Les marqueurs de comparaison en créole haïtien : une étude diachronique (vxiiie siècle) et synchronique

Mideline Dragon

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Mideline Dragon, « Les marqueurs de comparaison en créole haïtien : une étude diachronique (vxiiie siècle) et synchronique », Archipélies [En ligne], 16 | 2023, mis en ligne le , consulté le 15 octobre 2024. URL : https://www.archipelies.org/2034

Cet article vise à étudier les marqueurs utilisés dans l’expression de la comparaison d’égalité à savoir les équatifs et les similatifs ainsi que la comparaison d’inégalité, plus précisément le comparatif de supériorité en créole haïtien (CH). Il s’agit d’une étude diachronique et synchronique des marqueurs de comparaison (marqueur de paramètre et marqueur de standard) qui consiste d’une part à examiner la syntaxe et la sémantique des marqueurs utilisés en CH au xviiie siècle et d’autre part à établir un parallèle entre ces marqueurs et les principaux marqueurs du CH contemporain exprimant les différentes constructions. Ce qui nous permet de dresser les caractéristiques des marqueurs de comparaison de ces deux époques en les confrontant avec les types de paramètres et les types de standard qu’ils admettent chacun. Et, nous avons donc vu que le nombre de marqueurs du xviiie siècle est très réduit par rapport au nombre de marqueurs contemporains, mais ils peuvent s’employer avec les mêmes types de paramètre et standard.

This paper aims to study the markers used for expressing the comparison of equality, namely equatives and similatives and the comparison of inequality, more precisely the comparative of superiority in Haitian Creole. This is a diachronic and synchronic study of comparison markers (parameter marker and standard marker) which consists, on the one hand, to examine the syntax and the semantic of the markers used in Haitian Creole in the 18th century and, on the other hand, to draw a contrastive analysis between these markers and the main markers of contemporary Haitian Creole expressing these different constructions. It allows us to draw up the characteristics of the comparison markers of these two eras by comparing them with the types of parameters and the types of standard that they each accept. And we have seen that the number of markers of the 18th century is very small compared to the number of contemporary markers, but they can be used with the same types of parameter and standard.

Introduction

La comparaison est définie comme « a mental act by which two objects are assigned a position on a predicative scale » (Stassen, 2013). De ce fait, si les entités se trouvent dans des positions différentes sur cette échelle on parle de comparaison d’inégalité : « Pierre est plus grand que Paul » (Fuchs 2014 : 63), et si elles se trouvent dans les mêmes positions sur l’échelle associée, on parle de comparaison d’égalité : « Pierre est aussi grand que Paul » (Fuchs 2014 : 36). La comparaison consiste donc à rapprocher deux entités ou plus au regard d’une certaine propriété (Fuchs, 2014; Abeillé et Godard, 2021), afin de faire ressortir leurs ressemblances et leurs dissemblances. Les langues disposent de plusieurs procédés grammaticaux pour établir des comparaisons.

Dans la présente étude, nous nous intéressons aux marqueurs de comparaison utilisés en créole haïtien (désormais CH) au xviiie siècle, comparativement à ceux qu’on trouve en CH contemporain. Plus précisément, nous allons analyser les marqueurs de la comparaison d’égalité, à savoir les équatifs et les similatifs et les marqueurs du comparatif de supériorité. Le corpus pour le xviiie siècle est constitué de quatre textes : la chanson-poème Lisette quitté laplaine tirée d’Hazaël-Massieux (2008), la Prière de Boukman prononcée lors de la cérémonie du Bois-Caïman, tenue dans la nuit du 13 au 14 août 1791, la Proclamation prononcée en 1796 au Cap, la traduction créole de la Passion du Christ ; pour le corpus contemporain nous puiserons des travaux de Valdman (2008), de Lainy (2019), de Sixto (s.d.), du journal Bon Nouvèl, de certains textes musicaux, proverbes et de nos données personnelles comme locutrice native.

Dans un premier temps, nous donnerons un aperçu du contexte de l’évolution de la langue créole au xviiie siècle ; dans un deuxième temps, nous présenterons les constituants d’une construction comparative ; dans un troisième temps, nous nous intéresserons aux marqueurs utilisés dans une comparaison d’égalité (les équatifs, les similatifs) et dans une comparaison d’inégalité plus précisément le comparatif de supériorité au xviiie siècle et à l’époque contemporaine.

