Les théories « anglo-saxonnes » de la créolisation culturelle

Jean-Luc Bonniol

Citer cet article

Référence électronique

Jean-Luc Bonniol, « Les théories « anglo-saxonnes » de la créolisation culturelle », Archipélies [En ligne], 3-4 | 2012, mis en ligne le 15 décembre 2012, consulté le 09 mai 2024. URL : https://www.archipelies.org/1572

Alors même que le terme de créole est né puis s’est diffusé dans les terres anciennement colonisées par les pays de langue romane (criollo dans les possessions espagnoles, créole dans les possessions françaises…) et qu’il a récemment suscité une revendication d’ordre identitaire dans l’espace francophone (créolité), le substantif créolisation, d’abord forgé pour désigner un processus linguistique, s’est imposé dans les sciences sociales de langue anglaise (creolization) à partir des années 1950. Il sera ici fait référence à des auteurs américains, britanniques, scandinaves, mais aussi west indians, qui ont contribué à l’émergence d’un champ académique spécifique, et l’ont alimenté de très nombreuses publications. Celles-ci ont au premier chef appliqué le concept, de manière spécifique, aux dynamiques culturelles observables dans le cadre des sociétés de plantation esclavagistes et post-esclavagistes du Nouveau Monde. On s’efforcera de suivre les logiques qui ont présidé à cette innovation terminologique par rapport à d’autres concepts déjà présents dans le champ, en passant en revue les différentes propositions théoriques qui ont pu se succéder, qui pour la plupart mettent l’accent sur les processus d’interpénétration culturelle, tout en appréciant l’intérêt de la métaphore linguistique, en particulier autour de la notion de continuum… On s’intéressera enfin à l’extension récente, spatiale et temporelle, de la notion, dont les limites doivent toutefois être interrogées.

Whereas the term creole is born, and then has been disseminated in the lands formerly colonized by the Romanic language speaking countries (criollo in the Spanish territories, creole in the French territories…) and it has recently given rise to a claim tied to identity in the French speaking space (creolity), the substantive creolization, made up at the beginning in order to point out a linguistic process, has become imperative in the English speaking social sciences from 1950s. We will refer here to American, British, Scandinavian but also to West Indian authors who have contributed to the emergence of a specific academic field, and provided it with a great number of publications. Primarily, they have, in a specific way, applied the concept to cultural dynamics which can be observed within the frame of slave and post-slave plantation societies of the New World. We will try hard to follow the logics which have ruled over this terminological innovation in relation with other concepts already present at the field, by reviewing the various theoretical proposals that could appear one after the other, which most of them emphasize the processes of cultural interpenetration, while appreciating the interest of the linguistic metaphor, particularly around the notion of continuum… At last we will be interested at the recent spatial and temporal extension of the notion whose limits have however to be questioned.

Introduction

En Martinique, en Guadeloupe, mais aussi en Guyane, à La Réunion et en France hexagonale, le terme « créolisation », à des fins d’analyse culturelle, est surtout connu à partir des propositions d’Édouard Glissant et des promoteurs du mouvement de la créolité qui a émergé à partir des années 1980… Ceux-ci expriment en fait un certain « air du temps » interprétatif, dans lequel baignent également certains penseurs « postmodernes », artisans des cultural studies, en particulier les sociologues britanniques (respectivement d’origine jamaïcaine et guyanaise) Stuart Hall1 et Paul Gilroy2, qui se réfèrent toutefois peu au concept de créolisation, lui préférant celui d’hybridité. Mais, antérieurement, une théorisation de la créolisation dans le champ culturel s’était déjà profilée dans les pays anglophones. S’il est ici fait référence à des théories « anglo-saxonnes », c’est par facilité de langage, puisqu’il va être question d’auteurs américains, britanniques, scandinaves, mais aussi west indians, qui ont contribué à l’émergence d’un champ académique spécifique, et l’ont alimenté de très nombreuses publications. Les approfondissements théoriques qu’on y trouve se révèlent cruciaux pour l’avancée de la réflexion sur le phénomène de la créolisation culturelle, conçue au départ comme un nouveau concept permettant de rendre compte des processus relatifs aux rencontres et innovations culturelles qui caractérisent les contextes coloniaux spécifiques des sociétés de plantation esclavagistes. Rejoignant l’intuition de Michel de Certeau3, qui annonce déjà les subaltern studies, on sent dans ces différentes productions la préoccupation de rendre compte de la façon dont les dominés dans une société peuvent façonner leur propre culture et faire leur propre histoire. À partir de ces avancées théoriques, certaines propositions plus récentes ont pu considérer ces processus historiques comme préfigurant les interpénétrations culturelles propres au monde contemporain.

1. Mise au point terminologique préalable

Le terme créole date, on le sait, du début de la colonisation ibérique aux Amériques. C’est d’abord un attribut catégoriel, à valeur distinctive. Il émerge en tant qu’adjectif pour spécifier une classe d’êtres vivants, humains ou non humains, nés sur place sans être indigènes. Marqueur de différence, il spécifie une catégorie intermédiaire, définie par sa relation aux autres, plutôt que par une essence. Il se coule ensuite dans une forme substantive pour désigner un type social, les Créoles… L’adjectif peut dès lors être utilisé, dans le cadre d’une représentation populaire des traits culturels, pour qualifier certaines pratiques des sujets ainsi désignés et des objets qu’ils peuvent façonner. Il peut en particulier servir à nommer certains parlers : la première mention d’un idiome mixte à base portugaise, signalé comme « créole », peut être repérée sur la côte sénégambienne dès le xviie siècle. Le verbe créoliser, la plupart du temps employé sous sa forme passive (« créolisé ») apparaît en français probablement à la fin du xviiie siècle. Il est attesté de manière sûre dans les années 1840 (comme dans la Lettre sur l’esclavage de l’abbé Dugoujon…). C’est une fois que le verbe existe que peut être construite, vers la fin du xixe siècle, une nouvelle forme substantivée, créolisation, pour désigner l’alchimie complexe présidant à la constitution de peuples, de langues et de cultures créoles.

