Introduction
« Le mensonge ne m’a jamais fait peur. Au contraire. » (Condé 2012 : 181) Cette déclaration, dénuée de toute forme d’ambiguïté, Maryse Condé n’hésitait aucunement à la faire figurer dans La Vie sans fards, le second volet de son entreprise autobiographique, publié en 2012 ; ni encore à y placer, dans la bouche de son premier mari, Mamadou Condé, ce constat d’une lucidité désabusée : « Tu es menteuse, tellement menteuse » (ibid : 206). Phrases qui, faisant écho à cette autre, extraite du Cœur à rire et à pleurer, paru en 1999 et dont la petite héroïne « mentai[t] tout le temps » (Condé 1999 : 34), « Il ne faut jamais dire la vérité ! jamais » (ibid : 85), instaurent une étrange ère du soupçon au sein de l’œuvre et jettent le voile du doute sur le contenu des évocations prétendument autobiographiques des deux ouvrages mentionnés. Étonnamment, un tel paradoxe n’a guère été relevé par la critique. La notion de mensonge, a priori incompatible avec la sincérité constitutive du projet autobiographique, conduit la démarche littéraire à l’exploration de ses propres limites et à la remise en question – sans doute amusée – des pactes et contrats qui, de fait, ne contraignent que les écrivains qui le veulent bien. Maryse Condé, on le sait, n’est pas de ceux-là. Le mensonge assumé, qui se distingue de l’involontaire manquement à l’exactitude factuelle inhérent à toute entreprise de restitution autobiographique du passé, signe ainsi la toute-puissance de l’écrivain, maître de sa parole et du jeu de dupes qu’il instaure avec un lecteur qu’il se plaît, à sa fantaisie, à égarer puis à ramener sur le chemin d’une prétendue vérité dont il apparaît finalement qu’elle échappera inéluctablement. Ce sont les rapports complexes qui se tissent entre mensonge et vérité dans l’œuvre condéenne que la présente étude aimerait examiner, à travers le cas spécifique d’un des plus fameux épisodes du Cœur à rire et à pleurer, fréquemment évoqué tant par la romancière que par les commentateurs : sa réception comme son étonnant destin méritent non seulement d’être mis au jour, mais approchés dans ce qu’ils signifient de l’entreprise autobiographique éminemment complexe engagée par l’auteur. L’épisode permet ainsi d’interroger la signification de « cette volonté de mystification qui, selon Maurice Couturier, habite tout écrivain » (Couturier 1995 : 198) et dont s’amuse manifestement Maryse Condé.
1. « Bonne fête, maman ! » ou les anamorphoses d’une anecdote
Des dix-sept épisodes qui constituent Le cœur à rire et à pleurer, le plus fréquemment cité, intitulé « Bonne fête, maman ! », illustre parfaitement le flottement générique, souvent demeuré inaperçu de lecteurs habilement induits en erreur, sur lequel est fondé l’ouvrage (Hamot 2021). Il s’agit de l’anecdote du poème-saynète, « farci de références à la mythologie classique » (Condé 1999 : 84), offert par la petite Maryse, alors âgée de dix ans, à sa mère, le jour de son anniversaire. L’unique personnage de cette performance enfantine en vers libres avait vocation à représenter aux yeux des membres de sa famille, réunis pour cette digne occasion, « les différentes facettes du caractère » (ibid : 82) de la distante Madame Boucolon, femme « pleine de son importance et [qui] avait mauvais caractère » (Clark 1989 : 88) :
En sa première métamorphose, ma mère était comparée à une des sœurs Gorgones, la tête couronnée d’une chevelure de serpents venimeux. En la seconde, à Léda, dont la douce beauté séduisit le plus puissant des dieux. Dès que je me mis à parler, les visages de mon père, de mes sœurs, des amies de ma mère et même de Sandrino s’affaissèrent, exprimant la surprise, l’ahurissement, l’incrédulité. Mais le beau masque de ma mère resta impassible. […].
Brusquement, elle me fixa. Ses yeux étaient recouverts d’une pellicule brillante. Bientôt, celle-ci se déchira et des larmes dessinèrent des sillons le long de ses joues poudrées.
C’est comme ça que tu me vois ? interrogea-t-elle sans colère.
Puis elle se leva, traversa le salon et monta à sa chambre (Condé 1999 : 82-84).
L’anecdote est bien connue. Elle est, du reste, systématiquement reprise dans les notices biographiques rédigées à propos de la romancière, car s’y trouverait formulée, aux dires mêmes de Maryse Condé, l’origine de sa vocation d’écrivain : « Dans mon récit de souvenirs Le cœur à rire et à pleurer – Contes vrais de mon enfance, avoue-t-elle ainsi quelques années plus tard, je raconte comment ma “vocation d’écrivain”, si on peut employer pareils termes, aurait pris naissance » (Condé 2012 : 12).
En réalité, c’est dès 1989, soit dix ans avant d’en offrir la relation dans son livre de souvenirs, que l’auteur évoque pour la première fois cette anecdote, de façon plus condensée, à l’occasion d’un entretien réalisé à Pasadena avec Vévé A. Clarke qui l’interroge alors sur l’âge auquel elle se serait livrée à ses premières tentatives littéraires (« Avez-vous écrit votre première nouvelle à l’âge de dix ou onze ans ? ») À cette époque, la datation de l’épisode apparaît plus flottante et certains détails diffèrent passablement, à l’instar de la réaction, bien moins dramatique, de la mère caricaturée :
Non, je crois que j’avais sept ans ; j’exagère peut-être, mais je sais que j’étais vraiment très petite. J’avais peut-être que dix ans. C’était de toute façon avant l’âge de douze ans. Ce n’était pas une nouvelle, mais une pièce en un acte avec un personnage et à propos de ma mère. Elle était actrice et le sujet de la pièce en même temps. J’ai écrit celle-ci pour son anniversaire. Elle n’a pas du tout aimé la pièce. Elle a dit : « D’accord, mais je ne ressemble pas du tout à cela » (Clarke 1989 : 90).
En 1993, c’est à cette même anecdote que fait référence Maryse Condé, toujours sans mention de sa réception, lorsque François Pfaff l’interroge sur les circonstances de sa venue à la littérature : « Eh bien, je crois que j’ai toujours écrit. Je me rappelle avoir écrit pour l’anniversaire de ma mère une sorte de pièce de théâtre en un acte dont elle était l’unique personnage. C’était elle qui parlait, qui répondait, qui agissait. Je devais avoir sept ou huit ans » (Pfaff 1993 : 55). Ici, l’anecdote se voit dépouillée de son statut originaire et s’inscrit dans un processus d’écriture aux frontières temporelles plus larges.
L’année suivante, l’historiette est racontée à Lise Gauvin lors d’un entretien réalisé au Québec, au cours duquel est évoqué le sentiment de puissance toute narcissique que la petite fille en avait tiré, émergeant sur le fond d’une intersubjectivité douloureuse :
Pour une enfant de huit ou dix ans, c’est très dur de faire un cadeau à quelqu’un qui ne le reçoit pas. Mais en même temps, ça vous donne une impression de puissance. Vous êtes arrivé quand même à la fâcher, à la faire pleurer et ça veut dire que vous avez touché quelque chose de très intime en elle.
