Léopold Sédar Senghor : le poète, l’écrivain et le politique ou Senghor l’Africain

Christian Valantin

Citer cet article

Référence électronique

Christian Valantin, « Léopold Sédar Senghor : le poète, l’écrivain et le politique ou Senghor l’Africain », Archipélies [En ligne], 2 | 2011, mis en ligne le , consulté le 30 avril 2024. URL : https://www.archipelies.org/1797

Le parcours de Léopold Sédar Senghor, l’un des deux pères fondateurs du mouvement de la Négritude, est fascinant, comme le montre Christian Valentin dans son article, en ce qu’il part de l’Afrique profonde, ce village sérère où le futur poète passa sa prime enfance jusqu’à l’Académie française à la fin de sa vie, en passant par sa rencontre avec Aimé Césaire au Lycée Louis-Le-Grand à Paris dans les années 30 et la présidence de la toute jeune République du Sénégal en 1960. Profondément enraciné dans sa terre et sa culture, Senghor, par le miracle d’une poésie qui emprunte tout à la fois aux griots, chantres des royaumes africains, et aux grands poètes français tel que Claudel ou Saint-John Perse, a su atteindre à l’universel. Pétri d’humanisme, il a réussi à donner une résonance mondiale à la Négritude, notamment à travers sa vision d’une francophonie ouverte et fraternelle.

The journey of Léopold Sédar Senghora founding father of the Negritude movementis a fascinating one as Christian Valentin demonstrates in his article. He shows Senghor’s trajectory from a young child in a tiny village in deepest Africa to his position at the Académie Française at the end of his life, as well as his meeting with Aimé Césaire at the Lycée Louis-Le-Grand in Paris in the 1930s and his presidency of the new republic of Senegal in 1960. Deeply rooted in his land and culture, Senghor succeeded in borrowing from both traditional African and French poetic traditions to convey a universal experience. Filled with humanism, he was able to give a global resonance to Negritude, most notably through his vision of an open and fraternal Francophonie.

Le Royaume d’enfance

« Dans mes poèmes, je parle souvent du Royaume d’enfance. C’était un royaume d’innocence et de bonheur : il n’y avait pas de frontières entre les Morts et les Vivants, entre la réalité et la fiction, entre le présent, le passé et l’avenir » (Senghor, 1980 : 37-38).

Confié à son oncle maternel, Waly Bakhoum dit Tokhor, jusqu’à l’âge de sept ans, le jeune Senghor vit, joue et fugue avec les bergers, les pasteurs, les agriculteurs. Et d’expliquer : « J’étais animiste à cent pour cent. Tout mon univers intellectuel, moral, religieux était animiste, et cela m’a profondément marqué. C’est pourquoi dans mes poèmes, je parle souvent du “Royaume d’Enfance” » (Senghor, 1980 : 37-38). Il y découvrit une éthique proprement sénégalaise : le sens de l’honneur, la maîtrise de soi, la façon de se tenir et de se conduire, la patience. Joal, Djilor, l’enfance de Senghor se situe entre ces deux pôles. Jusqu’à l’âge de sept ans, il est du côté de sa mère, Gnilane Bakhoum, « le Royaume d’enfance » dans ce qu’il a de plus pur : « Pendant ces sept ans, j’avais vécu en me développant harmonieusement. J’avais vécu heureux dans un monde de beauté, de dignité et de liberté » (Senghor, 1980 : 45).

Puis, en octobre 1913, à l’âge de sept ans, son père, Basile Diogoye Senghor, le fit entrer à l’école de la Mission catholique de Joal où il apprit le catéchisme et le wolof, plus que le français, souligne-t-il. « Naturellement, dans ma cervelle d’enfant, je mêlais tout cela, d’autant qu’avec mon esprit africain, je ne voyais pas d’opposition entre le monde sérère et le monde wolof, le monde wolof et le monde français, ni entre le monde animiste et le monde chrétien » (Senghor, 1980 : 38). En même temps qu’il entre à l’école, Senghor découvre le « Royaume » de son père, une continuité de son « Royaume d’enfance » :

« Et mon père étendu sur des nattes paisibles, mais grand,
mais fort, mais beau
Homme du Royaume du Sine, tandis qu’alentour sur les
kôras, voix héroïques, les griots font danser leurs doigts
de fougue
Tandis qu’au loin monte, houleuse de senteurs fortes et
chaudes, la rumeur classique de cent troupeaux » (Senghor, 1948 : 58).

Basile Diogoye Senghor est un homme du Royaume du Sine, un notable, riche commerçant, possédant des centaines de têtes de bétail, ami du roi Koumba Ndofène Diouf, dernier roi du Sine qui venait lui rendre visite « en magnifique arroi, sous son manteau de pourpre, sur son cheval-du-fleuve. Et quatre troubadours, quatre griots l’escortaient, parmi d’autres, comme les quatre portes de la ville et les quatre provinces du Royaume. Ils chantaient, les griots, en s’accompagnant de leur tama : de leur tam tam d’aisselle. Que chantaient-ils sinon le Roi et le Royaume ? Mais ils chantaient des poèmes à hauteur de cheval, à hauteur de Roi et pour tout dire à hauteur d’homme » (Senghor, 1964 : 334).

S’expliquant sur ces poèmes, Senghor confesse que presque tous les êtres et les choses qu’ils évoquent sont de son canton… « il me suffit de les nommer pour revivre le Royaume d’enfance » (Senghor, 1956 : 160) qu’il ne situe pas seulement au début de sa vie, mais aussi à la fin. « En généralisant, je dirai que c’est le but ultime des activités de l’homme que de recréer le Royaume d’enfance » (Senghor, 1980 : 45).

Après Joal, il entre, en 1914, à l’école de la Mission catholique de Ngasobil pour y commencer ses études primaires. Il avait seize ans. Il fit des études classiques. Évidemment ce « Royaume d’enfance », dans lequel sa mère tenait une place essentielle, il le faisait revivre dans le « Royaume du Sine », qui était celui de son père ; il y était attaché : c’était sa terre natale et il croyait au culte des Génies et des Ancêtres. Cette foi n’était nullement incompatible avec la foi chrétienne naissante chez le jeune adolescent. Loin d’avoir constitué une rupture entre les deux, ce fut un tournant : les pères enseignants avaient compris qu’il fallait consolider l’enfant dans sa culture originelle, qu’il fallait rendre cohérentes les valeurs morales qu’il avait déjà intégrées et celles qui provenaient d’un enseignement catholique. Il reçut une « double éducation : en français et en wolof, laïque et religieuse » (Senghor, 1980 : 48).

Il achève ses études primaires en 1923 et rejoint le collège séminaire Libermann, du nom du fondateur de la Congrégation de Pères du Saint-Esprit. Il eut moins l’idée que le sentiment de la Négritude, c’est-à-dire de la spécificité de la culture négro-africaine, quand il se rendit compte que le Père Lalouse, directeur du séminaire, qui eut une grande influence sur lui, souhaitait faire de ses élèves des « Français à peau noire ». Il lui reprocha d’être colonialiste. Ce fut un tournant dans sa vie : Senghor voulait être prêtre, mais son esprit était de contestation et non d’obéissance ; le Père Directeur le lui fit comprendre ; la prêtrise n’était pas sa vocation. Il en fut profondément attristé, mais pas déstabilisé dans ce qu’il croyait. Il changea donc d’établissement et alla décrocher les deux parties du baccalauréat (français, latin, grec) au « Cours secondaire » officiel et laïque qui allait devenir le lycée Van Vollenhoven, puis le lycée Lamine Guèye.

C’est alors qu’il se sentit nègre : le jeune Léopold « gardait des expériences de son enfance le sentiment d’appartenir à une grande civilisation » (de Benoist, 2000 : 17-18). Évoquant le roi Koumba Ndofène Diouf, parcourant ses provinces, il raconte :

« Koumba Ndoffène Diouf régnait à Dyakhaw, superbe vassal
Et gouvernait l’Administrateur du Sine-Saloum.
Le bruit de ses aïeux et des dyoung-dyoungs le précédait.
Le pèlerin royal parcourait ses provinces, écoutant dans le
bois la complainte murmurée
Et les oiseaux qui babillaient, et le soleil sur leurs plumes
était prodigue
Écoutant la conque éloquente parmi les tombes sages.
Il appelait mon père “Tokor” ; ils échangeaient des
énigmes que portaient des lévriers à grelots d’or
Pacifiques cousins, ils échangeaient des cadeaux sur les bords
du Saloum
Des peaux précieuses, des barres de sel, de l’or du Bouré
de l’or du Boundou
Et de hauts conseils comme des chevaux du fleuve. » ((Senghor, 1956 : 32).