Nous nous baserons pour la comparaison d’égalité sur Haspelmath 2017, Haspelmath et Buchholz 1998, Lainy 2019 et pour la comparaison d’inégalité sur Stassen 1985 et 2013, Fuchs 2014 ; Cabrédo 2020 ; Abeillé et Godard 2021. L’apport de cette étude par rapport aux travaux antérieurs sur le CH réside dans le fait que :

  1. nous montrerons que les principaux marqueurs de la comparaison d’égalité sont équatifs et similatifs alors qu’ils sont présentés seulement comme marqueurs similatifs dans les exemples de Lainy 2019 ;

  2. nous identifierons le marqueur « pòtrè/pòtre » comme un marqueur purement similatif qui, à notre connaissance, n’a pas été pris en compte ;

  3. nous montrerons qu’en CH on peut également parler de standard générique ou spécifique dans les constructions similatives et équatives comme en français et en anglais ;

  4. nous analyserons le verbe depase en CH permettant aussi d’exprimer le comparatif de supériorité qui n’a pas été pris en compte dans Cabrédo 2020.

1. Le xviiie siècle et le CH

Le CH étant une langue à base lexicale française a pris naissance au cours des colonisations européennes des xviie et xviiie siècles comme le soulignent plusieurs auteurs (Hall 1966 cité dans Tabouret-Keller 1979 ; Lefèbvre 1998 ; Hazaël-Massieux 2002 et 2005). Il a émergé à Saint-Domingue dans le contexte des contacts de langues au cours de l’esclavage, soit le français (différentes variantes du français) et les langues africaines (principalement les langues de la famille gbe s’étendant sur la zone entre l’est du Ghana et de l’ouest du Nigeria), dans un souci de communication. Comme toute langue, elle a été d’abord une langue orale avant d’être écrite (Hazaël-Massieux 1997 : 7). Ce qui fait que les textes en créole qui datent de l’époque coloniale sont assez rares. Aussi, à cette époque le créole était décrit dans les textes comme « français corrompu/baragouin », etc.

C’est au xviiie siècle qu’apparaissent les véritables textes en CH (Hazaël-Massieux, ibid. : 22). Pour le CH nous pouvons citer : Lisette quitté la plaine, le tout premier texte littéraire écrit en créole, une chanson-poème publié en 1754 par Duvivier De La Mahautière ; La Passion de Notre Seigneur selon Saint-Jean en langage nègre, traduction en créole d’un extrait de la Bible « La Passion du Christ » vers 1760-1780 ; la publication dans le Moniteur de la partie française de Saint-Domingue d’une proclamation en langue créole le 26 mai 1793 par Sonthonax et Polverel (Pauris Jean-Baptiste dans Méroné 2008).

Il est important de souligner que les premières personnes à écrire le créole furent des Blancs créoles parce que le Code Noir de 1685 interdisait aux maîtres d’apprendre à lire et à écrire à leurs esclaves noirs. Cela explique également le fait qu’à cette époque le créole était écrit suivant l’orthographe du français.

2. Les constituants d’une comparaison

On retrouve cinq éléments dans une construction comparative (Stassen, 1985 : 24) représentés dans (1) qui sont les mêmes dans une construction équative et similative, mais avec une terminologie différente dans la littérature (Haspelmath et Buchholz 1998 : 279) représentés dans (2) : cible de comparaison, l’objet de comparaison, le premier référent à comparer ; prédicat gradable, mot de concept de propriété gradable ; morphème comparatif, morphème indiquant le degré de comparaison ; marqueur de standard, introducteur du standard, il est étroitement lié au standard ; standard, l’autre référent auquel le premier référent est comparé, aussi appelé « comparant ». La cible de comparaison (comparé) et le standard (comparant) sont appelés comparandes (Fuchs, 2014). Ces schémas nous permettront de mieux saisir la notion de marqueurs de comparaison dont nous parlons, qui se constituent du marqueur de paramètre comme « aussi » en français ou morphème comparatif comme « er » en anglais et du marqueur de standard comme « que » en français et « than » en anglais. Dans ce travail, nous suivons la terminologie de Haspelmath et Buchholz (1998) dans nos explications et gloses.

(1)

Cible de Comparaison

Prédicat gradable

Morphème comparatif

Marquer standard

Standard de comparaison

Kim

is

tall

-er

than

Lee

(2)

Comparé

Marqueur de paramètre

Paramètre

Marqueur de standard

Standard

Kim

est

aussi

grande

que

Lee

2.1. Nature des comparandes

Le comparé et le standard peuvent être un être animé (3 a), un être inanimé (3 b), un objet concret (4 a), un objet abstrait (4 b) qu’il s’agisse d’une construction équative ou comparative. Ils peuvent ainsi être un lieu (5a), une époque temporelle (5 b), un état (5 c) (Fuchs, 2017 : 54), etc.

