Édouard Glissant et la jeunesse aux Antilles

Patricia Conflon Gros-Désirs

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Patricia Conflon Gros-Désirs, « Édouard Glissant et la jeunesse aux Antilles  », Archipélies [En ligne], 8 | 2019, mis en ligne le 15 décembre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.archipelies.org/634

En 1963, paraît dans la revue Présence africaine un article d’Édouard Glissant, « Problèmes de la jeunesse aux Antilles », qui s’insurge contre la politique migratoire du gouvernement français favorisant le départ massif des jeunes en France. Le BUMIDOM (BUreau des MIgrations D’Outre-Mer) était l’instrument de cette politique qui se fondait sur des motivations socio-économiques, démographiques, géographiques et sociétales. Pour Glissant, cette pratique avait pour but d’éloigner une jeunesse antillaise de plus en plus nombreuse à contester le colonialisme répressif hostile à toute velléité d’indépendance et d’insoumission. Ici, la relecture du texte de Glissant procède d’une approche transversale, à la croisée de la littérature, de la sociologie, de la politique et de l’histoire. En effet cet article est d’une actualité qui résonne plus d’un demi-siècle après sa publication. Au-delà de sa visée polémique, il frappe par sa valeur historique, politique et interpelle par ses échos prophétiques.

An article by Édouard Glissant, called « Problèmes de la jeunesse aux Antilles » and published in 1963 in the magazine Présence africaine, rebels against the migration policy of the French government encouraging the massive departure of young people in France. The BUMIDOM (Overseas Migration Office) was the instrument of this policy which was based on socio-economic, demographic, geographical and societal motivations. For Glissant, this practice was intended to drive away a growing west indian youth which was challenging more and more the hostile repressive colonialism to any hint of independence and insubordination. Here, the rereading of Glissant's text proceeds from a transversal approach, at the crossroads of literature, sociology, politics and history. Indeed, this article is still up to date and is echoing more than half a century after its publication. Beyond its controversial goal, the article strikes by its historical and political value and surprises by its prophetic echoes.

Introduction

En 1963, paraît dans la revue Présence africaine un article d’Édouard Glissant, « Problèmes de la jeunesse aux Antilles », qui s’insurge contre la politique migratoire du gouvernement français favorisant le départ massif des jeunes en France. Le BUMIDOM (BUreau des MIgrations D’Outre-Mer) était l’instrument d’une politique fondant sa légitimité sur des réalités socio-économiques, démographiques, géographiques et sociétales. Pour Glissant, cette pratique avait pour but d’éloigner une jeunesse antillaise de plus en plus nombreuse à contester un colonialisme répressif hostile à toute velléité d’indépendance et d’insoumission. Ici, la relecture du texte de Glissant procède d’une approche transversale, à la croisée de la littérature, de la sociologie, de la politique et de l’histoire. En effet, cet article de Glissant est d’une actualité qui résonne plus d’un demi-siècle après sa publication. Au-delà de sa visée polémique, ce texte frappe par sa valeur socio-historique et politique, et interpelle le lecteur d’aujourd’hui par ses échos prophétiques.

« Problèmes de la jeunesse aux Antilles » : détour historique de l’expérience militante

La jeunesse, catégorie sociologique à problèmes

La jeunesse est une catégorie sociale dont les contours sont mal définis et constituent, malgré l’existence d’études sociologiques importantes, un objet d’étude complexe. Pour le sociologue Pierre Bourdieu, la jeunesse « n’est qu’un mot »1, alors que pour d’autres spécialistes, cette notion renvoie à des « définitions ambivalentes » (Dupont, 2014)2, ou interroge pour son « indéfinition », c’est-à-dire qu’il est impossible de rendre compte de ce qu’elle [la jeunesse] induit en tant que notion, ce qui la rend floue (Bordes, 2006)3.

Il convient pourtant de comprendre ce qu’enferme cette notion sociologique aux multiples facettes. Tantôt envisagés comme une force de progrès redoutable, tantôt représentés sous un jour menaçant, les jeunes connaissent une reconnaissance tardive. Elle est devancée par la notion d’enfance, qui apparaît à la fin du XVIIIe siècle et demeure jusque dans les années 50, après la Seconde guerre mondiale, en marge des préoccupations sociales, religieuses et politiques. Dans le contexte particulier de l’après-guerre et des aspirations à la décolonisation, marquées par diverses tensions politiques et idéologiques, la jeunesse devient une réalité sociale lorsqu’apparaissent les premiers mouvements de jeunes.

La jeunesse bénéficie d’un statut relatif en fonction de la société qu’elle habite, de l’institution, de la culture et des traditions qui sont les siennes. Elle correspond à la période de l’adolescence qui marque la transition entre l’enfance et l’âge adulte. La jeunesse est dès lors une sorte de « construction symbolique […] marquée par un ensemble d’événements sociaux » (Dupont, 2014) et reliée aux multiples et inéluctables transformations psychobiologiques (Dupont, 2014) qui lui sont propres à cette période critique. Étape d’insouciance, il s’agit cependant d’un temps marqué par la réflexion, par des choix et des décisions à prendre. Les sentiments qui habitent l’individu sont exacerbés par le constat qu’il fait de la vie et de la société qui lui revoie souvent l’image d’une route aventureuse à prendre avec prudence. Idéaliste, assoiffé de vérité et d’absolu, il voue une hostilité sans complaisance à l’égard de l’injustice et peut risquer sa vie en désobéissant à l’ordre établi. Sa propension à affirmer ouvertement ses idées mobilise dès lors l’attention des aînés, les plus méfiants comme ses plus fervents admirateurs, marqués eux aussi par les vicissitudes heureuses ou malheureuses de leur jeunesse perdue.