À l’école des pères, qui l’ouvre sur une autre culture, la culture française, Senghor reste enraciné dans la sienne, la sérère, dont il a été imprégné par son oncle maternel, Tokor Waly et par son père, Basile Diogoye. Koumba Ndofène Diouf fut dans le Sine un grand Roi, comme le furent beaucoup d’autres dans d’autres provinces du Sénégal. Les colonisateurs français, tout en administrant directement la colonie, s’attachèrent les services de ces hommes de haut lignage et de leurs descendants ; ils en firent des Chefs de canton et des Chefs de province qui furent influents sous le régime colonial qu’ils avaient cependant combattu. Senghor décrit à merveille ce que devint, sous la colonisation, le Roi Koumba Ndoffène Diouf et ses pairs : « superbe vassal » de l’Administrateur colonial du Sine Saloum, parcourant ses provinces en « magnifique arroi, sous son manteau de pourpre », entouré de ses griots chantant le Roi et les exploits de ses aïeux, entendant le « bruit » jaillissant de leurs « tombes sages », comme pour alerter sa conscience et sa nostalgie, écoutant les doléances de ses sujets, « murmurées » à l’oreille pour ne pas être entendues de l’autorité. Une critique poétique et silencieuse du système auquel les Sénégalais ont résisté pacifiquement, sans rien renier de leur culture et de leur personnalité. Que se passe-t-il dans la tête du Roi : certainement s’y posent beaucoup de questions, mais la tristesse aussi l’accable ? Cependant une volonté de dépassement pour continuer à conduire son peuple, en acceptant de ne plus être Roi, mais vassal : « Mais ils (les griots) chantaient des poèmes à hauteur de cheval, à hauteur de Roi, à hauteur d’homme » (Senghor, 1964 : 334). Voilà le Roi, devenu un homme dans la bouche et l’esprit de Senghor. Il en tirera une morale : quelle que soit la souffrance endurée, il faut la dépasser, car il y a la vie.

Bien qu’ils n’assument plus de responsabilités, ces chefs sont toujours très respectés. Ils sont des conseillers coutumiers écoutés. Senghor fut subjugué, à travers Koumba Ndofène Diouf, par ces figures célèbres. Elles incarnaient à ces yeux un pouvoir traditionnel qui finit par disparaître, mais qui représentait une civilisation qui, n’étant pas reconnue, méritait d’être réhabilitée. Il dédia ses « Messages » « à Cheikh Yaba Diop, chef de province » qui l’avait politiquement aidé :

« Dyop, lui ai-je dit, Beleup de Kaymor ! Je te respire
parfum de gommier, et proclame ton nom
Surgi du Royaume d’enfance et des fonds sous-marins des
terres ancestrales.
Grâces à toi pour les fleurs des discours très odorants, pour
les hommages des tamas des balafongs des mains……. » (Senghor, 1990 : 106-107).

C’était dans les années 1950, Senghor était devenu le maître politique incontesté du Sénégal. « Surgi du Royaume d’enfance », Cheikh Yaba Diop, de la famille de Lat Dior Diop, faisait partie de ces grands notables qui avaient encore de l’influence, comme les descendants de Koumba Ndoffène Diouf. Senghor ne pouvait pas ne pas en être ému : « Telles sont ma réponse [Grâces…] et ma récade bicéphale : gueule
du Lion et sourire du sage. »

La Négritude

Naissance de la Négritude. Bachelier en 1928, Senghor « monte » à Paris pour y faire ses études supérieures. C’est le temps de la découverte, de Paris certes, mais aussi de ce qui va devenir son univers intellectuel. Au lycée Louis le Grand, il fait la connaissance de Césaire et il rencontre des Antillais dont Louis Achille, qui lui fait lire les écrivains négro-américains de la Négro-Renaissance, et des poètes comme Langston Hughes et Countee Cullen dont il fit la connaissance dans le salon de Paulette Nardal, la Martiniquaise, fondatrice de la Revue du monde noir. Il profita de ses relations antillaises pour rencontrer Alain Locke et Mercer Cook qui fut le premier ambassadeur des États-Unis d’Amérique au Sénégal. Le mouvement de la Négritude est né aux États-Unis, mais « en francophonie a été puissamment favorisé par la Négro-Renaissance » ; Senghor et les poètes de la Négritude le reconnaissent. L’année même de l’arrivée de Senghor en France (1928) paraissent Tombouctou et Magie noire de Paul Morand, Retour du Tchad, d’André Gide et Terres d’ébène, d’Albert Londres, ces deux derniers ouvrages reprenant la critique de la colonisation ouverte par Voyage au Congo, d’André Gide, mais surtout par Batouala, véritable roman nègre qui valut à son auteur, René Maran, le prix Goncourt 1921. Administrateur colonial d’origine antillaise, il y dénonçait les abus de la colonisation. Senghor salua en lui « le Précurseur de la Négritude en Francophonie [qui] a exprimé l’âme noire, avec le style nègre en français ».

Or donc, avec Césaire et Damas, il commence à élaborer la théorie de la Négritude, un mot inventé par Césaire, de l’aveu de Senghor lui-même. En même temps, il découvre les écrivains surréalistes et les peintres de l’École de Paris, comme Picasso, Matisse, Chagall et bien d’autres encore, qui doivent beaucoup à l’art nègre. « En somme, c’est à Paris qu’avec Aimé Césaire, Louis Achille et Léon Damas, j’ai essayé de prendre les armes des mains des colonisateurs pour la défense et illustration de la Négritude » (Senghor, 1980 : 59). Ce travail qui lui tenait à cœur ne l’empêcha pas de se rapprocher de ses camarades de khâgne, dont Georges Pompidou ; ils l’ont entraîné à la lecture, à visiter les musées, à aller au concert, à voir et à entendre les pièces, qui se jouaient alors ; celles des grands dramaturges : Claudel, Montherlant, Giraudoux. « Ces années de 1928 à 1931 ont été pour moi décisives » (Senghor, 1980 : 59), reconnaît Senghor, curieux de tout. En 1935, il devient agrégé de grammaire. Enrichi par toutes ses rencontres, il ne se coupa pas pour autant des ses compatriotes venus en France comme lui pour y faire des études supérieures : Karim Gaye, Ousmane Socé Diop, Alioune Diop, ni de ceux qui étaient restés au Sénégal comme Mamadou Dia, Maury Tall et bien d’autres encore.

Qu’est-ce que la Négritude ? Ce mot-concept présente un double sens objectif et subjectif. Faisons parler Senghor :

« Objectivement, la Négritude est un fait : une culture. C’est l’ensemble des valeurs – économiques et politiques, intellectuelles et morales, artistiques et sociales – non seulement des peuples d’Afrique noire, mais encore des minorités noires d’Amérique, d’Asie et d’Océanie…
Subjectivement, c’est l’acceptation de ce fait de civilisation et sa projection, en prospective, dans l’histoire à continuer, dans la civilisation nègre à faire renaître et accomplir » (Senghor, 1977 : 270).

Dans le Cahier d’un retour au pays natal (1939), Césaire, tel un lion rugissant, se fait plus radical :

« ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre
ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale
elle plonge dans la chair rouge du sol
elle plonge dans la chair ardente du ciel
elle troue l’accablement opaque de sa droite patience » (Césaire, 1956 : 65).