La blessure, les larmes livrent un accès à autrui. Elles constituent, dans leur paradoxe et leur intentionnalité, le point de départ et le point d’arrivée du désir d’écriture :
Donc ce sentiment de puissance on le cherche en écrivant et puis on se rend compte qu’on a un pouvoir terrible, quelque chose dont on ne se doutait pas. C’est de là que l’envie d’écrire m’est venue, mais aussi l’envie d’écrire pour dire les choses telles que je les vois et non pas telles qu’on voudrait que je les voie. Une sorte de désir toujours d’être libre quoi, de se prononcer comme on veut, avec son regard à soi et de ne pas essayer de faire plaisir (Gauvin 2013 : 137).
Récit étiologique donc, où l’écriture se définit comme un « pouvoir terrible » sur autrui, qui désormais échappe à son irréductible altérité, et comme l’acte d’une brutale affirmation d’être, de l’unicité inaliénable du moi. À l’origine de l’écriture, pour Maryse Condé, la blessure et le don ne se distinguent pas et l’on saisit sans mal le fondement de cet art de la pointe dont elle s’est fait spécialité. En 1995, c’est à Barbara Lewis que l’auteur raconte son histoire de dramaturge en herbe : « I started writing when I was a child. Il used to write short stories and plays for my family, my brothers and sisters. Il wrote my first play for my mother » (Lewis 1995 : 543).
Quatorze ans plus tard, soit dix ans après la publication de l’épisode dans le récit de souvenirs, lors d’un entretien réalisé à New York le 11 janvier 2009 avec Noëlle Carruggi, l’autobiographe offre une version légèrement modifiée de l’anecdote. Ainsi, lorsque son interlocutrice évoque son « côté rebelle et réfractaire » et fait de sa créativité et de son imagination les armes efficaces de « [s]on combat contre les faux-semblants » (Carruggi 2010 : 206), Maryse Condé se saisit de l’occasion pour illustrer l’origine ancienne de cet aspect de sa personnalité, à savoir sa passion provocatrice et risquée de la vérité :
Oui, je crois qu’il y a une histoire que je raconte très souvent à ce sujet. Chaque année, on fêtait en grande pompe l’anniversaire de ma mère. Tout le monde faisait des poèmes, des pièces de théâtre, de saynètes en son honneur… Mais toujours c’était des poèmes de louange où l’on disait qu’elle était la plus merveilleuse des femmes. En fait, moi qui la connaissais et qui l’aimais beaucoup, je savais aussi qu’elle pouvait être très dure, qu’elle pouvait être très désagréable, très cassante, même un peu injuste. Donc, une année, j’étais petite encore […], j’ai voulu écrire un poème qui dise la vérité […] : « oui, tu es une femme merveilleuse, mais aussi une sacrée emmerdeuse ». […] Et quand je le lui ai lu, je me rappelle qu’elle a fondu en larmes (ibid.).
Dans cette version de l’histoire, le genre littéraire varie – il s’agit désormais d’un poème –, la performance se résout à une lecture de texte et Madame Boucolon se voit dotée d’une émotivité et d’une fragilité dont elle était dépourvue dans les entretiens précédents et dont la manifestation (romanesque ?) vient mettre un terme dramatique à l’épisode relaté dans le livre. Maryse Condé assortit la relation de ce souvenir d’un commentaire relatif à l’ambivalence de ses réactions de petite fille, association confuse de remords et de satisfaction triomphale devant la brutale prise de conscience d’une puissance qui l’égale, enfant, à l’adulte le plus admirable, le plus intouchable qui soit, sa mère :
Donc finalement, pour une enfant de dix, huit ans, neuf ans, faire pleurer sa mère… d’accord c’est douloureux… mais c’est aussi un sacré moment de triomphe. On est petit, on est dépendant et pourtant on est arrivé à faire pleurer sa mère. […] C’était merveilleux… D’un côté, j’étais embêtée comme tout parce que je l’aimais beaucoup, mais, d’autre part, j’étais tellement fière de moi… Donc ce double sentiment de puissance, mais j’étais aussi un peu malheureuse (ibid.).
En 2019, soit vingt ans après la parution du Cœur à rire et à pleurer, Lise Gauvin revient sur cette anecdote dans Le Roman comme atelier : la scène de l’écriture dans les romans francophones contemporains :
Son premier texte, elle le fait à huit ou dix ans. Elle écrit une petite pièce sur sa mère et la lui offre en cadeau d’anniversaire. Or la mère est blessée et prétend que la façon dont elle est présentée n’est pas du tout conforme à la réalité. « C’est comme cela que tu me vois ? » interroge-t-elle, les larmes plein les yeux. Et la narratrice de poursuivre : « Il ne faut pas dire la vérité. Jamais. Jamais » (Gauvin 2010 : 89-90).
Quoi qu’il en soit des légères différences entre les diverses versions de l’anecdote, que l’on peut aisément imputer à l’imprécision du souvenir, pendant trente ans, de 1989 à 2019, cet épisode de la saynète se voit non seulement volontiers relaté par l’auteur, mais également repris de confiance par la critique, comme un moment décisif dans le processus de maturation littéraire de l’écrivain, voire comme le moment originaire du désir d’écriture, parfaitement révélateur du « personnage » de Maryse Condé.
2. Mensonges, falsifications et autobiographie
Pourtant, treize ans après la publication du Cœur à rire et à pleurer, Maryse Condé change radicalement de cap dans son entreprise autobiographique et, dans l’avant-propos de La Vie sans fards, se met en devoir de dénoncer l’inévitable dévoiement de toute écriture de soi, l’« image séduisante » et nécessairement faussée que « l’être humain » est toujours tenté de donner de lui alors même qu’il prétend à la plus grande sincérité :
Pourquoi faut-il que toute tentative de se raconter aboutisse à un fatras de demi-vérités ? Pourquoi faut-il que les autobiographies ou les mémoires deviennent trop souvent des édifices de fantaisie d’où l’expression de la simple vérité s’estompe, puis disparaît ? Pourquoi l’être humain est-il tellement désireux de se peindre une existence aussi différente de celle qu’il a vécue ? (Condé 2012 ; 11)
C’est donc de cette tentation volontaire ou involontaire de projeter de soi une image idéalisée, à l’intérieur de l’œuvre ou dans ses marges, que voudra se défaire Maryse Condé qui, au nom de son irrépressible – et pour le moins paradoxale – « passion pour la vérité » (ibid : 12), prend le parti inattendu de dévoiler les informations « embellies » qu’elle a, de sa propre initiative, fournies aux journalistes et qui constituent depuis de longues années la substance des nombreuses brochures biographiques rédigées à son propos. Comme sa mère Jeanne à l’égard de sa grand-mère Victoire, elle avait donc « édifi[é] un mythe qui ne correspondait guère à la réalité, et laissait dans l’ombre les aspects incertains de [s]a personnalité » ; elle avait, elle aussi, essayé « à tout prix de [se] couler dans le moule […] de la “matador” guadeloupéenne » (Condé 2006 : 318-319), une « matador1 » des Lettres cette fois, figure fantasmatique et séduisante en laquelle elle avait trouvé un temps une orgueilleuse satisfaction. À la question demeurée sans réponse posée au début de La Vie sans fards – « pourquoi l’être humain est-il tellement désireux de se peindre une existence aussi différente de celle qu’il a vécue ? » (Condé 2012 ; 11) –, le lecteur serait tenté de répondre, suivant en cela l’opportune instigation de l’auteur, qu’il ne s’agit là que des « involontaires (?) tentatives d’embellissement » de la vie auxquelles se livre communément l’autobiographe, et ainsi d’accorder un entier crédit à l’écrivain engagé dans un louable processus d’examen intérieur et de rétractation quasi augustinienne. Pourtant – et le malicieux point d’interrogation le suggère –, d’une part, les falsifications opérées dans la restitution de la vérité relevaient d’une tout autre démarche et, d’autre part, un tel aveu n’exonère nullement l’écrivain de la pleine responsabilité de ses choix.
