La tumba francesa à Cuba : quelques lumières sur les caractéristiques linguistiques du créole de Saint-Domingue à l’époque de la Révolution

Silke Jansen et Katrin Pfadenhauer

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Silke Jansen et Katrin Pfadenhauer, « La tumba francesa à Cuba : quelques lumières sur les caractéristiques linguistiques du créole de Saint-Domingue à l’époque de la Révolution », Archipélies [En ligne], 16 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 27 avril 2024. URL : https://www.archipelies.org/1957

La tumba francesa est une tradition musicale cubaine chantée en créole et en espagnol, qui trouve ses origines dans l’immigration de colons et personnes esclavagisées de Saint-Domingue, réfugiés dans la région orientale de l’île de Cuba après la révolte de 1791 et les événements qui s’ensuivirent. À partir d’un corpus de 30 chants, publié par l’UNESCO (2008) à l’occasion de la reconnaissance de la tumba francesa comme patrimoine de l’humanité, nous nous proposons de déceler les repères socioculturels, géographiques et surtout historiques dans lesquels s’inscrit le répertoire linguistique de cette tradition, en nous appuyant sur la notion d’indexicalité (selon Silverstein, 2003 ; Spitzmüller, 2016). Interprétées dans leurs liens avec d’autres manifestations du créole, issues de la mobilité de créolophones dans le contexte de la Révolution haïtienne (en Louisiane et en République dominicaine), les caractéristiques linguistiques de ce répertoire permettent, dans leur ensemble, de jeter une lumière sur l’évolution du créole pendant cette époque.

The tumba francesa is a Cuban musical tradition performed in Haitian Creole and Spanish. It originated from the immigration of settlers and enslaved people from Saint-Domingue, who sought refuge in the eastern region of the island of Cuba after the revolt of 1791 and the subsequent events. Based on a corpus of 30 songs published by Unesco (2008), on the occasion of the tumba francesa being recognized as a world heritage site, our objective is to identify the sociocultural, geographical and, most importantly, historical landmarks in which the linguistic repertoire of this tradition is embedded. For this purpose, we will draw on the notion of indexicality, as outlined by Silverstein 2003 and Spitzmüller 2016. When interpreted in terms of their connections to other manifestations of Creole that emerged due to the mobility of Creole speakers during the Haitian Revolution (in today’s Louisiana and the Dominican Republic), the linguistic features of this repertoire provide new insights into the evolution of Creole during that period.

Introduction 

La tumba francesa est une tradition musicale pratiquée à Cuba, qui combine des danses, des chants et des percussions. Les spectacles démarrent généralement par le solo a cappella du chanteur ou de la chanteuse principal(e), appelé(e) composé, qui donne ensuite le signal pour l’utilisation des instruments, uniquement percussifs, en commençant par un grand idiophone en bois (catá) suivi de trois tambours (tumbas). Les danses sont majoritairement représentées par des femmes portant des robes de style colonial, des foulards africains sur la tête et des mouchoirs à la main (cf. UNESCO). L’une de ses caractéristiques centrales – qui explique aussi la raison pour laquelle nous y consacrons cette étude linguistique – est que les chants sont traditionnellement exécutés en créole. Les paroles abordent normalement des sujets quotidiens, mais parfois aussi religieux ou politiques.

Les débuts de la tumba francesa (déclarée Patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2008) sont à chercher dans les plantations de café établies à Cuba par des réfugiés de la Révolution haïtienne, porteurs de la langue créole telle qu’elle était parlée à la fin du xviiie siècle à Saint-Domingue. Tout au long de son histoire, la tumba francesa a intégré des éléments français, africains, créoles et cubains. Par exemple, les instruments utilisés dans la tumba francesa se distinguent considérablement des tambours employés dans le vaudou haïtien en raison de leur taille (ibid.), mais ils conservent souvent des noms connus aussi en Haïti. De même, les danses sont d’origine européenne, mais accompagnées de rythmes africains. Bien que la tumba francesa soit souvent présentée comme une tradition franco-haïtienne, il s’agit aujourd’hui d’une expression culturelle, musicale et linguistique essentiellement (afro-)cubaine (Chatelain et Mirabeau 2020 : 3). C’est la raison pour laquelle Chatelain et Mirabeau, qui s’intéressent surtout aux aspects musicaux de la tumba francesa, mettent en lumière son « apparente double nature », qui la rattache aussi bien à la tradition musicale haïtienne que cubaine.

Dans notre contribution, nous proposons une analyse linguistique de la tumba francesa, en nous concentrant sur quelques aspects choisis du créole employé dans les chants. Nous commencerons par un bref survol de l’histoire de la tumba francesa (section 1), ainsi que des études linguistiques précédentes (section 2). Dans la section 3, nous présenterons brièvement notre approche théorique et méthodologique pour nous pencher après sur les caractéristiques linguistiques proprement dites (section 4). Dans ce contexte, nous analyserons quelques caractéristiques phonétiques (4.1.) et grammaticales (4.2) choisies. Pour terminer, nous présenterons quelques conclusions, ainsi que des pistes pour des recherches à venir.

1. La tumba francesa : contexte historique

La présence du créole à base lexicale française dans la partie orientale de Cuba remonte à la fin du xviiie siècle, notamment la période entre 1791 et 1825, quand les troubles des guerres civiles de la colonie de Saint-Domingue provoquèrent l’émigration massive de colons français, avec des esclaves domestiques qui auraient renoncé à s’émanciper pour suivre leurs maîtres (Renault, 2013 : 204). Alors que beaucoup de colons français retournaient en France ou s’installaient dans d’autres régions des Amériques (notamment la Louisiane), la partie orientale de Cuba était un refuge particulièrement prisé par ceux qui ne perdaient pas l’espoir de revenir à Saint-Domingue pour retrouver leurs propriétés.

Une fois installés à Cuba, les colons français recréèrent le monde des plantations de Saint-Domingue (Renault, 2012 ; Yacou, 1797 : 80). À en croire la documentation historique, les trois quarts environ des immigrés étaient des Créoles (cf. Renault, 2012 : 117 pour la ville de Santiago) et parlaient donc probablement la langue créole (Yacou, 1797 : 80 ; Renault, 2012 : 127).1 Or, de nouvelles expressions culturelles se développèrent sur le sol cubain, qui n’existaient pas à Saint-Domingue (Renault, 2012 : 361). « Amalgame hispano-haïtiano-français » (ibid.), le complexe de percussions, chants et danses connu comme tumba francesa naquit probablement au début du xixe siècle dans les périphéries de la ville de Santiago (Renault, 2012 : 359). La littérature spécialisée souligne généralement son empreinte européenne, redevable aux gavottes, contredanses et menuets français (Renault, 2012 : 359). En s’appropriant la culture musicale de leurs maîtres, les esclaves aspiraient à « affirmer un rang social supérieur et échapper à l’identification avec les subversifs Haïtiens2 » (ibid.). Cette orientation identitaire et politique pourrait aussi expliquer le caractère « innocent » et non provocateur (Renault, 2012 : 360-361) des paroles des chants les plus anciens.