Il est intéressant de comparer les discours de Senghor et de Césaire. S’ils ne se différencient pas dans le fond, ils ne prennent pas la même forme. Senghor, moins passionnel, a passé son enfance et sa jeunesse à écouter les récits légendaires chantés par les griots qui rappelaient la gloire de Soundiata, du Kaya Magan ou d’Askia le grand, le maître du Songhaï ; il a été immergé dans cette atmosphère, ce contexte, dans cette Négritude et il en a été fortement marqué. Nous avons vu comment il était émerveillé par la noblesse qui se dégageait de l’allure et du comportement du Roi Koumba Ndoffène Diouf. Césaire, descendant d’esclave, est plus violent, écartelé qu’il était entre deux cultures. Quand il commence à définir la Négritude par ce qu’elle n’est pas, il rejette cette autre culture qui lui vient d’ailleurs et sur laquelle il porte un jugement négatif, ne retenant que le fondement (l’assimilation) sur lequel elle s’appuie pour coloniser ; mais en contrepoint, il définit concrètement et positivement la Négritude et célèbre ceux que le colonialisme accable, mais qui lui résistent en attendant patiemment des jours meilleurs.

Les poètes et les hommes de culture de la Négritude se mirent donc à démontrer la réalité de la civilisation négro-africaine ; ils en firent ressortir les valeurs, appuyés en cela par les africanistes les plus connus de l’époque, Maurice Delafosse, Robert Delavignette, Marcel Griaule, Théodore Monod, le Père Aupiais et surtout l’Allemand Léo Frobenius (Senghor, 1964 : 8). Leurs études jointes aboutirent à la proclamation d’une idée-force qui exigeait la reconnaissance des cultures noires et du droit à une différence constitutive d’une personnalité individuelle et collective originale. Leurs exigences les conduisaient à radicaliser leurs positions.
« Qu’ils m’accordent, les génies protecteurs, que mon sang ne s’affadisse pas comme un assimilé comme un civilisé » (Senghor, 1948 : 59). Ce fut en 1936 que ce texte qui entre dans « À l’appel de la race de Saba » fut écrit. Senghor, agrégé de grammaire française depuis un an, était en pleine élaboration de la Négritude. Il reviendra plus tard sur cette parole avec sa théorie sur le métissage culturel, avec son troisième fils, métis biologique, fruit de son second mariage avec une Française. En 1937, devant les corps constitués du Dakar colonial, il prononce une conférence sur « Le problème culturel en AOF » et fait scandale en parlant des langues sénégalaises dans l’enseignement. Elles en étaient exclues, contraires à la politique officielle d’assimilation.
C’est dire la violence des propos tenus par un homme en recherche des éléments constitutifs de sa Négritude, à la fois sur plan théorique et sur un plan humain. L’homme est en construction. La Négritude fait l’objet d’une recherche scientifique poussée : c’est une ethnologie négro-africaine, une ontologie, c’est-à-dire « une conception nègre du monde », une philosophie dans laquelle rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Pour l’instant, il combat sur un plan strictement intellectuel et culturel la politique coloniale d’assimilation. Il ne se doute pas que quelques années plus tard il portera le fer rouge au sein même du parlement français.
Le Paris intellectuel, capitale nègre, s’y prête. Déjà, avec l’Essai sur les Données immédiates de la Conscience, Bergson avait fait la « Révolution de 1889 », ébranlant les piliers scientistes de la civilisation européenne, constatant les limites de la raison discursive et reconnaissant à l’intuition la faculté d’une compréhension en profondeur et immédiate du réel. C’est à ce moment que l’Europe s’est vraiment ouverte à la civilisation négro-africaine (Senghor, 1980 : 62), rapporte Senghor. C’est ce que Emmanuel Berl a appelé « l’ère des fétiches » ou « la révolution nègre » ; c’est Rimbaud qui publie Une saison en enfer ; c’est Picasso qui découvre en 1906 le « fameux masque baoulé ». Dans cette période de gestation des années 1930, la Négritude devient l’idée-force qui va orienter la vie de ses poètes, de Senghor notamment.

Survient le deuxième conflit mondial du siècle. Senghor est mobilisé et est fait prisonnier, en France. Il est déplacé de stalag en stalag. Il met à profit le temps de son emprisonnement qui lui permet, à ce qu’il en dit, de se consacrer à son travail d’écriture et réfléchir sur la Négritude qui « est enracinement en soi et confirmation de soi » (Senghor, 1977 : 69) qui n’est pas raciste. « Si elle s’est faite d’abord raciste, c’était par antiracisme […] En vérité la Négritude est un humanisme… » (Senghor, 1964 : 8). Les poèmes d’Hosties noires écrits pendant la guerre, exaltent l’Afrique, stigmatisent les « Assassinats » et « Tyaroye », prient pour

« Les tirailleurs sénégalais, mes frères noirs,… victimes noires paratonnerres,

Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes,
votre frère de sang ? (Senghor, 1948 : 55).

“Nous T’offrons nos corps avec ceux des paysans
de France, nos camarades…
« Que les enfants de la France confédérée
aillent main dans la main » (Senghor, 1948 : 70).

La France confédérée ! C’était en avril 1940 que ce poème fut écrit. Il était entendu que Senghor condamnait l’assimilation au nom de la Négritude. Mais imaginer déjà une association confédérale du peuple de France avec les peuples d’outre-mer, c’était prophétique tant il est vrai que ce n’est que treize ans plus tard, devenu député du Sénégal au Palais Bourbon, il proposait avec obstination de construire un tel ensemble.

Pendant ces années de guerre, Senghor évolue sur la Négritude. Il veut la sortir du ghetto dans lequel elle s’est enfermée pour l’ouvrir aux cultures du monde et d’abord à la culture française et il veut le prouver :

« Ah ! ne dites pas que je n’aime pas la France – je ne suis
pas la France, je le sais –
Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu’il a libéré ses
mains
A écrit la fraternité sur la première page de ses monuments
Qu’il a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté
À tous les peuples de la terre conviés solennellement au
festin catholique » (Senghor, 1948 : 56).

Senghor est accusé de ne pas aimer la France. Sans doute, sa Négritude affirmée, proclamée, conceptualisée, dérange. Son ami Pompidou en sera plus tard agacé. Senghor est un Africain avant tout, mais voilà qu’il constate que le contact entre Négritude et culture française peut être fructueux pour tout le monde, à condition de se libérer du joug colonial qui n’est plus tolérable. Et la France par ses valeurs culturelles peut procéder à ce retournement de situation.

Dans « Prière de paix » (1945) dédiée à Georges et Claude Pompidou, il prie pour la France et lui pardonne :

« Oui Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par des sentiers obliques
Qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié…
Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France.
Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n’ai que haine, mais je peux bien haïr le Mal
Car j’ai une grande faiblesse pour la France…
Ô bénis ce peuple…
Et avec lui tous les peuples d’Europe, tous les peuples
d’Asie tous les peuples d’Afrique et tous les peuples d’Amérique
Qui suent sang et souffrances. Et au milieu de ces millions de vagues, vois les têtes houleuses de mon peuple.
Et donne à leurs mains chaudes qu’elles enlacent la terre
d’une ceinture de mains fraternelles 
DESSOUS L’ARC EN CIEL DE TA PAIX » (Senghor, 1948 : 94-95).

Senghor est ici le poète dans toute sa dimension humaine. L’anticolonialisme l’habite tout comme l’antiesclavagisme. Il fait reproche à la France de son mépris pour la civilisation négro-africaine, mais lui pardonne son colonialisme et sa politique esclavagiste passée. En ce pardon, on retrouve naturellement le pardon chrétien, mais aussi le pardon africain. Au Sénégal, les Sénégalais, musulmans et chrétiens, se donnent mutuellement le pardon à l’occasion des grandes fêtes religieuses. Dans un prodigieux dépassement de lui-même, il invoque : « Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père » (Senghor, 1948 : 94). Il va plus loin : par delà les souffrances endurées pendant la guerre, il prie que le peuple noir se joigne à tous les peuples du monde pour la paix et la fraternité.
On lui reprochera cette faiblesse pour la France, l’accusant de traîtrise vis-à-vis de l’Afrique. Il s’en explique : la colonisation est objectivement un fait d’histoire, qu’on l’approuve ou pas. La France est au Sénégal depuis trois cents ans. Elle y a importé sa langue et sa culture, ses administrateurs, ses enseignants, ses médecins, ses militaires, ses commerçants, ses missionnaires et ses religieux ; elle n’a pas contrarié l’expansion de l’Islam. On ne peut l’ignorer. Il est temps, par une dialectique fécondante, de voir dans cet apport ce qui est profitable à la Négritude et ce qui ne l’est pas.

