Poétique du réalisme magique dans The Ventriloquist’s Tale de Pauline Melville : de la liminalité à la complexité

Claudie Gourg

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Claudie Gourg, « Poétique du réalisme magique dans The Ventriloquist’s Tale de Pauline Melville : de la liminalité à la complexité », Archipélies [Online], 5 | 2018, Online since 15 June 2018, connection on 14 December 2024. URL : https://www.archipelies.org/141

Au travers d’une saga familiale enjambant tout le XXe siècle, Pauline Melville explore la richesse et les ravages de différentes vagues de colonisation. Sa propre hybridité identitaire, comme celle de son pays, ne peuvent s’exprimer qu’au moyen du « réalisme magique ». Cet article se concentre sur les diverses techniques narratives mises en œuvre afin de transmuer ce qui est bel et bien une charge critique érudite et une dénonciation implacable, en une grande réhabilitation du mythe. La subversion esthétique par le merveilleux maîtrisé du mythe, se révèle le vecteur le plus apte à faire vivre un imaginaire en danger d’anéantissement.

Spanning the 20th century, Pauline Melville’s saga of an Anglo-Amerindian family of Guyana probes into the devastating effects of colonisation. Pauline Melvilles’s own hybridity, reflecting that of her country, finds ‘magic realism’ as the adequate means of rendering the complexity of entertwined imaginary discourses. The paper focuses on the technical strategies implemented in order to transmogrify a ruthless, highly documented indictment of colonisation into a powerful tribute to an endangered view of the universe that regards man as part and parcel of the cosmos.

Dans son premier recueil de nouvelles, Shape Shifter (1990), Pauline Melville s’inscrit dans la mouvance des contes du « trickster » Anansi ; en revanche, elle place son premier roman, The Ventriloquist’s Tale (1997), sous l’égide du Brésilien Mário de Andrade, le premier sans doute à être remonté aux sources des contes des Amérindiens Caraïbes Pemon (Sá, 2008), afin d’en dégager un fonds imaginaire proprement brésilien, affranchi de l’emprise européenne. Dans son sillage, elle entreprend de « revisiter »1 l’imaginaire de ses propres ancêtres du Guyana. Le roman est donc sous-tendu par des oscillations binaires, entre passé et présent, ici là-bas, dedans dehors, nature-culture et, pour ce qui est du propos actuel, entre magie et rationnel.

La notion de réalisme magique2 est souvent convoquée dès qu’une œuvre de la littérature mondiale interroge la notion de frontière dans les imaginaires. Il ne s’agira pas ici de théoriser plus avant le réalisme magique, car d’autres critiques ont déjà proposé des critères pertinents pour cette étude de cas. Le projet est d’explorer une poétique, au sens réhabilité par Paul Valéry, à savoir « tout ce qui a trait à la création ou à la composition d’ouvrages dont le langage est à la fois la substance et le moyen3 » ; en bref, d’explorer un « faire » créatif.

Dans ce roman de réécriture de l’histoire – de l’imaginaire, pourrait-on dire plutôt – à visée identitaire, oscillant entre des univers disjoints, la tentation de la conjonction emprunte les voies du « réalisme magique » tel que défini comme mode de représentation de la fiction narrative par Amaryll Chanady (1985)4. Selon elle, les composantes requises pour l’identification de ce mode narratif, communes au réalisme magique et au fantastique, sont au nombre de trois : 1) la coexistence de deux modèles antinomiques de représentation du monde – le naturel et le surnaturel ; 2) leur caractère « antinomique », mutuellement exclusif, étant « résolu » dans le cas du réalisme magique, mais « irrésolu » dans celui du fantastique ; et 3) la « réticence » de l’auteur implicite, qui se refuse à livrer des clés d’élucidation. Si le fantastique cherche à nourrir l’angoisse et le frisson, le réalisme magique assume ce double encodage, le « naturalise » en quelque sorte. Ainsi le narrateur magico-réaliste met-il en scène des événements troublants, mais, contrairement au narrateur fantastique, il ne souligne nullement l’irruption de l’irrationnel qui subit un traitement narratif formel conventionnel. Ce faisant, il vide le double encodage de son aspect problématique et le rend acceptable – ou « résolu » selon la terminologie de Chanady – ce qui ne n’en demeure pas moins déstabilisant pour le lecteur, placé en situation de dilemme : pourquoi l’instance narrative ne se distancie-t-elle pas de certaines affirmations insensées ?

Parler de réalisme magique implique donc de repérer les techniques de « résolution des antinomies ». Il semble utile néanmoins, de situer Pauline Melville, tout comme Mário de Andrade, en tant qu’écrivains, avant d’explorer les antinomies constitutives du récit, tant sur le plan manifeste des pratiques et croyances – des doxas – que sur celui plus subtil du dispositif narratif. Le résultat s’annonce paradoxal, car la technique narrative de ces auteurs, d’abord fondée sur le binaire et donc sur une problématique de la liminalité, finit par amorcer un basculement vers un univers de complexité, générateur d’aporie.

1. Pauline Melville et Mario de Andrade – aperçu

Le roman Le Conte du ventriloque est une plongée dans les profondeurs des savanes et forêts du Guyana, fondée sur deux repères historiques. L’un scientifique est la grande éclipse solaire de 1919, l’autre, littéraire, convoque l’équipée du romancier anglais Evelyn Waugh au travers des savanes du pays en 19335, épisode pour lui déprimant, relaté dans certains de ses écrits. La quête littéraire sert de fil d’Ariane à une jeune universitaire anglaise, Rosa Mendelssohn, venue sur les traces de l’écrivain, à la recherche de ceux qui l’ont hébergé, les McKinnon. Remontée dans l’espace, remontée dans le temps se conjuguent ainsi. À partir de cette entrée culturelle, Le Conte du ventriloque ré-active un grand mythe de cosmogenèse, commun à toute l’Amérique amérindienne : celui de la création de Lune, frère incestueux, enfui vers le ciel afin d’échapper à la honte, tandis que sa sœur est devenue, selon les groupes, soit le soleil soit l’étoile du berger.6 L’éclipse figurant l’inceste.