À la fin du xixe siècle se constituèrent les sociétés de la tumba francesa, qui avaient pour but d’offrir à leurs membres du secours et de l’aide mutuelle, ainsi qu’un espace de récréation et de divertissement (Alén, 1986 : 15 ; Renault, 2012 : 359). Il en reste trois aujourd’hui : la Caridad de Oriente (à Santiago de Cuba), la Pompadú (à Guantánamo), ainsi que la Tumba de Sagua de Tánamo (Alén, 1986 : 20 ; Martínez Gordo, 2008 : 2 ; Renault, 2012 : 359). Ces sociétés utilisent toujours le créole dans leurs chants, quoique de moins en moins.

Nous établirons notre analyse sur la documentation existant sur ces trois sociétés ; elle visera à cerner les repères historiques qui rattachent le créole employé dans la tumba francesa au contexte historique de la Révolution haïtienne. Pour ce faire, nous nous référerons à deux autres variantes du créole dont l’histoire est tout à fait similaire : le créole de la Louisiane (États-Unis) et le créole de Samaná (République dominicaine). Un regard comparatif sur ces territoires révèle des parallèles intéressants, qui nous aideront à contextualiser et interpréter les caractéristiques spécifiques du créole de la tumba francesa.

La Louisiane est revendiquée pour la première fois pour la France par La Salle en 1682. Les premiers colons viennent principalement de France et du Canada. À la recherche de main-d’œuvre, les Français de Louisiane se tournent rapidement vers l’Afrique d’où, entre 1719 et 1743, arrivent environ 5 500 esclaves. La colonie est cédée à l’Espagne en 1762, ce qui implique l’installation définitive de quelques colons hispanophones et environ 3 000 Isleños des îles Canaries dans la région. La partie francophone de la population augmente à nouveau avec l’arrivée d’un peu plus de 3 000 Acadiens exilés entre 1764 et 1785. La Louisiane passe brièvement sous contrôle français, mais est vendue aux États-Unis par Napoléon en 1803, c’est-à-dire à la suite de la Révolution haïtienne et l’indépendance qui en résulte. Toutefois, la langue et la culture françaises continuent à être très vives aussi sous la domination américaine pendant la première moitié du xixe siècle, notamment en raison de l’immigration d’environ 10 000 anciens résidents de Saint-Domingue, dont une grande partie arrive à la Louisiane via Cuba entre 1809 et 1810 (Klingler et Neumann-Holzschuh, 2013 : 229). Concernant leur composition, Klingler et Neumann-Holzschuh (2013 : 229) soulignent que :

« [t]his group […] greatly reinforced the French and Creole-speaking populations of Louisiana. It is unlikely, however, that Louisiana Creole represents an importation of Haitian Creole from this period, since historical evidence points to the existence of a creole language in Louisiana well before 1809 ».

La présence du créole à Samaná est le résultat de la mobilité historique au sein de l’île d’Hispaniola, de la colonie française vers la colonie espagnole, surtout entre la fin du xviiie et la première moitié du xixe siècle. Après les bouleversements de 1791, puis pendant la période appelée « Era de Francia » (1801-1809) où l’île fut réunifiée sous la domination française, de nombreux Français s’installèrent dans la partie est, aujourd’hui la République dominicaine. L’élément haïtien fut renforcé pendant la période dite « Era Haitiana » (1822-1844) : après avoir annexé la partie orientale de l’île, le président haïtien Jean-Pierre Boyer (1776-1850) mit en place une politique de colonisation qui favorisa l’installation d’Haïtiens (et, en plus, d’anciens esclaves libérés des États-Unis) dans les régions hispanophones. Jusqu’à aujourd’hui, il reste quelques descendants des immigrés du xixe siècle à Samaná, qui continuent à pratiquer le créole (et, parfois aussi, une variante de l’anglais dite « Samaná-English »).

Les répertoires linguistiques des créolophones en Louisiane et à Samaná ont été documentés par Neumann-Holzschuh (1987, 2011), Klingler (2003) et Barzen (2022). Ils se distinguent sensiblement de ceux des Haïtiens actuels, mais aussi des immigrés haïtiens en République dominicaine et de leurs descendants (cf. par exemple Jansen, 2013), tout en présentant d’intéressantes affinités avec les reliquats de la langue créole à Cuba.

2. Le créole de la tumba francesa

Arrivée avec les réfugiés de la Révolution haïtienne, la pratique du créole a été transmise de génération en génération au sein des sociétés jusqu’au début du xxe siècle environ. Selon Fernando Boytel Jambú, qui donna la première description systématique du créole parlé à Cuba dans le cadre de ses recherches sur les migrations françaises dans les années 19603, la langue a connu une baisse dramatique pendant la période de 1898 à 1920 (cité dans Yacou, 1997 : 82). Elle ne se maintient aujourd’hui que dans le seul contexte des cérémonies de la tumba francesa, où elle est en train de subir un écroulement progressif. Déjà, à la fin des années 1970, quand Ovalo Alén menait des travaux de documentation et de recherche parmi les sociétés, seules les personnes majeures avaient encore une compétence active en créole (1986 : 20 ; cf. aussi Yacou, 1997 : 4). Au milieu des années 1990, Petro (1996 : 145) déplore que le créole « se meur[e] chaque jour un peu plus dans la pratique des sociétaires des tumbas francesas ». Coca Izaguirre (2008 : 408) parle même d’une langue déjà morte qui n’est utilisée que lors des festivités. Malgré des efforts de revitalisation déployés par les sociétés avec l’appui des institutions gouvernementales, la perte semble irréversible (cf. les chiffres, extrêmement bas, fournis par Martínez Gordo [2008]).

Les différents degrés de maîtrise qui existent chez les derniers locuteurs, le contact linguistique avec l’espagnol qui se manifeste directement dans les chants, la restriction (en grande partie) de son emploi aux seuls chants de la tumba (Yacou, 1997 : 82-83) et, par conséquent, l’extension extrêmement limitée du corpus (cf. Chatelain/Mirabeau, 2020 ; Martínez Gordo, 2018) qui reflète en même temps un « registre exceptionnel » (Martínez Gordo, 2018 : 85) rendent difficile la tâche de déterminer les traits caractéristiques du créole pratiqué au sein des sociétés.

Jusqu’à présent, il existe très peu d’études consacrées aux aspects linguistiques de la tumba francesa (à l’exception des travaux de Martínez Gordo, par exemple 2018 : 2008). Ceux-ci cherchent surtout à déterminer le statut sociolinguistique de la langue employée dans les chants (est-ce du créole haïtien, du « français créolisé », ou bien un « patois cubain » ? ; cf. Martínez Gordo, 2018 : 78, 85ss ; Renault, 2012 : 128), en mettant l’accent sur l’interpénétration entre l’élément franco-créole et hispanique (Martínez Gordo, 2008 ; Renault, 2012, : 368 ; Alén, 1986 : 15). Cela explique, par exemple, pourquoi Martínez Gordo, dans l’étude qui semble la plus récente sur le sujet (2018 : 85ss), se concentre sur les « similitudes » et les « coïncidences » entre les chants et « la langue haïtienne », dans le but de démontrer qu’il s’agit bien du créole4.