Les représentations de la jeunesse dans la création littéraire sont intéressantes pour comprendre le rôle que joue celle-ci dans la société. Bien qu’accaparée par la littérature de jeunesse jugée parfois « ambiguë », la figure juvénile se dévoile dans la création littéraire en même temps qu’apparaissent les concepts d’adolescence dans les sciences sociales. Sous ses traits à peine définis, ni enfant ni adulte, les personnages de littérature de jeunesse apparaissent conformes aux stéréotypes que véhicule la société et avec « des messages qui ne sont pas toujours candides et innocents » (Bordes, 2006). L’instauration d’une « sorte de contradiction éditoriale et critique » (Prince, 2009 : 10) qu’observe Nathalie Prince dans La Littérature de jeunesse en question(s), expose souvent les récits de jeunesse à un ostracisme relatif de la littérature générale4, les considérant comme « littérature facile, simpliste, souvent médiocre » (Bordes, 2006). Cet ostracisme éditorial entraîne dès lors la faible productivité des ressources épistémologiques, théoriques et conceptuelles. Ainsi, trouver une bibliographie5 en littérature permettant d’appréhender la jeunesse à l’aune du dispositif de valeurs, d’idéaux, de croyances et de turbulences psychologiques qui l’entoure et des enjeux politiques sociologiques, idéologiques, esthétiques et symboliques qu’elle véhicule, n’est pas aisé hors des études en sciences humaines.

Une approche sociohistorique s’avère en outre importante pour mieux comprendre le contexte dans lequel on observe la prise en compte de la jeunesse dans le champ institutionnel en France. Avec la montée des nationalismes et le développement des idéologies6 antagonistes issues des deux blocs de la Guerre froide, les réactions de la jeunesse deviennent une préoccupation majeure des autorités. L’essor de ces mouvements initiés au sein des institutions religieuses7, n’échappent pas aux institutions politiques8 qui décident d’adopter des mesures visant à mieux « encadrer » la jeune population (Bordes, 2006). À partir des années 50, le nombre de structures d’encadrement et d’institutions augmente (Bordes, 2006), ce qui favorise l’arrivée massive des forces juvéniles dans les divers mouvements associatifs, sportifs, culturels ou partis politiques. Aux Antilles françaises, colonies devenues départements français en 1946, les mêmes politiques s’appliquent, mais sans doute avec plus d’« intensité » qu’en France hexagonale.

Expérience militante de Glissant et contexte d’écriture de l’article

Édouard Glissant a vécu dans une relation très étroite avec la jeunesse, tant sur le plan littéraire que politique. Son œuvre reflète l’énergie déversée dans ses combats politiques9, dans les mouvements révolutionnaires10 et dans leurs mises en mots. Son expérience de jeune militant fut déterminante pour sa carrière d’écrivain, commencée sous les auspices de la misère qui sévissait en Martinique pendant la Deuxième guerre mondiale, sous l’Amiral Robert. Mais les dures conditions d’existence ne l’empêchent pas de se lier d’amitié avec des camarades d’infortune, révoltés comme lui par l’indigne guerre. Avec eux et avec des camarades du Lycée Schœlcher, Glissant forge ses premières expérimentations de la vie militante au sein de la revue Franc-jeu11, fondée en 1946. Il s’agit d’une période importante de la vie du jeune homme, qui effectue à la fois son apprentissage de l’engagement politique et de l’écriture. Au cours de cette période d’initiation, l’écriture tient une place considérable au sein de la revue qu’il entretient avec ses pairs. Cette approche de l’écriture développe chez le jeune Glissant une double conscience : à la fois celle de l’engagement politique et celle du pouvoir des mots, laquelle sert en fin de compte, d’inspiratrice de l’idéal collectif renouvelé en motif fictionnel dans La Lézarde12. Il faut dire que le lycéen apprécie très tôt l’enseignement des Lettres, en particulier l’œuvre de grands poètes marginaux et révoltés comme Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud. Ces poètes, célèbres pour leur esprit révolutionnaire, lui inspirent un modèle à vivre qu’il conjugue avec la lecture de revues antillaises comme Légitime défense et Tropiques, porteuses de la verve insurrectionnelle surréaliste qui véhicule à cette époque l’esprit de résistance13.

Les premiers écrits poétiques de Glissant font résonner ses premiers cris de révolte. Son tout premier recueil Le Sang rivé, publié en 1947 révèle la flamme de cet engagement précoce :

Les flambeaux s’accusaient de la couleur noir étang de la nuit
Nos mains solubles nos airs de rapine boiseuse la paille flambée de nos yeux
[…]
Chaque buisson de mémoire cache un tireur.
Sur nos têtes le battement du moulin
Dans nos nuits toussent les boucans
L’homme a beau faire le cri prend racine (Glissant, 1954, 17)14

Les fulgurances de l’écriture poétique, lieu de dévoilement d’une conscience antillaise chez Glissant15, habitent durablement le jeune écrivain qui publie successivement plusieurs recueils de poésie : Un champ d’îles (1953), La terre inquiète (1955), Les Indes (1955), Soleil de la conscience (1956)16 et ce, avant d’amorcer la phase romanesque. Le roman quant à lui, avec notamment le succès de La Lézarde, deviendra le lieu d’expression privilégié où cette conscience se déclinera dans une hybridité de modalités fictionnelles et de thématiques comme les schèmes de la jeunesse antillaise des années 1940-1960.