Ainsi, lorsqu’en 1988, Vévé A. Clark l’avait interrogée sur son premier époux – « Parlez-moi de Condé » –, voici ce qu’avait répondu Maryse Condé :
J’étais allée avec une de mes amies à la répétition de la pièce de Jean Genet, Les Nègres en 1959. Il y avait un acteur dans la pièce qui m’a paru beau et frappant, Mamadou Condé. Je ne me souviens pas du rôle qu’il jouait, mais il faisait partie de la mise en scène [Mamadou Condé jouait le rôle d’Archibald]. Après la pièce, nous sommes allées parler avec les acteurs pour leur exprimer notre admiration. Condé était présent, je l’ai rencontré et c’est là que tout a commencé pour nous (Clarke 1989 : 98).
En réalité, avoue-t-elle quinze ans plus tard dans La Vie sans fards, désireuse de « dégonfl[er] certaines boursouflures » (Condé 2012 : 13) de sa biographie, Mamadou Condé ne jouait nullement Les Nègres de Jean Genet à l’Odéon lorsqu’elle fit sa connaissance, et n’était, suivant les mots qu’elle emploie elle-même, qu’« un baladin, un vulgaire comédien » (ibid.) qui se contentait de faire de la « nègrerie » pour subsister :
Par exemple, je lis dans les brochures rédigées par mes attachées de presse d’après mes propres informations à l’intention des journalistes et des libraires : « En 1958, elle épouse Mamadou Condé, un comédien guinéen qu’elle avait vu jouer à l’Odéon dans Les Nègres, une pièce de Jean Genet, mise en scène par Roger Blin et part avec lui pour la Guinée, le seul pays d’Afrique qui ait répondu non au référendum sur la communauté du général de Gaulle ». Ces phrases créent une image séduisante. Celle d’un amour éclairé par le militantisme. Or, elles contiennent à elles seules de nombreuses falsifications […] (Condé 2012 : 11).
On ne saurait trouver captatio benevolentiae plus fracassante, répondant idéalement, en outre, au vœu inhérent à toute préface de « valoriser le texte sans (paraître) valoriser son auteur » (Genette 1987 : 201) ; ni preuve plus évidente de plus entière sincérité puisqu’« en revenant sur ce mensonge fondateur de son personnage d’écrivain, observe fort justement Darline Alexis, Condé a donné un gage nécessaire au pacte autobiographique » (Alexis 2014 : 125). En 2015, cette épineuse question de la « falsification » est abordée par Françoise Pfaff dans les Nouveaux Entretiens avec Maryse Condé. Devant la méprise de son interlocutrice accusant à tort les « attachées de presse des maisons d’édition » (Pfaff 2016 : 181), Maryse Condé ne se dédit pas et assume sans états d’âme l’entière responsabilité des libertés prises avec la vérité : « C’est moi qui ai donné liberté aux attachées de presse de bâtir un mythe sur ma vie, un mythe Maryse Condé, contre lequel, tardivement, je m’insurge » (ibid.). Devant l’insistance dubitative et doucement scandalisée de son interlocutrice, peu encline sans doute à voir si brutalement remise en question la validité de son précédent entretien – « Mais dans Entretiens avec Maryse Condé, tu avais dit, en 1993, à propos de cette rencontre, la même chose que les attachées de presse ! […] Cela figure expressément p. 18 dans Entretiens avec Maryse Condé ! Donc dans La Vie sans fards, tu rectifies l’image que tu avais donnée au public ? » (ibid.) –, l’auteur confirme, « dans le style sec et provocateur » (Scheel 2017 : 222-22) qu’on lui connaît, la révélation, assénée sans broncher, de ce qui n’était autre, en définitive, qu’un mensonge assumé, son interlocutrice préférant à ce terme brutal une euphémistique « rectification ». D’emblée donc, la question du mensonge, même récusé, est placée au cœur de l’entreprise d’écriture et couvre discrètement de son ombre l’ouvrage en instance.
Or, dans l’« Avant-propos » de La Vie sans fards, Maryse Condé en venait surtout à la dénonciation d’un second élément de sa biographie : ce « conte » de l’origine de l’écriture relaté dans Le cœur à rire et à pleurer et bien connu des commentateurs – une palinodie dont il n’est pas certain que le public, voire la critique, ait toujours bien saisi la portée :
Dans mon récit de souvenirs Le cœur à rire et à pleurer – Contes vrais de mon enfance, je raconte comment ma « vocation d’écrivain », si on peut employer pareils termes, aurait pris naissance. J’aurais environ dix ans. C’était, semble-t-il, un 28 avril, jour de l’anniversaire de ma mère que j’idolâtrais, mais dont le caractère singulier, complexe et fantasque ne manquait pas de me déconcerter. J’aurais donc élaboré une composition, mi-poème, mi-saynète, où je me serais efforcée de peindre les multiples facettes de sa personnalité, tantôt tendre et sereine comme brise de mer, tantôt moqueuse et grinçante. Ma mère m’aurait écoutée sans mot dire tandis que je paradais devant elle, vêtue d’une robe bleue. Puis, elle aurait levé sur moi des yeux à ma stupeur remplis de larmes et aurait soufflé :
– C’est ainsi que tu me vois ?
J’aurais éprouvé à ce moment-là un sentiment de puissance que j’aurais cherché à revivre, livre après livre. Cette anecdote construite a posteriori me semble parfaitement illustrer ces involontaires (?) tentatives d’embellissement que je dénonce. Il est certain que j’ai souvent rêvé de choquer mes lecteurs en dégonflant certaines boursouflures. Plus d’une fois, j’ai regretté que des flèches contenues dans mes textes n’aient pas été perçues (Condé 2012 : 12-13).
Ainsi, treize ans après l’avoir inscrite dans son livre de souvenirs, trois ans seulement après l’avoir explicitement racontée à Noëlle Carruggi, Maryse Condé avoue avec un aplomb malicieux, sous une avalanche de conditionnels, une des « falsifications » de son précédent ouvrage censément autobiographique, et contraint a posteriori son lecteur à une approche rétrospective visant à en déceler les autres « boursouflures » demeurées inaperçues.