(3)

a. 

Ajantin

pi

pase

Brezil1

Argentine

plus

fort

dépasser

Brésil

Litt : « Argentine est plus forte que Brésil »

« Les joueurs de l’Argentine sont plus forts que les joueurs du Brésil » (Valdman, texte 8 : 22)2

b.

Pye sitwon

an

grandi

pi

vit

pase

pye zorany

lan

citronnier

det

grandir

plus

vite

dépasser

oranger

det

« Le citronnier grandit plus vite que l’oranger »

(4)

a.

Bouch

fanm

nan

tankou

on

ponya

bouche

femme

det

comme

indef

poignard

« La bouche de la femme est comme un poignard » (Sixto s.d. : 63)

b.

Non vyolans

la

pi

pase

vyolans

Non-violence

det

plus

fort

dépasser

violence

« La non-violence est plus forte que la violence » (JBN n° 546, fevriye 2017 : 16)

(5)

a.

Gen

plis

solèy

an

Ayiti

pase

Lafrans

avoir

plus

soleil

prep

Haïti

dépasser

France

« Il y a plus de soleil en Haïti qu’en France »

b.

Peryòd

nwèl

pi

bèl

pase

peryòd

pak

période

noël

plus

beau

dépasser

période

pâques

« La période de noël est plus belle que la période de pâques »

c.

Nou

plis

bezwen

lapè

pase

lasante

nan

peyi

a

pl

plus

besoin

paix

dépasser

santé

prep

pays

det

Litt : « Nous avons plus besoin de la paix que de la santé dans le pays »

Nous avons vu que les comparandes peuvent être un nom propre (3a) ou un nom commun (3 b et 4). Les exemples suivants illustrent des comparandes qui prennent la forme d’un pronom (6 a), d’un adverbe (6 b), d’une phrase (7), ou d’un verbe, qu’on retrouve généralement dans des proverbes ou dans des cas l’on compare deux propriétés différentes chez une même entité (8).

(6)

a.

Li

bèl

menmjan ak

ou

3 sg

beau

comme

2 sg

« Elle est aussi belle que toi »

b.

Jan

dòmi

plis

jodi a

pase

Jean

dormir

plus

aujourd’hui

dépasser

hier

« Jean dort plus aujourd’hui qu’hier » (Cabrédo 2020 : ex 18)

(7)

a.

Ti

bebe

ki

adwat

la

malad

souvan

kouwè

m

t

bebe

petit

bébé

rel

à droite

det

malade

souvent

comme

sub

1 sg

ant

bébé

« Le petit bébé qui est à droite tombe aussi souvent malade que quand j’étais bébé »

b.

Ou

travay

plis

pase

sa

w

3

2 sg

travailler

plus

dépasser

dem

2 sg

faire

Litt : « Tu travailles plus que ce que tu fais »

« Tu travailles plus que ce que tu récoltes » (Valdman, texte 1 : 15)

(8)

a.

Evite

miyò

pase

mande

padon

éviter

meilleur

dépasser

demander

pardon

« Éviter est mieux que demander pardon »

b.

Li

pale

plis

pase

l

manje

3 sg

parler

plus

dépasser

3 sg

manger

« Elle parle plus qu’elle ne mange »

2.2. Nature des paramètres

Pour qu’il y ait comparaison, il faut que les éléments soient comparables, c’est-à-dire qu’ils partagent une certaine propriété, soit au même niveau (égalité) ou à des niveaux différents (inégalité). Cette propriété est exprimée linguistiquement par un prédicat gradable (Stassen, 1985).

Dans la littérature, les adjectifs sont généralement considérés comme des prototypes de prédicats gradables (Klein, 1991 ; Haspelmath et Buchholz, 1998 ; Haspelmath, 2017). Ainsi, Kennedy (1997 : 1) distingue deux critères permettant de reconnaître un prédicat gradable :

  1. il possède une propriété qui lui permet d’être ordonné suivant un classement, un ordre : bèl « beau », lou « lourd » ;

  2. il accepte des expressions de degré comme des modifieurs de degré : trè « très », anpil « beaucoup » ; des constructions comparatives : pi/plis […] pasemwen / mwens […] pase  ; etc.

(9)

a.

[…] E

m

trè

jalou

coord

1 sg

très

jaloux

« […] Et, je suis très jaloux » (Valdman, texte 5 : 6)

b.

