littéraire et ethnologue) entreprend, lui, l’étude de la créolisation en Martinique d’une pratique d’origine française ; et David Khatile (ethnologue) fait de même pour une autre pratique culturelle. Appasamy Murugaiyan (linguiste) traite également de l’adaptation aux Antilles d’éléments déterritorialisés, en provenance, cette fois, de l’Inde. André Claverie (analyste littéraire) réfléchit en ce qui le concerne à la créolisation chez l’écrivain Saint-John Perse, celle née de sa rencontre avec l’Étranger lors de sa découverte du monde ; puis Max Bélaise (philosophe) observe un cas de néo-créolisation, celui des Haïtiens de Martinique. Enfin, Philippe Joseph (biogéographe) expose les transformations des paysages qui ont accompagné, dans les Petites Antilles, les changements économiques, culturels et politiques.

À travers des regards multiples, des positionnements diversifiés, ce volume concourt au débat sur la créolisation, à son épistémologie, à son exemplification1.

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Ce numéro d’Archipélies est offert à Jean-Luc Bonniol. Au moment où ce dernier part à la retraite, notre revue, dont il vient de rejoindre le comité scientifique, a souhaité lui rendre cet hommage académique. Il s’agit d’abord d’une marque d’affection à l’endroit de celui qui fut pour certains d’entre nous un collègue. Jean-Luc Bonniol commença en effet sa carrière au sein de l’institution qui allait devenir l’Université des Antilles et de la Guyane. Il en fut l’un des premiers enseignants et y déploya, de 1973 à 1982, ses recherches dans le cadre du GÉREC (Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créolophone), créé à l’initiative de Jean Bernabé, à la fondation duquel il participa et dont la fusion, trente ans plus tard, avec deux autres groupes de l’UAG a donné l’actuel CRILLASH. Son départ pour l’Université d’Aix-Marseille III, le Laboratoire d’Écologie Humaine animé par Jean Benoist puis le Centre Norbert Elias, ne mit pas un terme à sa relation à l’UAG : il y dirigea jusqu’à récemment plusieurs thèses d’anthropologie.

Cet hommage est aussi une marque d’intérêt pour un remarquable analyste du fait créole. Son acuité d’anthropologue et d’historien lui permit de produire des travaux qui constituent aujourd’hui des repères, des ressources conséquentes pour la description, la compréhension de cette complexité culturelle. Il serait difficile de résumer en quelques lignes l’œuvre ethnocréole de Jean-Luc Bonniol, composée de monographies, de directions d’ouvrages, d’articles multiples. Signalons néanmoins : Terre-de-Haut des Saintes. Contraintes insulaires et particularisme ethnique dans la Caraïbe (1980) ; Martinique et Guadeloupe, des îles aux hommes (1980) ; Au visiteur lumineux. Des îles créoles aux sociétés plurielles, Mélanges offerts à Jean Benoist (2000) ; ou Paradoxes du métissage (2001). L’apport le plus remarqué de Jean-Luc Bonniol concerne son analyse de « la trace colorée » de l’esclavage et de ses permanences. Il y consacra de nombreux articles ainsi que son maître-livre : La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des « Blancs » et des « Noirs » (1992).

La production analytique de Jean-Luc Bonniol ne se limite toutefois pas aux sociétés créoles. Il développa, sur le terrain de ses Causses natals et des Cévennes, une « ethnologie du proche » qui donna notamment lieu aux ouvrages : Grands Causses, nouveaux enjeux, nouveaux regards. Hommage à Paul Marres (1995), ou encore Dire les Causses. Mémoire des pierres, mémoire des textes (2003). Enfin, Jean-Luc Bonniol s’est investi dans des activités d’évaluation et de publication au sein, par exemple, de la revue L’Homme, et contribua à la gestion des carrières des universitaires de la 20e section (ethnologie, anthropologie, préhistoire) du Conseil National des Universités, dont il assuma la présidence de 1999 à 2003.

À l’heure où cet intellectuel considérable entre dans une nouvelle phase de sa vie, que nous espérons aussi féconde que la précédente, nous lui offrons avec amitié ce recueil d’essais sur la créolisation culturelle.

1 Nous remercions Arlette Bravo-Prudent pour la traduction/révision des résumés en anglais.

1 Nous remercions Arlette Bravo-Prudent pour la traduction/révision des résumés en anglais.

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