La jeunesse chez Glissant incarne la voix d’un carrefour et celle de l’engagement politique au cœur d’une histoire chaotique. Elle ne craint pas de s’affirmer, de s’indigner et de revendiquer l’émancipation des Antilles. Elle est éprise d’histoire et maîtresse de sa destinée (Glissant, 1997 : 226). Elle s’engage dans l’action militante et se pose en motif fictionnel d’utopie en ce qu’elle relève du récit et de son interrelation discursive entre politique et poétique, liée à un « ici » glissantien sans frontière. Le militantisme de Glissant ne se limite pas en effet à son insularité sous emprise coloniale. Cette ferveur militante se développe et se renforce à Paris, lorsqu’il part étudier la philosophie à la Sorbonne. Au contact de ses aînés, à l’instar de ses compatriotes Aimé Césaire ou Frantz Fanon, les « Soleils de conscience » sont des instants qui élargissent le champ des possibles d’une voie militante d’envergure internationale.

Dans un article intitulé : « Édouard Glissant à Présence africaine ou l’intellectuel accompli »17 (Fonkoua, 2011), Romuald Fonkoua revient sur l’imposante carrière de Glissant en tant qu’écrivain et animateur de la revue Présence africaine et conclue :

[Glissant a été] un intellectuel accompli : ouvert à tous les combats des opprimés du monde sans exclusive, attentif à tous les sujets de l’évolution du monde sans restriction et surtout inventeur d’une pensée sans concession sur un monde où ne devrait subsister que la reconnaissance de tous ces êtres qui, en 1950 se battaient farouchement pour la reconnaissance de leur opacité qu’on désignait alors du terme identité. (Fonkoua, 2011)18

L’engagement de Glissant ne laisse personne indifférent – exception faite dans son pays natal – et participe constamment à une mise en relation entre le travail de création littéraire et l’œuvre militante. En France, la carrière militante de l’écrivain est à son apogée avec le Premier Congrès des écrivains et artistes noirs de 1956 où il est remarqué et pressenti pour conduire avec d’autres écrivains, au sein de la revue Présence africaine, la rubrique « Palabre » ayant pour ligne éditoriale « la conscience politique des intellectuels noirs parisiens dans le monde » (Fonkoua, 2011). Au cours de sa mandature au sein de Présence africaine, l’œuvre de Glissant ne compte pas moins d’une dizaine de publications qui témoignent à la fois d’un questionnement esthétique et d’une quête de définition du statut des Antilles et de l’identité antillaise19. Son départ de Présence africaine, qui coïncide avec le Festival des Arts nègres de Dakar en 1966 (Fonkoua, 2011), ne signifie pas la fin de son engagement, mais plutôt un nouveau départ, cette fois-ci en Martinique.

L’actualité politique des années 60 foisonne en événements violents liés à l’émergence de ce que l’on qualifiera de « Tiers-monde ». Le journal hebdomadaire du Parti Communiste Martiniquais, Justice20 est à ce titre une référence incontournable de cette actualité. Considéré par Raphaël Confiant comme « le plus vieux journal martiniquais et même des Antilles-Guyane avec... 97 années d’existence »21, Justice comptait parmi ses membres et fondateurs, des personnalités comme André Aliker, Camille Sylvestre, Guy Dufond, Armand Nicolas, œuvrant activement au sein du journal dans l’objectif de mettre au jour les réalités et le vécu des Martiniquais, de plus en plus « en butte avec l’arbitraire officiel »22 français. Divers épisodes de crises étatiques et diplomatiques, des coercitions liées au processus de décolonisation et des réticences face au processus des Indépendances impulsé en Afrique, constituent un tableau affligeant d’un monde en pleine mutation, lézardé des dérives colonialistes. Alors que la guerre sévit entre la France et Algérie (1956-1962), Glissant accepte d’être signataire du « Manifeste des 121, Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », aux côtés de personnalités et d’intellectuels comme Michel Leiris, Michel Butor ou encore Claude Simon. Ce « brûlot » fut interdit de diffusion dans les médias, car il appelait les militaires français à la désobéissance23.

Si Glissant se montre très sensible à toutes les formes de violence qui sévissent dans le monde, il est encore plus attentif à la situation politique et sociale des Antilles-Guyane et voue une attention particulière aux secousses colonialistes qui ébranlent les Antilles. Depuis la départementalisation, les tensions sociales, avec d’un côté, les anticolonialistes et indépendantistes, et de l’autre, les assimilationnistes favorables au maintien du lien avec la France, ne cessent d’augmenter. La répression agit avec violence en s’attaquant à la jeunesse. Les années 60 commencent dans un climat de tensions politiques féroces. En décembre 195924, des émeutes mortelles suscitent l’émoi et favorisent l’émergence de mouvements anticolonialistes.