À cela ne se limite cependant pas la difficulté. Le lecteur de La Vie sans fards, pour peu qu’il se soit donné la peine de parcourir l’introduction de l’ouvrage, se heurte en effet à une contradiction dont nulle explication ne lui est fournie et qui, au moment même où il se croit à l’abri de toute erreur d’interprétation, le renvoie patauger dans les sables mouvants du mensonge littéraire. Le passage problématique survient lorsque l’autobiographe évoque l’époque où, installée en Angleterre, elle se fait connaître du public à l’occasion de conférences controversées sur l’Afrique qui « ne [l] » avait jamais considérée comme sa fille » (ibid : 230). Le tollé qui accueille systématiquement ses prises de position, loin de l’inciter « à garder un silence prudent », l’encourage au contraire à accentuer son point de vue, et naît alors l’image qui lui reste encore attachée de « provocatrice-née ». Étrangement, la réflexion que suscite un tel souvenir conduit l’auteur à faire référence à l’anecdote qu’elle avait pourtant explicitement invalidée dans son « Avant-propos » : « Je n’en revenais pas. La vérité est-elle donc provocatrice ? Je l’avais oubliée depuis le fameux anniversaire de ma mère où je lui avais dit ce que je pensais d’elle. » (ibid.) La caractérisation de l’événement familial renvoie bien entendu à la notoriété désormais parfaitement établie de l’anecdote révoquée dans l’introduction de l’ouvrage, même si l’on note cette fois que la performance théâtrale ou poétique qui l’accompagnait jusqu’alors n’est pas reprise : seule demeure la mention d’une confrontation verbale entre mère et fille, à quoi probablement se résolvait originairement l’épisode avant le processus d’embellissement métaphorique dont il a fait l’objet dans l’ouvrage et les entretiens.
Une explication peut être avancée, qui n’est pas, du reste, sans ajouter à la perplexité dans laquelle se trouve le critique. Dans un entretien donné en 2014 à Françoise Simasotchi-Bronès, Maryse Condé revient sur l’épisode de la saynète qu’elle aurait, selon son interlocutrice, reconstruit à partir de propos qui lui auraient été rapportés – mais dont elle n’aurait pas gardé le souvenir –, et ce, dans un « intéressant […] travail fictionnel du matériau mémoriel » (Simasotchi-Bronès 2014 : 190). Selon Maryse Condé, qui ne répond pas spécifiquement à la suggestion de son interlocutrice, mais préfère l’usage commode de la généralité, « il n’y a pas de vraie restitution du passé tel qu’il a été. Il y a toujours restitution du passé embelli par les récits des autres sur la réalité. » (ibid.) Quoi qu’il en soit, le lecteur, placé dans l’incapacité de procéder à nulle vérification, ne laisse pas d’être surpris par une telle piste interprétative qui semble relancer le processus palinodique, incertain de la véracité de la figure de l’auteur qui s’offre complaisamment à lui.
3. La Figure de l’auteur : le jeu du texte et de l’entretien
Ce que met en lumière le destin tourmenté de l’anecdote de la saynète, c’est le glissement de l’acte littéraire en dehors du seul espace du livre et son inscription dans le jeu instauré entre le texte et ce que Genette appelle son épitexte2 – c’est-à-dire, en l’occurrence, l’ensemble des entretiens donnés par l’écrivain. De ce lieu où traditionnellement tend à se préciser la « figure de l’auteur », Maryse Condé se plaît à détourner la visée, signant ironiquement d’un double trait l’infinie dérobade du je qu’elle prétend être et sa toute-puissance en tant que créateur de fiction.
La rétractation de Maryse Condé, formulée à l’orée de La Vie sans fards, s’inscrit de plain-pied dans le sillage des réflexions sur La Figure de l’auteur dont Maurice Couturier avait livré la teneur en 1995, évoquant, lui aussi, l’étrange collusion de la pulsion autobiographique et de la tentation de l’altérité, « ce besoin de l’homme occidental de se dire et de se raconter », qui, selon lui, « va de pair avec “la passion d’être un autre”. Être un autre pour soi, dire l’autre de soi, se dire à l’autre, tout cela est un peu la même chose […]. » (Couturier 1995 : 199). La vérité autobiographique résiderait ainsi paradoxalement dans une inévitable falsification – volontaire ou non – de la vérité factuelle. Maurice Couturier ajoute, en un propos où s’éclaire opportunément un des enjeux de la démarche condéenne, que « cette compulsion quasi tragique à vouloir être un autre a conduit certains auteurs, plus maîtres de leur écriture que d’autres, plus disposés aussi à prendre des risques personnels importants […], à vouloir mettre leur propre vie en fiction » (ibid. : 197). Maryse Condé choisit, afin de parvenir à une telle fin, de mettre en œuvre une double stratégie : dans l’espace de l’œuvre littéraire, d’une part, et au sein de l’espace épitextuel, d’autre part.
Dans l’espace de l’œuvre littéraire, la mise en fiction de la vie pose la question de l’ambiguïté générique des textes censément autobiographiques. Il n’est pas anodin à cet égard que Maryse Condé s’attache à corriger Françoise Pfaff lorsque celle-ci commet l’erreur d’unir dans une unique démarche littéraire tous ses écrits autobiographiques « sans fard », mais qui sont également des « contes vrais », précisant qu’elle n’avait « employé l’expression “contes vrais” que dans Le cœur à rire et à pleurer » et non dans La Vie sans fards et Mets et merveilles, ouvrages dans lesquels elle avait essayé, au contraire, « de toucher la vérité » (Pfaff 2016 : 182). Maryse Condé distingue donc clairement, au sein de sa production autobiographique, deux esthétiques irréductibles l’une à l’autre et signale le statut spécifique qu’il convient conférer au Cœur à rire et à pleurer : si tous ses ouvrages autobiographiques « contiennent le masque de la fiction », La Vie sans fards et Mets et merveilles tendent vers la découverte de la vérité du moi – « La Vie sans fards est peut-être le récit où j’ai le moins menti, où j’ai essayé d’être le plus près possible de la réalité » (Simasotchi-Bronès 2014 : 190), confie ainsi Maryse Condé –, alors que le livre de 1999 se définirait plutôt dans le paradoxe d’une fiction désireuse de réduire au maximum les signes de son essence. Se trouvent ainsi délivrés et le principe esthétique du Cœur à rire et à pleurer et le sens de la formule placée en sous-titre : Contes vrais de mon enfance, c’est-à-dire, déclare l’auteur : « une façon de dire que c’était imaginé et que je le présentais comme la réalité » (Pfaff 2016 : 182). En témoigne exemplairement le traitement ambigu de l’onomastique puisque, si la petite héroïne du livre et ses parents apparaissent sous leur vrai nom, choix qui tendrait à sceller le pacte autobiographique attendu, d’autres personnages, dont le rôle n’est pas nécessairement anecdotique, se dissimulent derrière des noms fictifs : Sandrino (Alexandre), Émilia et Thérèse, ses frère et sœurs, désignent respectivement Guy, Éna et Gilette, de même que le séduisant Olnel qui apparaît à la fin de l’ouvrage n’est autre que le fameux Jean Dominique qui assuma une place si déterminante dans la vie de l’auteur. Une telle transposition, peut-être destinée à préserver une part de la vie privée des personnes mentionnées encore vivantes, trahit surtout la porosité de la fiction et l’autobiographie dans le conte condéen et l’indécision du genre mis en œuvre : le nom inventé, en définitive, est tout autant un signe de fiction que l’attestation d’une vérité qui se prévaudrait du masque pour se livrer au jour.