Dans cette configuration, Mário de Andrade (1893-1945) est un indice fort, car il est figure de proue du mouvement moderniste des années 1920, précurseur du « réalisme magique ». Musicologue, folkloriste de Sao Paulo, proche de Claude Levi-Strauss7, Mário de Andrade a donné forme à son rejet des influences européennes8 dans sa « rhapsodie romanesque » de 1928, Macunaima, œuvre fondatrice du modernisme brésilien. Le roman met en scène les divagations d’un « héros sans caractère » tant il est protéiforme, couard et menteur, caractérisé par l’instabilité spatiale et ontologique par le biais de la métamorphose, tantôt homme, tantôt enfant, tantôt blanc, tantôt noir, il est une nouvelle figuration du « trickster »9.

Comme Andrade, Pauline Melville est d’ascendance mêlée. Née en 1948 au Guyana, elle est issue de ce qu’elle nomme un « bouquet génétique » : « Je suis la blanchette du tas, le dieu trickster se manifeste sous une autre forme, il a enfilé l’habit scientifique de la génétique »10. Elle a débuté dans le monde du théâtre en Grande-Bretagne, dans le sillage de la révolution théâtrale des « angry young men » des années soixante, au Royal Court Theatre de George Devine, au National Theatre, auprès de Laurence Olivier, avant de se tourner vers l’écriture afin d’affirmer son hybridité. La scène lui interdisait de révéler la part occultée d’elle-même, celle de son père d’ascendance africaine, amérindienne et écossaise. Elle dit conserver précieusement le certificat de baptême d’un de ses ancêtres esclaves. Elle se perçoit comme une funambule en équilibre entre deux mondes, au-dessus de l’Atlantique11. Pour son projet de représentation de l’entre-deux, à visée identitaire, elle recourt à l’oxymore « réalisme magique ».

2. Les voies du réalisme magique

Comme mentionné précédemment, le réalisme magique se définit par une série d’antinomies constitutives, sous-jacentes. Quelles sont-elles dans le roman de Melville ? L’antinomie réside le plus souvent au plan thématique et/ou ontologique. Il se trouve qu’ici le choc des contraires se manifeste déjà dès le choix du dispositif énonciatif, car deux voix narratives opposées et cependant mêlées se succèdent : celle d’un conteur-scripteur homodiégétique, dans un récit-cadre, formé d’un prologue et d’un épilogue, et celle d’un narrateur hétérodiégétique dans le noyau central de la diégèse.

La voix narrative est ainsi d’abord celle d’un conteur-scripteur, dont elle a les caractères : style enlevé, adresse directe au lecteur, accent mis sur la corporéité, plaisanterie scatologique, incohérences et digressions. Ce conteur propose une improbable anti-biographie, s’exhibant ainsi figure de l’entre-deux, du non certain, homme ou esprit, positionné quelque part entre ciel et terre :

Un certain ressentiment contre mon biographe, le fameux Senhor Mário de Andrade, brésilien de son état me pousse à vous dire qu’il s’est trompé quand il a cru bon de me reléguer prématurément au ciel, d’une façon si désinvolte et si cavalière. Je suppose qu’il s’est dit que j’allais rester couché à tout jamais parmi les étoiles à palabrer – comme c’est la coutume chez nous autres Indiens d’Amérique du Sud, la nuit dans notre hamac – et à cracher par-dessus bord pour que la rosée matinale soit faite de bave d’étoile (9)12.

Il se refuse à livrer son nom : « Vous pouvez m’appeler Chico. C’est le nom de mon frère, soit, et alors ? Là d’où je viens, ça ne se fait pas de donner trop facilement son vrai nom 13» (10). En revanche il dresse son arbre généalogique, remontant jusqu’à « un groupe de pierres en Équateur ». Lorsqu’il s’efface afin de laisser place au narrateur conventionnel à l’occidentale, il clôture l’espace du conte à la façon des dessins animés : « that’s all folks », « Voilà, c’est tout pour le moment, braves gens14 » (19). Si l’identité demeure floue, le nom de Mário de Andrade, oriente vers Macunaima, figure mythique des Indiens Macusi.

Ce cadre prologue-épilogue est le lieu du conflit des esthétiques, véritable manifeste métatextuel, visant à la carnavalisation des conventions « réalistes », que rend possible le positionnement liminal de la voix narrative. En effet, ce conteur est du dedans et du dehors : il participe du savoir des deux univers. Ainsi connaît-il assez les conventions du roman occidental pour les railler : « Vous avez tous oublié de quoi sont faits les héros » (…) « Une bande de héros en dessous de zéro. Une bande de minables, englués dans l’histoire ou pis dans la psychologie »15. Et comme sa grand-mère il se méfie de l’écrit :

Elle dit que tout écrit, c’est de la fiction. Même un texte qui prétend s’en tenir aux faits, qui reporte la date de naissance de quelqu’un et la date de sa mort, est une sorte de fabrication. Vous croyez vraiment que la vie d’un homme se pend entre deux dates comme un hamac ? Pendu au milieu de l’Histoire sans point d’appui visible ? Il faut plus d’une vie pour faire une personne16 (11).

Comme elle, il glorifie le mensonge, car si « la vérité change », « la variété reste constante », et exalte la réalité du mythe. Pourquoi alors décide-t-il soudain de se faire narrateur ? À « la demande générale », dit-il, celle des mots, qu’il a arrachés à un lit de rivière et qui ont fait resurgir des squelettes du passé en une loufoque danse macabre : c’est « la danse entrechoquée d’ossements en délire » qui l’a alors désigné comme le champion des mots. Le voici donc endossant le rôle de narrateur réaliste : « Pourquoi le réalisme ? Vous demandez-vous. Parce qu’il faut de nos jours du réalisme pur et dur. Le fait est roi. L’imagination à la niche » (17)17.

Paradoxalement, la métamorphose du conteur en narrateur réaliste, censée produire un « effet de réel », va embrayer sur une subversion interne. Certes, ce narrateur-là va se faire non intrusif, s’exprimer dans la langue dominante, mais bien qu’hétérodiégétique, il va se révéler totalement « unreliable », non fiable, en ce qu’il va traiter le magique sur le même plan que le rationnel. Procédant à rebours de la « défamiliarisation » chère aux formalistes russes, il va naturaliser l’étrange et sous couvert de posture réaliste, subvertir le récit réaliste de l’intérieur. Ce double encodage formel, pointe vers les antinomies diégétiques constitutives.