Avec des amis antillais comme Paul Niger/Albert Béville, qu’il rencontre en 1960, Marcel Manville et Cosnay Marie-Joseph, Glissant crée le FAGA (le Front des Antilles et de la Guyane pour l’autonomie) (Satochi, 2018)25, mouvement de jeunes étudiants pour l’indépendance de la Martinique qui n’a pas évidemment la faveur des autorités françaises. En 1962, à la demande du Général de Gaulle, l’association se voit frappée de dissolution. Le militant et cofondateur Glissant y voit là un affront colonialiste de plus. Cette privation accompagne la perte antérieure de camarades-militants lors du crash de leur avion en Guadeloupe, qui eut lieu la même année26. C’est aussi l’année de l’assignation à résidence de Glissant. Mais cette sanction ne l’empêche pas de soutenir la cause de la jeunesse et de renouer avec des camarades pour créer l’OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique), mouvement qui entendait diffuser massivement leurs aspirations indépendantistes. Cette initiative aboutit à l’arrestation de 18 jeunes membres de l’OJAM en 1963 à Fort-de-France, et à une retentissante affaire judiciaire qui durera plus de deux années27.

Contexte historico-politique d’écriture de l’article « Problèmes de la jeunesse aux Antilles »

Sur fond de tensions politico-judiciaires, la situation économique et sociale des Antilles continue d’être problématique : la misère persiste alors que la population ne cesse d’augmenter en pleine crise de la canne. En 1963, pour tenter de remédier à cette situation, le gouvernement français créé le BUMIDOM28. Juste après 1962 et le conflit algérien et le début des Indépendances de la Caraïbe avec l’accession de la Jamaïque et de Trinidad-and-Tobago, la création du BUMIDOM apparaît à Glissant comme la manœuvre d’un colonialisme polymorphe et omnipotent. En réaction à ce qu’il perçoit comme une politique d’émigration forcée, Glissant publie dans Présence africaine : « Problèmes de la jeunesse aux Antilles » (« PJA »).

« Problèmes de la jeunesse aux Antilles » : discours contre le colonialisme

Discours contre le colonialisme

Ce texte comporte des caractéristiques qui relèvent du discours argumentatif, lequel consiste en un texte visant à susciter un débat, à convaincre ou persuader un auditoire réel ou fictif. Il défend une thèse au moyen d’arguments organisés logiquement de façon à emporter l’adhésion de l’auditoire (Jean-Christophe Pellat, Stéphanie Fonvielle, Maurice Grévisse, 2016)29. Parmi les types de textes argumentatifs figure l’essai, genre traitant d’un problème d’actualité qui se rapporte à la société et donc éminemment idoine pour affirmer des positions, défendre une thèse ou soutenir un point de vue. L’essai ne repose sur aucune forme précise d’où la diversité de formes qui en émane, à l’instar du pamphlet, du réquisitoire, du traité, de la chronique ou encore de la contre-argumentation.

L’essai n’est pas un genre inconnu de Glissant. Sur le site Édouard Glissant – Une pensée archipélique, dédié à l’auteur éponyme, Loïc Céry associe cette forme de discours à la « matrice d’une pensée en constant renouvellement », et poursuit en ajoutant qu’il s’agit du lieu de « l’ethos » où l’écrivain exprime une conscience conçue dans la relation consubstantielle entre la poétique et le politique. Les écrits théoriques de Glissant foisonnent en effet de réflexions sur le langage, la poésie, la littérature, mais aussi sur l’humanité et sur un monde « accordé au destin collectif » (Céry)30. Les tonalités convoquées dans la plupart de ses écrits théoriques font rarement apparaître la virulence du pamphlet ou de la polémique. Elles sont essentiellement articulées à une voix bienveillante mais insoumise, qui cherche à « dire » et à faire s’exprimer une conscience qui réfléchit sur l’identité et l’histoire des peuples de la Caraïbe et notamment sur la situation coloniale des Antilles.

Glissant n’a pas tardé à dénoncer la situation socio-politique des Antilles sitôt l’annonce de la mise en œuvre de la politique migratoire31 par le gouvernement français. Son argumentaire consiste à invalider les arguments de ce dernier dont la thèse avancée s’appuie sur les conséquences désastreuses que pourrait entraîner l’inadéquation entre la petitesse géographique de l’île et sa surpopulation : « les autorités françaises présentent à qui veut les entendre, cette situation comme une impasse, et chiffre en mains prétendent cyniquement, qu’il n’y a pas de place aux Antilles pour les jeunes antillais […] ». Cet argumentaire se voit repris et livré en pâture à une somme d’arguments, de remarques et de commentaires contradictoires.

Mais les motivations de Glissant dépassent la simple réfutation, car il souhaite, en plus d’invalider les arguments du gouvernement, critiquer son fonctionnement, ses méthodes et faire abolir le statut départemental au sein duquel opère le colonialisme avec empressement. Il s’agit pour Glissant d’un subterfuge organisé par le gouvernement qui, pour maintenir la quiétude dans le pays, préfère éloigner les jeunes antillais de leur pays natal, soit une façon de mieux contrôler la jeunesse et de l’affaiblir numériquement : « en réalité, il [le gouvernement] cherche à briser le mouvement nationaliste chaque jour plus puissant et qui trouve sa force et ses espoirs dans la jeunesse. Le pays vidé de son sang jeune sera sans ressort et pourra être tenu en toute quiétude » (Glissant, 1963 : 13).