Dans la présente contribution, nous suivons Martínez Gordo (2018 : 78) dans son appréciation selon laquelle le présumé « patois cubain » et la langue employée dans la tumba francesa correspondent en effet au créole haïtien (cf. aussi Renault, 2012 : 368 ; Alén, 1986 : 15). Cela dit, dans les chants qui constituent notre corpus, le créole alterne souvent avec l’espagnol, et il y a même des chants composés entièrement dans cette langue. L’influence de l’espagnol se manifeste aussi sur les niveaux phonétique et lexical. Or, l’accent dans notre étude ne sera pas mis sur les phénomènes de contact linguistique, mais sur un autre aspect qui, à notre connaissance, n’a jamais été étudié jusqu’à présent : les caractéristiques linguistiques de la tumba francesa qui peuvent être rattachées à des stades évolutifs antérieurs du créole. Cela nous permettra de faire la lumière sur quelques aspects de l’état de la langue à l’époque de la Révolution haïtienne.

3. Approche théorique et méthodologique

La grande variabilité même chez un(e) seul(e) locuteur ou locutrice, le caractère stéréotypé, voire fictif,5 de certains éléments linguistiques, ainsi que l’interpénétration imprévisible du créole et de l’espagnol, s’opposent à une description du créole employé dans la tumba francesa en termes de « variété », dans le sens d’un (sous-)système linguistique propre, c’est-à-dire stable, bien défini et aisément délimitable, en contraste avec d’autres « variétés ».

Pour éviter ce problème, ainsi que la réification inhérente au concept de « variété », nous établissons notre étude sur le concept du répertoire ethnolinguistique proposé par Benor (2010), tout en l’adaptant à la situation particulière de la tumba francesa. Benor part du principe que les membres d’un groupe ethnolinguistique ont à leur disposition un puits ou répertoire de ressources linguistiques distinctives (distinctive linguistic features), dont ils se servent de manière sélective et flexible, selon leurs besoins communicatifs et leurs orientations identitaires dans des situations concrètes. Bien qu’il puisse y avoir des coïncidences avec les répertoires d’autres groupes à différents degrés, ces traits incluent

« any elements of language that are marked as distinct from language used in other groups (whether or not speakers are aware of them), including system-level morphosyntactic, phonological, and prosodic features, as well as sporadic lexical and discourse features » (Benor, 2010 : 161).

En ce qui concerne la tumba francesa, « l’utilisation du créole dans leur rituel constitue le trait majeur, l’élément différenciateur ou la référence identitaire de ces sociétés » (Yacou, 1997 : 83-84) dans le contexte cubain. En même temps, certains traits du créole, ainsi que l’emploi d’éléments hispaniques, les différencient des locuteurs du créole tel qu’il est parlé actuellement en Haïti ou aussi dans d’autres contextes diasporiques ou migratoires. L’examen de ce genre de traits distinctifs, dans leurs rapports avec des répertoires d’autres groupes créolophones, peut faire la lumière sur la trajectoire des migrations du groupe en question, ses contacts avec d’autres groupes, ainsi que les activités et idéologies qui gouvernent la mise en action de son répertoire (cf. Benor, 2010 : 162).

En vue d’analyser les repères historiques, géographiques et socioculturels dans lesquels s’inscrit la tumba francesa, le concept d’« indexicalité » (suivant Silverstein, 2003 ; Spitzmüller, 2016) semble particulièrement utile. Ce terme désigne la propriété des composantes linguistiques (soit des signes, soit des variantes phonétiques) de renvoyer sémiotiquement au contexte dans lequel ils sont généralement utilisés. Par exemple, les éléments traditionnellement connus comme des archaïsmes ou des dialectalismes peuvent être interprétés par l’analyste comme des signes indexicaux renvoyant à une échelle temporelle ou géographique spécifique. Or, la présence de ces caractéristiques dans un discours donné (dans ce cas, le discours de la tumba francesa) ne veut pas dire pour autant qu’il s’agisse d’une « variété archaïque » ou bien d’un « dialecte » de quelque « langue » que ce soit, entre autres parce que les traits « archaïques » coexistent souvent avec des traits « innovateurs » (dans le cas de la tumba francesa, par exemple, les influences hispaniques).

Dans la présente étude, nous mettrons l’accent sur quelques traits spécifiques (dans le sens des distinctive features évoqués par Benor) qui distinguent le créole de la tumba francesa par rapport au créole haïtien, sur les coïncidences qui peuvent être observées par rapport à la documentation historique, ainsi que d’autres contextes en dehors d’Haïti où le créole est encore parlé, suite à la mobilité historique de créolophones dans le cadre de la Révolution haïtienne. Notre analyse sera axée particulièrement sur les indexicalités renvoyant à la documentation coloniale (Hazaël-Massieux, 2008), et au créole parlé par les descendants de réfugiés haïtiens en Louisiane (Neumann-Holzschuh, 2011) et en République dominicaine (Barzen, 2021).

En optant pour une approche établie sur les notions de répertoire et indexicalité, nous nous proposons aussi de surmonter certains problèmes qui se rattachent à des approches fondées sur les méthodes de la linguistique historique comparative, qui ont essayé d’établir la filiation historique de différentes « variétés » créoles à base lexicale française en termes d’arbre généalogique (cf. par exemple, Hazaël-Massieux, 2008 : 393). Ces modèles nous semblent peu réalistes, en vue de la perméabilité entre répertoires linguistiques dans le cadre de la mobilité des populations qui a caractérisé l’espace caraïbe pendant des siècles. Le va-et-vient de créolophones entre Saint-Domingue, d’autres îles de l’archipel et différentes régions des Amériques ainsi que de la métropole, notamment pendant la période de la Révolution haïtienne, est un fait historique incontournable que les approches généalogiques n’ont pas pris suffisamment en considération.

Ensuite, la question se pose de savoir par rapport à quoi les ressources linguistiques mobilisées dans le cadre de la tumba francesa se présentent comme un répertoire distinctif, c’est-à-dire une norme de comparaison postulée comme neutre. Bien entendu, la « neutralité » n’existe dans les pratiques langagières qu’en tant que construction idéologique. Or, l’étude de la variation linguistique peut difficilement se passer d’une norme de référence, ne serait-ce que pour des raisons méthodologiques. C’est la raison pour laquelle nous adoptons ici la démarche d’une « strategic reification » (Benor, 2010 : 172), qui prendra le créole haïtien actuel comme référence, tout en sachant qu’il s’agit d’une simple décision stratégique qui nous permettra d’identifier les éléments les plus pertinents en vue de découvrir les complexités du développement historique du répertoire linguistique de la tumba francesa.

4. Présentation du corpus analysé

Dans le cadre de cette étude exploratoire, dont l’objectif principal est de discuter le potentiel des traits linguistiques de la tumba francesa en vue d’une meilleure compréhension de l’évolution du créole haïtien, nous limiterons notre étude au seul corpus publié par l’UNESCO (2008), en laissant de côté les chants reproduits dans les publications de Ovalo (1986), Martínez Gordo (2018), Chatelain et Mirabeau (2020), et d’autres chercheurs. Le corpus analysé se compose de 30 chants, provenant à parts égales des trois sociétés localisées dans le sud-est de l’île : La Caridad de Oriente à Santiago de Cuba, Santa Catalina de Ricci à Guantánamo et La tumba francesa de Bejuco à Sagua de Tánamo dans la province de Holguín. Les chants présentent des différences considérables quant à leur extension, mais aussi par rapport aux phénomènes linguistiques qui peuvent être observés. Ainsi, on trouve des chants très courts de seulement six lignes (Sant1),6 et d’autres qui vont jusqu’à une trentaine de lignes (Guan9). Les textes se composent de ressources linguistiques qui peuvent être rattachées parfois uniquement au créole (cf. Guan1, Sant2, Bej1) ou bien à l’espagnol (cf. Sant7, Sant8, Guan10, Bej10). Toutefois, la plupart des chants puisent dans les deux langues à des degrés différents, dans des combinaisons à chaque fois uniques.