L’engagement politique

Le parlementaire Senghor, au sortir de la guerre, ne pensait absolument pas s’engager en politique, même si tout au long de sa recherche en Négritude, il avait été conduit à prendre des positions politiques que ces poèmes expriment à satiété. Son objectif était d’enseigner, de faire sa thèse et de terminer sa carrière au Collège de France. Son destin en décida autrement : il fut sollicité pour devenir député du Sénégal à l’Assemblée nationale française. Il hésita, consulta ses parents et ses proches, qui tous l’encouragèrent à accepter. Député de 1945 à 1959, Senghor arrivait au Palais Bourbon avec un bagage intellectuel bien fourni. Il y retrouva Césaire et Damas
Convaincu de la justesse de ses positions sur la Négritude, il en résultait que s’il fallait assimiler les apports de la culture française qu’il définissait comme « une fécondation intellectuelle, une greffe spirituelle, une assimilation qui permette l’association » (Senghor, 1964 : 54), il ne fallait pas se laisser assimiler. La politique d’assimilation du système colonial était donc appelée à disparaître : « assimiler et non être assimilés » déclarait Senghor qui ne voulait pas faire du nègre « une copie du blanc » fut-il français. Le système colonial était de ce fait lui-même condamné : « la colonisation, fait historique, » n’est pas mission civilisatrice, mais « contact entre deux civilisations ; la définition la meilleure du problème » (Senghor, 1964 : 40) ajoutait-il. Les Sénégalais, malgré les apparences, s’ils ont assimilé la langue et la culture française, ont conservé intactes leurs traditions, leurs langues, leurs cultures, je veux dire leurs valeurs de civilisation. Ils sont ouverts à l’Autre et aux cultures du monde. Senghor ne faisait que traduire dans ses poèmes, dans ses écrits et dans ses discours la réalité sénégalaise.

Après avoir rompu avec Lamine Guèye, qui en avait fait son colistier en 1945, puis avec la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) 1au comité directeur duquel il appartenait, Senghor créa son propre parti, le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS)2. Entre Lamine Guèye et lui un conflit d’idée s’était développé : le premier croyait à la politique d’assimilation, le second, professeur et poète était plus sensible à la différence3. Dans une interview à l’hebdomadaire Gavroche, il avait préconisé, toujours fidèle à la Négritude, l’accession à l’indépendance dans le cadre d’une communauté « française confédérale »4. C’est dans cet esprit qu’il mena, pendant quinze ans, de 1945 à 1959, sa carrière de parlementaire français. Il se servira de la tribune du Palais Bourbon pour exposer son point de vue, l’expliquer, revendiquer pour ses électeurs certes, mais aussi pour l’Afrique.
Dans les années d’après-guerre, il voit venir les orages. Pour l’Indochine, il recommande la réconciliation et la prudence. Peine perdue. Pour l’Algérie, il demande instamment au gouvernement français de discuter et d’assouplir ses positions. Peine de nouveau perdue.
Il sait que le statut des TOM va évoluer vers plus d’autonomie et va se diriger assez rapidement vers l’indépendance. Surtout, s’agissant des territoires de l’Afrique française, il dit avec force sa préférence pour une autonomie groupée et non balkanisée (le mot est de lui). Une fois de plus, il ne sera pas suivi.

Que voulait Senghor ? D’abord, il précisa le contexte : le Vietnam avait pris son indépendance par les armes 5 ; la Tunisie 6et le Maroc 7étaient sur le point d’y accéder ; la guerre d’Algérie battait son plein ; les non-alignés se réunissaient à Bandung8. Ensuite, il exposa le problème dans un article au journal Afrique nouvelle en décembre 1956 ; il explique : « il s’agit de déterminer l’organisation politique future des territoires d’outre-mer, de l’AOF 9en particulier, dans le cadre d’une République fédérale française et d’une union confédérale » (Senghor, 1971 : 180-183).
Qu’entendait-il par là ? Écoutons-le : « Au sein de l’Union française, organisée en fédération souple – ou en confédération – existerait à côté de royaumes ou de républiques d’Asie et d’Afrique, une République fédérale française » (Senghor, 1986 : 105). Il ne cite pas les territoires d’outre-mer parce qu’ils sont intégrés à la République et qu’il faut qu’ils le restent, mais dans une République fédérale française. Pour cela, toujours selon Senghor, il aurait fallu renoncer définitivement à la formule de la « République une et indivisible ». Si elle se justifiait au temps de la Révolution française, elle ne correspondait plus à la réalité des années 1950. « Ainsi, chaque territoire autonome et chaque groupe de territoires seraient intégrés dans la République française, mais avec son Parlement et son exécutif local. Naturellement seraient créés à Paris un Parlement fédéral et un exécutif fédéral » (Senghor, 1986 : 105). Considérant l’assimilation dépassée et impossible, la décolonisation indispensable, champion de la négritude, il prônait une construction franco-africaine où toutes les parties seraient égales en dignité, car « la fédération est le système qui établit l’égalité entre les pays, partant, entre les races » (Senghor, 1971 : 181). Réaliste, il conseille cependant de rester dans la République française, « avec notre quartier, notre administration, nos écoles, nos églises et nos mosquées », (Senghor, 1971 : 105) une définition imagée de l’autonomie. N’y a-t-il pas une contradiction à maintenir intégrés dans la République les territoires et à préférer en même temps l’autonomie ? Dans la mesure où l’Union française se serait transformée et aurait adopté le mode confédéral – en reconnaissant donc aux territoires d’outre-mer restant groupés une certaine personnalité –, « l’intégration définitive dans la République française était dans l’intérêt concordant de ces pays et de la métropole en ce siècle d’interdépendance et de coexistence des peuples… Telle était, selon Senghor, la vérité en 1953 » (Senghor, 1971 : 104).

La République fédérale française ne vit pas le jour. L’idée n’était pas mûre ; elle heurtait la conception unitaire de l’État français. Répétons que la politique officielle d’assimilation considérait que les ex-colonies devenues territoires d’outre-mer faisaient déjà partie intégrante de l’État. C’est précisément cette politique d’assimilation que la décolonisation devait permettre d’abandonner, pour adopter le système fédéral. Senghor le disait déjà en 1953, à un moment où les mouvements nationalistes d’Indochine et d’Afrique du Nord étaient en pleine ébullition, mais où ceux d’Afrique noire se réveillaient. Quelques années plus tard (trois à quatre ans), la loi-cadre accordait l’autonomie aux territoires d’outre-mer, et en 1958, la Constitution de la Ve République offrait aux nouveaux États autonomes d’être membres d’une Communauté qui, sans les liens précis « d’un pacte fédéral », fut éphémère. Le gouvernement de la IVe République avait laissé passer sa chance d’une construction durable ; il fut en retard d’une réforme.

La balkanisation. Après avoir examiné la façon dont Senghor proposait d’aménager les relations de la France avec les territoires d’outre-mer, il nous faut aborder, sous l’angle politique, la question de l’organisation de ces mêmes territoires : fallait-il qu’ils accèdent à l’autonomie interne groupés ou balkanisés ? Il s’opposa farouchement à la balkanisation.
Trois solutions se présentaient :

La première, « balkaniser l’AOF, c’est diviser, artificiellement, ses huit territoires pour en faire des entités politiques, économiques et culturelles qui n’ignorent pas la métropole, mais s’ignorent entre elles » (Senghor, 1971 : 104). Cette thèse avait la faveur de la plupart des parlementaires africains ; « la seconde solution est celle de l’État unitaire, de droit interne, intégré dans une République fédérale française » (Senghor, 1971 : 104). Elle avait sa préférence : « les huit territoires de l’AOF formeraient un seul ensemble de 25 millions d’habitants mettant en commun leurs ressources et leurs cadres » (Senghor, 1971 : 104). Mais il constatait qu’elle était prématurée.