Ces quelques données historiques permettent de constater que c’est au départ un écart par rapport à l’Ancien Monde qui est pris en compte, du fait de l’adaptation d’êtres vivants à un nouveau milieu : le terme dénote une certaine surprise devant la plasticité des formes sociales et biologiques4… Mais, dans le même temps, le terme est utilisé au premier chef pour évoquer son contraire : ce qui est non créole… par exemple amérindien ou métropolitain. Il n’évoque pas encore d’idée de mélange, qui n’a émergé que dans le cadre de la rhétorique indépendantiste qui s’est développée en Amérique latine à l’heure des indépendances, où s’est constituée l’idéologie de la « nation métisse ». La référence au mélange, populationnel ou culturel, apparaît ainsi comme une adjonction relativement nouvelle.

La proposition d’un nouveau terme dans le domaine des contacts de culture ne s’est pas par ailleurs effectuée dans un environnement théorique vierge. Un certain nombre de concepts étaient déjà là… À commencer par celui d’acculturation : depuis le mémorandum de Melville J. Herskovits et Robert Redfield en 19365, le terme a servi à désigner les changements provoqués par les contacts de culture, affectant l’une ou les deux cultures en présence. Mais le dispositif a été très vite compris comme asymétrique, puisqu’il a avant tout porté sur les transformations d’une culture dominée au contact d’une culture dominante. On doit également à M. J. Herskovits la notion de survivances, née de son souci de repérer des prolongements de l’Afrique dans le Nouveau Monde, pour se doter d’un objet « noble » et légitime au regard de la discipline ethnologique, en mettant en avant une filiation par rapport aux sociétés « primitives » africaines… Il est également à l’origine du concept dérivé de réinterprétation, qui lui permet de repérer, derrière le masque d’une réalité américaine, la manifestation d’un trait culturel africain6. Signalons ensuite le concept de société de plantation, apparu dans les années cinquante (notamment dans les travaux de Charles Wagley7), qui renvoie à une organisation sociale et économique née d’un mode spécifique d’exploitation agraire, dans le cadre d’une modélisation qui projette sur la société tout entière l’arrangement institutionnel de la production agro-industrielle. Sa force est de se référer à un système social total, lié à l’économie-monde. Mais il ne prend que peu en compte les dimensions culturelles ni ne fournit un questionnement sur les subjectivités engagées… Mentionnons enfin le concept de plural society, né en Asie du Sud-Est à la fin des années 1940 (avec les travaux de Furnivall8), et développé pour la Caraïbe par Michaël G. Smith9, qui postule l’existence en un même lieu de segments sociaux distincts par leur origine et par leur culture, insérés dans un système maintenu par la force émanant du groupe dominant, qui organise un accès différentiel aux ressources et une distribution inégale du pouvoir.

2. Fondation

L’apport de la linguistique a été en la matière fondamental. Depuis la fin du xixe siècle s’était en effet développée une réflexion sur les langues de contact (avec notamment les travaux du linguiste allemand Hugo Schuchardt), qui considérait les langues créoles comme résultant de processus spécifiques. Jusque dans les années cinquante toutefois, ces considérations renvoyaient avant tout aux défauts et aux anomalies de langues subalternes. C’est à la fin des années 1950 qu’une série de conférences dédiées aux pidgins et aux créoles a contribué à l’émergence d’un sous-champ de la linguistique au sein duquel ont commencé à s’affronter des théorisations divergentes sur l’émergence des langues créoles. Au centre des débats, la matrice socioculturelle de la constitution des langues créoles, ce qui a ouvert un champ d’investigation pour l’histoire et les sciences sociales… La conférence de Mona, tenue en 1968, a constitué à cet égard un point d’aboutissement, mais aussi un nouveau départ. Éditée par Dell Hymes en 1971, elle comprenait notamment un texte de l’anthropologue Sidney W. Mintz consacré à l’arrière-plan historique de cette créolisation linguistique10.

Du fait de l’analogie puissante entre langue et culture, on a dès lors assisté à un élargissement conceptuel du terme créole vers le champ culturel. Dès 1957, Richard Adams, dans un colloque sur le système de plantation, proposait une réflexion consacrée à la relation que l’on peut tracer entre la plantation et les cultures créoles11. Le terme a été employé par M. G. Smith en 1961, évoquant un « complexe créole » qui trouve sa base dans l’esclavage et le système de plantation12. Sa composition culturelle, faite de traditions européennes et africaines, reflétait selon lui le mélange racial. Il mentionnait également une hiérarchie graduée d’éléments, du pôle eurocréole au pôle afro-créole, et concluait à la difficulté de fonder un nationalisme sur un tel soubassement culturel13.