Sak

sa

a

lou

anpil

sac

dem

det

lourd

beaucoup

« Ce sac est très lourd »

Ainsi, nous pouvons dire que les adjectifs dans (9) sont gradables et ceux dans (10) ne le sont pas.

(10)

a.

*Kalin

ansent

anpil

Carline

enceinte

beaucoup

b.

*Tab

la

trè

rektang

table

det

très

rectangle

Toutefois, les prédicats gradables ne sont pas limités aux adjectifs, les verbes, les adverbes, les noms peuvent aussi être gradables, car ils peuvent également s’employer avec des expressions de degré (11).

(11)

a.

M

renmen

mizik

anpil

1 sg

aimer

musique

beaucoup

« J’aime beaucoup la musique » (Valdman 2008, texte 3 : 28)

b.

[…] timoun

yo

viv

trè

byen

enfant

det

vivre

très

bien

« […] Les enfants vivent très bien » (Valdman 2008, texte 8 : 6)

c.

Mwen

li

anpil

liv

sou

lengwistik

1 sg

lire

beaucoup

livre

prep

linguistique

« J’ai lu beaucoup de livres sur la linguistique »

De ce fait, les exemples (3a), (4 b) et (5a) nous montrent qu’en CH le paramètre peut être un adjectif ; (5 b) un verbe ; (3 b) un adverbe, et l’exemple suivant (12) nous montre qu’il peut aussi être un nom. 

(12)

Yo

toujou

bay

sa

k

ekri

plis

valè

pase

sa

yo

tande

pl

toujours

donner

dem

rel

écrire

plus

valeur

dépasser

dem

pl

écouter

« On accorde toujours à ce qui est écrit plus de valeur qu’à ce qu’on entend » (Sixto, s.d. : 137)

Nous allons analyser les marqueurs utilisés au xviiie siècle pour exprimer la comparaison d’égalité dans la section (3) et la comparaison d’inégalité (plus précisément le comparatif de supériorité) dans la section (4) parallèlement à ceux utilisés de nos jours (les principaux). Pour plus de détails, voir Dragon (en préparation).

3. Comparaison d’égalité

On parle de comparaison d’égalité, appelée construction équative (Haspelmath, 2017 : 10), quand la comparaison s’établit au même degré, au même niveau entre les référents ou comparandes. La comparaison d’égalité se divise en deux grands types : comparatif équatif (équatif) et comparatif similatif (similatif).

3.1. Les marqueurs du comparatif équatif

Pour Haspelmath (2017 : 9-10), les constructions équatives expriment des situations dans lesquelles les deux référents ont une propriété gradable au même degré (13a). Mais, d’après Morzycki (2013 : 167), pour parler d’équatif, le comparé doit atteindre ou dépasser le standard comme le montre la possibilité d’une modification par menm plis « même plus » en (13b).

(13)

a.

Nouvo

pwojè

sa

a

enteresan

menmjan ak

sa

ki

te

sòti

mwa

mas

la

nouveau

projet

dem

det

intéressant

ms

dem

rel

ant

sortir

mois

mars

det

« Ce nouveau projet est aussi intéressant que celui qui était sorti au mois de mars »

b.

Nouvo

pwojè

k

ap

sòti

pou

fen

ane

a

m

nouveau

projet

rel

tma

sortir

prep

fin

année

det

1 sg

espere

y

ap

yo

plezi

tankou

sa

k

sòti

espérer

pl

tma

faire

pl

plaisir

ms

dem

rel

sortir

anvan,

menm

plis

adv

même

plus

« Les nouveaux projets qui sortiront à la fin de l’année j’espère qu’ils leur feront plaisir autant que ceux d’avant, même plus » (Darline Desca dans un interview, 2019)

Dans les textes du xviiie siècle nous avons relevé un seul marqueur équatif : « tan comm’ » ou « tant com’ » (venant de « tant comme » en français) qui est un marqueur de standard, préposé au standard. Le paramètre se trouvant dans les exemples (14) est un adjectif (14a) et un verbe (14b), (14c). Les standards retrouvés dans ces phrases sont : souche, zozo, bois cot’lette. Ils sont dits génériques, car ils n’ont pas une référence spécifique, mais réfèrent à une classe générique. Ces standards possèdent la propriété en question à un point saillant de haut degré (Haspelmath et Buchholz, 1998).

(14)

a.

Mon

maigre

tant com

gnon

souche

1 sg

maigre

ms

indef

souche

« Je suis aussi maigre qu’une souche » (Hazaël-Massieux 2008 : 85)

b.

Mon

chanté

tan comm

zozo

1 sg

chanter

ms

oiseau

« Je chante autant qu’un oiseau » (Hazaël-Massieux 2008 : 93)

c.