Les chants sont publiés sous forme de transcriptions fournies par les sociétés mêmes, dans une orthographe basée sur les correspondances graphophonologiques de l’orthographe espagnole. Ces transcriptions sont accompagnées d’une traduction à l’espagnol (dans les cas où le chant contient du créole) fournie par les consultants locaux, ainsi qu’une traduction en créole haïtien contemporain, dotée à nouveau d’une traduction à l’espagnol. Les traductions au créole haïtien que nous reproduisons dans cette analyse sont tirées du document de l’UNESCO (2008). Les traductions au français sont proposées par nous-mêmes.

Les transcriptions des chants proviennent de différents membres des trois sociétés actuelles, qui déclarent exercer la fonction de composé (Martínez Gordo, 2008 : 2). Bien entendu, il ne s’agit pas de transcriptions phonétiques ; les copistes ont aspiré plutôt à « fixer sur le papier » une pratique linguistique fluctuante qui relève largement de l’improvisation, en se basant en premier lieu sur les règles graphophonologiques de l’espagnol et, dans une moindre mesure, du créole haïtien actuel. Cela implique qu’il n’y a pas de norme stable pour la représentation des mots et des phonèmes créoles, et différentes solutions peuvent être utilisées au sein du même texte. Certains mots ou passages restent même tout à fait énigmatiques. La reconstruction des réalisations phonétiques des chants est donc un défi presque impossible à réaliser. Ainsi, Renault (2012 : 360) souligne, non sans une tonalité de fond dévalorisante (que nous ne partageons évidemment pas) qu’:

« […] il est extrêmement difficile d’avoir une idée de la nature des textes de chansons du début du xixe siècle. De fait, la transmission orale à travers les générations a fini par trop déformer les versions originales. Les danseurs d’aujourd’hui ne parlent pas créole et glissent simplement dans les chants quelques mots bizarres qui se veulent du “patois français” ».

Néanmoins, il ressort clairement que les graphies, prises dans leur ensemble, ont une valeur sémiotique propre qui est, jusqu’à un certain point, indépendante de réalisations phonétiques concrètes. Leur analyse systématique révèle un tissu de relations indexicales, qui peuvent être interprétées aussi bien sur l’échelle sociale et géographique que chronologique.

5. Les caractéristiques linguistiques de la tumba francesa

5.1. La phonétique

Certaines graphies qui reflètent des réalisations phonétiques différentes du créole haïtien peuvent être rattachées à des stades évolutifs antérieurs du créole. En créole haïtien, le /r/ est normalement articulé de manière fricative vélaire sonore ([ɣ]), mais peut être vocalisé en position initiale de la syllabe devant une consonne postérieure. Il se confond en plus avec l’aspiration issue du « h aspiré », une fricative glottale qui était prononcée en français jusqu’au xvie siècle. En créole, cette consonne peut varier entre une aspiration [h], une fricative vélaire sonore [ɣ], la semi-voyelle [w], ou bien [Ø] (Valdmann, 2015 : 64 ; Bollée, 2012 ; cf., par exemple, créole haïtien rach [aussi : hach] « hache », rele [aussi : hele] « appeler » < heler, wont [aussi : hont] « honte » ; Bollée, 2012 : 17). En espagnol, il existe également une fricative vélaire sonore, mais celle-ci est une variante allophonique de l’occlusive /g/, qui apparaît en position intervocalique et est généralement représentée par la lettre <g>. En plus, dans la région caribéenne, la fricative vélaire sourde /x/ de l’espagnol (représentée graphiquement par <j> ou <ge,i>) est généralement articulée d’une manière très relâchée, comme une aspiration. Par exemple, le mot jugo « jus » se prononce [huɣo].

Cela dit, il serait plausible et prévisible, sur le plan phonétique, que les créolophones bilingues identifient le /r/ du créole avec le /g/ espagnol, ce qui se produit effectivement dans des contextes actuels du contact entre les deux langues (cf. par exemple la forme phonétique de quelques créolismes en espagnol dominicain, tels que gagá < créole haïtien rara). Or, il est frappant de noter que, dans notre corpus, il n’y qu’un seul cas où le phonème /r/ créole est représenté par la lettre <g> (<anugamasé café>, Guan8, cf. créole haïtien an nou ramase kafe « récoltons du café »).

Dans tous les autres cas, la lettre <r> est employée pour le /r/ créole : cf., pour ne citer que quelques exemples, <reté> (Bej2, cf. créole haïtien rete « rester »), <murí> (Bej7, cf. créole haïtien mouri « mourir »), <recolé> (Bej7, cf. probablement cf. créole haïtien rekonnèt « reconnaître »), <meriqenllo> (Sant3, cf. créole haïtien meriken yo « les Américains »), <ma gri lle> (Sant4, cf. créole haïtien m’a kriye « je pleurerai »), <retiré> (Sant6, cf. créole haïtien retire « [se] retirer »), <kabrit> (Sant1, cf. créole haïtien kabrit « chevreau ») ; <selebreli> (cf. créole haïtien selebre li « le fêter »). En revanche, l’emploi des lettres <g> et <j>, dans leur fonction de représentation des fricatives vélaires en espagnol, est réservé au seul mot heler « appeler », dont la consonne initiale provient d’un « h aspiré » français : <gelemué> (Bej2), <jelemue> (Guan9) ; <jele> (Sant4, Sant5), <geli> (Sant5) ; <gele> (Sant6). Il semble donc que les pratiquants de la tumba francesa distinguent assez systématiquement entre /r/ et /h/, tout comme les créolophones de Samaná (Barzen 2022 : 335-336), à l’inverse des descendants d’immigrés plus récents en République dominicaine (Jansen 2013), ainsi que des locuteurs haïtiens actuels (Valdman 2015). Il en résulte que la distinction entre /r/ et /h/ dans le créole de la tumba francesa renvoie à une étape antérieure dans l’évolution phonético-phonologique du créole haïtien, quand les deux fricatives étaient encore perçues comme clairement séparées (Barzen 2022 : 336).

La présence de quelques /h/ non étymologiques est particulièrement intéressante, dans la mesure où elle peut faire la lumière sur des aspects de l’articulation du créole d’époques antérieures qui ne se reflètent par forcément dans les textes anciens. Ainsi, Barzen (2022) documente une forme hide/hinde « aider » à Samaná (cf. créole haïtien ede [aussi : ende, rende, ide ride]), qui peut être rattachée à la forme hinder utilisée par Ducoeurjoly (1802/03), ainsi qu’à la forme hèd(e) en créole louisianais (DECA ; Barzen 2002 : 332). Cette forme est aussi attestée dans notre corpus (gi de mue chanté [Sant5] ; cf. créole haïtien ede mwen chante « aide-moi à chanter »), où la représentation de la consonne initiale par la lettre <g> (et non pas <r>) indique une réalisation aspirée. Cela confirme pleinement l’hypothèse posée par Barzen (2022 : 334), selon laquelle, à la fin du xviiie / début du xixe siècle, une variante créole du verbe français « aider » avec une aspiration initiale avait cours à Saint-Domingue.