Mais c’est en 1971 que l’historien barbadien Kamau Brathwaite, dans un travail séminal14, a dépassé la simple posture descriptive en proposant un modèle du processus de changement culturel qui définit et distingue les sociétés créoles, à partir d’un recours frontal à la notion de créolisation. Celle-ci renvoyait pour lui à deux processus complémentaires : l’acculturation (domination d’une culture sur une autre) ; l’interculturation (qui réfère à la relation d’osmose non planifiée résultant de cette domination). Il contestait par là la théorie de la plural society de M.G. Smith, qui postulait la coexistence de cultures séparées maintenues ensemble en un même lieu sous la férule politique d’une puissance dominante : appuyé en cela par Lloyd Braithwaite, sociologue trinidadien, il était d’avis que les différences dans les groupes ethniques en Jamaïque ne pouvaient être décrites dans les termes que cette théorie proposait, dans la mesure où l’on ne pouvait que constater l’incorporation de valeurs communes, formant système, qui pouvaient surmonter les tendances à la fragmentation… Il pointait l’importance du groupe intermédiaire métissé, constituant une sorte de pont entre les groupes et jouant le rôle de ciment social. Évitant la question des survivances africaines, il mentionnait en revanche l’importance de l’abolition de la traite, qui rompait les possibilités d’un renouvellement démographique et culturel venu d’Afrique. Il s’était produit selon lui une friction culturelle cruelle, mais créative, à partir de la « petite tradition » des esclaves : il insistait notamment sur le rôle actif des sujets dominés, capables de s’adapter et de créer dans un système oppressif. Il profilait ainsi des sociétés qui n’étaient pas destinées, comme le voulait la théorie de la société plurielle, à se déchirer en conflits ethniques si elles n’étaient pas sous la coupe d’une autorité coercitive, mais qui constituaient au contraire la base pour la création d’une idéologie nationale (réfutant du même coup les vues nihilistes de Naipaul, pour qui rien n’avait été créé aux Antilles…)15.

Dans la même veine, l’intellectuel critique jamaïcain – et chorégraphe – Rex Nettleford, lui aussi enseignant à l’Université des West Indies, constatait l’incorporation mutuelle de l’Europe et de l’Afrique dans un modèle de relation sans précédent16. La « mélodie » européenne prédomine néanmoins pour lui dans une culture créole où le « rythme » de l’Afrique est largement submergé : le processus de créolisation apparaît donc davantage à sens unique (même s’il est revenu plus tard vers une conception plus encline à reconnaître l’influence africaine). À rebours, le linguiste jamaïcain Mervin Alleyne a, plus récemment, mis l’accent sur l’importance de la contribution africaine à la culture en formation, ainsi que sur les faits de résistance pour maintenir cet héritage17. Il a participé en ce sens à la revitalisation, propre à l’époque, de la culture afro-créole, tout en avertissant que cette culture est soumise à une érosion inexorable. Signalons enfin la contribution d’Orlando Patterson, sociologue américain d’origine jamaïcaine, qui a pu distinguer la créolisation segmentaire, qui aboutit à l’apparition de deux cultures opposées, et la créolisation synthétique, plus tardive, où les divisions de classe prennent le dessus sur les séparations culturelles, réconciliant par là l’analyse culturelle de la société plurielle et l’analyse sociale insistant sur les dimensions de classe mise en œuvre dans les théories s’appuyant sur le concept de système de plantation18.

3. Le turning point critique de Sidney W. Mintz et Richard Price

En 1976, les deux anthropologues américains Sidney W. Mintz et Richard Price proposent un texte dans lequel se dessine une avancée théorique majeure (même s’ils sont conscients qu’ils restent cantonnés dans une approche spéculative, et qu’ils généralisent à partir d’un matériel documentaire restreint…)19. Ce texte prône une plus grande subtilité analytique et en appelle au développement des recherches sociohistoriques sur la constitution des cultures afro-américaines : les faits doivent être resitués dans leur cadre historique intégral, en essayant de se dégager, autant que faire se peut, des considérations idéologiques qui souvent les encombrent. Mais cette étude, dont on a fait la bannière d’une nouvelle théorie de la créolisation, n’utilise paradoxalement pas ce terme…

Mintz et Price partent d’une discussion sur les conditions de l’établissement des Africains dans le Nouveau Monde, en les comparant à celles qui ont concerné les populations européennes. Du côté de l’établissement européen, il s’est agi de groupes de colons qui représentaient une culture nationale particulière, parfois même une singularité provinciale. Les esclaves africains ont été par contre extirpés de différentes parties de leur continent d’origine : ils ne constituaient pas des groupes, mais des « foules » ; ils ne partageaient pas une culture, au sens où les colons européens pouvaient le faire. Dispersés dans les plantations, ils ne pouvaient en effet se regrouper qu’en agrégats hétérogènes, au sein desquels les institutions africaines, par exemple dans le domaine religieux, étaient dans l’impossibilité de se maintenir, faute du personnel spécialisé qui les portait en Afrique. Tout au plus Mintz et Price sont-ils d’avis qu’ont pu jouer des structures cognitives (comme en matière linguistique), transcendant les diverses cultures particulières de l’aire subsaharienne, qui se seraient réactivées dans le Nouveau Monde. Dans le cas des sculptures sur bois des Noirs marrons de Guyane, que l’on a d’abord considérées comme prototypiques de l’art africain Akan aux Amériques, R. Price a pu contester un héritage direct, car ces formes se sont développées au xixe siècle, très postérieurement à la traite. Leur africanité doit être selon lui comprise en termes de règles culturelles profondes plus qu’en termes de continuités formelles, dans un cadre où le principe d’adaptation est premier, en phase avec des contextes sociaux spécifiques.