Li

seche

tant com

bois cote’lette

3 sg

sécher

ms

bois côtelette

« Il a autant séché qu’un bois côtelette » (Hazaël-Massieux 2008 : 93)

En revanche, les principaux marqueurs équatifs contemporains sont au nombre de trois (3) : « tankou » qui vient de « tant comme » en français qui a son équivalent « autant que » (Sylvain, 2012) ; « menmjan avèk/ak » composé de « menmjan » (formé de menm « même » et jan « genre » qui peut vouloir dire aussi « façon, manière ») que nous considérons comme étant un marqueur de paramètre quand il s’emploie seul (15a) et de « ak/avèk » (avec) comme un marqueur de standard simple corrélatif4 et « kouwè » qui est un marqueur de standard analytique et découle de la paraphrase française « comme vous voir » (Fattier, 1998) (à ce propos nous avons relevé dans le parler du Nord le marqueur tankou wè [15b]). Ils sont tous des marqueurs de standard et sont toujours préposés au standard. Ils peuvent se trouver dans un comparatif équatif avec un paramètre adjectival, verbal, adverbial et nominal et le standard peut être spécifique (16a), (16b) ou générique (16c), (16d).

(15)

a.

Di

mwen

si

w

ape

toujou

renmen

m

menmjan

dire

1 sg

si

sg

tma

toujours

aimer

1 sg

mp

« Dis-moi si tu m’aimeras toujours autant » (Nu Look, What about tomarrow)

b.

M

chante

tankou wè

pijon

konn

ap

chante

1 sg

chanter

ms

pigeon

savoir

tma

chanter

« Je chante comme chantent les pigeons » (Valdman, 2008 : 42, texte 3)

(16)

a.

Li

bèl

menmjan ak

manman

l

3 sg

beau

ms

maman

3 sg

« Elle est aussi belle que sa maman »

b.

Mwen

jwenn

yon

moun

ki

kwè

menmjan avèk

mwen…

1 sg

trouver

indef

personne

rel

croire

ms

1 sg

« J’ai trouvé quelqu’un qui croit autant que moi… » (Klass, You don’t want me)

c.

Li

jwe

byen

tankou

Mesi

3 sg

jouer

bien

ms

Messi

« Il joue aussi bien que Messi »

d.

Li

renmen

chante

kouwè

wosiyòl

3 sg

aimer

chanter

ms

rossignol

« Elle aime autant chanter qu’un rossignol »

3.2. Les marqueurs du comparatif similatif

Le similatif est une comparaison permettant d’exprimer une similarité de manière entre deux référents (Haspelmath, 2017 : 13). Cette similarité peut exister dans la manière de faire (17) ou la manière d’être (18) (Fuchs, 2017 : 6). Cette auteure parle alors de comparaison qualitative de ressemblance.

Dans les textes du xviiie siècle, nous avons relevé deux marqueurs de standard préposés au standard qui sont « tant comm(e), tant com ») » et « comme ». Dans ces phrases du xviiie siècle, nous avons relevé un standard spécifique : « zottes » (autres) employé avec « comme » (17b) et des standards génériques : « zozo » (oiseau) et « roseau » employés avec « tant comm(e) » (17a), (18).

En raison du petit nombre d’exemples, nous ne pouvons pas tirer des conclusions fermes sur le choix des types de standard, mais dans les exemples attestés nous avons vu que « tant comm(e), tant com’ » s’emploie généralement avec un standard générique.

(17)

a.

Mon

chanté

tan comm

zozo

1 sg

chanter

ms

oiseau

« Je chante comme un oiseau » (Hazaël-Massieux, 2008 : 93)

b.

jugé

li

comme

zottes

coutimés

juger

3sg

ms

autres

coutumée

« Juge-le comme les autres à la coutumée » (Passion du Christ : 7, tiré d’Hazaël-Massieux, 2008)

(18)

a.

Jambe

a

moin

tant comme

roseau

jambe

prep

1sg

ms

roseau

Litt : « Les jambes à moi sont comme le roseau » (Hazaël-Massieux 2008 : 85)

b.

Mon

tant com

zozo

dans

cage

1sg

ms

oiseau

prep

cage

« Je suis comme un oiseau dans une cage » (Hazaël-Massieux, 2008 : 93)

Pour exprimer le similatif, le CH contemporain dispose des mêmes marqueurs de standard pour l’équatif à savoir « tankou, menmjan avèk/ak, kouwè » et « kòm » qui a la même phonétique que l’unité grammaticale française « comme ». Ils sont également toujours préposés au standard que ce dernier soit spécifique (19c), (19 d) ou générique (19a).