Par ailleurs, et il s’agit là d’une grande originalité de l’écriture de Maryse Condé, les liens instaurés entre fiction et autobiographie s’expriment également en dehors de l’espace littéraire et au sein de l’espace épitextuel. Lieu de la vérité par excellence, où est censé s’exprimer le plus authentiquement, dans un face à face excluant toute dérobade, le contrat éthique qui se retrouve au fondement du geste autobiographique, l’entretien constitue, par rapport à l’écrit, « un autre type de fréquentation, plus intime, et d’emblée suprêmement curieuse » (Antoine 1993 : 175), « réalisé dans la transparence et la confiance » (ibid.). Il s’exempte de ce fait du soupçon qui, depuis plusieurs décennies, pèse sur l’univers du roman et devient paradoxalement le lieu idéal de toutes les ruses et falsifications dès lors que, comme le démontre Philippe Lejeune, il « encourag[e] fatalement l’illusion biographique » (Lejeune 1980 : 34). Maryse Condé, fidèle à elle-même, se plaît à dénoncer le contrat de confiance implicite qui se trouve au fondement de ce type de confessions. On peut, par exemple, soupçonner quelque avantageuse « falsification » dans le portrait de M. Boucoulon en beau marabout Mandingue – « C’était un homme élégant, mince, élancé et très beau. Avec un air d’arrogance et de suffisance sur le visage et dans sa façon de marcher » (Clarke 1989 : 88) – puisque dans les « contes vrais », l’altier mandingue n’est plus qu’un vieillard sans charme dont le mariage avec sa belle et jeune épouse ne peut s’expliquer, selon ses enfants, que par des raisons toutes pragmatiques de statut social3.
Les analyses de la forme de l’interview, formulées par Régis Antoine dans la « Postface » des Entretiens avec Maryse Condé, invitent à la prudence quant à la vérité que l’on prétend atteindre : « N’oublions pas ceci toutefois : l’intérêt de cette critique littéraire dialoguée tient plus à sa forte charge de subjectivité qu’à une illusoire accession à l’objectivité : on est ici devant la véridicité romanesque ou essayiste, et non face à la vérité idéale » (Antoine 1993 : 176). Le critique souligne en outre une particularité de l’exercice qui revêt une résonance singulière chez Maryse Condé, à savoir que « les réponses sollicitées auprès de l’auteur, toutes sincères qu’elles soient et qu’elles se veulent être, sont en partie réfléchies, informées par la nature même des questions » : « le propos biographique rejoint le texte de fiction qui s’en était préalablement nourri, il en prolonge le retentissement » (ibid : 182). Certes, tout lecteur de Maryse Condé a pu constater sa propension à établir un lien entre ses textes de fiction et ses autobiographies, mais on ne s’est guère attaché au glissement de la fiction au sein de l’autobiographie épitextuelle pas plus qu’à la valeur instigatrice des questions posées. Il est du reste permis d’émettre l’hypothèse que ce soit la nature même des questions posées en 1989 par VèVè A. Clarke, souvent étrangement orientées, qui ait suscité, chez la romancière, non seulement l’idée de se livrer à une entreprise de « mythistoire », pour reprendre le terme de Georges Gusdorf, mais, plus tard, de se mettre à l’écriture des « contes vrais » du Cœur à rire et à pleurer dont toute la matière se trouvait alors à sa disposition, comme un brouillon opportun de l’œuvre à venir, qu’il conviendrait de mettre en forme. On en veut pour preuve l’exemple déjà cité du marabout mandingue qui semble littéralement suggéré par VèVè A. Clarke :
Clark : La majorité de vos lecteurs identifient votre père au portrait du marabout mandingue dans Hérémakhonon [sic]. À quel point cette peinture est-elle fidèle ?
Condé : Oui [avec force]. […] Bien sûr qu’il est le marabout mandingue. Cela ne fait aucun doute ! (Clarke 1989 : 88)
Cette idée est confortée par le fait que, quatre ans plus tard, dans l’entretien qu’elle donne en 1993 à François Pfaff, Maryse Condé élude souverainement une telle assimilation :
- Est-ce que, par exemple, le « marabout mandingue » de ton roman Heremakhonon est un petit peu ce père dont tu parles, très rigide, qui voulait faire honneur à la race ?
– Il n’était pas très rigide. Je crois que c’était le type même de l’homme antillais de l’époque. Il ne s’intéressait pas à ses enfants. Je ne sais pas très bien à quoi il s’intéressait. (Pfaff 1993 : 12)
L’entretien, rappelle Gérard Genette, tire sa matière de l’inessentiel, de l’anecdotique : « bien des entretiens portent moins sur l’œuvre de l’auteur que sur sa vie, ses origines, ses habitudes, ses rencontres et fréquentations (par exemple, avec d’autres auteurs), voire sur tout autre sujet extérieur explicitement posé comme objet de la conversation : la situation politique, la musique, l’argent, le sport, les femmes, les chats, les chiens. » (Genette 1987 : 348). Or, VèVè Clarke affirmait explicitement avoir centré ses questions « principalement sur la biographie de l’auteur et son œuvre littéraire ainsi que sur la culture antillaise » (Clarke 1989 : 86), et il est facile d’observer que nombre des questions posées lors de cette rencontre trouvent un écho direct dans certains épisodes spécifiques de l’ouvrage de souvenirs.
Maryse Condé se découvre ainsi maîtresse d’un jeu savant, non plus entre le texte de fiction et l’autobiographie, mais entre cette dernière et l’entretien : la mythistoire aurait été à l’origine d’un texte littéraire au statut générique flottant, hésitant entre fiction et vérité, et ce dernier aurait par la suite été lui-même convoqué afin d’offrir des réponses aux questions qui l’avaient suscité. Sur les motivations d’une telle pratique, il n’est guère permis de se prononcer avec certitude : certes, il s’agissait sans conteste pour l’auteur de délivrer une image séduisante de son existence pour les obscures raisons que La Vie sans fards mentionne sans les expliciter ; mais peut-être aussi peut-on suspecter une forme de secrète impatience devant un questionnement tendant à éluder l’essentiel pour se fourvoyer dans l’anecdote, fournissant à Maryse Condé une belle occasion de lancer, par une forme de défi narquois, ces flèches ironiques dont elle n’était pas avare. Il convient sans doute d’invoquer également le pur plaisir d’un jeu gratuit avec la vérité, transfigurant l’espace péritextuel en espace textuel, conforté par la conviction que « vue du dehors, l’image d’un être est toujours invérifiable » (Starobinski 1971 : 223). Dès l’entretien de Pasadena avec VèVè A. Clarke, Maryse Condé aurait ainsi choisi d’expérimenter l’invention fantaisiste de sa vie, assurée de l’impossibilité d’être démasquée par une interlocutrice confiante dans le pacte de sincérité normalement instauré dans ce type particulier de situation autobiographique.