Il se rallia, faute de mieux, à une tierce solution : les huit États, restant tels quels, seraient dotés chacun d’un conseil des ministres et d’une assemblée législative, le tout coiffé par un gouvernement fédéral et un parlement fédéral, s’occupant des questions d’intérêt commun (sécurité, voies de communication, télécommunications, douanes, enseignement supérieur, justice, monnaie et coordination de l’économie) (Senghor, 1971 : 104). La fédération de l’AOF était sauve en ce cas. C’était l’objectif principal de Senghor, mais ce n’était encore qu’un projet à soumettre à Paris pour adoption. On sait ce qu’il en advint. Le pire ne fut pas évité. Les décrets d’application de la loi-cadre consacrèrent la désagrégation des fédérations de l’AOF et de l’AEF. Diviser pour régner : dans le cadre d’une politique de coopération renouvelée, il était politiquement plus intéressant de traiter avec chacun des territoires autonomes plutôt qu’avec un groupe de territoires. Les tenants de la balkanisation répondront à Senghor que le maintien des entités fédérales, futurs États fédéraux, ne recevait pas l’approbation des territoires appelés à devenir, dans cette hypothèse, des États fédérés. C’était malheureusement vrai, les Africains étant désunis, chacun préférant être le premier chez lui que le second à Dakar ou à Brazzaville. Et pourtant, en 1956, l’AOF comme l’AEF étaient devenues des réalités politiques, économiques et culturelles ; il fallait consolider ces réalités. Au contraire, on les a détruites. Manque d’audace, manque de vision, manque de générosité. L’histoire de quatre décennies et plus d’indépendance a mis en évidence la fragilité économique, politique et culturelle des États balkanisés. On n’a pas fini, en 2006, d’en payer les conséquences sur tous les plans.

Sans se décourager, cependant, Senghor, encore lui, devenu Président de la République du Sénégal, s’employa, pour corriger les inconvénients de la balkanisation, à rassembler les ex-TOM de l’AOF, devenus États, dans une Union économique et monétaire de l’Ouest africain (UEMOA). Ce qui fut l’AEF suivit le même chemin vers la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Cette Communauté et cette Union, sœurs jumelles, ont actuellement pour objectif de réaliser l’intégration économique de leurs États. Elles y parviennent non sans mal : la résistance des États membres à consentir des abandons de souveraineté et la crise ivoirienne ralentissent la progression.

Le référendum de 1958. De l’autonomie interne de la loi-cadre à l’indépendance, le pas fut franchi en trois ans (1957-1960). Cette période fut très agitée politiquement, à Paris et en Afrique. À Paris, une République, la quatrième du nom, s’effondrait, tandis que les règles d’une autre s’élaboraient. Le général de Gaulle parcourait l’Afrique pour faire adopter son projet de Constitution. En Afrique, le débat soulevait de vives passions : le oui au référendum de 1958 se heurtait à ceux qui voulaient l’indépendance immédiate. Le projet de Constitution fut cependant voté par l’Afrique à une très large majorité, sauf en Guinée où Sékou Touré fit dire non à son peuple. Il aurait bien voulu après passer des accords de coopération avec la France, mais le général de Gaulle s’y refusa catégoriquement. Deux orgueils s’étaient affrontés.

Pour en revenir au Sénégal, le oui n’allait pas de soi. Si les chefs religieux et traditionnels, soumis à la pression de l’autorité coloniale, approuvaient le projet, l’indépendance avait ses partisans chez les jeunes et les intellectuels. Le Sénégal vota oui à la Constitution proposée par le général de Gaulle, un oui aux significations multiples : oui à l’unité négro-africaine, oui à la fédération rénovée de l’AOF, oui à l’indépendance, pas contre la France, mais en association avec elle(Senghor, 1971 : 226). Il était acquis que le Sénégal irait à l’indépendance dans les plus brefs délais. Deux ans après c’était chose faite, puisque selon la Constitution de la Ve République, ceux qui le désiraient pouvaient sortir de la Communauté, nouveau cadre d’exercice très souple de la relation franco-africaine. C’est ainsi que fut proclamée l’indépendance dans l’amitié avec la France. Il fallait dès lors creuser les fondements de la future République sénégalaise. C’est sur le Socialisme qu’elle fut fondée.

Les fondements du Socialisme africain : Négritude, marxisme et religion

Après l’éclatement de la Fédération du Mali10, Senghor fit rédiger une Constitution. « Il avait une certaine idée, IIIe République française, de la démocratie, avec un exécutif bicéphale »11. Il ne voulait pas gérer le quotidien. « Il voulait avoir du temps pour réfléchir et travailler à l’élaboration de la doctrine politique, comme à la solution des problèmes culturels » (Senghor, 1971 : 168). D’avoir rompu avec la SFIO en 1948, ne signifiait pas qu’il ait tourné le dos à ses convictions socialistes. Au contraire. En créant son propre parti, le Bloc démocratique sénégalais, Senghor s’explique : « Rester socialistes, c’est retourner aux sources vives du message marxien, en le repensant en Négro-Africain de l’Union française » (Senghor, 1971 : 54). Face à ceux qui voulaient faire du marxisme un dogme, Marx les accusait d’avoir oublié la méthode dialectique. Ce qui permet à Senghor de souligner que le marxisme est une méthode. Il en fait un instrument d’action. Quelle doit être cette action, s’interroge-t-il ? Il trouve la réponse chez Marx : « le mouvement réel qui doit supprimer l’état de choses actuel » (Senghor, 1971 : 55). La tâche est immense. Senghor sait où il va : la négritude, le socialisme et son programme ; l’action qui en découle sont les moyens qu’il se donnera pour convaincre de décoloniser, pour affirmer la personnalité sénégalaise et africaine, pour lutter contre la balkanisation, contre l’économie de traite, pour aller à l’autonomie avant l’indépendance dans l’amitié avec la France.

Socialisme et religion. Approfondissant sa doctrine du socialisme africain, il étudie les rapports du socialisme avec la religion. « Car la religion est la sève même de la civilisation négro-africaine » (Senghor, 1971 : 106). Qu’il s’agisse de l’Animisme, de l’Islam ou du Christianisme. Dans son analyse, Senghor, citant Marx, pense que « la raison a toujours existé, mais pas toujours sous la forme rationnelle » (Senghor, 1971 : 106) ; il en déduit que voilà légitimées toutes « les formes de penser » (Senghor, 1971 : 106) qui ne sont pas européennes. Un socialiste peut donc être athée, mais pas nécessairement. L’athéisme des fondateurs du socialisme scientifique, dont Marx, se fondait plus sur une protestation contre les déviations des chrétientés historiques que sur « un système de doctrine et de vie ». La meilleure preuve, dit encore Senghor, « en est que, répudiant la métaphysique, il refuse en même temps la médiation de l’athéisme » (Senghor, 1971 : 106). Et de se reconnaître donc, très légitimement, socialiste et croyant.

Une question existentielle le taraudait cependant : le besoin de conjuguer plus étroitement socialisme africain et foi religieuse. Il avait découvert chez Marx qu’on pouvait être socialiste et croyant. Il cherchait encore sa vérité ; il la trouva chez Theilhard de Chardin. Député, scandalisé par la vie de la bourgeoisie catholique française, « il avait perdu la foi » (Senghor, 1999 : 9). Il voulait se libérer spirituellement et « trouver à travers et par sa négritude, son identité d’homme… la seule façon qu’il y eut d’être ».

Les explications de Marx et d’Engels ne le satisfaisaient pas d’un triple point de vue : chez eux, « l’esprit est plus intelligence et raison discursive qu’amour et raison intuitive » (Senghor, 1999 : 10) ; il a cherché Dieu, en vain, dans l’œuvre immense des deux penseurs (Senghor, 1999 : 10) ; quant à la lutte des classes, qui est au centre du matérialisme dialectique, elle était pour Senghor, « mal située » (Senghor, 1999 : 10) : « ce n’est pas seulement la domination du Prolétariat par la Bourgeoisie (qui n’est pas la plus grande réalité du siècle), c’est aussi la domination des peuples de couleur par les Blancs européens… des continents par la presqu’île Europe et son prolongement nord-américain » (Senghor, 1999 : 10). C’est à cette domination qu’il accordait, en Négro-Africain colonisé, le plus d’importance (Senghor, 1999 : 10).