(19)

a.

Tèt

li

long

tankou

yon

baton

bizbòl

tête

3sg

long

ms

indef

bâton

baseball

« Sa tête est longue comme un bâton de baseball. » (Lainy, 2019 : 47)

b.

Lavi

ou

pral

dewoule

menmjan

touléjou

vie

2sg

aller

dérouler

mp

tous les jours

« Ta vie va se dérouler de la même manière tous les jours » (Lyonel Benjamen, Rasin te gentan pouse)

c.

Peyi

a

kouwè

yon

moun

malad

ki

pa

kapab

jwenn

lagerizon

pays

det

ms

indef

personne

malade

rel

neg

capable

trouver

guérison

« Le pays est comme une personne malade qui ne peut pas être guérie »

d.

Se

kòm

yon

maladi

l

ye

yon

fin

tonbe…

cop

ms

indef

maladie

3 sg

cop

sub

indef

coeur

finir

tomber

« C’est comme une maladie qu’il est, quand un cœur est blessé… » (Klass, You don’t want me)

Nous avons vu que « tan com » du xviiie siècle et « tankou, kouwè, menmjan ak/avèk » du CH contemporain sont polysémiques dans le sens où ils permettent l’expression de l’équatif ou du similatif. Dans ce cas, leur interprétation dépend du contexte ou de la situation de communication. Aussi, nous pouvons voir que les marqueurs contemporains sont plus nombreux que ceux du xviiie cela peut se comprendre par le fait qu’au xviiisiècle le CH n’était qu’à son début. Les locuteurs ne reproduisaient que « tant comme » et « comme » du français en CH.

Le CH contemporain dispose également d’un autre marqueur de standard qui n’exprime que le similatif : « pòtrè/pòtre » (20) et qui n’accepte aucun paramètre (21) ; il peut se substituer à sanble « ressembler ». Dans les textes du xviiie siècle examinés, nous n’avons pas relevé « pòtrè/pòtre » comme marqueur de standard dans une construction similative, mais nous avons vu qu’on utilisait « potré » comme un substantif qui désigne la représentation d’une personne, d’un animal ou d’un objet par le dessin, la peinture (22). De nos jours, il a également cet emploi hors contexte comparatif.

(20)

a.

Tèt

li

pòtre

nich

poul

frize

tête

3 sg

portrait

niche

poule

frisée

« Sa tête est comme un nid de poule frisée » (Sixto s.d. : 39)

b.

Li

pòtre/pòtrè

yon

gwo

chat

plenn

3 sg

portrait

indef

gros

chat

enceinte

« Elle est comme une grosse chatte enceinte » (Sixto s.d. : 42)

(21)

a.

*Ana

mache

pòtre

manman

l

Hanna

v

portrait

maman

3 sg

b.

*Ana

bèl

pòtrè

manman

l

Hanna

adj

portrait

maman

3 sg

c.

*Ana

pale

byen

pòtrè

manman

l

Hanna

parler

adv

portrait

maman

3 sg

(22)

a.

Nou

tout

fèt

pou

nou

jété

potré

djé

Blan

yo

ki

swaf

dlo

lan

zyé

pl

tout

tma

prep

pl

jeter

portrait

dieu

blanc

det

rel

soif

eau

prep

œil

Litt : « Nous devons tous jeter le portrait (l’image) des dieux blancs qui ont soif de voir couler de l’eau de nos yeux » (Prière de Boukman : 1791)5

b.

Jak

pòtrè

Darline

sou

mi

an

Jacques

faire

portrait

Darline

prep

mur

det

« Jacques a fait le portrait de Darline sur le mur »

4. Comparaison d’inégalité

Dans la comparaison d’inégalité, on retrouve le superlatif, le comparatif d’infériorité et le comparatif de supériorité. Ici nous nous concentrons sur l’expression du comparatif de supériorité, car nous n’avons pas assez de données pour le xviiie siècle pour les autres types de comparatif.

4.1. Les marqueurs du comparatif de supériorité

On parle de comparatif de supériorité quand sur l’échelle prédicative, le comparé se trouve à une position supérieure que le comparant suivant une propriété gradable.

Pour le comparatif de supériorité, nous n’avons relevé que le marqueur de standard « passé » qui précède toujours le standard dans les textes du xviiie siècle (23) sans la présence de marqueur de paramètre que le paramètre soit un adjectif (23a), (23 b), un verbe (23 c) ou un nom (23 d).