Quoi qu’il en soit de ses motivations, l’auteur du Cœur à rire et à pleurer a ainsi profité de cet espace de nécessaire crédulité qu’est l’entretien pour redéfinir les frontières de l’œuvre littéraire, fondées sur la porosité du texte et du péritexte, faisant par là-même voler en éclats la distinction commode des pactes autobiographique et romanesque. Se voit également démontrée, en acte, l’importance fondatrice du pacte éthique souvent passé sous silence dans le discours théorique et sans lequel pourtant nulle entreprise autobiographique ne saurait être viable. La question du « mensonge (qui est une catégorie “autobiographique”) » (Lejeune 1975 : 30), assez rapidement évoquée par Philippe Lejeune, est en effet ramenée à celle du pacte « référentiel » dont la formule « serait non plus “Je soussigné », mais « Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité » » (36), formule dont il est assez évident qu’elle n’exclut aucunement le parjure. Dans l’autobiographie, rappelle le critique, « il est indispensable que le pacte référentiel soit conclu, et qu’il soit tenu » (37) : Maryse Condé ne s’y plie pas. Or, cette question n’est ordinairement envisagée que sous l’angle d’une infidélité globalement involontaire au réel, liée soit à l’imprécision du souvenir, soit à des traumatismes ou travers psychologiques qui en rendent problématique l’exacte restitution. Ainsi, selon Philippe Lejeune,
[l]e serment prend rarement une forme aussi abrupte et totale : c’est une preuve supplémentaire d’honnêteté que de la restreindre au possible (la vérité telle qu’elle m’apparaît, dans la mesure où je puis la connaître, etc., faisant la part des inévitables oublis, erreurs, déformations involontaires, etc.), et que de signaler explicitement le champ auquel ce serment s’applique (la vérité sur tel aspect de ma vie, ne m’engageant en rien sur tel autre aspect) (36).
L’erreur, devenant signe d’authenticité, constitue une source de validation ultime du pacte référentiel. Pour Maurice Couturier, c’est le désir de projeter une image idéalisée de soi qui est en jeu dans ces nécessaires failles du contrat : « l’insistance de l’auteur réel à surdéterminer son texte et à en faire un écran efficace contre l’ingérence, mais non contre l’amour ou l’admiration du lecteur, l’a conduit à projeter dans son texte son moi idéal » (Couturier 1995 : 243). Georges Gusdorf s’inscrit dans une perspective similaire et, sans approfondir l’hypothèse de la « déformation volontaire de la vérité » – sans doute parce qu’elle contrevient par principe au vœu autobiographique –, en vient finalement à récuser la pertinence de la notion de mensonge en la matière :
Certes, bon nombre des récits de vie comportent des erreurs et des falsifications, mensonges par omission, ou déformation volontaire de la vérité, qui peuvent être mis au compte d’une volonté de duper le lecteur. Mais, plus profondément, on se trompe quand on attribue à l’existence du passé un mode d’être établi ne varietur, une version définitive à laquelle le sujet aurait accès, et qu’il aurait la possibilité de modifier, de dénaturer à son gré. […] Cet art de l’imaginaire ne doit pas être considéré comme un abus de confiance, un mensonge plus ou moins inexcusable et à propos duquel il faudrait plaider coupable, à la manière du Rousseau des Confessions (Gusdorf 1991 : 584-585).
Si l’on peut toujours, en dernier ressort, invoquer le fond inconscient de la démarche falsificatrice, il n’en demeure pas moins que les altérations de la vérité qu’a autorisées et elle-même véhiculées Maryse Condé procèdent d’un geste conscient, intentionnel et parfaitement assumé qui les distingue des divers types de manquements à l’exactitude autobiographique envisagés par les théoriciens. Dès lors, l’atteinte au pacte de véracité révélée dans La Vie sans fards donne à suspecter l’ensemble du propos dont il n’est pas permis au lecteur de déterminer ce qui relève ou non de la vérité, « puisque l’autobiographe nous raconte justement […] ce qu’il est le seul à pouvoir nous dire » (ibid.). Le lecteur abusé devient un lecteur médusé devant une vérité qui lui échappe toujours. C’est le sens de la turbulente anecdote de la saynète, de ce jeu malicieux du vrai et du faux, qu’il convient désormais de tenter de rechercher.
4. Herméneutique d’une anecdote : vérité textuelle et vérité métatextuelle.
Il n’est pas inutile, pour ce faire, d’examiner au préalable un autre « conte vrai » du Cœur à rire et à pleurer, qui semble se substituer ou se superposer à celui de la saynète dans sa vocation à délivrer, au-delà de sa signification existentielle, les enjeux littéraires du mensonge : « Yvelise ». La petite camarade de classe qui donne son nom à l’épisode se révèle être, en réalité, Eddy, évoquée dans La Vie sans fards comme d’une des « seules amies » (Condé 2012 : 61) de l’auteur. Le substrat véridique du conte est fourni dans l’interview de 1989 avec VèVè A. Clarke :
Oui, un jour à l’école, nous devions écrire un devoir de français intitulé « Décrivez votre meilleure amie » – quelque chose de très banal. J’ai décrit une fille que j’aimais bien, Eddy, qui à mon avis n’était pas jolie bien qu’elle fût mon amie. Dans l’essai je disais qu’Eddy était ma meilleure amie et qu’elle n’était pas très belle. La maîtresse m’obligea à me lever et à lire l’essai devant toute la classe. Je me rappelle combien j’avais été choquée par l’idée qu’écrire c’était mentir (parce que pour moi, écrire c’était dire la vérité). J’ai pensé alors que je n’écrirais jamais. Et plus encore, j’ai eu très jeune le sentiment qu’écrire était dangereux ; si jamais je le faisais, cela m’attirerait des ennuis. Je ne pouvais comprendre pourquoi la maîtresse me blâmait pour avoir dit la vérité. À chaque fois que nous nous rencontrons Eddy et moi, nous nous rappelons cette histoire et nous en rions ensemble. Elle vit au Mali, en Afrique occidentale maintenant (Clarke 1989 : 92-94).
L’événement constitue un moment-clef dans l’apprentissage de la narratrice, non seulement d’un point de vue éthique et existentiel, mais également et surtout, du point de vue de l’écriture. S’y trouve posée, dans une double perspective, la question capitale de la vérité : « qu’est-ce qu’on me reprochait ? D’avoir dit la vérité ? » (Condé 1999 : 42), question décisive que retrouvera, à Londres, l’héroïne de La Vie sans fards, devant le public hostile de l’« Africa House ». L’incompréhension de la petite Maryse devant cette contradiction criante des adultes, normalement enclins à interdire le mensonge aux enfants, trouve un écho quelques chapitres plus loin, lorsqu’elle apprend à ses dépens qu’« il ne faut jamais dire la vérité. Jamais. Jamais » (Condé 1999 : 85), même à sa mère. Les deux épisodes – qui, on s’en avise, ont trait à l’écriture – mettent brutalement en lumière l’irréductibilité des domaines éthique et littéraire et l’impossibilité de toute démarche purement autobiographique : écrire, c’est mentir, découvre alors la petite fille. L’hétérogénéité de l’écriture et de la vérité, qui se révèle dans toute sa brutalité à l’enfant, est pleinement assumée par l’écrivain qui légitime implicitement de la sorte et le mensonge au sein de la sphère épitextuelle et les prérogatives de la fiction littéraire. Un tel désaveu de la vocation à la vérité de la littérature ne concerne, on le voit, ni son aspiration au réalisme ni son penchant pour le vraisemblable ; au contraire, il l’exalte comme le masque le plus parfait du mensonge.