Revenant vers sa Négritude pour sortir de ses impasses marxistes, il découvre Theilhard qui, par ses travaux et les grandes découvertes scientifiques, « pousse la méthode dialectique jusqu’à ses conséquences ultimes » (Senghor, 1999 : 11) ; il en résulte que le fait capital ne sont pas les lois physico-chimiques, mais « la psyché », autrement dit la vie, plus exactement la conscience qui, échappant à ces lois, se fonde sur la liberté. « Donc, au-delà du bien-être matériel, le plus être spirituel, épanouissement de l’intelligence et du cœur, est confirmé comme but ultime de l’activité générique de l’Homme » (Senghor, 1999 : 11). C’est exactement l’ontologie négro-africaine, constate Senghor, soulagé. « Et Dieu, cette nécessité interne, a été, de tout temps dans l’ontologie négro-africaine, l’Existant en soi, la Force de qui procèdent et en qui se renforcent tous les existants » (Senghor, 1999 : 12). Dépassant les conflits, les tensions et les divergences extrêmes, Senghor trouve chez Theillard cette absolue nécessité de se comprendre, d’échanger et de progresser dans un mouvement panhumain, pour converger vers la Civilisation de l’Universel, symbiose de toutes les civilisations différentes. « Il nous restitue notre être et nous convie au dialogue : au plus, être » (Senghor, 1999 : 13), conclut Senghor, légitimé par le grand savant dans sa foi, dans sa Négritude et dans ses convictions philosophiques et politiques.

Senghor fut un esprit riche et complexe, constamment en recherche, honnête avec lui-même et avec les autres, fidèle à la Négritude et à sa foi, ferme idéologiquement, « amoureux » de la langue française et de la France. C’est sur ces bases que, devenu Président de la République, il voulut construire le Sénégal indépendant.

« La poésie de l’action »12

La construction de l’État sénégalais fut pour Senghor une création : un mouvement qui devait supprimer l’état de choses hérité de la colonisation. Ainsi, élu à la Présidence de la République du Sénégal en septembre 1960, Senghor fit voter une Constitution, celle du 28 août 1960 par laquelle il partageait le pouvoir exécutif avec le président du Conseil, Mamadou Dia, lequel appliqua scrupuleusement les résolutions du BDS13 dont il était le secrétaire général, mais dont Senghor était l’inspirateur politique. Il n’était pas le chef du gouvernement, mais disposait de pouvoirs réels se réclamant de la quatrième et de la cinquième république : il était l’arbitre suprême. Les lois de mai 1960 mirent en place une structure administrative plus conforme à la réalité socio-économique du pays et qui tenait compte des objectifs de développement déterminés par le premier plan quadriennal. Ceux-ci étaient conçus pour faire disparaître à jamais l’économie de traite. Ces lois créèrent des organismes d’inspiration socialiste : les Coopératives de production, structures de base, l’OCA14 pour commercialiser l’arachide, principale production du Sénégal, la BSD15 pour en assurer le financement, les CRAD16, structures intermédiaires qui servaient de relais à l’Office et à la Banque. Ce fut une nationalisation de grande envergure. Au bout de la chaîne se trouvaient les huileries qui restèrent privées avant d’être nationalisées quelques années plus tard.

Au plan administratif, l’organisation territoriale coloniale fut profondément remaniée : des régions, remplaçant les cercles, furent créées à la tête desquelles furent nommés des gouverneurs ; au-dessous des régions se trouvèrent des subdivisions, plus tard appelées préfectures placées sous l’autorité des commandants de cercle puis des préfets ; le troisième étage fut dans un premier temps celui des arrondissements, plus tard des sous-préfectures dirigées par des chefs d’arrondissement et des sous-préfets. Ces changements de dénominations se sont accompagnés, dans le même moment, de modifications substantielles dans les attributions de ces autorités administratives. Celles-ci avaient avant 1962 un rôle moteur dans le développement de leurs régions, préfectures et sous-préfectures. Elles le conservèrent après 1962. Il fut même renforcé.

Après la crise de 1962, un régime présidentiel fut instauré. Senghor en devint le Président omnipotent. Il ne l’avait pas voulu. Il y fut contraint par les circonstances. Mais il poursuivit la politique entreprise sous la première République, tant il était convaincu qu’il était dans le sens de l’histoire et dans le mouvement pour supprimer l’état de choses ancien. Il alla même plus loin : il décida d’accélérer et de généraliser l’implantation des coopératives sur tout le territoire national ; cette décision se doubla d’une assistance renforcée de ces organismes de base par l’OCA et la BSD devenue BNDS, ce qui provoqua, à la fin des années 70, la désintégration financière du système. La sécheresse, le choc pétrolier, la détérioration des termes de l’échange, les faibles volumes de récoltes d’arachides et l’alignement de leur prix sur le cours mondial multiplièrent les difficultés du monde rural sénégalais et ne sont pas étrangères aux décisions prises.

Il pensait tout de même faire évoluer le régime présidentiel : ainsi, la loi constitutionnelle du 26 février 1970 créa le Premier ministre ; la loi du 19 avril 1972 créa trois cent dix communautés rurales, qui venant s’ajouter aux trente-trois communes urbaines, étaient des collectivités territoriales décentralisées dont les membres élus au suffrage universel, paysans pour la plupart, choisissaient leurs présidents et débattaient en leurs conseils ruraux, notamment sur le problème capital de l’affectation et la désaffectation des terres. D’autres textes organisèrent une véritable déconcentration du pouvoir au double niveau ministériel et territorial.

À ce propos, la décision que le Président Senghor prit et qui n’est pas sans rapport avec la démocratie, sa conception de l’État et de la politique : c’est la révision constitutionnelle de 1976 17qui, en cas d’empêchement ou de démission, charge le Premier ministre de terminer le mandat du Président de la République avec toutes les prérogatives qui s’attachent à la fonction. C’est le fameux article 35. En réalité, Senghor préparait sa retraite, mais il ne voulait rien en laisser paraître, comme il ne dit point celui qui serait Premier ministre au moment de son départ. Serait-ce Abdou Diouf, alors Premier ministre ? Serait-ce un autre ? Il laissa le suspense s’installer. Au moment où ses entretiens avec Mohamed Aziza paraissent aux Éditions Stock en 1980, le Président déclarait : « Je prendrai ma retraite un jour. J’en ai déjà fixé la date, et je suis en train de mettre en place une « équipe de remplacement »18. Senghor avait tout prévu, longtemps à l’avance : organisation et méthode. Il ne voulait pas s’éterniser au pouvoir. Il faut savoir s’en aller, disait-il. Abdou Diouf était toujours Premier ministre, il devint Président de la République à la fin de l’année 80.

Les Droits de l’Homme et les libertés fondamentales. « Notre action politique, nous l’avons fondée sur une certaine idée de l’homme négro-africain historiquement et géographiquement situé. Bref, sur la culture, très précisément sur le concept de Négritude » (Senghor, 1971 : 7). La Constitution du Sénégal dans ces différentes versions de 1960, 1963 et 2001 consacre les engagements du Sénégal vis-à-vis de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948.
Le Sénégal est une « République laïque, démocratique et sociale » qui « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion »19.

Le peuple à qui appartient la souveraineté nationale l’exerce par le suffrage universel et les partis et groupements politiques concourent à l’expression de ce suffrage. Les partis doivent donc respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie20. C’est le substrat idéologique sur lequel s’est bâti depuis 1960 l’État sénégalais qui n’a pas attendu qu’on l’y contraigne, pour mettre en valeur les droits fondamentaux dans toute leur dimension humaine et personnelle, politique, économique et sociale. La référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à la Déclaration universelle de 1948, est là pour l’attester. Mieux, les textes constitutionnels de 1960 et 1963 en proclament « le respect et la garantie »21. La Constitution de 1960, sur l’autorité judiciaire, dit l’essentiel22 : elle est gardienne de la liberté individuelle ; la justice est indépendante de l’exécutif et du législatif ; les magistrats du siège sont inamovibles ; la Cour Suprême connaît de la constitutionnalité des lois. La constitution de 1963 est plus explicite, mais ne modifie pas les règles : l’autorité judiciaire, transformée en pouvoir judiciaire, régime présidentiel oblige, sort renforcée de la crise de 1962, sans consacrer le gouvernement des juges.