« Passé » vient du verbe plein depase (DeGraff, 2007 : 113-116) et place le CH dans la catégorie de « exceed comparative » (Stassen, 1985).

(23)

a.

Bouche

doux

passé

sirop

bouche

doux

ms

sirop

Litt : « Ta bouche est douce dépasser le sirop »

« Ta bouche est plus douce que le sirop » (Hazaël-Massieux, 2008 : 95)

b.

Miré

bon

passé

tandé

voir

bon

ms

entendre

Litt : « Voir est bon dépasser entendre »

« Voir est mieux qu’entendre »

c.

Ça

li

tini

passé

moin

inter

3sg

avoir

ms

1sg

Litt : « Qu’est-ce qu’elle/il a dépasser moi »

« Qu’est-ce qu’elle/il a plus que moi » (Réponse de Lisette à Colin dans Hazaël-Massieux, 2008 : 93)

d.

Papier

la

di

comme

ça

que

nous

gagné

pouvoir

passé

tout

généraux

et

z’intendant

roi

papier

det

dire

comme

dem

rel

pl

avoir

pouvoir

ms

tout

général

coord

intendant

roi

Litt : « Le papier dit que nous avons de pouvoir dépasser tous les généraux et les intendants du roi »

« Le papier stipule que nous avons plus de pouvoir que tous les généraux et les intendants du roi » (Proclamation à tous les Citoyens de la Colonie : 1796)

Dans le CH contemporain, nous avons ce même marqueur de standard orthographié « pase » qui peut se faire accompagner d’un marqueur de paramètre « plis » (avec un verbe ou un nom comme paramètre)/« pi » (avec un adjectif ou un adverbe comme paramètre) (24), mais il n’est pas obligatoire (25) parce que « pase » porte déjà la charge sémantique de la comparaison. Ayant le sens de « exceed », il est un verbe asymétrique qui marque le rapport entre les degrés associés aux 2 référents de la comparaison puisque la construction comparative suit une certaine direction marquant un début et une fin comme l’explique Schwarzschild (2012 : 213-215).

(24)

a.

Job

pi

gran

pase

mwen

Job

mp

grand

ms

1sg

« Job est plus grand que moi » (Lainy, 2019 : 52)

b.

Jak

manje

plis

pase

Jan

Jacques

manger

mp

ms

Jean

« Jacques mange plus que Jean »

c.

L

ale

pi

lwen

pase

zétwal6

3 sg

aller

mp

loin

ms

étoile

Litt : « Il va plus loin que les étoiles » (28 Chan Déspérans)

d.

Job

gen

plis

kòb

pase

mwen

Job

avoir

mp

argent

ms

1sg

« Job a plus d’argent que moi » (Lainy, 2019 : 52)

(25)

a.

Li

gran

pase

m…

3 sg

grand

ms

1sg

« Il est plus grand que moi » (Lainy, 202 019 : 54)

b.

Mizè

bourik

kouri

pase

chwal

misère

faire

bourrique

courir

ms

cheval

Litt : « La misère fait courir la bourrique plus que le cheval » (Proverbe haïtien)

Au xviiisiècle « pase » était un verbe comme le montre (26), mais cela n’est plus le cas pour le CH contemporain dans une comparaison où le verbe est « depase » (27), (28).

(26)

… toute

monde

noir,

blanc

ou

rouge,

tout

égal,

tout

monde

noir,

blanc

coord

rouge,

tout

égal

que

n’

a

point

yon

qui

passé

l’autre

rel

neg

avoir

neg

un

rel

dépasser

l’autre

Litt : « … Tout le monde noir, blanc ou rouge est égal, il n’y a point un qui dépasse

l’autre » (Proclamation à tous les Citoyens de la Colonie, 3 juin 1796)7

(27)

a.

*Li

pase

pye

zoranj

lan

3 sg

ms

pied

orange

det

b.

Li

depase

pye

zoranj

lan

3 sg

dépasser

pied

orange

det

« Il dépasse l’oranger »

(28)

a.

Renome

li

kòm

otè

depase

fontyè

peyi

d Ayiti

renommée

3 sg

comme

auteur

dépasser

frontière

pays

d’Haïti

« Sa renommée en tant qu’auteur dépasse les frontières d’Haïti » (Sixto s.d. : 11)

b.