Par ailleurs, la portée de l’acte littéraire symbolisé dans le livre par une rédaction enfantine consiste en la découverte de la dangerosité de l’écriture – « si jamais je le faisais, cela m’attirerait des ennuis » – et résonne comme une annonce proleptique des difficultés de réception que rencontrera l’écrivain lui-même. Dès lors, la querelle qui s’ensuit entre les parents des deux fillettes (voir Condé 1999 : 42) peut symboliquement renvoyer aux débats houleux qui accompagnèrent parfois la sortie des œuvres de Maryse Condé4. En 1988, dans l’« Avant-propos » de la seconde édition d’Heremakhonon, la romancière ne dit pas autre chose, lorsqu’elle dénonce la vision édulcorée de la communion littéraire à laquelle le lecteur est tenté de céder : « C’est une erreur de croire qu’un livre est un lieu de communication et d’échanges. Écrire est un acte dangereux » (Condé 1988 : 14). Il y a là, vraisemblablement, de la part de Maryse Condé, dont on ne saurait trop rappeler la culture universitaire, une allusion à un courant critique qui faisait de la littérature le lieu neutre d’une pure communication, d’un échange de messages entre un destinateur et un destinataire5 délestés de toute épaisseur existentielle. Plus essentiellement, l’accent porte sur la dangerosité de l’acte d’écriture qui, loin de se résoudre à n’être qu’une divertissante occupation sans véritables enjeux, consiste, aux yeux de Maryse Condé, en une aventure existentielle au sein de laquelle le sujet se met en péril. L’espace littéraire est donc pensé comme le lieu d’une agression mutuelle de l’auteur, désireux d’atteindre son lecteur au cœur et d’exercer une forme de puissance sur lui – c’est bien ce que signifie l’épisode de la saynète ; et du lecteur, susceptible de réactions violentes si l’ouvrage ne répond pas à ses attentes – tel est le sens de l’épisode consacré à Yvelise. Dans l’« Avant-propos » cité précédemment, Maryse Condé évoque la souffrance qui fut la sienne devant l’incompréhension de « critiques hâtifs qui la confondirent avec [s]on personnage littéraire et [qui lui] firent sévèrement la morale » : « la méprise fut longue à dissiper. Et j’en souffris beaucoup » (Condé 1988 : 12), avoue-t-elle. Ce premier roman, « cet enfant “mal éclos”, mais toujours secrètement favori », énonçait certaines vérités que le public n’était pas prêt à entendre, de même que la petite Maryse, dans sa naïveté enfantine, pensait juste de dire la vérité de son amie ni jolie ni intelligente ; mais « toutes ces vérités eurent le don de déplaire aux critiques et aux rares lecteurs tant africains qu’antillais » (ibid. : 13) qui préféraient l’aveuglement complaisant à la dure lucidité.
Un autre aspect de l’épisode de la saynète mérite d’être mis au jour. Il convient pour cela d’en passer une nouvelle fois par une autre anecdote, relatée par l’auteur le 1er juin 1990 à Xavier Orville, lors d’un entretien donné à la Guadeloupe (Condé/Orville 1990), puis, l’année suivante, de façon plus détaillée, à Mohammed B. Taleb-Khyar. Une telle anecdote contrevient explicitement à la version formulée dans Le cœur à rire et à pleurer et donne à penser qu’il pourrait s’agir, là encore, d’un « conte » étiologique très librement inspiré du réel. Dans les deux cas, en effet, Maryse Condé introduit son récit de façon similaire, en mentionnant la fréquence de sa relation : « There’s a story that I like to repeat », sans offrir à son lecteur ou son auditeur le moindre indice lui permettant de soupçonner, sous le terme employé – histoire ou story –, une quelconque référence à une donnée fictive : le propos est donc accueilli comme l’évocation d’une anecdote réelle. Ce qui est raconté, en l’occurrence, ce sont les propos tenus par une Afro-Américaine, rencontrée à l’occasion d’une conférence de femmes écrivains à East Lansing, qui trouvait l’origine de sa vocation dans sa volonté de relater les histoires que lui narrait, avec un talent inné, sa grand-mère, simple domestique au service d’une famille blanche aisée. Ne cachant pas son agacement à l’égard d’une telle affirmation reprenant cette fallacieuse mythologie de l’oralité à laquelle les écrivains noirs se trouvent fatalement assignés, Maryse Condé affirme au contraire la nature profondément livresque de la vocation littéraire :
On est venu à la littérature par les livres tout simplement. En lisant des livres. Et je crois qu’il faut bien dire que le lien avec l’oralité que nous essayons maintenant de renouer à tort ou à raison est un lien qui a été rompu depuis longtemps dans nos familles, que ce que nous avons comme aliment spirituel, aliment de l’esprit, c’était des [livres ?] avec des images qui parlaient des fois de pays qui n’étaient pas la Guadeloupe, qui parlaient de pays qui étaient souvent la France, mais ça n’avait pas tellement d’importance, cela faisait quand même rêver et quand même, c’est en lisant ces livres-là que je suis devenue un écrivain (Condé […]/Orville 1990).
Elle illustre cette idée à partir de son propre cas et évoque alors l’orgueilleuse bibliothèque familiale, signe vide d’un statut social complaisamment exhibé, dans laquelle, enfant, elle découvrait les ouvrages flambant neufs que personne à part elle n’ouvrait et où elle avait trouvé non seulement le modèle d’un de ses futurs personnages, mais l’envie même d’écrire :
It seems to me that you become a writer because you are in touch with books. Myself, that is how I became a writer. My family had a huge library, full of all sorts of books. It seems to me that my parents had never read half of the books on the shelves because some of them, when I opened them, were totally new, brand new. […] Looking at these books I wanted to do the same. I wanted to write wonderful stories that people will like. I decided to become a writer (Taleb-Khyar 1991 : 349)6.
Cette volonté d’écrire à son tour des histoires que les gens aimeraient trouve surtout son origine dans la lecture du Sagouin de François Mauriac, ouvrage reçu, indique-t-elle, dans son entretien avec Max Orville, à l’occasion d’une distribution de prix survenue à une date laissée dans le vague. Cet ouvrage la bouleverse profondément au point de faire naître en elle l’idée du suicide, à l’instar du petit héros et de son père, en ce qu’il met en scène des rapports familiaux dont la cruauté diffère radicalement de l’image qu’en offre la société antillaise qu’elle connaît. C’est cet exotisme culturel qui la séduit et la conduit à se jeter dans l’écriture afin de devenir un jour la Colette noire qu’une de ses sœurs voit en elle :
When I read Le Sagouin, a novel by François Mauriac, I decided that I was going to write a story like this. It is a very particular story. Although it is well known in France, maybe the Americans don’t know it. It is the story of a young boy whose father is handicapped and who is himself handicapped. And the two of them are so very unhappy, so very abused by the mother all the time that they decided to commit suicide. The two of them, hand in hand, go and drown themselves in a river. That story was all the more shattering that I was reading it in the West Indies where mothers are supposed to love their children, and be so good, where fathers are supposed to be so valiant and brave. And there, I had a picture of another world so different that it seemed to me that the world of writing would be this one. A world where you could see very painful things, where you could look at very difficult things that nobody has a desire to look at. So I started writing all the time. My sisters, especially one, were very fond of me. They used to call me “La petite Colette noire.” I found it very charming and although I was not sure that I would succeed to be a “Colette,” I wrote and wrote and wrote everywhere and all the time (Taleb-Khyar 1991 : 349).