La personne humaine, « sacrée », a toujours été protégée et défendue23. Les droits de la défense sont essentiels24. La liberté d’opinion et de conscience, la liberté de la presse respectée25. De même que le secret des correspondances26. La liberté de circulation admise27. La propriété individuelle garantie28. Le domicile inviolable29. La famille placée sous la protection de l’État30. Les droits sociaux (éducation, santé), reconnus31. De même, que la liberté du travail et le droit de grève32.

D’une façon générale, Senghor a fermement tenu le Sénégal tout en en faisant un pays de liberté. La laïcité de l’État n’est pas un vain mot. Dans le domaine de l’éducation, de la formation, de l’information, de la culture, Senghor disait sa fierté d’y consacrer 30 % du budget de l’État. Senghor a laissé à son successeur ce qui était déjà un État de droit.

Pour Senghor, poète-président, il lui suffit de nommer les choses, les éléments de son univers enfantin pour « prophétiser la Cité de demain qui renaîtra des cendres de l’ancienne, ce qui est la mission du poète » (Senghor, 1956 : 160). C’est à son peuple que sa poésie est destinée : « Ma Négritude est truelle à la main, est lance au poing… Ma tâche est d’éveiller mon peuple aux futurs flamboyants » (Senghor, 1990 : 265).

Ainsi, entreprit-il de rassembler, de 1956 à 1966, les forces vives de la Nation dans son parti, de se réconcilier avec ses rivaux, de forger dans la Négritude des accords conciliants, tout en préservant l’idéal démocratique. Dans le socialisme démocratique qui est le nôtre, disait-il, l’important est moins le substantif que le qualificatif qui l’accompagne.

En organisant en avril 1966 le premier Festival mondial des arts nègres, il organise une véritable célébration de la Négritude, « offre à la terre entière le spectacle de la richesse du monde noir et fait du Sénégal, pendant quelques semaines, le pays de la fraternité humaine. En prenant l’initiative de faire de Dakar le point de convergence d’artistes de toutes les cultures noires et en les amenant à engager un dialogue avec les autres civilisations, Senghor préfigure l’ultime mission de la Négritude, qui est d’aider à l’avènement de la Civilisation de l’Universel » (Bourrel, 2006 : 50).

La francophonie et la Civilisation de l’Universel, la défense et l’illustration de la négritude ne suffiraient pas si le monde noir, si le continent africain, dépassant l’esclavage et la colonisation, ne faisait pas apport de ses valeurs de civilisation au monde. Il prit en compte les langues nationales du Sénégal33, tout en consacrant le français comme langue officielle34, car elle fait partie de notre personnalité nationale, que nous sommes des métis culturels, et qu’il faut à la République une grande langue de communication internationale, expliquait-il. Et il exerce « la magistrature de l’essentiel », selon la parole du pape Paul VI. Pour toutes ces raisons, il ne pouvait qu’engendrer et faire prospérer cet humanisme de différence qu’est la francophonie, fille de la liberté et sœur de l’indépendance.
« Si je suis entré à l’Académie française, c’était pour y faire entrer, en même temps et convivialité la Négritude en même temps que la Francophonie. Je veux dire la Civilisation de l’Universel, si chère à Pierre Teilhard de Chardin » (Senghor, 1988 : 201).

C’est par la langue française que sont transmises toutes les valeurs de la culture française, et c’est en ce sens que l’appartenance à la communauté des locuteurs francophones ne se résume pas à une compétence linguistique ; parler français, c’est participer d’un esprit, s’imprégner des valeurs universelles qu’il véhicule. La francophonie, dit Senghor, c’est “la communauté spirituelle des nations qui emploient le français, (Senghor, 1977 : 185) un idéal qui anime des peuples en marche vers une solidarité de l’esprit” (Senghor, 1977 : 194). En quoi constitue-t-elle « un pôle rayonnant de la Civilisation de l’Universel » (Senghor, 1977 : 185) ? Par les qualités de la langue française : le français offre à la fois « clarté et richesse, précision et nuance »35. « Sa syntaxe est incorruptible », disait Rivarol dans son célèbre discours. De plus, toujours selon Senghor, le français exprime une morale, un souci de l’Homme, à travers le Droit, la Littérature, l’Art et la Science. Surtout, c’est une langue éminemment poétique « qui permet à la fois l’expression de la raison discursive et de la raison intuitive, offrant par ses sonorités, par la richesse de son vocabulaire, par son style, un instrument remarquable au service de la poésie » (Giquet, 2006 : 73). Enfin le dernier degré d’universalité de la langue française réside dans son ouverture francophone : ce n’est plus une langue universelle, mais la langue de l’Universel.

Senghor prit une part importante dans l’organisation de la Francophonie : en 1961, avec la création de l’AUPELF36, en 1966 à l’occasion de la conférence de l’OCAM37, où il précisait son projet38 ; en 1967, quand il proposa que les parlementaires s’organisent et fassent naître l’AIPLF39 ; en 1970, avec le Prince Sihanouk du Cambodge et le Président Hamani Diori du Niger, pour soutenir la création de l’ACCT40. Il ne restait plus qu’à réunir les chefs d’État et de gouvernement.

Pour ce faire, le Président Senghor présenta un projet de « Communauté organique pour le développement des échanges culturels »41. Il recommandait, avec d’autres « d’aborder les problèmes économiques sous l’angle culturel ». Il expliqua :

« c’est qu’on assiste aujourd’hui à une évolution des esprits qui réclament le respect des valeurs : égalité des cultures, droits à la différence, respect des identités culturelles comme des croyances, connaissance des apports des cultures non occidentales, libres échanges entre les hommes et les cultures. La vie internationale subit les contrecoups de cette crise qui, dans les pays du tiers monde, apparaît comme la recherche d’une définition de soi-même par soi-même, selon ses réalités propres. L’interdépendance des cultures, les échanges que nouent entre elles des communautés culturelles apparentées, l’aspiration des peuples indépendants depuis peu, tout cela traduit une évolution qualitative des relations internationales »42.

C’était il y a vingt-six ans. Paroles actuelles. C’est le sens qu’il faut donner à l’action francophone qui a permis en octobre 2005 l’adoption à l’UNESCO de la « Convention sur la protection et la promotion de la diversité et des expressions culturelles ».

« La véritable culture est enracinement et déracinement. Enracinement au plus profond de la terre natale […]. Mais déracinement : ouverture à la pluie et au soleil, aux apports fécondants des civilisations étrangères » (Senghor, 1999 : 51).

Négritude et civilisation de l’Universel sont donc complémentaires. Ces deux mouvements sont interdépendants. Il ne saurait y avoir d’ouverture aux autres, sans une connaissance profonde de la sienne, de connaissance de sa propre culture si l’on ne comprend pas les cultures qui l’entourent. La Négritude est ainsi subsumée dans la « civilisation de l’Universel ». Senghor a fait la démonstration de ce que « L’homme noir apporte au monde ». C’est ainsi qu’il faut comprendre le sens et la signification du premier Festival mondial des arts nègres.

L’expression de « civilisation de l’Universel » vient du P.Teilhard de Chardin. Senghor se l’est appropriée. Cette vision, au-delà de la Négritude, conduit Senghor à proposer à son peuple une action politique basée sur un socialisme africain, une action culturelle de promotion de la Francophonie et une action poétique des Chants d’ombre aux Élégies majeures.

À la fin des années 40, on trouve sous la plume de Senghor l’idée de la supériorité des civilisations métisses : « La civilisation idéale […] ne saurait être que métisse, comme le furent les plus grandes civilisations de l’Histoire, celles de Sumer, de l’Égypte, de l’Inde, voire celles de la Chine et de la Grèce » (Senghor, 1964 : 96). Senghor est un métis culturel. Son second mariage avec une Française lui a donné un fils, un métis biologique, mort tragiquement et à qui il dédie une de ses élégies dans laquelle il crie sa douleur et celle de sa mère ; sa croyance dans l’au-delà lui permet de se dépasser :
« Je sors du labyrinthe, pensant à toi pensant aux adieux
de septembre
Et je m’approche de ta case aux senteurs de chants de
Musique
Quand j’entends monter vers le ciel : steal away, steal away, steal away to Jesus! » (Senghor, 1990 : 299)
Humanisme des temps contemporains, il faut édifier, dit Senghor, non pas une quelconque civilisation planétaire, mais une véritable civilisation de l’Universel, car aucune civilisation ne peut prétendre à l’Universel, « la spécificité d’une culture (étant) de mettre l’accent sur tels traits de l’être humain et pas sur les autres » (Senghor, 1999 : 69). Une véritable civilisation de l’Universel serait idéalement celle qui réunissant les apports complémentaires de chaque culture pourrait prétendre à une forme de totalité.