Les marques d’énonciation mettent en exergue des modalités énonciatives signifiant l’hostilité du locuteur. D’abord, c’est par le pronom indéfini « on » que le locuteur désigne son adversaire, tantôt pour interpeller le gouvernement – ou son avatar le colonialisme – qui se voit alors frappé d’une impersonnalisation accusatrice et chargée de reproches : « on peut vouloir ruser avec la réalité. On peut mentir. Mais la grande détresse de la jeunesse des Antilles est là, et pour nous apparaît le phénomène le plus dramatique, c’est l’avenir de nos pays […] » (Glissant, 1963 : 17). Face à cette indéfinition, les diverses occurrences du « nous » témoignent d’une binarité entre un locuteur porte-parole d’un mouvement révolutionnaire martelant sa détermination : « il nous impose sa solution, […] celle qui lui convient le mieux, qui nous lèse fondamentalement et que nous ne cesserons jamais de dénoncer comme criminelle […] » (Glissant, 1963) et le « nous » représentant l’adhésion collective. Il reste que cette double énonciation induit l’espoir d’un dépassement découlant du passage d’une situation d’assujettissement à une posture de résistance à l’oppression.

Pour signifier son exaspération, le militant anticolonialiste ne fait pas l’économie de procédés rhétoriques. Glissant examine les failles du système colonialiste et les passe au crible de ses arguments non sans subjectivité. Par exemple, le non-respect du « droit à l’instruction » (Glissant, 1963 : 15 et al.) est une source d’exaspération qui se voit amplifiée par l’analyse de situations jugées injustes. L’énumération des « insuffisances » matérielles constatées : en nourriture, en infrastructures, en transport dans les campagnes sont des carences accablantes et défavorables au gouvernement. Les souhaits d’une « scolarisation complète », de places dans les écoles, de cours complémentaires, de lycées, d’université, d’un « enseignement technique valable », rallongent la liste de manquements qualifiés de « carences tragiques » (Glissant, 1963) que Glissant associe à l’arrogance des autorités françaises.

Si parfois Glissant semble toutefois reconnaître la valeur des arguments avancés par le gouvernement en avouant notamment l’existence réelle des problématiques démographiques (surpopulation), géographiques (isolement et étroitesse du pays), les difficultés réelles de la conjoncture sociale et économique (chômage, misère), il récuse cependant la fiabilité de ces fondements et leur adéquation avec la solution proposée. L’absurdité de la décision gouvernementale est d’ailleurs confrontée à l’acuité d’une subjectivité prévalant à l’objectivité du raisonnement. Les procédés convoqués dans ce type de discours, pourtant prompts à maintenir la tension de la démonstration, tiennent de locutions qui contribuent davantage à l’art de persuasion qu’à convaincre : « Que dire du procédé qui consiste à envoyer une centaine de jeunes Antillais apprendre l’Agronomie […] », « de toute façon, le problème de l’Enseignement serait-il résolu que se poserait un problème […] », « Que dire alors de la culture et des loisirs réservés à la jeunesse […] », « Arrêtons-nous un instant sur la culture aux Antilles ». En plus de leur ambivalence argumentative, ces formules accompagnent un discours péjoratif et dépréciatif : « l’absence quasi-totale de bibliothèques, […] l’indigence systématique du cinéma […], la sotte pauvreté des absurdes émissions radiophoniques livrées aux Antillais » (Glissant, 1963 : 15-17), ciblant l’incapacité matérielle d’une prétendue philanthropie.

La tentative de démonstration s’articule en revanche avec les connecteurs textuels « mais », « en fait », « d’une part », « d’autre part », qui contribuent à réhabiliter un discours d’autorité et instaurent une logique argumentative digne de l’essai. Glissant ne cache pas son désir d’attirer l’attention de l’adversaire sur ses propres contradictions et sur l’impact de sa décision sur le développement de l’île, et il espère susciter des réactions par l’emploi d’adjuvants révolutionnaires : « d’une part, un mouvement de libération nationale a pris naissance, d’autre part, le gouvernement renforce son système de défense, la répression » (Glissant, 1963 : 20). L’auteur ne fait l’économie d’aucun sujet polémique. Les sujets abordés sont la trahison des élites, la remise en question de l’enseignement, les problématiques culturelles – et leur corollaire : l’aliénation culturelle – (Glissant, 1963 : 17), la question de la terre et les mouvements révolutionnaires, de même que les fautes et défaillances des choix politiques du gouvernement, présenté par ailleurs, comme peu scrupuleux envers la jeunesse antillaise.

Stigmatiser l’irresponsabilité du gouvernement, lui rappeler son incapacité à résoudre les problèmes les plus simples (Glissant, 1963 : 14), lui reprocher son manque de courage et dénoncer son « cynisme » et le désintérêt dont il fait preuve à l’égard de la jeunesse antillaise, relèvent, dans la démonstration de Glissant, en grande partie d’une double énonciation. Ainsi l’ensemble des charges relevées à l’encontre du gouvernement apparaît moins convaincant que persuasif, car il s’agit pour le locuteur de disqualifier le colonialisme et d’interpeller le lecteur sur les nombreuses apories soulevées, afin d’inciter le gouvernement à reconsidérer ses arguments et sa politique.