3. Antinomies diégétiques

Ces antinomies nous sont familières, car elles sous-tendent la quasi-totalité des écrits du réalisme magique ; il suffit ici de les illustrer. Les oppositions binaires découlent du choix des protagonistes. Trois générations d’une famille anglo-amérindienne permettent des allers-retours entre le début du XXe siècle et le Guyana contemporain, entre les systèmes de croyances et de valeurs amérindienne et européenne. Le clan McKinnon s’organise autour d’Alexander McKinnon, écossais, arrivé au début du XXe siècle dans les savanes du sud, recueilli par une famille amérindienne, dont il épouse les deux filles Maba et Zuna. Il se fixe là, a des enfants parmi lesquels Danny et Béatrice et leur demi-sœur Wifreda. Ainsi vont coexister et s’hybrider deux systèmes de pratiques et de croyances antinomiques. La dernière génération est resserrée autour de Chofy, ou Chofoye, leur neveu, obligé de se rendre à Georgetown, capitale du Guyana, où il rencontre une universitaire anglaise, un anthropologue tchèque, des prospecteurs miniers et tout le petit monde cosmopolite du littoral.

L’auteur implicite a pris soin de cliver la pensée occidentale en deux composantes selon les époques : la pensée rationnelle du progrès, figurée par McKinnon, libre penseur, très sceptique sur toutes les religions, et épris de technique, qui sans cesse invente et monte des expériences. L’autre versant de la colonisation, sa composante religieuse, est figurée par le Père Napier, jésuite écossais, venu évangéliser les peuples des savanes. Dans la section contemporaine, le clivage s’inscrit entre deux formes de prédation : la prédation « anthropophagique » de la connaissance universitaire et la prédation économique des prospecteurs miniers canadiens, la Hawk Oil, au nom évocateur. Connaissance universitaire anthropophagique en effet, car chercheurs littéraires et anthropologues viennent pour s’approprier le savoir des savanes. L’anthropologue Wormoal confie à l’universitaire Rosa : « C’est l’information qui est la nouvelle richesse » (Information is the new gold) ; il poursuit : « La connaissance que j’ai des Indiens est une façon de prendre possession d’eux – je l’admets. Nous leur disputons la possession du territoire intellectuel. Mais c’est mieux que de voler leur terre, n’est-ce pas » ? (100)18.

L’antinomie des pratiques se cristallise sur la figure de McKinnon, inlassable entrepreneur, toujours prêt à se lancer dans des projets invariablement voués à l’échec, sous le regard narquois de la famille : « il finit par comprendre qu’ils se moquaient de l’idée de progrès, méprisaient la nouveauté qu’ils traitaient avec suspicion. La nouveauté en fait, était dangereuse. Elle signifiait quelque défaut dans l’état actuel des choses »19. C’est par le biais du discours de l’autre (style indirect, direct ou indirect libre) qu’est restituée la pensée autochtone : son beau-père « expliqua à McKinnon qu’il était futile de changer quoi que ce soit à la vie quotidienne. Elle n’était qu’une illusion derrière laquelle se dérobait la réalité immuable du rêve et du mythe. […] Nous cherchons le masque derrière le visage, dit-il en agitant son doigt et en riant » (121-122)20. L’idéologie du progrès est ainsi massivement invalidée par ses échecs répétés.

La pensée autochtone, de type analogique, évoque la célèbre formule des alchimistes : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas »21. Elle postule l’analogie entre macrocosme et microcosme, que l’oncle Shibi-Din enseigne au jeune Danny en lui indiquant que « tout ici-bas a son maître dans le ciel » (149), « Tout ce qui bouge je veux dire. Il n’y a pas de plantes ni d’arbres dans le ciel parce qu’ils ont des racines et ne peuvent pas bouger »22. À ceci près que Shibi-Din ajoute un volet singulier : il enseigne la métamorphose des êtres et leur circulation entre terre et ciel : « Danny s’imprégna de tout ce savoir. Il apprit que toute constellation avait été une créature terrestre qui s’était réfugiée au ciel pour fuir la persécution et pour protéger une créature particulière » (149)23. Il y a osmose entre l’humain et la nature, entre l’humain et le cosmos. D’une manière générale, l’humain monte au ciel dès l’instant qu’il menace l’ordre terrestre24.

Emblématique de cette antinomie des systèmes de pensées est l’épisode séminal de l’éclipse de Soleil, du 29 mai 191925. L’éclipse solaire était attendue par la communauté scientifique et par McKinnon26, car on savait que cette conjonction allait permettre de vérifier la théorie d’Einstein. Féru de photographie, McKinnon avait installé un laboratoire pour fixer cet instant. Ses femmes, de leur côté, demeurent interdites à l’annonce de l’événement, car l’éclipse c’est le chaos sur terre :

C’est honteux, une éclipse. Ça amène le chaos. Des monstres sortent de la jungle pour attaquer les gens. Les gros anacondas qui flottent sur les rivières, quand l’éclipse elle arrive, ils lèvent leur grande tête jusqu’au ciel. Même les morts se relèvent pour voir ce qui se passe. Et tout peut changer en quelque chose d’autre. Des animaux en gens. Des gens en animaux. Les morts et les vivants se confondent27 (214).

Lorsque l’obscurité et le silence se sont abattus sur la savane, alors que McKinnon s’affairait autour de ses objectifs, tous les villageois terrorisés ont lancé un grand tohu-bohu, tiré coups de feu et flèches en direction du ciel afin séparer les deux astres. Tous les pots et autres contenants de liquide ont été renversés, y compris les préparations de McKinnon, car susceptibles de retenir l’éclipse. Mais sur un plan dramatique, c’est précisément l’éclipse – figuration mythique du tabou de l’inceste frère-sœur, qui révèle à Mamaï Maba la relation de ses enfants Danny et Beatrice. Ceci est restitué en focalisation interne : « On eût dit qu’il n’y avait aucun moyen d’échapper à ce qui devait arriver » (214). Elle consulte alors les ossements de son père, accrochés dans un sac, puis entreprend d’informer McKinnon. Effectivement, le chaos s’abat sur la famille.

4. Résolution de l’antinomie

Au plan narratif, les deux types de discours se déploient sur le mode rhétorique de l’asyndète (absence de mot de liaison), car le narrateur se borne à accoler les discours des uns et des autres, sans commentaire. Le lecteur ne se voit plus imposer un discours d’autorité, chacun des deux étant également recevable. L’étrange est rendu naturel, ou « résolu » ; ce qui induit, comme au théâtre, pour reprendre l’expression de Coleridge « a willing suspension of disbelief » (mise en suspens délibérée de l’incrédulité ou sidération consentie de l’esprit critique), qui sera plus tard appelée « la dénégation théâtrale » (Anne Ubersfeld).