Une autre différence importante porte sur le statut des migrants : la plupart des Européens étaient libres, alors que la plupart des Africains étaient esclaves, ce qui donne un sens différent aux continuités éventuelles à partir de l’Ancien Monde. D’autant que cette diversité de statut s’est appuyée sur le contraste des apparences physiques perçues, qui s’est surajouté aux différences culturelles. Malgré la segmentation multiforme de ces sociétés, divisées le long de différentes lignes, il n’y a cependant pas eu pour Mintz et Price de séparation totale entre la minorité européenne et la majorité d’origine africaine. Les mécanismes d’interpénétration constituent pour eux l’un des points cardinaux d’une réflexion sur l’émergence des sociétés créoles. Ils sont d’avis que s’est en fait produite une érosion des principes de coercition sur lequel le système colonial était fondé, à partir d’une de ses contradictions centrales : les esclaves étaient en effet définis comme propriété de leurs maîtres, mais ils étaient censés agir comme des personnes humaines… La conception d’une société divisée en deux secteurs hermétiques, qui a peut-être correspondu à l’« idéal » du maître, ne s’est jamais réalisée, du fait des rencontres multiples nécessitées en particulier par la diversité des tâches sur chaque plantation, dont certaines exigeaient une interaction permanente, et qui n’impliquaient pas toujours une simple coercition.

Mintz et Price envisagent ainsi l’émergence de nouvelles formes sociales en termes de relations interindividuelles par où transitent des matériaux culturels : relations de domesticité, relations de travail, relations de commerce (les esclaves étaient responsables d’une part de leur subsistance, mais aussi les producteurs d’une part essentielle de la nourriture de la colonie : d’où la croissance des marchés, l’existence d’un certain pouvoir d’achat et de possibilités de consommation pour les esclaves), relations amoureuses enfin…

Les contacts dus aux relations sexuelles entre libres et esclaves constituent en effet pour les deux analystes l’une des questions parmi les plus complexes pour qui s’intéresse à l’émergence des sociétés créoles. Corollaire premier de cette forme particulière de domination qu’était l’institution esclavagiste, le paramètre essentiel du sex ratio pouvait être réglé par les Européens pour les deux groupes, à travers l’organisation de la traite africaine et les départs volontaires depuis l’Europe, ce qui a évidemment déterminé l’importance respective des stocks (genrés) de populations en présence. Leur interpénétration physique par contacts sexuels a représenté un danger pour le système, car elle a contribué à générer des enfants à la position ambiguë, compliquant l’exercice du pouvoir, comme l’illustre la remarquable formation de la classe des affranchis de Saint-Domingue, qui n’a été sans doute possible que grâce à la protection de leurs pères blancs, partagés entre leurs intérêts de caste (impliquant un contrôle généalogique strict fondé sur une ligne de couleur infranchissable) et leurs intérêts privés (marqués en particulier par les relations affectives qu’ils pouvaient entretenir avec leur progéniture de couleur…). Ce point a été récemment développé par Sidney Mintz dans son ouvrage Three Ancient Colonies20, où il pointe la différence en matière de conceptions de la parenté entre la Jamaïque et l’ancienne Saint-Domingue : s’il a existé le même « pont érotique » à la Jamaïque, l’attitude des maîtres blancs s’y est révélée beaucoup moins favorable à l’affranchissement et à la dotation de leurs enfants de couleur… Dans le même ouvrage, poursuivant la réflexion déjà ancienne du sociologue néerlandais Harry Hoetink, qui s’était livré dans les années 1960 à une étude comparée sur les relations raciales dans la Caraïbe (dans laquelle était pointée la progression du métissage dans les îles de colonisation hispanique, l’apparition d’un groupe intermédiaire pouvant y servir de « liant social »)21, il démontre avec brio l’importance, dans une île comme Porto Rico, d’un secteur libre, en lien avec un moindre développement de la plantation esclavagiste, aboutissant à un brassage de population plus intense et, paradoxalement, à l’absence de créolisation linguistique.

Les cultures créoles ont donc été forgées dans ces interactions, tout au long d’un processus qui n’est jamais unilatéral (d’où l’importance d’examiner les points nodaux de contact entre les segments sociaux…). Interactions sans doute précoces, ce qui pose le problème du timing du processus de créolisation. Le manque d’évidence documentaire est évidemment criant, mais les deux auteurs prennent l’exemple des Marrons du Surinam : dans les vingt premières années d’établissement, ils ont cohabité avec les esclaves des colons anglais, et parlent toujours un créole à base anglaise (sranan, taki-taki). De même, dans le domaine religieux, les Marrons ont emporté avec eux un système de croyances déjà pleinement façonné sur les plantations, et ils continuent à présenter d’importantes affinités culturelles avec les « Créoles » de la région du Para. Il y a là un effet « fondateur » qui n’a pas été annulé par des siècles d’importation massive d’esclaves à partir de l’Afrique.

Les esclaves se sont ainsi trouvés devant la nécessité de construire des édifices culturels en réponse à leurs besoins de tous les jours, dans les limites des contraintes du système, illustrant, à leur manière, comment un agrégat hétérogène d’hommes et de femmes réunis par les violences du hasard peut se donner des institutions aptes à remplir de sens leur condition avec cohérence et un certain degré d’autonomie… De plus, du fait de la contestation permanente de l’identité personnelle qu’ils subissaient, du fait d’être traités comme des choses, ils ont été amenés à cultiver ce qu’il y avait de plus personnel pour se différencier les uns des autres. Ils se sont par là ouverts aux idées et usages d’autres cultures, animés par un dynamisme fondamental, celui que favorisait le prix qu’ils accordaient à l’innovation et à la créativité individuelle.