En créole haïtien actuel, le phonème /r/ connaît deux réalisations différentes, dont la distribution dépend de la position et du contexte phonétique (Valdman, 2015 : 65-66 ; Barzen, 2022 : 323) : en position initiale de la syllabe devant les voyelles antérieures, le créole distingue entre /r/ et /w/ (cf. par exemple « raie, mèche » vs. « voir » ; ri « rue » vs. wi « oui »). Cette distinction est neutralisée cependant devant les voyelles postérieures, où /r/ est normalement réalisé de manière semi-consonantique [w]. Comme l’illustrent les exemples wonge « ronger », wonn « ronde, cercle, anneaux », wouj « rouge » (HCEBD), il s’agit d’une innovation phonétique du créole par rapport à la base française. La plus grande proximité avec le français explique pourquoi les réalisations consonantiques devant une voyelle postérieure sont généralement associées au kreyòl swa en Haïti (ibid.).

Bien que le nombre d’occurrences de mots avec /r/ devant une consonne postérieure soit malheureusement très faible dans le corpus, les graphies indiquent que le /r/ garde toujours son caractère consonantique, même devant les consonnes postérieures (cf. parol (Bej2, Sant6 ; cf. créole haïtien pawòl « mot, remarque »), ruayo (Bej3, Bej4, créole haïtien wa yo « les rois »), rwa (Guan2, créole haïtien wa « roi »), patrube (Bej8, cf. créole haïtien twouve ou touve « trouver »), promene (Guan8, créole haïtien pwomennen ou pomennen « promener, flâner »). Il n’y a que dans le marqueur temporel pral qu’on observe, dans un seul chant, la semi-vocalisation, mais devant la voyelle centrale /a/ (cf. nupuale, Guan8 ; cf. créole haïtien nou prale ou bien nou pwale). Selon Barzen (2022 : 323ss), l’articulation consonantique est attestée aussi chez la communauté créolophone de Samaná, dont les origines historiques les plus éloignées remontent à la même époque que celles de la tumba francesa. En revanche, chez les créolophones issus de la migration haïtienne plus récente en République dominicaine, la semi-vocalisation existe et montre la même distribution qu’en créole haïtien (cf. Jansen, 2013). Cela nous amène à penser que la réalisation consonantique de /r/ devant /o/ et /u/ dans le discours de la tumba francesa renvoie à une étape évolutive plus précoce du créole, plutôt qu’à l’influence directe de l’espagnol, comme le propose Barzen (2022 : 325 ; 337) pour le créole de Samaná.

5.2. La grammaire

5.2.1. L’allomorphie du déterminant postposé

Un autre trait récurrent dans les chants de la tumba francesa est l’absence de l’allomorphie du déterminatif définitif. En créole haïtien actuel, ce déterminant est réalisé sous cinq formes différentes, notamment [la], [lã], [nã], [a] ou [ã], en fonction des caractéristiques phonétiques de la dernière syllabe de l’élément qui précède le déterminant (cf. lèt la « la lettre », ri a « la rue », lalin nan « la lune », nonm lan « l’homme », chen an « le chien » ;7 cf. Valdmann, 2015 : 88 ; Barzen, 2022 : 367-368 ; Hazaël-Massieux, 2008 : 160). Dans les chants analysés ici, ce morphème ne se manifeste que sous la forme [la], phonétiquement la plus proche de son étymon français . Donc, à côté de fambla, nombla (Bej4) et fetla (Guan8), l’on trouve aussi mama la (Bej4), basayo la (Bej9), mamá la (Sant10) et ribiela (Sant9).

L’emploi général de la forme la peut être observé aussi chez les créolophones de Samaná (Barzen, 2022 : 369ss), ainsi qu’à la Louisiane (Neumann-Holzschuh, 1985 : 109). Cela n’est pas étonnant dans la mesure où l’allomorphie du déterminant postposé semble être un phénomène assez récent en créole haïtien. Ainsi, Hazaël-Massieux (2008 : 378 ; cf. Barzen 2022 : 371) signale qu’

« aucune variation de ce type n’est vraiment notée avant au moins le début voire le milieu du xxe siècle : ni G. Sylvain ni O. Durand ne laissent percevoir de telles variantes en Haïti – bien que la révolution haïtienne et l’isolément consécutif de la nation eût pu faire penser à une évolution plus rapide du créole sur ce point : chez ces auteurs la seule forme de déterminant défini est “– la” ».

En général, le nombre de déterminants postposés est assez limité dans notre corpus, par rapport à la norme du créole haïtien actuel. Cela trouve peut-être aussi son explication dans l’histoire du créole : selon Hazaël-Massieux (2008 : 407), l’emploi du déterminant la a considérablement augmenté entre la fin du xviiie et la fin du xixe siècle, et cette évolution a été accompagnée d’un affaiblissement de la valeur déictique que le morphème a hérité de son étymon français. Il est envisageable que les communautés créolophones à Cuba n’aient pas pleinement participé à cette évolution.

Un chant ancien que Bacardí Moreau (1925 : 65) reproduit dans un passage de son roman Via Crucis (généralement considéré comme la première description de la tumba francesa) semble confirmer cette hypothèse :

Blan lá yó quí sotí en Frans, ¡oh, jelé! / Yó prán madam yó serví sorellé / Pú yó caresé negués ...!
Les Blancs venus de France / oh ! criez ! / Ils se servent de leurs femmes comme oreillers / pour caresser les négresses.

Tout comme les pratiquants actuels de la tumba francesa, l’auteur utilise le déterminant seulement sous sa forme étymologique la. De manière significative, Bacardí Moreau traduit le premier verset par la phrase espagnole « Blancos esos que salen de Francia » (ibid.). L’emploi du démonstratif esos, en combinaison avec la position postposée qui est très marquée en espagnol, indique une valeur déictique prononcée dans laquelle résonne encore la fonction déictique de la particule française.

5.2.2. La construction possessive

Le créole haïtien actuel connaît deux constructions possessives, réparties dialectalement : la construction indirecte avec la préposition a (pitit a li « son enfant »), employée dans le nord du pays, et la construction directe (pitit mwen « mon enfant »), qui a cours dans la capitale et le reste du pays (Valdman, 2015 : 275). Dans les textes coloniaux, ces deux constructions alternent de manière apparemment aléatoire :

« La question des possessifs […] est ainsi tout particulièrement révélatrice de l’indétermination qui règne parmi les différentes formes possibles tout au long des xviiie-xixe siècles : dans la même région, chez le même auteur, dans le même texte on voit adopter successivement des formes de déterminants possessifs qui, dans les créoles du xxe siècle s’opposent complètement. » (Hazaël-Massieux, 2008 : 410 ; cf. aussi 38, 70, 120)

En effet, dans l’ensemble des proclamations révolutionnaires publiées à Saint-Domingue entre la fin du xviiie et le début du xixe siècle, les deux formes possessives sont souvent attestées dans les mêmes textes (Hazaël-Massieux, 2008 : 210). Toutefois, des différences se dessinent déjà pendant cette période entre le Cap et Port-au-Prince : dans les textes qui proviennent de la capitale, dont une proclamation de 1793 (Hazaël-Massieux, 2008 : 211) ou bien la parabole de l’Enfant prodigue (vers 1820), l’on trouve exclusivement la forme directe. En revanche, Ducoeurjoly (1802/03), qui écrit le créole pratiqué dans le nord de la colonie, n’utilise que la construction indirecte. Or, selon Hazaël-Massieux, la distribution actuelle ne se stabiliserait que vers 1830.