Conclusion

Dans sa pensée et son action, Senghor fut tout au long de sa vie de collégien, de professeur, d’écrivain et de poète, de député français du Sénégal, d’homme politique, de Président de la République du Sénégal, de retraité, Senghor fut constamment fidèle à la Négritude – son Royaume d’enfance l’y avait enraciné – qui le conduisit à plaider pour la décolonisation et l’autonomie et finalement pour l’indépendance dans l’amitié avec la France ; croyant dans un pays de croyants, il s’attacha à concilier sa foi religieuse avec le socialisme africain ; il fut un partisan convaincu de la démocratie pluraliste, même si à un moment donné, l’unité à laquelle il avait appelé les Sénégalais avait fait, pendant quelques années, de l’UPS, un parti presque unique ; il fut un militant déterminé de l’Unité africaine, de la Francophonie et de la civilisation de l’Universel ; il fut un président vertueux. C’était un humaniste, profondément attaché à la vertu du dialogue entre les hommes et les peuples ; pour la recherche de la paix, objectif majeur de la francophonie, il faut retenir les leçons qu’il n’a cessé de donner tout au long de sa longue vie. Il s’efforça de mettre ses actes en accord avec ses idées. Rigoureux en pensée, pragmatique dans l’action. Tel fut Senghor affirmant :

« La Négritude c’est aujourd’hui nous tous, hommes et femmes d’un monde dont le déchaînement des idéologies antagonistes, la frénésie des haines qui s’affrontent […], le sang versé et les larmes répandues » ne parviennent pas à taire l’invincible exigence de dignité et de fraternité. Pour nous tous, la Négritude est devenue Soleil de l’âme » (Senghor, 1990 : 85).

1 Section Française de l’Internationale Ouvrière.

2 Bloc Démocratique Sénégalais.

3 Senghor, « Lettre à Guy Mollet, Secrétaire général du parti socialiste SFIO », Liberté 2, Dakar, le 27 septembre 1948.

4 Gavroche, 8 août 1946.

5 1954.

6 1957.

7 1956.

8 Avril 1955.

9 AOF : Afrique occidentale française (Côte d’Ivoire, Dahomey, Guinée, Haute Volta, Mauritanie, Niger, Sénégal, Soudan).

10 Août 1960.

11 Lire ce que Senghor en dit dans ses entretiens avec Mohamed Aziza in « La poésie de l’action », p. 168.

12 Titre d’un livre d’entretiens entre Senghor et Mohamed Aziza aux éditions Stock (1980)

13 Bloc démocratique sénégalais.

14 Office de commercialisation agricole.

15 Banque sénégalaise de développement.

16 Centres régionaux d’assistance au développement.

17 Loi constitutionnelle ou n° 76-27 du 6 avril 1976.

18 Lire ce que Senghor en dit dans ses conversations avec Mohamed Aziza in « La poésie de l’action » p. 228.

19 Article 1er des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

20 Articles 2 et 3 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

21 Préambule des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

22 Articles 59-60-61 et 62 de la loi constitutionnelle du 29 août 1960.

23 Articles 6-7 et 19 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

24 Article 6 de la loi constitutionnelle du 29 août 1960.

25 Articles 8 et 9 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

26 Article 10 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

27 Article 11 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

28 Article 12 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

29 Article 13 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

30 Article 14 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

31 Articles 14-15-16-17 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

32 Article 20 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

33 Article 1 § 2 de la loi constitutionnelle du 7 mars 1963.

34 Idem.

35 Léopold Sédar Senghor, in « Conférence à l’occasion de la remise du diplôme de Docteur honoris causa, Université Laval, Québec, 12 septembre 1966.

36 Agence des universités partiellement ou entièrement de langue française.

37 Organisation commune africaine et malgache.

38 Discours de Senghor à l’OCAM.

39 Association internationale des parlementaires de langue française.

40 Agence de coopération culturelle et technique.

41 Communication de Léopold Sédar Senghor, à la 7e conférence franco-africaine de Nice (8-9-10 mai 1980).

42 Idem.

Bourrel, Jean-René, « La négritude ou le soleil de l’âme », Léopold Sédar Senghor, ADPE, 2006, p. 50.

Césaire, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1956, p. 65.

De Benoist, Joseph Roger, Léopold Sedar Senghor, Beauchesne, 2000, pp. 17-18.

Frédéric Giquet, « Édifier la seule civilisation qui soit humaine : la civilisation de l’Universel », Léopold Sédar Senghor, ADP, 2006, p. 73.

Senghor, Léopold, Ce que je crois, Grasset, 1988.

Senghor, Léopold, Chants d’ombre, Seuil, 1956.

Senghor, Léopold, Hosties noires, Seuil, 1948.

Senghor, Léopold, La poésie de l’action, Stock, 1980.

Senghor, Léopold, Liberté 1, Seuil, 1964.

Senghor, Léopold, Liberté 2, Seuil, 1971.

Senghor, Léopold, Liberté 3, Le Seuil, 1977.

Senghor, Léopold, Liberté 5, Seuil, 1999.

Senghor, Léopold, Œuvre poétique, Essais, 1990.

Senghor, Léopold, Éthiopiques, Essais, 1956.

1 Section Française de l’Internationale Ouvrière.

2 Bloc Démocratique Sénégalais.

3 Senghor, « Lettre à Guy Mollet, Secrétaire général du parti socialiste SFIO », Liberté 2, Dakar, le 27 septembre 1948.

4 Gavroche, 8 août 1946.

5 1954.

6 1957.

7 1956.

8 Avril 1955.

9 AOF : Afrique occidentale française (Côte d’Ivoire, Dahomey, Guinée, Haute Volta, Mauritanie, Niger, Sénégal, Soudan).

10 Août 1960.

11 Lire ce que Senghor en dit dans ses entretiens avec Mohamed Aziza in « La poésie de l’action », p. 168.

12 Titre d’un livre d’entretiens entre Senghor et Mohamed Aziza aux éditions Stock (1980)

13 Bloc démocratique sénégalais.

14 Office de commercialisation agricole.

15 Banque sénégalaise de développement.

16 Centres régionaux d’assistance au développement.

17 Loi constitutionnelle ou n° 76-27 du 6 avril 1976.

18 Lire ce que Senghor en dit dans ses conversations avec Mohamed Aziza in « La poésie de l’action » p. 228.

19 Article 1er des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

20 Articles 2 et 3 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

21 Préambule des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

22 Articles 59-60-61 et 62 de la loi constitutionnelle du 29 août 1960.

23 Articles 6-7 et 19 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

24 Article 6 de la loi constitutionnelle du 29 août 1960.

25 Articles 8 et 9 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

26 Article 10 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

27 Article 11 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

28 Article 12 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

29 Article 13 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

30 Article 14 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

31 Articles 14-15-16-17 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

32 Article 20 des lois constitutionnelles des 29 août 1960 et 7 mars 1963.

33 Article 1 § 2 de la loi constitutionnelle du 7 mars 1963.

34 Idem.

35 Léopold Sédar Senghor, in « Conférence à l’occasion de la remise du diplôme de Docteur honoris causa, Université Laval, Québec, 12 septembre 1966.

36 Agence des universités partiellement ou entièrement de langue française.

37 Organisation commune africaine et malgache.

38 Discours de Senghor à l’OCAM.

39 Association internationale des parlementaires de langue française.

40 Agence de coopération culturelle et technique.

41 Communication de Léopold Sédar Senghor, à la 7e conférence franco-africaine de Nice (8-9-10 mai 1980).

42 Idem.

licence CC BY-NC 4.0