4. L’illumination de Lee Drummond : continuum et complexité culturelle

En 1980 paraît dans la prestigieuse revue britannique Man un article de l’anthropologue Lee Drummond22. Celui-ci, reconnaissant la pertinence des travaux élaborés en linguistique créole pour l’examen des problèmes anthropologiques concernant l’ethnicité et la culture, s’appuie sur une formulation théorique tirée de l’étude du linguiste Derek Bickerton sur le créole guyanais23 (Dynamics of a Creole system), centrée autour du concept de continuum, selon laquelle les locuteurs évoluent, en contexte créole, tout au long d’une série de variétés langagières qui se juxtaposent les unes aux autres en accord avec les règles transformationnelles d’un continuum linguistique. Pour Drummond, ces sujets opèrent de même avec les différences culturelles, elles aussi inscrites dans un continuum, en dépit de l’éventuelle force clivante de catégories raciales ou ethniques. Les individus sont conscients de l’éventail de comportements et de croyances qui remplit le continuum, même s’ils n’agissent que dans le cadre d’un de ses segments, comme les locuteurs d’une langue créole peuvent comprendre les énoncés à chaque extrême du spectre, sans pour autant contrôler les deux extrêmes dans leur propre discours. La réalité du système doit avant tout être recherchée dans l’ensemble des ponts et des transformations requis pour aller d’un bout à l’autre du continuum

Cette théorisation s’appuie sur des constats empiriques, nés de la série de surprises et d’incidents que l’anthropologue expérimente en commençant son travail de terrain en Guyana. La langue du territoire est l’anglais, dont l’usage doit être situé au sein de différentes pratiques langagières : il apparaît ainsi fortement associé aux institutions officielles. La subtilité du système lui apparaît plus tard : il se rend alors compte que les dominants qui tiennent ces institutions sont pleinement capables de parler le créole des gens de la rue, qui peuvent eux-mêmes rehausser leur niveau de langue s’ils le veulent. Les stéréotypes des coutumes britanniques sont également très présents, au centre des aspirations sociales depuis plus d’un siècle. De plus, l’anthropologue se trouve dans la situation curieuse d’être considéré comme un membre de la culture qu’il est venu étudier… Son anglais est conforme à la variété haute des pratiques linguistiques indigènes (acrolecte), même s’il n’est pas compréhensible par tout le monde. En outre, comme « Blanc », il se trouve empêtré dans l’ensemble complexe des catégories ethniques locales.

Le concept de continuum créole pose, dans une telle perspective, des questions générales sur la notion de culture, qui doit être redéfinie de telle manière qu’une population humaine particulière ne soit pas conçue comme possédant une composante culturelle unique, caractérisée par des normes uniformes et invariantes. Drummond reprend l’argument de Bickerton qui pense que le contexte créole ne peut être décrit en termes de langues ou de dialectes distincts, mais qu’il renvoie à un système où ce sont justement les relations internes entre niveaux de langue qui le structurent, avec des locuteurs qui ont la possibilité de commuter d’un niveau à un autre. Dans un tel schéma, les cultures peuvent-elles dès lors être représentées comme des totalités discrètes ? Pour être cohérent avec la métaphore bickertonienne, on peut affirmer qu’il n’y a pas de cultures séparées, mais seulement la Culture, constituée d’ensembles flous, qui se chevauchent… Les sociétés mosaïques de la Caraïbe, les cités du Tiers-Monde et la civilisation rapidement changeante de l’Occident fournissent pour Drummond des exemples de processus créoles aptes à façonner des intersystèmes culturels, à savoir des zones d’osmose ou de chevauchement de pratiques qui sont spontanément conçues comme relevant de groupes spécifiques, conception qui n’apparaît en définitive que comme le fruit d’un simple catalogage préalable. Leçon bien évidemment générale, et qui prépare la diffusion mondiale du concept de créolisation…

5. L’extension planétaire de la créolisation

Cette idée est pleinement théorisée en 1987 par l’anthropologue suédois Ulf Hannerz, dans un article au titre sans équivoque : « The world in creolization »24, pour rendre compte des processus de changement culturel articulés à la circulation des hommes et des choses, tout comme des idées et des usages, dans le cadre d’un réseau d’échanges mondialisé. … Hannerz part de son expérience de terrain au Nigéria, où il est confronté à des réalités locales plus ou moins interconnectées avec le « village global », et où il constate la pénétration constante de formes culturelles extérieures. Le système mondial peut ainsi atteindre les lieux les plus reculés, où l’on peut par exemple observer hommes ou femmes arborer lunettes de soleil ou T-shirts imprimés… Mais on y trouve aussi des producteurs – et des consommateurs – de culture populaire, ce qui complète le continuum créole. La technologie des formes produites, notamment en matière musicale, leurs modalités symboliques ne sont pas entièrement indigènes. Il y a là, à l’évidence, une création de diversité, mais qui se situe plus sur le mode de l’interrelation que sur celui de l’autonomie (comme l’atteste l’exemple même de la musique populaire du Nigéria, façonnée à partir d’influences extérieures, notamment nord-américaines, et qui connaît un succès mondial).