De manière intéressante, l’on ne trouve que des constructions directes dans notre corpus (cf. fillol mue « ma filleule », cf. créole haïtien fiyòl mwen, Bej1 ; cabritne  « mes chevreaux », cf. créole haïtien kabrit mwen ; montomue « mes moutons », cf. créole haïtien mouton mwen, cebamue « mes chevaux », cf. créole haïtien cheval mwen, Bej2 ; danguyo « à leur goût », cf. créole haïtien nan gou yo, Bej5 ; famil mwen « ma famille », cf. créole haïtien fanmi mwen, Guan2 ; basaimon « mon vassal », cf. créole haïtien vasal mwen, Guan8 ; ted mund « la tête des gens », cf. créole haïtien tèt moun, Sant3 ; etc.). L’emploi généralisé de la construction directe est en contraste flagrant avec le créole de Samaná (Barzen, 2022 : 361-362) et le créole louisianais (Neumann, 1985 : 131), où la construction directe alterne encore aujourd’hui avec l’indirecte. L’absence de la construction possessive indirecte dans notre corpus pourrait être rattachée à l’origine régionale des réfugiés : d’après ce que Renault (2012 : 174) donne comme information pour la ville de Santiago, ceux-ci venaient essentiellement de la péninsule de Tiburon, située au sud-ouest de la colonie, où la forme directe l’a emporté sur la forme indirecte. Étant donné que la construction indirecte n’a laissé aucune trace dans le discours de la tumba francesa, nous inclinons à penser que la généralisation de la construction directe était déjà très avancée vers 1800.

5.2.3. Les particules préverbales

Les particules préverbales invariables exprimant les valeurs de temps, modes et aspects (TMA) constituent l’un des traits les plus saillants des langues créoles. En raison de leur fréquence, il n’est pas étonnant qu’elles puissent aussi être observées dans les chants de la tumba francesa. Pour les questions traitées ici, c’est surtout le futur qui est intéressant pour esquisser l’évolution du système des marqueurs TMA issus des périphrases verbales françaises qui étaient largement en usage dans le français au xvie siècle (cf. Gougenheim, 1971, cité chez Hazaël-Massieux, 2008 : 425). Ainsi, Hazaël-Massieux (2008 : 431) souligne que

« [l]a longue histoire du futur est particulièrement significative des types d’évolution et des procédés à l’œuvre pour la mise en place plus définitive d’un morphème dans une langue, alors qu’au départ s’offrent de multiples possibilités, d’abord plus ou moins métaphoriques (par exemple le recours au verbe aller pour le futur, sous des formes éventuellement diverses), et qu’une désémantisation partielle s’opérant, le morphème grammatical prend une valeur à étudier désormais surtout en opposition avec les autres morphèmes du même paradigme. »

Dans ce contexte, nous avons décidé de limiter notre analyse aux formes équivalentes aux marqueurs de futur en créole haïtien contemporain, à savoir va (avec ses variantes a, ava, av), ap et pral (avec ses variantes apral, prale, aprale)8 dont on trouve des variantes phonétiques dans les chants de la tumba francesa. Néanmoins, cette analyse n’est pas sans poser problème. Étant donné qu’au moins une partie des composés ne semblent plus avoir une compétence active en créole, on ne peut pas exclure la possibilité qu’il s’agisse simplement de chaînes phonétiques léguées et reproduites dans le contexte des chants. Il est donc problématique de proposer une analyse détaillée des valeurs spécifiques transportées par ces particules. Néanmoins, il est possible de donner un survol sur ces marqueurs existants dans les chants et de formuler des hypothèses sur leur développement diachronique à partir d’une comparaison avec des textes historiques datant du xviiie siècle.

5.2.3.1. Va

Va (et ses variantes a, ava, av) est décrit comme marqueur de l’irréel et est utilisé en créole contemporain surtout pour exprimer des souhaits, des plans, des éventualités et des hypothèses (cf. DeGraff, 2007 : 104 ; Fattier, 2013 : 199). Historiquement, les formes va/a sont documentées (à côté de alé/lé) pour marquer le futur chez Jeannot et Thérèse, opéra datant du xviiie siècle (cf. Hazaël-Massieux, 2008 : 431). Dans la Passion, on observe que c’est toujours va qui est retenu, mais que la nuance d’un mouvement réel n’est pas complètement blanchie, surtout quand va est suivi d’une forme dérivée d’un verbe français encodant un mouvement ou une action (va souive li). Au contraire, en précédant des formes appartenant aux domaines sémantiques des mots de communication ou des états mentaux comme songé ou palé, va fait plutôt référence à un événement dans le futur. Dans les Idylles (1821 [1804]), « on a va à l’exclusion de toute autre forme, ce va ayant perdu toute valeur de déplacement en relation avec la valeur de base du verbe aller » (Hazaël-Massieux, 2008 : 432).

D’un point de vue formel, dans les répertoires analysés, le marqueur va constitue une forme homophone (vu que le /v/ créole est généralement assimilé au /b/ espagnol) qui existe en espagnol ainsi qu’en créole haïtien (et aussi en français). En espagnol, la forme va apparaît en tant qu’auxiliaire (à la troisième personne du singulier du présent) au sein de la construction ir a + INF « aller + INF », mais sans perdre complètement sa valeur de mouvement dans des contextes spécifiques et en dépendance de la sémantique du verbe qui suit à l’infinitif. Contrairement au créole où va (et ses variantes) est une forme invariante, en espagnol elle fait partie de tout un paradigme de formes morphologiquement différentes.

Bien que le marqueur va soit attesté dans les textes historiques de l’époque analysée, il est difficile d’affirmer avec une certitude absolue qu’il renvoie au créole du xviiie siècle, surtout si on considère qu’il s’agit d’une forme homophone en espagnol, créole et aussi français.

5.2.3.2. ap/ape/apre

Le marqueur ap du créole haïtien est (après te) le plus ancien marqueur attesté (cf. Barzen, 2022 : 393) et marque aujourd’hui, selon l’Aktionsart du lexème suivant, soit l’aspect progressif, soit le futur (cf. DeGraff, 2007 : 104). Au regard de la forme, on peut constater que ce marqueur apparaît presque exclusivement sous sa forme longue apue/ape exprimant l’aspect progressif dans les chants de la tumba :

(1) Hay mapue mandé ‘hay estoy preguntando’
(haï. Aye… m’ap mande) (Sant9)
 
(2) Laprillé mamá mape murí ‘que yo me estoy muriendo’
(haï. Lapriye manman, map mouri) (Bej7)
 
(3) Recolé adié mamá mape murí ‘
(haï. Rekonnèt, adye!, Manman, map mouri ) (Bej7)
 
(4) Mape jele Fidel
(haï. M’ape rele Fidel) (Sant5)
 
(5) Yo tapé chaché la yang
(haï. Israyeli yo ta pe chache lajan) (Sant1)

La forme longue marquant un progressif est documentée dans Idylles ou dans la Parabole de l’enfant prodigue (1831). On la trouve jusqu’au début du xxe siècle, par exemple dans les Fables de Georges Sylvain (cf. Hazaël-Massieux, 2008 : 430). Le fait que cette forme soit également la seule à être documentée dans les chants analysés peut être un autre indice d’un stade linguistique antérieur, qui se reflète également dans la forme longue aprale examinée plus en détail ci-après.