La critique de Glissant à l’égard de l’attitude désinvolte du gouvernement français se manifeste en outre par l’évocation d’un complément au BUMIDOM, le « plan Némo » (Glissant, 1963). Ce plan, du nom de son concepteur, le général Jean Némo, commandant supérieur interarmées aux Antilles-Guyane de 1960 à 1964, renvoie à une entreprise de déplacement de jeunes Antillais vers la Guyane dans le cadre de leur service militaire. A l’issue de ce dernier, ils étaient incités à y demeurer. Un lecteur du célèbre roman Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, pourra noter la possible (quoique non certaine) volonté de Glissant d’utiliser l’appellation « Némo » en jouant sur les connotations du mot, en associant la politique migratoire du gouvernement à une sinistre conspiration dirigée contre le peuple antillais. Le réseau sémantique du complot et de la ruse confirmerait d’autre part l’intention d’imputer au colonialisme « aidé [par ailleurs] dans cette besogne par un certain nombre de politiciens locaux » (Glissant, 1963 : 18), ses méthodes habiles et barbares. Des expressions du registre tragique, inspirées notamment par la Shoah, comme « génocide de type algérien », « solution finale », « diabolique plan Némo » (Glissant, 1963 : 18 et al.), accentuent la vision négative portée sur les pratiques du colonialisme aux Antilles. La sémantisation de « l’horreur nazie » est renforcée par le vocabulaire de l’extermination et de la barbarie nazie et l’évocation de pratiques aliénantes et inhumaines. Ainsi, pour « aliéner » culturellement la jeunesse : « le colonialisme applique de toutes ses forces sur le visage du jeune Antillais » (Glissant, 1963), une agression comparable à une « entreprise de mystification et de viol de conscience jamais réalisé de sang-froid » (Glissant, 1963 : 17). Les comparaisons avec les procédés nazis sont accentuées par l’idée de déportation sous-tendue par les gérondifs énumérés dans le propos suivant : « se débarrasser de la jeunesse en la déportant, en la coupant artificiellement de sa terre » (Glissant, 1963 : 20) accentuant ainsi la violence et le caractère inhumain du « projet Némo ». La visée funeste est à son comble avec les expressions inspirées de méthodes barbares telles que « stérilisation de la pensée antillaise » (Glissant, 1963 : 20), « décervelage » ou encore la locution infinitive : « phagocyter les consciences » (Glissant, 1963 : 30). Ces expressions suggérées par les images révoltantes évocatrices du génocide juif, soulignent la barbarie des procédés colonialistes, le spectre de l’aliénation culturelle et l’intention inavouée d’anéantir la culture antillaise en s’assurant de l’absence d’une jeunesse révolutionnaire. Formuler de telles allégations, c’est-à-dire des affirmations presque arbitraires, pourrait laisser entendre que Glissant, perdant le contrôle de ses émotions, perd aussi toute objectivité propre au raisonnement. Dérive verbale ou stratégie rhétorique ? Ce glissement discursif permet toutefois d’atteindre deux objectifs à savoir : d’une part disqualifier l’adversaire et le confondre, et d’autre part, de mettre en garde les Antillais et d’interpeller leur conscience quant au danger d’aliénation lié au BUMIDOM.

En somme, la contre-argumentation de Glissant est un ensemble de supputations visant à évaluer les fondements du projet migratoire voulu par le gouvernement. La situation de départ des jeunes est dénoncée, de même que les incohérences, les manœuvres et les forfaitures de la politique gouvernementale sont jugées irrecevables : « en toute honnêteté, est-ce là une solution juste, une solution humaine aux problèmes de la jeunesse aux Antilles ? », clame Glissant.

Le topos de la jeunesse – si cher à Glissant – renvoie à un idéal révolutionnaire et à l’utopie d’une société antillaise en reconquête identitaire perceptible dans « PJA ». Cet idéal se dévoile à travers le déploiement des moyens rhétoriques mis au service de la défense de la jeunesse antillaise. Face à cette politique migratoire, la jeunesse semble passive et inconsciente des conséquences que l’auteur souligne avec acuité dans la première partie de sa démonstration. Il tente de montrer également qu’elle est pourvue du sens des responsabilités, qu’elle est capable de se prendre en main et que les institutions ont tort d’en faire un « problème ». Glissant voit en elle plus qu’une solution, le symbole d’un réveil, d’une conscience et d’une Antillanité assumée :

Le départ des Antilles, la participation aux guerres coloniales, ont tôt fait de lui ouvrir les yeux (la jeunesse). Le réveil est du reste terrible, pour le colonisateur bien entendu, car le jeune Antillais sait désormais qu’on lui a longtemps menti, qu’il devra se « réaliser » comme Antillais, et saura également se préparer à l’heure de VERITE. (Glissant, 1963 : 18).

Quoi qu’il en soit, dans ce contexte de départ sans retour de près de « 500 jeunes par mois », cette politique migratoire est vécue comme une atteinte sans précédent à l’humanité antillaise. Servant de lien entre l’ancienne génération post-esclavagisée et les générations à venir, la jeunesse contemporaine de Glissant se voit donc exposée à la menace d’un schisme ontologique et historique avec son passé. Autrement dit, Glissant s’inquiète quant aux effets de la re-dé-reterritorialisation puis la re-reterritorialisation d’un individu issu d’une digenèse32. La politique migratoire opère dans le contexte d’une structuration ontologique « inachevée »33 de l’Antillais afro-descendant un nouvel arrachement, une seconde déterritorialisation, après celle subie par ses ancêtres africains. Le départ vers la France hexagonale apparaît donc analogue à un nouveau coup porté à la reterritorialisation pensée dans le concept d’Antillanité. Ainsi, en tant qu’héritier d’une digenèse, c’est-à-dire issu d’une filiation multiple34, l’individu antillais qu’on « déporte » hors de son lieu de naissance, n’a pas achevé sa reterritorialisation et ne peut donc se réaliser complètement, ni culturellement, ni ontologiquement, ni géographiquement. Il restera toujours en errance et un être déterritorialisé et jamais reterritorialisé. L’Antillanité s’était illustrée ainsi dans La Lézarde par une jeunesse entreprenante, en quête de sa reterritorialité géographique, terrestre et historique, à l’instar des jeunes héros entreprenant de connaître l’île et de réaliser ainsi leur reterritorialisation par une reconquête de leur lieu et de leur histoire.