Ce constat conduit Hannerz à proposer un remaniement de la pensée anthropologique à propos de la culture : une culture n’a pas à être homogène ni particulièrement cohérente ; elle ne se présente pas comme achevée, mais toujours comme une construction en cours. On est en présence d’un dispositif culturel à chevauchements, où les barrières s’abaissent, laissant le passage à des flux généralisés, qui peuvent atteindre tout le corps social. Il n’y a pas toutefois de partage intégral, ce qui génère des audiences différenciées, au sein desquelles les répertoires culturels personnels prennent toute leur place. Au demeurant, les individus peuvent enrichir leur répertoire, ce qui donne un rôle spécial et éminent à tous les processus d’éducation et d’apprentissage…

Ces propositions veulent inaugurer une nouvelle donne, par l’extension du concept de créolisation, déplacé de son usage classique (celui de rendre compte de sociétés coloniales particulières) vers des applications plus générales. Pour Hannerz, les cultures créoles ne sont pas nécessairement coloniales ou postcoloniales : « nous sommes tous en train d’être créolisés » dans un monde en mouvement où les frontières culturelles se révèlent de plus en plus poreuses.

6. Les réticences à l’extension spatiale et temporelle du terme « créolisation »

Cette tendance grandissante à tirer le concept de créolisation hors de son aire historique d’application ne va pas toutefois sans réticences. Deux grands courants en fait se dessinent : ceux qui veulent utiliser les sociétés créoles historiques comme un symbole maître pour décrire des phénomènes généraux, mais aussi ceux qui, soucieux de ne pas rompre le lien entre créolisation, colonialisme et migration forcée, veulent préserver la viabilité théorique du concept et continuent à mettre en avant sa spécificité géographique et historique.

Ainsi en est-il de Stephan Palmié qui a exprimé toutes ses réticences dans deux textes successifs25. Palmié prend acte de la prolifération du concept, appliqué à une condition humaine « postmoderne » qui présenterait des affinités avec la condition caribéenne historique mise en place depuis le xvie siècle. Des phénomènes « créoles » pourraient ainsi être observés, par-delà les espaces et les temps dans l’Inde du Sud contemporaine, les îles Salomon, l’Australie méridionale aborigène… mais aussi la Gaule romaine ! Qu’est, en définitive, censé performer le recours à ce terme de créolisation ? Permet-il d’indexer une classe distincte de phénomènes, ou bien est-il le produit d’un glissement de perspective ? Cette élévation de notions historiquement et géographiquement situées au statut d’instruments généraux d’analyse pose à l’évidence problème, à commencer par la métaphore linguistique première dont elle est issue, source de confusion massive. Les linguistes se livrent en effet, dans leurs interprétations, à des extrapolations historiques et sociétales purement spéculatives, du fait de l’absence de données historiques détaillées… Ils ouvrent par là un cercle vicieux : les historiens et les anthropologues recyclent ces spéculations, sans s’en rendre compte, et leurs écrits sont ensuite repris par les linguistes… Tendance qui remonte à Herskovits, qui a de fait contribué à nourrir chez les linguistes la thèse substratiste26. Pour S. Palmié, pas de doute : l’extension du domaine de la créolisation réduit la spécificité du concept, et la question de sa métaphore fondatrice doit être reformulée. Il est en définitive pour lui plus profitable de considérer cette extension comme un objet de recherche en soi, plutôt que comme un outil de l’enquête anthropologique.

Conclusion

Dans l’introduction à un récent reader sur la créolisation, Robin Cohen et Paola Toninato27 reconnaissent différents cercles concentriques d’application du concept, distinguant un usage littéral, analogique et métaphorique. Si se référer aux contextes originaux permet de reconsidérer, en les saisissant dans une stimulante approche comparée, les différentes situations créoles, cela n’interdit pas pour eux, à partir de ces avancées de réflexion, une exploration ouverte de nouvelles frontières…

Peut-être pouvons-nous, à l’issue de la revue de ce corpus théorique, nouer ensemble quelques fils afin de profiler quelques possibilités d’ouvertures… La créolisation peut être conçue, on le voit, comme une certaine manière de gérer, en un même lieu, une diversité fondatrice et le rapport à l’Autre qu’elle implique, de régler une tension interne, qui résulte de la confrontation permanente de modèles contradictoires susceptibles d’orienter à divers moments les comportements des individus. Les lignes de partage, au lieu de couper les individus les uns des autres, semblent passer à l'intérieur d'eux-mêmes, s'exprimant à chaque moment de leur vie quotidienne, comme autant d'alternatives offertes à chacun d'eux, leur donnant la possibilité de passer d'un registre culturel à un autre, sans que leur équilibre en soit affecté (ce que M. J. Herskovits désignait déjà sous le terme d' « ambivalence socialisée » ; R. Bastide avançait à sa suite l'idée d'un « principe de coupure » établissant une cloison étanche entre les univers culturels fréquentés par l'individu28, permettant par là d'éviter les « tensions propres aux chocs culturels et aux déchirements de l'âme »…). La créolisation aboutit en conséquence à des configurations culturelles qui, loin de s’articuler à des groupes, se déploient au long d’un répertoire de références dans lequel puisent les individus, en fonction de leur apparence physique, de leur âge, de leur trajectoire sociale, des circonstances particulières qu'ils traversent, de leurs choix idéologiques…

C’est là sans doute la leçon que peuvent donner les sociétés créoles historiques : elles offrent l’occasion d’observer sur la longue durée un certain fonctionnement du pluralisme culturel, en nous montrant comment, malgré un formidable handicap de départ, la confrontation de populations d'origines différentes et d’apports culturels divers peut aboutir à des créations humaines originales et souvent harmonieuses. Elles permettent également de reconnaître, sur cette même longue durée, la singularité de dispositifs de résilience collective au long cours, permettant de dépasser les déchirures fondatrices, comme a pu l’évoquer É. Glissant : « la Plantation est un des ventres du monde… Et pour finir son enfermement a été vaincu. Le lieu était clos, mais la parole qui en est dérivée reste ouverte29… ». Si l’on croit au « miracle créole », selon la formule si bien trouvée de l’historien haïtien Michel-Rolph Trouillot30, peut-on en espérer la répétition ?