5.2.3.3. pral/prale/puale/ale

Le marqueur haïtien pral (avec ses variantes apral, prale et aprale et ses variantes dialectales pwal etc.) apparaît sous la forme puale (Guan8), mais aussi apue ale (Sant6) dans le corpus analysé :

(6) Bel basaimon nupuale promene
(haï. Bel vasal mwen nou prale) (Guan8)
 
(7) dillo mapue ale retiré
(haï. di yo mwen prale) (Sant6)

Dans les exemples (6) et (7), autant puale que mapue ale indiquent que l’action aura lieu dans un futur plutôt immédiat. En même temps, la valeur sémantique d’un mouvement réel dans l’espace reste accessible et n’est pas complètement blanchie. En plus, puale apparaît aussi dans la fonction comparable à celle d’un verbe lexical plein :

(8) Apredemennupualé
(haï. Apre– denme [sic] nous prale) (Guan8)

Ce développement peut aussi s’observer pour la forme longue aprale du créole haïtien (cf. Pfadenhauer, 2022). La forme plus transparente apue ale (< apre ale) dans l’exemple 7 n’est plus habituelle en créole haïtien, mais a survécu dans certaines variétés du français parlé en Amérique du Nord comme en Acadie des Maritimes et en Louisiane pour marquer l’aspect progressif ou duratif (cf. Neumann-Holzschuh et Mitko, 2018 : 413). Le fait qu’elle apparaît dans les chants de la tumba francesa laisse supposer qu’il s’agit d’une forme encore plus transparente qui circulait aussi dans la zone des Caraïbes. Dans ce contexte, il est intéressant de mentionner que la forme ap al (inexistante en créole haïtien aujourd’hui) est encore attestée dans des variétés diasporiques comme le créole de Samaná pour y exprimer le futur immédiat et non-immédiat (cf. Barzen, 2022 : 395-396). Par contre, la forme amalgamée pral n’y est pas attestée. Selon Barzen, l’existence de ap ale comme seule forme “pourrait indiquer en diachronie un plus grand nombre de variantes au xixe siècle, à partir de la combinaison de ap et du verbe al(e), avant que la contraction de la variante apr(e) avec al(e) ne se soit grammaticalisée en (a)pral(e), au plus tard au début du xxe siècle” (Barzen, 2022 : 396, notre traduction). La forme apr’al est documentée chez Sylvain (1979 [1936] : 96), qui lui attribue des valeurs tempo-aspectuelles différentes (la futurité, la prospectivité, la progressivité et l’inchoativité). Elle est aussi attestée dans les Fables de Georges Sylvain, publiées en 1901 (apr’allé chaché [p. 26], côté ou-apr’allé [p. 50]). Dans des textes plus anciens encore, comme la Passion, elle est inexistante. Dans ce texte, suivant Hazaël-Massieux (2008 : 84), le futur est représenté par va (comment nous va faire), allé (nous allé touyé li) et encore qu’alé (ïo qu’alé vini quiember moé). Hazaël-Massieux (2008 : 69) explique cette variation par le fait que

“le futur se fixera très tard en toute zone de la Caraïbe : la Passion manifeste clairement cette importante variation qui témoigne en l’occurrence de l’existence de diverses périphrases pour exprimer le futur qui ne relève pas encore d’un paradigme bien précis”.

Pour la période entre 1831 et 1901, Barzen (2022 : 396) signale une lacune dans les textes haïtiens, qui rend encore plus difficile le traçage de l’évolution de pral.

Finalement, il est important de signaler que, dans les chants analysés, on ne trouve que la forme longue qui est, comme apral du créole contemporain, “la plus proche phonétiquement de la séquence-étymon (< [être] après aller) […] attestée dans deux zones très éloignées l’une de l’autre (Nord et Sud-Ouest) qui sont aussi des lieux de conservatisme” (DECA 2018 : 31). Si on considère que sur le plan phonétique la forme puale de la tumba francesa ressemble beaucoup à la variante dialectale pwale, répandue dans le nord d’Haïti, on peut aussi établir l’hypothèse qu’il s’agit d’une forme qui renvoie à un stade plus ancien du créole haïtien et qui a survécu dans les chants de la tumba. Cela permet également de conclure hypothétiquement que la forme était plus répandue autrefois dans la région des Caraïbes qu’elle ne l’est aujourd’hui.

La forme ale dans sa fonction d’un marqueur historique de futur, comme attestée dans la Passion, n’apparaît pas dans les chansons de la tumba francesa. Par contre, on ne trouve que des occurrences d’un ale lexical dans le sens d’aller.

(9) Busch [sic] alè la merd
(haï. Bush, ale lanmèd) (Guan4)
 

(10)
Te alè
(haï. t’ale) (Guan5)

Cette évolution est également observée par Klinger (2003 : 260) pour le créole louisianais parlé à Pointe Coupée Parish qui constate : “Ale does not occur at all as a future marker. It is used as a full verb meaning ‘go’ but only rarely and in what appears to be mesolectal speech.

Pour le créole de Breaux Bridge (Louisiane), Neumann (1985 : 217) constate en revanche aussi la valeur du futur de ale qui existe à côté de va :

“Tout en étant interchangeable avec la particule va dans un grand nombre de cas, le morphème ale a plutôt le sens d’un futur d’imminence avec une nuance de détermination. […] ale est considéré comme caractéristique du parler des Noirs par nos témoins blancs.”

En résumé, on peut dire que, sur le plan formel, dans les chants de la tumba francesa se trouvent les trois marqueurs existants aussi en créole haïtien actuel pour exprimer la notion de futurité ; ce qui n’implique toutefois pas qu’ils assument exactement les mêmes fonctions dans les répertoires étudiés. Ce sont avant tout les formes longues (comme apre, apue) ainsi que les formes encore plus transparentes comme apuale, dont la contraction en pral n’est supposée que pour le xxe siècle, qui fournissent des indications sur un stade linguistique antérieur. La forme va, certes attestée au xviiie siècle, mais qui existe aussi comme équivalent homophone en espagnol et en français, est peu exploitable pour la question étudiée ici.