Parmi les techniques de naturalisation du surnaturel, deux sont privilégiées : d’une part le débrayage énonciatif – shifting out – qui délègue la parole à un narrateur secondaire, exprimant l’une des deux doxas, d’autre part le basculement brutal de la focalisation externe vers la focalisation interne, assorti des modalités linguistiques du certain, d’où cet effet de polyphonie, qui prend ici le nom de « ventriloquie ».

Soit par exemple, l’épisode de la guérison chamanique de Béatrice, atteinte de rougeole28. Toute la communauté villageoise se rassemble en silence dans le carbet entièrement occulté, noyé dans la fumée de tabac, où opère la « piaï », Koko Lupi. Les villageois restent passifs, mais leur présence est requise pour l’accomplissement du rite. Le narrateur relate en focalisation externe les palabres de Koko avec les esprits : elle repousse les inutiles, comme la loutre géante et l’ara macao et appelle celui qui entretient un rapport d’analogie avec la maladie, l’esprit du jaguar (123-126). Sans transition, la focalisation se fait interne, à ceci près que le psychisme investi est celui de l’actant collectif des villageois : « Après une longue attente vint le son à nul autre pareil du reniflement guttural d’un jaguar et un rugissement extraordinairement profond se répercuta à travers la pièce », puis « La pièce bondée était silencieuse. Tout le monde put entendre le jaguar s’approcher du lit à pas feutrés, renifler, feuler et s’éloigner de nouveau à pas feutrés 29» (125). La modalisation ici est catégorique, car l’indicatif passé dénote la modalité du certain : on lit non pas « crut entendre », mais « put entendre ». La magie est ainsi donnée pour réelle. Toutes les manifestations magiques, qui foisonnent dans ce roman, sont ainsi traitées, sans exception, par le décrochement vers la focalisation interne, étayée par les modalités du certain.

Parmi les multiples manifestations du surnaturel, ainsi authentifiées, émerge la réincarnation (re-enactment) du mythe par Danny et Béatrice, et l’étrange parenté de Béatrice avec le soleil, agent de sa vengeance. Ainsi les deux amants ont-ils été obligés de fuir, car Wifreda les a vus ; ils coulent alors des jours de félicité à l’unisson avec la nature, jusqu’au moment de l’éclipse, annoncée par d’étranges présages (239). Danny, tremblant de terreur, s’abandonne aux soins de Béatrice : ils conçoivent leur enfant au moment même de l’éclipse. Béatrice, ne parvenant pas à le calmer entreprend de lui enserrer le corps dans un fin maillage de lignes tracées à la teinture de genipa.

Ce faisant, tous deux accomplissent le mythe : ils concrétisent le lien inceste-éclipse et Béatrice couvre de teinture le corps de son frère. Cette pratique, rapportée dans toutes les variantes amérindiennes, et celle-là même qui est contée au chapitre précédent (224-227) – à un détail près. En effet, dans les mythes recueillis, la sœur enduit de genipa le visage du frère incestueux afin de le confondre à la lumière du jour ; c’est pour cela qu’accablé de honte, Lune est monté au ciel, où il présente encore sa face barbouillée.

Danny a accompli le rôle de Lune, Béatrice quant à elle est liée de façon mystérieuse au soleil ; elle semble avoir été l’élue : elle a reçu son initiation sexuelle d’un rayon de soleil (152). Plus tard, au moment de se venger du Père Napier, qui lui a arraché Danny, elle s’éloigne dans la savane et, telle une prêtresse en transe, en appelle au soleil30. C’est lui qui accomplira la vengeance, car la piaï, en remettant les graines qui vont anéantir le Jésuite, ajoute : « Moi non plus, je n’aime pas cet homme. Il cherche à éliminer le soleil du ciel. Lui et son dieu mort sur un bâton. Il croit qu’il peut venir se mettre entre le soleil et la lune. Donne-lui ça et laisse faire le soleil. Le soleil va l’achever 31» (279).

Aussitôt dit, aussitôt fait, les chapitres suivants retracent l’agonie du Père Napier, fuyant la brûlure du soleil, incendiant la totalité des missions qu’il a construites est finalement obligé d’admettre, en focalisation interne et en style indirect, la victoire du soleil-jaguar : « Par moments, un formidable rugissement déferlait sur lui de tous côtés, comme si le soleil s’était métamorphosé en un jaguar sur le point de l’attaquer » (298). Le Christ lui-même est défait : « En dépit de tous les efforts qu’il faisait pour prier et maintenir l’image du Christ devant lui, les histoires que lui avaient racontées les garçons s’insinuaient dans son esprit : le soleil habillant le jaguar de jaune pour en faire son représentant sur terre ». L’instant d’après, l’assertion se fait catégorique, « Le soleil jaguar se mit à rugir et à lui lacérer la peau 32» (298).

Si les doxas sont nettement contrastées, les modalités de négociation entre les deux se révèlent autrement complexes, source de brouillage des frontières, d’insoluble enchevêtrement. La coexistence entre rationnel et surnaturel se déploie sur le mode de la contiguïté (oxymore ou asyndète), mais l’interaction des deux, le brouillage des frontières, s’organise non seulement par le biais des décrochages des voix narratives ou de la focalisation, mais surtout au moyen de la dislocation structurelle du récit. C’est plus par celle-ci que par les images qu’est noué ce complexe écheveau. On peut parler ici non plus de poétique de la liminalité, mais de poétique de la complexité.

5. Poétique de la complexité

Pauline Melville, confrontée elle-même, comme Béatrice, aux regards perplexes des autres pensionnaires au couvent à Georgetown, se voit comme source de confusion et ne cesse de préciser son aversion des catégories nettes. Il s’agit pour elle de « passer outre les oppositions nettes, de susciter le doute, ébranler les opinions, faire bouger les frontières et déjouer les identités fixes »33.

Du côté des Européens, peu d’ambiguïté : ils demeurent du dehors, quoi qu’ils puissent tenter. Même le mécréant McKinnon, dès la découverte de l’inceste, en appelle au Jésuite et décide de partir. En témoigne tout au long du roman l’isotopie de l’aveuglement qui les enserre tous dans un même réseau : le colon historique Mynheer Nicklaus, qui ne voyait rien ; McKinnon, l’expert en optique, qui n’a rien vu ; et Evelyn Waugh, le romancier qui a côtoyé l’enfant merveilleux de l’inceste, Fiston-Sonny, fils du soleil, monté au ciel par un arc-en-ciel de flèches, et n’a vu qu’un arriéré mental.