Pa

gen

anyen

ki

depase

ou

neg

avoir

rien

rel

dépasser

2 sg

« Il n’y a rien qui te dépasse » (Donald Désir, Di yon mo sèlman)

Le marqueur de standard « pase » et le verbe « depase » du CH ont été hérités des langues africaines comme le yorouba (29a) et le fongbe (29b), (29c) (voir Dragon, 2023). Nous pensons que c’est pour cela que « passé » au xviiie ne se faisait pas accompagner du marqueur de paramètre et pouvait être employé comme le verbe principal du comparatif de supériorité, car c’est le même cas de figure observé dans plusieurs langues africaines.

(29)

a.

Ade

sanra

ju

baba

re

lo

Ade

be fat

exceed

father

his

std

Ade is fatter than his father’ (yorouba, Howell, 2013 : 277)

b.

Kɔ́

k(ó) ló

Asíbá

Koku

grossir

dépasser

Asiba

« Koku est plus gros qu’Asiba » (fongbe, Platt, 1992 : 91)

c.

Nùdúdù

tòwè

nourriture

2 sg poss

dépasser

1 sg poss

« Ta nourriture dépasse la mienne (en quantité) » (fongbe, Platt, 1992 : 94)

Conclusion

Dans cet article nous avons comparé les marqueurs utilisés dans l’expression de la comparaison d’égalité et d’inégalité plus précisément le comparatif de supériorité au xviiie siècle en parallèle avec les marqueurs utilisés dans le CH contemporain. Nous avons vu que le nombre de marqueurs pour la comparaison d’égalité était très limité au xviiie siècle : « tant comm’ » pour l’équatif, « tant comm(e) et comm’ » pour le similatif contrairement au CH contemporain qui a quatre principaux marqueurs qui sont utilisés pour l’équatif et le similatif : « tankou, menmjan (avèk/ak), kouwè, kòm ». Le CH d’aujourd’hui dispose d’un autre marqueur de standard qui n’exprime que le similatif « pòtrè / pòtre » qui ne s’emploie pas avec de paramètre. Nous n’avons pas relevé ce marqueur dans les textes du xviiie siècle comme marqueur de standard, mais comme un substantif défini comme une image, un dessin.

Pour le comparatif de supériorité, le CH du xviiie siècle n’a eu que le marqueur de standard « passé » sans le marqueur de paramètre quelle que soit la nature du paramètre : adjectival, verbal, nominal. Dans le CH contemporain, nous avons le même marqueur de standard « pase » qui peut s’employer seul ou avec un marqueur de paramètre « pi/plis ». En CH du xviiie siècle, « pase » pouvait être employé comme verbe principal dans un comparatif de supériorité, ce qui est impossible en CH contemporain. Aussi, nous avons vu que le CH ayant émergé à cause du contact des variantes de la langue française et des langues africaines, ses marqueurs de la comparaison d’égalité ont donc été puisés du français, et ses marqueurs du comparatif de supériorité des langues africaines.

1 Glose : adj=adjectif, adv=adverbe, coord=conjonction de coordination, cop=copule, det=déterminant défini, dem=déterminant démonstratif, indef=

2 Ce sont des conversations avec des locuteurs du Cap Haïtien enregistrées par Albert Valdman en 2007-2008.

3 Ou travay plis pase sò w fè.

4 Haspelmath et Buchholz, 1998 : 285-286.

5 https://www.montraykreyol.org/sites/default/files/priere_de_boukman.pdf (dernière consultation le 11 janvier 2023).

6 L-alé pi louin pasé zétoual.

7 http://creoles.free.fr/Cours/proclam1.htm (consulté le 10 août 2022).

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1 Glose : adj=adjectif, adv=adverbe, coord=conjonction de coordination, cop=copule, det=déterminant défini, dem=déterminant démonstratif, indef=déterminant indéfini, m=marqueur, MS=marqueur de standard, MP=marqueur de paramètre, par=paramètre, prep=préposition, rel=pronom relatif, tma=temps mode aspect, v=verbe, 1sg=pronom 1re pers. Sing., 2sg=2e pers. Sing., 3sg=3e pers. Sing., 1pl=1re pers. Plur., 3pl=3e pers. Plur.

2 Ce sont des conversations avec des locuteurs du Cap Haïtien enregistrées par Albert Valdman en 2007-2008.

3 Ou travay plis pase sò w fè.

4 Haspelmath et Buchholz, 1998 : 285-286.

5 https://www.montraykreyol.org/sites/default/files/priere_de_boukman.pdf (dernière consultation le 11 janvier 2023).

6 L-alé pi louin pasé zétoual.

7 http://creoles.free.fr/Cours/proclam1.htm (consulté le 10 août 2022).

Mideline Dragon

Université d’État d’Haïti/Université Paris 8
midelinedragon.md@gmail.com

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