Ce récit étiologique de vocation n’est pas sans intérêt parce qu’il inscrit l’origine du désir d’écriture à une date bien plus tardive que celle qu’avancent Le cœur à rire et à pleurer et les différents entretiens, puisque le roman de Mauriac ne paraît qu’en 1951 et que la petite Maryse ne peut donc l’avoir lu avant l’âge de 14 ans – à supposer que le livre ait été disponible en Guadeloupe dès l’année de sa sortie –, c’est-à-dire bien après la mythique démonstration de puissance littéraire éprouvée aux dépens de sa mère que relate le livre de souvenirs.
Si l’anecdote diffère, un élément toutefois demeure central : la volonté d’inscrire à l’origine du geste littéraire, au rebours de toute mythologie de l’oralité, une culture livresque, classique dans le premier cas, avec la convocation de la mythologie grecque dont la petite fille se serait très tôt imprégnée ; et française et contemporaine dans le second cas, avec la lecture décisive du roman de François Mauriac, qui offre l’image d’un monde différent appelé à devenir « le monde de l’écriture ». Le propos signale ainsi la fondamentale altérité du monde de l’écriture et du monde réel, et consacre dès lors le désaveu de toute entreprise scrupuleusement autobiographique. L’écriture n’est pas la vie. Elle signifie au delà de la vie et revêt une nécessaire signification métatextuelle engageant l’esthétique du livre, comme un avertissement au lecteur trop crédule.
En dernière instance, il convient d’en venir au commentaire que Maryse Condé offre elle-même de l’épisode de la saynète. On peut penser que, dans un jeu ironique saisi d’elle seule, elle aurait, « toujours provoc [sic], toujours moqueuse, d[» elle]-même et des autres » (Pfaff 2016 : 28), lors de ses divers entretiens, livré à ses interlocutrices la clé de l’anecdote qu’elle racontait dont elle expérimentait en acte la signification. Les propos tenus à Lise Gauvin résonnent alors d’étrange façon : le « sentiment puissance », la prise de conscience d’un « pouvoir terrible, quelque chose dont on ne se doutait pas » ne s’exerceraient pas, en réalité, au détriment de madame Boucolon7, comme le voudrait le livre, mais, dès l’entretien de 1989, à l’égard de son interlocutrice – investie d’un statut symbolique –, l’écrivain affirmant ainsi son « envie d’écrire pour dire les choses telles qu[» elle] les vo[yait] et non pas telles qu’on voudrait qu[» elle] les voie », habitée par « une sorte de désir toujours d’être libre qui, de se prononcer comme on veut, avec son regard à soi et de ne pas essayer de faire plaisir » (Clarke 1989 : 67). Ainsi, lorsque VèVè A. Clarke l’interrogeait sur ses premières réalisations littéraires – « Avez-vous écrit votre première nouvelle à l’âge de dix ou onze ans ? » –, Maryse Condé esquivait la contrainte et refusait l’alternative : ni dix ans ni onze ans, mais une précocité autrement plus géniale : sept ans.
C’est une telle volonté de puissance qu’elle avoue explicitement à Noëlle Carruggi en 2010, sans que toutefois la portée performative de son aveu ne soit pleinement perçue : « Finalement, j’ai toujours aimé ce sentiment de puissance que peut donner l’écriture, un sentiment d’être plus fort que tous les gens autour de vous », « être super-puissant, être Dieu. » (207). Cette puissance sur « tous les gens autour de vous » est expérimentée en acte dans les entretiens où la vérité de l’écrivain se joue librement du carcan imposé par le réel. Cependant, évoquant, dans les Nouveaux Entretiens avec Françoise Pfaff en 2016, son goût viscéral pour la provocation, Maryse Condé avoue : « au début, je m’en suis un peu servie, mais après elle m’a dépassée. Cette provocation, ce goût du choquant sont devenus trop pour moi » (Pfaff 2016 : 34). Il s’agit là peut-être de la cause de la fameuse rétractation de 2012. Du reste, tout mensonge n’existant que s’il est porté au jour, il était inéluctable que l’auteur se lassât finalement de ce triomphe solitaire, de cette victoire de l’ombre.
En définitive, ce que traduit l’épisode de la saynète, c’est, à travers la réinvention de soi-même, l’entière liberté de l’écrivain que ne contraint nul genre, nul pacte, nulle origine, nulle assignation : tel est, au fond, le véritable sens de l’entreprise autobiographique. Elle signe le triomphe du monde de l’écriture et le désir d’une royauté de la parole qui est au fond la seule vérité de l’écrivain.
Conclusion
Au sein de ses Contes à rire et à pleurer, ces « contes vrais » de son enfance, dans lesquels Maryse Condé prétend se raconter, une anecdote connaît un destin très particulier, semblant s’échapper de l’espace du livre pour vivre librement une existence autonome : le récit souvent relaté de la saynète d’anniversaire, à l’occasion de laquelle se serait révélée une précoce vocation d’écrivain. La brutale rétractation formulée dans La Vie sans fards, invalidant les « falsifications » et « boursouflures » du passé, invite à une réflexion sur la question du mensonge dans l’espace du texte, mais aussi dans l’espace existentiel et épitextuel. La complexité de la construction de la figure de l’auteur engage un examen de la plasticité de la matière autobiographique dans la pratique de Maryse Condé. Cette dernière offre à son récit étiologique une aventure spécifique où le mensonge et la vérité se livrent à un malicieux jeu d’enfant, un colin-maillard dont elle est seule maîtresse. Qu’est-ce à dire, sinon l’infinie dérobade du « je » dont aucune autobiographie, aucun pacte autobiographique ou référentiel ne saurait emprisonner la foncière, l’irréductible liberté ; sinon, en définitive, la mise en abyme, complexe, de l’origine de l’écriture et de la puissance de la fiction ? Comme le déclare Maryse Condé dans l’« Avant-propos » d’Heremakhonon, « reprocher à un écrivain de trahir le réel est un non-sens. Car pour lui, il n’y a de réel que l’imaginaire » (Condé 1988 : 15). De ces jeux du mensonge et de la réalité émerge la seule vérité qui soit, à savoir que, Maryse Condé, échappant à toutes les tentatives de se voir percée à jour, « demeure secrète, énigmatique, architecte inconvenante d’une libération » (Condé 2006 : 319) dont le lecteur ne peut qu’admirer médusé, l’éclatante épiphanie.