En revanche, les comportements des personnages hybridés ne se réduisent pas à la seule alternance codique : chez eux la confusion prévaut, due à la porosité des frontières. Wifreda, bonne chrétienne, a compris quel sort s’abat sur le père Napier et lui glisse un antidote industriel dans le sac. Plus tard, venue se faire opérer les yeux à Georgetown, elle a la vision de sa sœur Béatrice au moment même où une cécité inexpliquée s’abat sur elle. Elle ressent alors que s’accomplit la malédiction de Béatrice : « je te rendrai aveugle comme un termite ». À l’époque contemporaine, le moderne Chofy est troublé d’entendre la signification de son nom, divulguée par l’anthropologue, et la suite lui donnera raison, car cette divulgation, source de malentendu, va entraîner la mort de son petit Blabla. On pourrait dire qu’ils sont le lieu même du dialogisme au sens de Bakhtine, coexistence dans une même conscience de deux discours croisés ; quand il s’agit de discours structurants, on peut, comme les Américains, parler de « négociation de l’identité ».

Le brouillage des frontières est au cœur des préoccupations de l’auteur. Pour ce faire, elle s’attache à organiser un chaos narratif par le morcellement et l’imbrication des fragments. Il y a d’abord eu cette rupture épistémologique entre le récit-cadre conté et le corps de la diégèse, narré à l’occidentale. Au sein même de la diégèse s’insère un second phénomène d’enchâssement, car la première et la troisième partie se déroulent au Guyana contemporain, tandis que la partie centrale représente une vaste analepse (flashback), qui retrace les premiers temps du clan McKinnon.

Cette vaste analepse elle-même se fracture en une myriade de séquences – c’est-à-dire de scènes distinctes, séparées par différents types de disjonctions : disjonction actorielle, narratologique, temporelle, spatiale ou thymique, etc. En termes de dislocation temporelle, le roman est proprement vertigineux : le chapitre 3 qui se passe au présent, par exemple, est fait de trois analepses renvoyant à trois épisodes distincts de la vie de Rosa Mendelssohn. Au sein même de l’analepse qui relate sa rencontre en Angleterre avec Nancy Freeman, la préceptrice des enfants McKinnon, celle qui a « coupé les cheveux d’Evelyn Waugh », sont insérées deux autres analepses, dont le récit de l’arrivée du romancier un mercredi des cendres (65), sans parler de furtives prolepses. La dislocation se retrouve au niveau de la structure générale, des parties et des sous-parties, d’où la notion d’auto-similarité, riche de complexité.

Comme la linéarité chronologique, la linéarité narrative est constamment brisée par le jeu d’insertions multiples : micro-récits avec débrayage énonciatif : récits des mères, des grand-mères, oncles, récits et mime de scènes mythiques, ou encore de multiples saynettes (micro-scenarii), pittoresques, exemples d’hypotypose, de la vie quotidienne d’aujourd’hui ou d’hier. Le monde européen fait l’objet d’insertions hétérogènes de documents parfois authentiques, comme l’extrait du journal The Times du 12 novembre 1917, annonçant l’expérience de la « pesée de la lumière » ou un essai de l’anthropologue Wormoal, qui recèle des citations verbatim de Levi-Strauss. L’esthétique est celle de la dislocation et du collage.

Cette dislocation contrôlée abolit tous les discours d’autorité sans pour autant que s’impose une lecture alternative, car l’effet de polyphonie, de ventriloquie, prévaut. La fracturation a pour effet de ballotter le lecteur dans une cascade d’inclusions imbriquées, pourvoyeuses de chaos. La pulsation binaire a cédé place à une esthétique de la complexité, qui induit au plan thématique un discours de l’indécidabilité, de l’aporie. Ce discours de l’indécidabilité – celle du peuple effacé – est porté par Tenga, le cousin de Chofy, habitant en périphérie de Georgetown : « Tu dis que nous devons nous mélanger, dit amèrement Tenga. Comment faire ? Nous sommes finis si nous nous mélangeons. Et nous sommes finis si nous ne nous mélangeons pas »34 (72). Il se sent enfermé dans un zoo humain, pour touristes et ajoute : « on ne leur montre pas ce qui grandit le plus vite, par ici. La partie du cimetière réservée aux enfants »35 (71). L’avenir semble oblitéré par ce massacre des Innocents, que dramatise le roman au fil des générations par le biais de la mort du petit Ignace, mort d’épuisement, victime du zèle évangélisateur du Père Napier ; du petit Linus, empoisonné avec lui ; plus tard, de Blabla, fils de Chofy, victime du contresens fait sur le nom de son père Chofoye, « explosion des eaux ». La tentation du néant est forte : autrefois, Béatrice s’est abandonnée à l’eau de la crique dans l’espoir que la mère de l’eau allait l’aspirer. Aujourd’hui, les amis de Chofy s’abandonnent à l’alcool et à ce camion fou, qui déboule vers le néant : « Nous allons mourir, reprenait en chœur la camionnée d’Indiens à l’adresse des étoiles au-dessus d’eux »36 (75). Du reste, dans ce foisonnement d’humanité, seuls deux personnages demeurent sans nom, ce sont le gardien arawak du home amérindien, qui ne parle même plus sa langue, et l’Amérindienne canadienne paupérisée, qui s’exhibe au cirque, dans un cercueil de glace.

Il ressort de ces mises en abyme vertigineuses, une poétique de l’interstice par où sourdent de multiples possibles sans qu’aucun ne puisse jamais s’affirmer. L’instance narrative duelle est elle-même instable, n’oublions pas que le narrateur est en réalité le conteur Macunaima, qui comme dans la leçon de chasse au daim, utilise des stratagèmes mimétiques afin de mieux tromper sa proie.

Peut-on dire alors comme le fait Faris (2004), que le réalisme magique ouvre au « ré-enchantement du réel » ? C’est oublier trop vite l’implacable rigueur de l’instance organisatrice du récit. De ce vortex savamment organisé surgit une très ancienne fonction du langage, selon le maître Jakobson, la fonction illocutoire – performative disent d’autres – par laquelle le langage opère une transformation du réel. Il enclenche ici le processus d’anamnèse, le travail mémoriel de l’imaginaire. S’affirme aussi la plus magique des fonctions du langage, la fonction poétique37, qui « projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison » – en clair, qui met en co-présence dans la chaîne linguistique, une épaisseur de significations entrelacées. On est bien là dans une poétique de la complexité ou de la relation. En récusant la clôture du sens, l’œuvre vient convoquer le lecteur à sa place de co-constructeur ; à lui d’ouvrir son chantier.