Le traitement d’un sujet d’actualité tel que l’incitation à l’émigration de la jeunesse antillaise dans le cadre discursif de l’essai, ne dispense pas l’écrivain d’user de ses qualités rhétoriques et de promouvoir sa culture intellectuelle en recourant au dialogisme des intertextualités.

Le baroquisme

Glissant procède par la contre-argumentation, mais en s’appliquant à élaborer un style, une poétique propre et apte à exprimer sa vision militante pour les Antilles. Cette multiplicité de visées trouve dans le terme « baroquisme », que nous utilisons en référence à l’esthétique baroque35, l’expression d’une volonté de faire émerger une écriture hybride qui tend à décloisonner les frontières entre les genres traditionnels. Les éléments de baroquisme que nous analyserons consistent à identifier au-delà des mélanges de genres, le croisement des registres et des tonalités constitutives d’un discours qui mêle à la fois registre polémique, satirique et tragi-comique.

En tant que sujet polémique, le colonialisme est souvent abordé par bon nombre d’intellectuels dans une dimension pamphlétaire. Ce fut le cas avec Aimé Césaire dans Le Discours sur le colonialisme qui l’a ainsi propulsé au rang de précurseur de la littérature postcoloniale des Antilles36. Glissant choisit pour sa part de faire de la jeunesse antillaise, l’emblème de sa lutte contre le colonialisme.

Dans le discours argumentatif, le registre satirique est considéré comme une arme de combat destinée à l’engagement contestataire. Ce type de discours fonctionne avec des procédés comiques et cela sans rien perdre du sérieux de l’intention de l’action du locuteur ni de ses convictions. Le texte « PJA » met en jeu trois actants : Glissant, le contestataire anticolonialiste, le colonialisme, sa cible et le destinataire, à savoir le public à persuader, notamment le peuple antillais. Le principe du discours satirique étant principalement celui de la dégradation, Glissant convoque sa cible à partir d’un traitement rhétorique qui doit la rabaisser aux yeux du destinataire. Il s’agit en l’occurrence ici de se moquer des maladresses du gouvernement. Or, l’arme qui sert à dégrader le colonialisme et à reconquérir l’adhésion et le soutien du peuple antillais, n’est autre que le comique. Ainsi, le rire que suscite la satire vise non seulement à dénigrer la cible, mais également à nouer une complicité entre le locuteur et son destinataire.

Si la satire37 recourt parfois au sarcasme, forme de raillerie directe et explicite, elle peut aussi emprunter la voie indirecte et plus subtile de l’ironie qui se déploie par exemple dans les œuvres de Voltaire ou de Montesquieu. Vladimir Jankélévitch disait de l’ironie, qu’elle est une « circonvolution du sérieux » (Jankélévitch, 1964) (Frye, 1969) (Descartes, 1979)38, c’est-à-dire une sorte de sérieux au second degré. L’ironie fait partie des figures de rhétorique que l’on décèle à travers des tropes, à l’instar de la métaphore, la synecdoque ou la métonymie. Dans le cas de l’ironie, le sens littéral masque un sens implicite. Pour saisir le sens d’un énoncé ironique, il faut donc se livrer à un travail de déchiffrement de la signification cachée et moqueuse contenue sous un sens apparent qui sert à véhiculer une position subversive sous-jacente. Ce décalage entre sens explicite et sens implicite produit le comique, perceptible seulement dans le cas d’un déchiffrement réussi du sens caché. La forme la plus simple de l’ironie est l’antiphrase39, mais il existe aussi l’énonciation ironique40 dont la finalité est de produire une moquerie résultant de l’union du comique et de la critique. Mais si l’ironie n’a pas nécessairement une visée militante, elle est au demeurant critique, et pas obligatoirement méprisante.

Le critique américain Northrop Frye affirme que « la satire est une ironie militante »41. Dans « PJA », Glissant recourt à maintes reprises à l’ironie et particulièrement à l’antiphrase. Il attaque les valeurs « universelles », renverse leur sens – qui correspond à l’opinion des autorités françaises –, à savoir le sentiment de supériorité, et, implicitement, cherche à faire reconsidérer les valeurs antillaises. Ainsi, pour souligner les défauts du gouvernement, Glissant choisit d’attaquer le colonialisme en ciblant ses valeurs culturelles et intellectuelles. D’abord, il fait référence au rationalisme cartésien dont le meilleur exemple apparaît sous le trope « Malin génie » des Méditations métaphysiques de Descartes 42: « le malin génie du colonialisme lui enseigne la solution intéressante qui consiste à vider ces pays de leur jeunesse »43 (Glissant, 1963 : 18). Les valeurs humanistes ne sont pas oubliées : « Certains humanistes voudront s’en réjouir en déclarant que l’homme est partout chez lui, etc. Pour nous, “réaliser l’homme”, sont des idéaux qui ne pourront jamais prendre corps qu’en dehors du viol des consciences […] » (Glissant, 1963 : 17), jusqu’à être désavouées. De même, est rejeté l’esprit machiavélique, en référence à la doctrine de Machiavel44 qui fait fi de toute morale et de sincérité en situation de gouvernance. Glissant met par conséquent à nu le référentiel intellectuel du colonialisme.