Conclusion

La présente contribution représente une première approche, préliminaire certes, d’analyse du créole employé dans la tumba francesa sous la perspective de l’évolution historique du créole des Antilles. Pour ce faire, nous nous sommes concentrées d’abord sur un corpus relativement restreint de 30 chansons publiées par l’UNESCO. À première vue, il pourrait paraître séduisant de considérer la modalité du créole utilisée dans cette pratique musicale comme une variété “archaïque”, c’est-à-dire un stade évolutif plus ancien de la langue qui aurait été transporté de Saint-Domingue à Cuba à la fin du xviiie siècle, où il se serait conservé jusqu’à aujourd’hui. Or, la coprésence dans le discours de la tumba francesa de traits linguistiques documentés dans des textes anciens en créole, avec des caractéristiques pouvant être interprétées comme des innovations (soit des influences de l’espagnol, soit des évolutions indépendantes9), fait qu’une approche analytique établie sur les répertoires linguistiques, ainsi que sur des indexicalités, soit plus utile en vue de la question qui nous intéresse ici qu’une approche qui conceptualise l’évolution des créoles en termes d’une filiation généalogique linéaire. Les notions de “répertoire” et d’« indexicalité » permettent en plus de tenir compte du caractère fragmentaire et résiduel de la pratique du créole au sein des sociétés, qui se manifeste, entre autres, dans une grande variabilité linguistique – raison pour laquelle il est difficile d’y reconnaître un « système » fixe et régulier. Or, même si quelques variantes ne sont pas employées de manière complètement systématique, cela n’empêche pas de les interpréter comme des index qui renvoient à d’autres échelles géographiques ou chronologiques où le créole est ou a été pratiqué. Afin de discerner ces indexicalités, nous avons confronté quelques caractéristiques phonétiques et grammaticales choisies du créole employé dans la tumba francesa avec des documentations historiques du créole de la Caraïbe, ainsi que des descriptions du créole dans des contextes diasporiques et migratoires, tout en prenant le créole haïtien moderne comme norme de référence (pour des raisons méthodologiques, plutôt que normatives). Cela nous a permis d’identifier certaines caractéristiques qui peuvent être rattachées à différentes régions du Saint-Domingue de la fin du xviiie/ début du xixe siècle. Parmi ces caractéristiques, il convient de mentionner la distinction entre le /r/ et le /h/, la réalisation consonantique du /r/ dans toutes les positions, l’existence d’une variante du lexème ede « aider » avec aspiration initiale, l’absence de l’allomorphie chez le déterminant postposé et son caractère fortement déictique, la construction possessive directe, ainsi que la préférence des formes longues et sémantiquement transparentes chez les marqueurs du futur/progressif. Cela ne veut pas dire pour autant que ces caractéristiques peuvent être considérées comme des traits fonctionnels d’un système cohérent qui aurait été le créole de Saint-Domingue du xviiie siècle. Toutefois, il est fort probable qu’elles aient circulé dans la bouche d’au moins une partie des réfugiés français à Cuba à l’époque de la Révolution haïtienne.

La tumba francesa n’a pas encore livré tous ses secrets. Par exemple, l’élément hispanique et la mise en pratique du répertoire bilingue lors de l’improvisation, les liens historiques avec le vaudou haïtien, ou bien une possible intégration d’immigrés haïtiens récents dans les cérémonies et leur impact sur la langue des chants mériteraient une étude plus poussée. Pour le moment, nous pouvons seulement constater que si la tumba francesa ne reproduit pas fidèlement le créole de Saint-Domingue à l’époque de la Révolution haïtienne, son analyse permet néanmoins d’y jeter quelques lumières.

1 À la fin du xviiie siècle, le créole était déjà la langue générale de tous les habitants de Saint-Domingue (Moreau de Saint-Méry, 1797 : 67 ; Hazaël

2 C’est aussi la raison pour laquelle les réfugiés de Saint-Domingue optèrent pour s’autodésigner avec l’épithète de français, au lieu d’haïtien (

3 Il s’agit d’un essai intitulé Patois Cubain, qui contient un glossaire d’environ 300 mots, avec leurs traductions. Ce texte est reproduit par Isabel

4 L’insécurité, pour ne pas dire l’ignorance, sur l’identité de la langue employée dans la tumba francesa va si loin que dans l’article qui présente

5 Cf. Renault 2012 : 360 : « Les danseurs d’aujourd’hui ne parlent pas créole et glissent simplement dans les chants quelques mots bizarres qui se

6 Afin de pouvoir faire référence à des chansons particulières au cours de notre analyse, les abréviations suivantes seront utilisées dans la suite du

7 Comme le signale Valdman (2015 : 258-259), le déterminant postposé n’est pas équivalent à l’article défini français, mais marque le caractère

8 En ce qui concerne les formes pral, apral, prale et aprale, il est important de souligner qu’elles ne sont pas arbitrairement interchangeables dans

9 Malheureusement, nous ne pouvons pas, dans cette étude, effectuer une analyse poussée de ces innovations.

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UNESCO, La Tumba Francesa, sans année, https://ich.unesco.org/es/RL/la-tumba-francesa-00052 (consulté le 16 février 2023).

1 À la fin du xviiie siècle, le créole était déjà la langue générale de tous les habitants de Saint-Domingue (Moreau de Saint-Méry, 1797 : 67 ; Hazaël-Massieux, 2008 : 35).

2 C’est aussi la raison pour laquelle les réfugiés de Saint-Domingue optèrent pour s’autodésigner avec l’épithète de français, au lieu d’haïtien (Renault, 2012 : 123).

3 Il s’agit d’un essai intitulé Patois Cubain, qui contient un glossaire d’environ 300 mots, avec leurs traductions. Ce texte est reproduit par Isabel Martínez Gordo dans son ouvrage Algunas consideraciones sobre Patois cubain de F. Boytel Jambú, La Habana, 1989. Malheureusement, il ne nous a pas été possible de le consulter. L’original demeure dans les archives personnelles de l’auteur à Holguín (Cuba).

4 L’insécurité, pour ne pas dire l’ignorance, sur l’identité de la langue employée dans la tumba francesa va si loin que dans l’article qui présente cette pratique musicoculturelle sur le site officiel de l’UNESCO, il n’y a aucune référence faite au créole. Au contraire, il est allégué que les chants sont exécutés dans « un dialecto español o francés (‘un dialecte espagnol ou français’) ! Cf. https://ich.unesco.org/es/RL/la-tumba-francesa-00052.

5 Cf. Renault 2012 : 360 : « Les danseurs d’aujourd’hui ne parlent pas créole et glissent simplement dans les chants quelques mots bizarres qui se veulent du “patois français” ».

6 Afin de pouvoir faire référence à des chansons particulières au cours de notre analyse, les abréviations suivantes seront utilisées dans la suite du texte : « Guan » pour les chants fournis par la société « Santa Catalina de Ricci » (Guantánamo), « Sant » pour les chants fournis par la société « La Caridad de Oriente » (Santiago), et « Bej » pour les chants fournis par la société de « La tumba francesa de Bejuco ». Ces abréviations sont suivies d’un numéro indiquant le chant précis, par exemple Guan1 ou Bej6, suivant la numérotation dans les publications de l’UNESCO.

7 Comme le signale Valdman (2015 : 258-259), le déterminant postposé n’est pas équivalent à l’article défini français, mais marque le caractère spécifique et présupposé du référent. Les traductions la lettre, la rue et le chien sont utilisées uniquement pour assurer la compréhension des exemples.

8 En ce qui concerne les formes pral, apral, prale et aprale, il est important de souligner qu’elles ne sont pas arbitrairement interchangeables dans tous les contextes (cf. Pfadenhauer, 2022).

9 Malheureusement, nous ne pouvons pas, dans cette étude, effectuer une analyse poussée de ces innovations.

Silke Jansen

Friedrich-Alexander-Universität Erlangen-Nürnberg
silke.jansen@fau.de

Katrin Pfadenhauer

Universität Bayreuth
katrin.pfadenhauer@uni-bayreuth.de

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