1 Pour reprendre un terme immortalisé par l’une des figures du roman, le romancier Evelyn Waugh, auteur notamment de Brideshead Revisited (1946).

2 On sait qu’elle a surtout été associée aux auteurs sud-américains ou antillais, mais elle s’est répandue dans la critique anglophone par le biais d’

3 Paul Valéry dans son discours inaugural au collège de France (1939) : « Propos sur la poésie », Œuvres, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1957, t.1

4 La définition du réalisme magique par Chanady (proposée dans sa publication en langue anglaise de 1985) a été reprise et traduite en français dans

5 Cf. Robert Ness 2007 et Kerry-Jane Wallart 2008.

6 Figure en épigraphe du roman cette citation de Lévi-Strauss : « Il est un mythe répandu dans les deux Amériques, depuis le Sud du Brésil jusqu’au

7 Cf. Antoine de Gaudemar, interview de Claude Levi-Strauss, Libération, 6 février 1997 : « Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Mário de

8  « Rhapsodie » fondée sur les légendes collectées par l’anthropologue allemand Theodor Koch-Grünberg (Vom Roroima zum Orinoco, vol. IV, 1924).

9 Nom généralement traduit par « frippon » ou « farceur » en français », ou « décepteur » par des anthropologues comme Lévi-Strauss.

10 “I am the whitey in the woodpile. The trickster god now appears in another guise. He has donned the scientific mantle of genetics” (Stouck, 2005).

11 « Once I dreamed I returned by walking in the manner of a high-wire artist, arms outstretched, held across a frail spider’s thread suspended sixty

12  La pagination des citations en français renvoie à la traduction de Christian Surber, éditions Zoë, 2002. “Spite impels me to relate that my

13 “You can call me Chico. It’s my brother’s name but so what? Where I come from it’s not done to give your real name too easily” (Melville, 1998 : 1)

14 Il reproduit en cela le type-même de clôture que rapporte Chapuis dans sa collecte des mythes wayana de Guyane française (Chapuis, 2003).

15  “Sub-zero heroes. A puny bunch, embedded in history, or worse, psychology” (Melville, 1998 : 2).

16 “She says all writing is fiction. Even writing that purports to be factual, that puts down the date of a man’s birth and the date of his death, is

17 “Why realism, you ask. Because hard-nosed, tough-minded realism is what is required these days. Facts are King. Fancy in in the dog-house” (

18  “My knowledge of the Indians is a way of owning them – I admit it. We figt over the intellectual territory. But it’s better than stealing their

19  “...gradually he came to realise that they laughed at the idea of progress, despised novelty and treated it with suspicion. Novelty, in fact, was

20 “...explained to Mc Kinnon that there was no point in trying to do anything about everyday life. It was an illusion behind which lay the unchanging

21 Attribuée à Hermès Trismégiste et qui sous-tend l’œuvre de Shakespeare.

22 ““Everything has its master in the stars,” explained Shibi-Din. “Everything that moves, that is. You don’t find plants and trees in the sky because

23 “Danny soaked up all that knowledge. He learned that each constellation was a being who used to live on earth and had gone up to the sky to avoid

24  « ... cela équivaut pour la société [wayãmpi] à la perte d’un membre gangrené, d’un membre qui ne veut plus jouer le jeu. Par son comportement

25 Ce qui fut fait grâce à deux expéditions : l’une à Sobral au nord du Brésil, l’autre conduite par Sir Arthur Eddington dans le Golfe de Guinée. Sur

26 Article daté du 12 novembre 1917.

27  “An eclipse is a disgrace. It brings chaos. Monsters come out of the bush and attack people. The big anacondas that float in the rivers, when an

28  Measles est incorrectement traduit par « oreillons » (mumps) dans l’édition Zoe.

29 “After a long wait, there came the unmistakable sound of a jaguar’s throaty snuffle and a phenomenally deep roar rumbled round he room”. […]

30  ‘Some distance from the house, she stepped for a moment on to a large flat rock-stone that lay across the path. Standing in the sun, in the full

31 ‘I don’t like him either. He tries to strike the sun out of the sky. Him with his dead god on a stick. He thinks he can stand between the sun and

32  ‘Every so often a tremendous roaring engulfed him on all sides, as if the sun had turned into a jaguar on the attack [….] However hard he tried to

33  “...breaking down perceptions, stirring up doubt, rattling judgments, shifting boundaries and unfixing identities’ (Melville, in Bugsby, ‘Beyond

34 ‘“You say we should mix,” said Tenga bitterly. “What to do? We’re destroyed if we mix. And we are destroyed if we don’t”’ (Melville, 1998 : 55).

35 ‘ We don’t show them what grows fastest here – the children’s part of the burial ground’ (Melville, 1998:54).

36  ‘“We’re going to die. We’re going to die,” chorused the truckload of Indians to the stars above’ (Melville, 1998:57).

37 ‘Selon quel critère linguistique reconnaît-on empiriquement la fonction poétique ? En particulier, quel est l’élément dont la présence est

Sources primaires

Œuvres étudiées :

Andrade, Mário de, Macunaima, trad. Jacques Theriot, Paris, UNESCO, 1997 (1° ed. Paris, Flammarion, 1979)

Melville, Pauline, The Ventriloquist’s Tale, London, Bloomsbury, 1998 (1° ed. 1997).

Melville, Pauline, Le Conte du ventriloque (trad. Christian Surber), Paris, éditions Zoé, 2002.

Autres œuvres de Pauline Melville :

Melville, Pauline, Shape-Shifter, Londres, Telegram Books, 2011 (1e éd. Londres, Picador, 1990).

Melville, Pauline, Le Jeu des transformations, Paris, Zoé, 2006.

Melville, Pauline, The Migration of Ghosts, Londres, Bloomsbury, 1998.

Melville, Pauline, La Transmigration des âmes, Paris, Zoé, 2004.

Melville, Pauline, Eating Air, Londres, Telegram, 2004.