1 Voir le recueil de textes traduits en français : Hall, Stuart, 2007, Identités et cultures. Politiques desCultural Studies, Paris, Éditions

2 Gilroy, Paul, 1993, The Black Atlantic. Modernity and Double Consciousness, London, Verso. Gilroy s’appuie notamment sur la notion de double

3 De Certeau, Michel, L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1980.

4 Stewart, Charles, 2007 (éd), « Introduction », Creolization. History, Ethnography, Theory, Walnut Creek, Left Coast Press, p. 1-25.

5 Redfield,Robert, Linton, Ralph &Herskovits, Melville J., 1936,« Memorandum for the study of acculturation », American Anthropologist, 38, 1, p. 149

6 Herskovits, Melville J., 1941, The Myth of the Negro Past, New York (traduction française : L'Héritage du Noir : mythe et réalité, Présence

7 Wagley, Charles, 1957, « Plantation America: A Culture Sphere », in Vera Rubin, Caribbean Studies, A Symposium, Kingston, Jamaica, University

8 Furnivall, J.S., 1956, Colonial Policy and Practice: A Comparative Study of Burma and Netherlands India, New York, New York University Press.

9 Smith, M. G., 1965, The Plural Society in the British West Indies, Los Angeles, University of California Press.

10 Mintz, Sidney W., 1971, « The socio-historical background to pidginization and creolization », in Dell Hymes (éd) Pidginization and Creolization of

11 Adams, Richard N., 1959, « On the relation between plantation and ‘Creole’ cultures », in Vera Rubin (éd) Plantation Systems of the New World, 

12 Smith, Michaël G., 1961, « The Plural Framework of Jamaican Society », British Journal of Sociology 12(3), p. 249-262 et « West Indian culture »

13 Bolland, Nigel O, 1992, « Creolisation and Creole Societies. A Cultural Nationalist View of Caribbean Social History », rééd. : in Shepherd, Verene

14 Brathwaite, Kamau, 1971, The Development of Creole Society in Jamaica (1770-1820), Oxford, Clarendon.

15 À propos de l’influence de Kamau Brathwaite sur l’émergence du concept de créolisation, on peut se reporter à Shepherd, Verene A. & Glen, L. Ric

16 Nettleford, Rex M., 1978, Caribbean Cultural Identity, Kingston, Institute of Jamaica.

17 Alleyne, Mervyn C., 1988, Roots of Jamaican Culture, London, Pluto.

18 Réflexion prolongée plus récemment par Richard Burton, dans Afro-Creole : Power, Opposition and Play in the Caribbean (1997), Cornell, NY, Cornell

19 Mintz, Sidney W. & Price, Richard, 1976, An Anthropological Approach of the Afro-American Past: a Caribbean Perspective, Publication of the Ins

20 Mintz, Sidney W., 2010, Three ancient colonies, Caribbean Themes and Variations, Cambridge (Mass.), London, Harvard University Press.

21 Hoetink, Harry, 1967, The Two Variants in Caribbean Race Relations. A Contribution to the Sociology of Segmented Societies, Oxford University Press

22 Drummond, Lee, 1980, « The Cultural Continuum: a Theory of Intersystems », Man, 15, p. 352-74.

23 Bickerton, Derek, 1975, Dynamics of a Creole System, Cambridge, Cambridge University Press.

24 Hannerz, Ulf, 1987, « The world in creolization », Africa, 57 (4), p. 546-59.

25 Palmié, Stephan, 2006, « Creolization and its discontents », Annual Review of Anthropology, 35, p. 433-56; 2007, « Is there a Model in the Muddle ?

26 Herskovits, Melville J. op. cit. Thèse qui a été ensuite reprise, dans une certaine mesure, par Mintz et Price (cf. supra)… Malgré leur

27 Cohen, Robin & Toninato, Paola (éds), 2009, The Creolization Reader, Studies in Mixed Identities and Cultures, New York/ Milton Park/ Oxon, Ro

28 Bastide, Roger, Les Amériques noires, Paris, Payot, 1967 (rééd. : L’Harmattan, 1996), p. 31.

29 Glissant, Édouard, Poétique de la relation, p. 89.

30 Trouillot, Michel-Rolph, « Culture on the Edges : Creolization in the Plantation Context », Plantation Society in the Americas 5, 1998, p. 8-28.

1 Voir le recueil de textes traduits en français : Hall, Stuart, 2007, Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies, Paris, Éditions Amsterdam.

2 Gilroy, Paul, 1993, The Black Atlantic. Modernity and Double Consciousness, London, Verso. Gilroy s’appuie notamment sur la notion de double conscience (double consciousness), telle qu’elle avait été proposée par William E. Du Bois à l’orée du xxe siècle pour caractériser l’être au monde du peuple noir, dans son inoubliable opus Les âmes du peuple noir, Paris, Éditions rue d’Ulm, 2004 (Souls of Black Folk, 1ère édition en 1903).

3 De Certeau, Michel, L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1980.

4 Stewart, Charles, 2007 (éd), « Introduction », Creolization. History, Ethnography, Theory, Walnut Creek, Left Coast Press, p. 1-25.