Recueils de récits et mythes amérindiens du département de la Guyane française :

Chapuis, Jean, Wayana eitoponpë, (une) histoire (orale) des Indiens Wayana, Paris, Ibis Rouge éditions, 2003. Edition électronique, : http://classiques.uqac.ca/contemporains/chapuis_jean/Wayana_eitoponpe/Wayana_eitoponpe.html

Ouvrages critiques

Abrioux, Yves, (ed), Littérature et théorie du chaos, revue TLe (THEORIE, Littérature, enseignement), Presses Universitaires de Vincennes, n°12, 1994.

Busby, Margaret (ed), Daughters of Africa, London: Jonathan Cape, 1992.

Cordesse, Gérard, “Auto-similarité et complexité”, in Abrioux, Yves, (ed), 1994, pp. 103-114.

Faris, Wendy B, Ordinary Enchantments. Magical Realism and the Remystification of Narrative, Nashville, Vanderbilt University Press, 2004.

Flores, Angel, « Magic Realism in Spanish American Fiction ». Hispania 38.2, Mayo 1955, pp. 187-92.

Jakobson, Roman, Essais de linguistique générale. T1, Paris, Éditions de Minuit, 1963 (rééd. 2003, Seuil, coll. « Points »).

Koch-Grünberg, Theodor, Vom Roraima zum Orinoco. Ergebnisse einer Reise in Nordbrasilien und Venezuela in den Jahren 1911–1913. Vol. IV. Stuttgart, Strecker und Schröder, 1924 (réédition Cambridge University Press, 2009).

Melville, Pauline. “Beyond the Pale”, in Busby, 1992, pp. 739-743.

Melville, Pauline Interview par Maya Jaggi, The Guardian, 02.01.2010.

Ness, Robert. “Not his sort of story”: Evelyn Waugh and Pauline Melville in Guyana”. Ariel, A Review of International English Literature, U. of Calgary Press, vol. 38, n°4, 2007, pp. 51-66.

Scheel, Charles W. Magic versus Marvelous Realism as Narrative Modes in French Fiction, Ph.D. Dissertation, University of Texas at Austin, 1991.

Scheel, Charles W, Réalisme magique et réalisme merveilleux. Des théories aux poétiques. Paris, L’Harmattan, 2005.

Scheel, Charles W « Le Réalisme magique : mode narratif de la fiction ou label culturaliste ? » in Etudes culturelles, anthropologie culturelle et comparatiste, vol.II, Didier Souiller et al (ed), Dijon, Editions du Murmure, 2010, pp. 211-222. http://www.academia.edu/769880/Le_realisme_magique_mode_narratif_de_la_fiction_ou_label_culturaliste

Stouck, Jordan. « Return and Leave and Return Again : Pauline Melville’s Historical Entanglements », Anthurium, A Caribbean Studies Journal, U. of Miami. vol 3, issue A. Spring, 2005.

Wallart, Kerry-Jane, “Einstein, Evelyn Waugh and the Wapisiana Indians : Ventriloquism and Eclipses in Pauline Melville’s The Ventriloquist’s Tale”, Commonwealth - Essays and Studies, Vol 31, n°1, Autumn 2008, pp. 36-47.

1 Pour reprendre un terme immortalisé par l’une des figures du roman, le romancier Evelyn Waugh, auteur notamment de Brideshead Revisited (1946).

2 On sait qu’elle a surtout été associée aux auteurs sud-américains ou antillais, mais elle s’est répandue dans la critique anglophone par le biais d’un article marquant d’Angel Flores intitulé « Magic Realism in Spanish American Fiction », publié aux États-Unis en 1955. Puis elle a été diffusée dans bien d’autres champs littéraires, au point de devenir comme un passage obligé dans le champ protéiforme de la littérature dite post-coloniale (voir à ce sujet l’avant-propos et l’introduction de Scheel 2005).

3 Paul Valéry dans son discours inaugural au collège de France (1939) : « Propos sur la poésie », Œuvres, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1957, t.1, 1362.

4 La définition du réalisme magique par Chanady (proposée dans sa publication en langue anglaise de 1985) a été reprise et traduite en français dans la plupart des travaux de Charles Scheel (notamment dans sa publication de 2005).

5 Cf. Robert Ness 2007 et Kerry-Jane Wallart 2008.

6 Figure en épigraphe du roman cette citation de Lévi-Strauss : « Il est un mythe répandu dans les deux Amériques, depuis le Sud du Brésil jusqu’au détroit de Béring en passant par l’Amazonie et la Guyane, et qui établit un lien direct entre les éclipses et l’inceste ».

7 Cf. Antoine de Gaudemar, interview de Claude Levi-Strauss, Libération, 6 février 1997 : « Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Mário de Andrade ? – Quand je suis arrivé au Brésil, il n’y avait pas très longtemps qu’existait à la municipalité de Sao Paulo un département de la culture. C’était une grande innovation, car jusque-là les autorités brésiliennes ne s’étaient pas beaucoup souciées de culture. Ce département avait plusieurs sections, et Mario de Andrade était chef de l’une d’entre elles. Cette initiative constituait l’alternative de la nouvelle université, fondée par de grands notables, à qui je devais d’être là. Alors que ces derniers étaient libéraux, mais conservateurs, le département de la culture représentait l’avant-garde. Cette avant-garde s’incarnait dans l’œuvre et la personne de Mário de Andrade. Il était alors avec son homonyme Osvaldo de Andrade, que j’ai également connu, un des introducteurs du modernisme au Brésil : on disait alors le 'futurisme'. Pour des raisons de génération et de sympathie intellectuelle, j’étais évidemment attiré par ce département de la culture ».

8  « Rhapsodie » fondée sur les légendes collectées par l’anthropologue allemand Theodor Koch-Grünberg (Vom Roroima zum Orinoco, vol. IV, 1924).

9 Nom généralement traduit par « frippon » ou « farceur » en français », ou « décepteur » par des anthropologues comme Lévi-Strauss.

10 “I am the whitey in the woodpile. The trickster god now appears in another guise. He has donned the scientific mantle of genetics” (Stouck, 2005).

11 « Once I dreamed I returned by walking in the manner of a high-wire artist, arms outstretched, held across a frail spider’s thread suspended sixty feet above the Atlantic attached to Big Ben at one end and St George’s Cathedral, Demerara, at the other.” […] “We do return and leave and return again, criss-crossing the Atlantic, but whichever side of the Atlantic we are on, the dream is always on the other side” (Pauline Melville,Eat Labba and Drink Creek Water’, The Shape-Shifter, 1990 : 149).

12  La pagination des citations en français renvoie à la traduction de Christian Surber, éditions Zoë, 2002. “Spite impels me to relate that my biographer, the noted Brazilian Senhor Mario Andrade, got it wrong when he consigned me to the skies in such a slapdash and cavalier manner. I suppose he thought I would lie for ever amongst the stars, gossiping – as we South American Indians usually do in our hammocks at night – and spitting over the side to make the early morning dew of star spittle” (Pauline Melville, The Ventriloquist’s Tale, Bloomsbury, 1998: 1).

13 “You can call me Chico. It’s my brother’s name but so what? Where I come from it’s not done to give your real name too easily” (Melville, 1998 : 1).

14 Il reproduit en cela le type-même de clôture que rapporte Chapuis dans sa collecte des mythes wayana de Guyane française (Chapuis, 2003).

15  “Sub-zero heroes. A puny bunch, embedded in history, or worse, psychology” (Melville, 1998 : 2).

16 “She says all writing is fiction. Even writing that purports to be factual, that puts down the date of a man’s birth and the date of his death, is some sort of fabrication. Do you think a man’s life is slung between two dates like a hammock? Slung in the middle of history with no visible means of support? It takes more than one life to make a person” (Melville, 1998 : 2).

17 “Why realism, you ask. Because hard-nosed, tough-minded realism is what is required these days. Facts are King. Fancy in in the dog-house” (Melville, 1998 : 9).

18  “My knowledge of the Indians is a way of owning them – I admit it. We figt over the intellectual territory. But it’s better than stealing their land, isn’t it?” (Melville, 1998 : 80).

19  “...gradually he came to realise that they laughed at the idea of progress, despised novelty and treated it with suspicion. Novelty, in fact, was dangerous. It meant that something was wrong with the order of things’ (Melville, 1998 : 99).

20 “...explained to Mc Kinnon that there was no point in trying to do anything about everyday life. It was an illusion behind which lay the unchanging reality of dream and myth. “We look for the mask behind the face,” he said, shaking his finger and laughing’ (Melville, 1998:99).

21 Attribuée à Hermès Trismégiste et qui sous-tend l’œuvre de Shakespeare.

22 ““Everything has its master in the stars,” explained Shibi-Din. “Everything that moves, that is. You don’t find plants and trees in the sky because they have roots and can’t move’” (Melville, 1998:123).

23 “Danny soaked up all that knowledge. He learned that each constellation was a being who used to live on earth and had gone up to the sky to avoid persecution and to be in charge of a particular creature” (Melville, 1998:124).

24  « ... cela équivaut pour la société [wayãmpi] à la perte d’un membre gangrené, d’un membre qui ne veut plus jouer le jeu. Par son comportement asocial, il est devenu non seulement inutile, mais dangereux pour l’ensemble de l’édifice social » (Françoise Grenand, 1982, p.14).

25 Ce qui fut fait grâce à deux expéditions : l’une à Sobral au nord du Brésil, l’autre conduite par Sir Arthur Eddington dans le Golfe de Guinée. Sur l’éclipse du 29 mai 1919, et l’expédition de Sir Arthur Eddington, voir l’URL : http://www.ac-creteil.fr/lycees/93/lmichelbobigny/dossiers/Einstein/physique/p2chap2.html

26 Article daté du 12 novembre 1917.

27  “An eclipse is a disgrace. It brings chaos. Monsters come out of the bush and attack people. The big anacondas that float in the rivers, when an eclipse comes, they lift their great heads up to the sky. Even the dead rise up to see what is happening. And everything can change into something else. Animals into people. People into animals. The dead and the living all mix up” (Melville, 1998:180-1).

28  Measles est incorrectement traduit par « oreillons » (mumps) dans l’édition Zoe.

29 “After a long wait, there came the unmistakable sound of a jaguar’s throaty snuffle and a phenomenally deep roar rumbled round he room”. […] Everyone could hear the jaguar pad up to the bed, snort, roar, and pad away again’ (Melville, 1998 : 102).

30  ‘Some distance from the house, she stepped for a moment on to a large flat rock-stone that lay across the path. Standing in the sun, in the full light of day, Beatrice McKinnon underwent some kind of seizure. Her head snapped back. As she stared at the sun, her eyes rolled back in her head. Her arms were flung up in mid-air and remained there quite rigid for several seconds in some sort of fit or spasm’ (Melville, 1998:237-8).

31 ‘I don’t like him either. He tries to strike the sun out of the sky. Him with his dead god on a stick. He thinks he can stand between the sun and the moon. Give him this and leave the rest to the sun. The sun will finish him off’ (Melville, 1998:240).

32  ‘Every so often a tremendous roaring engulfed him on all sides, as if the sun had turned into a jaguar on the attack [….] However hard he tried to pray and keep the image of Christ before him, the stories told to him by the boys always surfaced in his mind: the sun dressing the jaguar in yellow to represent him on earth. [….] The jaguar sun roared and slashed at his skin again’ (Melville, 1998:256-7).

33  “...breaking down perceptions, stirring up doubt, rattling judgments, shifting boundaries and unfixing identities’ (Melville, in Bugsby, ‘Beyond the Pale’: 740).

34 ‘“You say we should mix,” said Tenga bitterly. “What to do? We’re destroyed if we mix. And we are destroyed if we don’t”’ (Melville, 1998 : 55).

35 ‘ We don’t show them what grows fastest here – the children’s part of the burial ground’ (Melville, 1998:54).

36  ‘“We’re going to die. We’re going to die,” chorused the truckload of Indians to the stars above’ (Melville, 1998:57).

37 ‘Selon quel critère linguistique reconnaît-on empiriquement la fonction poétique ? En particulier, quel est l’élément dont la présence est indispensable dans toute œuvre poétique ? Pour répondre à cette question, il nous faut rappeler les deux types fondamentaux d’arrangement utilisés dans le comportement verbal : la sélection et la combinaison. […] La sélection est produite sur la base de l’équivalence, de la similarité et de la dissimilarité, de la synonymie et de l’antonymie, tandis que la combinaison, la construction de la séquence, repose sur la contiguïté. La fonction poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison’ (Roman Jakobson, Essais de linguistique générale. T1, Paris, Seuil, coll. ‘Points’ : 220).

Claudie Gourg

Université des Antilles, claudiegourg@hotmail.com

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