5 Redfield, Robert, Linton, Ralph & Herskovits, Melville J., 1936, « Memorandum for the study of acculturation », American Anthropologist, 38, 1, p. 149–152.

6 Herskovits, Melville J., 1941, The Myth of the Negro Past, New York (traduction française : L'Héritage du Noir : mythe et réalité, Présence africaine, 1962).

7 Wagley, Charles, 1957, « Plantation America: A Culture Sphere », in Vera Rubin, Caribbean Studies, A Symposium, Kingston, Jamaica, University College of the West Indies in association with the Research and Training Program for the Study of Man in the Tropics, Columbia University, p. 34-46.

8 Furnivall, J.S., 1956, Colonial Policy and Practice: A Comparative Study of Burma and Netherlands India, New York, New York University Press.

9 Smith, M. G., 1965, The Plural Society in the British West Indies, Los Angeles, University of California Press.

10 Mintz, Sidney W., 1971, « The socio-historical background to pidginization and creolization », in Dell Hymes (éd) Pidginization and Creolization of Languages, Cambridge, Cambridge University Press, p. 481–96.

11 Adams, Richard N., 1959, « On the relation between plantation and ‘Creole’ cultures », in Vera Rubin (éd) Plantation Systems of the New World, Washington, DC, Pan American Union, p. 73-79.

12 Smith, Michaël G., 1961, « The Plural Framework of Jamaican Society », British Journal of Sociology 12(3), p. 249-262 et « West Indian culture », Caribbean Quarterly 7 (3) p. 112-119, articles repris dans l’ouvrage The Plural Society in the British West Indies (1965), Berkeley and Los Angeles, University of California Press, p. 1-9.

13 Bolland, Nigel O, 1992, « Creolisation and Creole Societies. A Cultural Nationalist View of Caribbean Social History », rééd. : in Shepherd, Verene A. & Glen, L. Richards (éds), 2002, Questioning Creole. Creolisation Discourses in Caribbean Culture, Kingston, Ian Randle Publishers.

14 Brathwaite, Kamau, 1971, The Development of Creole Society in Jamaica (1770-1820), Oxford, Clarendon.

15 À propos de l’influence de Kamau Brathwaite sur l’émergence du concept de créolisation, on peut se reporter à Shepherd, Verene A. & Glen, L. Richards, op. cit.

16 Nettleford, Rex M., 1978, Caribbean Cultural Identity, Kingston, Institute of Jamaica.

17 Alleyne, Mervyn C., 1988, Roots of Jamaican Culture, London, Pluto.

18 Réflexion prolongée plus récemment par Richard Burton, dans Afro-Creole : Power, Opposition and Play in the Caribbean (1997), Cornell, NY, Cornell University Press, où il reformule ce modèle de la créolisation segmentaire, afin de résoudre des incertitudes théoriques qui se précisent de plus en plus, dues en particulier au renouveau de la polarisation ethnique : les formes culturelles qui peuplent le continuum (cf. infra) se chevauchent, mais elles se condensent à différents niveaux : eurocréole, méso-créole, afro-créole…

19 Mintz, Sidney W. & Price, Richard, 1976, An Anthropological Approach of the Afro-American Past: a Caribbean Perspective, Publication of the Institute for the Study of Human Issues, Philadelphia. (rééd. : The Birth of African-American Culture: An Anthropological Perspective, Boston, Beacon Press, 1992)

20 Mintz, Sidney W., 2010, Three ancient colonies, Caribbean Themes and Variations, Cambridge (Mass.), London, Harvard University Press.

21 Hoetink, Harry, 1967, The Two Variants in Caribbean Race Relations. A Contribution to the Sociology of Segmented Societies, Oxford University Press.

22 Drummond, Lee, 1980, « The Cultural Continuum: a Theory of Intersystems », Man, 15, p. 352-74.

23 Bickerton, Derek, 1975, Dynamics of a Creole System, Cambridge, Cambridge University Press.

24 Hannerz, Ulf, 1987, « The world in creolization », Africa, 57 (4), p. 546-59.

25 Palmié, Stephan, 2006, « Creolization and its discontents », Annual Review of Anthropology, 35, p. 433-56; 2007, « Is there a Model in the Muddle ? Creolization in African American History and Anthropology », in C. Stewart (éd.), op. cit., p. 178-200.

26 Herskovits, Melville J. op. cit. Thèse qui a été ensuite reprise, dans une certaine mesure, par Mintz et Price (cf. supra)… Malgré leur contestation des africanismes, ils ont eux aussi recours en effet à des principes structuraux profonds venant d’Afrique. Et leur appel à une historicisation rigoureuse a pu dès lors être assimilé à une nouvelle version de la théorie linguistique du substrat…

27 Cohen, Robin & Toninato, Paola (éds), 2009, The Creolization Reader, Studies in Mixed Identities and Cultures, New York/ Milton Park/ Oxon, Routledge.

28 Bastide, Roger, Les Amériques noires, Paris, Payot, 1967 (rééd. : L’Harmattan, 1996), p. 31.

29 Glissant, Édouard, Poétique de la relation, p. 89.

30 Trouillot, Michel-Rolph, « Culture on the Edges : Creolization in the Plantation Context », Plantation Society in the Americas 5, 1998, p. 8-28. Voir à ce propos : Price, Richard, 2001, « The Miracle of Creolization », New West Indian Guide/ Nieuwe West-Indische Gids 75, 1/2, p. 35-64.

Jean-Luc Bonniol

Centre Norbert Elias, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme. Aix-Marseille Universitéjldbonniol@gmail.com

licence CC BY-NC 4.0