L’attitude de l’État est de ce fait décryptée et fait l’objet de moqueries. Celles-ci peuvent porter sur des propos rapportés, sur des opinions ou encore sur les valeurs qu’exalte le colonialisme pour faire admettre ses décisions. Ainsi, la peur exprimée face à l’explosion démographique, les tentatives de persuasion : « veut nous faire croire que ses intentions sont pures, sa bonne foi totale » (Glissant, 1963) et les exploits en matière de « lutte […] contre l’analphabétisme »45 suscitent chez Glissant une incrédulité qu’il n’hésite pas à tourner en dérision et à transformer en parodie tragi-comique.

Les procédés qui concourent à la tragi-comédie se manifestent notamment à travers les jeux d’oppositions de statut entre les personnages. D’un côté, les personnages de haut rang en référence à la tragédie ; le colonialisme, caractérisé par une terminologie de l’indéfini marqué par le singulier ; la France, identifiable à deux reprises par les tropes « mère superbe et généreuse » et « mère généreuse », est magnifiée ironiquement. Elle est, par métonymie, dépositaire du colonialisme et délégataire du « gouvernement français » et du « colonialisme français », principaux référents désignant l’État français46, décrit comme l’ennemi redoutable de la jeunesse. Glissant lui prête les attributs de l’anti-héros tragique qui cherche à « compléter son diabolique plan Némo par de démagogiques mesures » (Glissant, 1963 : 18), ne recule devant rien et ne s’émeut pas en faisant subir aux Antilles « les agressions répétées du système colonial » (Glissant, 1963 : 20).

En face, le peuple antillais et la jeunesse dont le statut renvoie à l’espace de la comédie, est désignée par « population très jeune », « jeunes Antillais, fils d’un peuple colonisé » ou encore : « jeunesse ». Cette population est particulièrement mise en cause dans la « très forte poussée démographique » (Glissant, 1963 : 18). Elle est le bouc-émissaire du colonialisme, le « jouet de toutes les ambitions et manœuvres électorales de ces requins de la scène politique » (Glissant, 1963 : 21), et l’enjeu principal de l’intrigue.

Dans cet entre-deux, les élites, adjuvants du colonialisme, sont perçues par les jeunes comme des « traîtres » (Glissant, 1963 : 19), des compatriotes peu soucieux de leur avenir et qui se rendent complices du gouvernement. Frappées de qualificatifs discriminants (« requins » (Glissant, 1963 : 21) pour son implication dans les « machinations » du gouvernement, les élites qui comptent parmi elles des « élus locaux » (Glissant, 1963) sont qualifiées de « masse inerte, sans vie, capable du meilleur et du pire » (Glissant, 1963 : 23). Elles apparaissent « toujours soucieuses de préserver leurs postes et [sont] prêtes à tout sacrifier, y compris la jeunesse de leur pays, afin de satisfaire leurs sordides ambitions » (Glissant, 1963). Le colonialisme est parvenu à les corrompre, surtout les « jeunes instituteurs », « prisonniers du petit confort qu’ils ont conquis en aliénant pratiquement leurs libertés […] ». l’auteur continue en soulignant : « ils jouent le rôle de témoins muets dans un drame dont ils sont parfaitement conscients » (Glissant, 1963), parce que « le colonialisme a inoculé en eux [le sentiment d’impuissance] en même temps qu’il [leur] accordait certaines facilités empoisonnées » (Glissant, 1963 : 19 et al.).

L’intrigue se noue donc sur les rapports de force entre la jeunesse, objet de la « machination » du gouvernement et ce dernier dont le prestige se veut être supplantée par la force de résistance juvénile. En effet, la jeunesse s’insère dans un système d’identification valorisant. Elle fait partie du peuple antillais. Ceux que la France tend à considérer comme ses « subalternes », des « garde-chiourmes » à son service, prêts à la servir et à « défendre ses intérêts lorsqu’ils sont menacés » (Glissant, 1963 : 13). La force du peuple antillais est censée être sa « force », c’est-à-dire la capacité numérique juvénile : « la force potentielle la plus explosive aux Antilles, celle que le gouvernement français a intérêt à désamorcer avant même qu’elle ne dynamise » (Glissant, 1963 : 23).

Dans l’intrigue de la tragi-comédie, les personnages dévoilent alors leur vrai visage. Or, la thématique du masque, propre au registre carnavalesque, est aussi l’une des caractéristiques de la tragi-comédie. Rappelons que « masque », de l’italien « maschera », représente un faux visage de diverses matières dont une personne se couvre le visage en vue de dissimuler son identité ou de satisfaire une autre intention.

Dans la littérature française, les références aux masques sont nombreuses. Au-delà de l’objet qu’il représente, le masque et le fait de se masquer constituent une opération de transfert d’identité, l’accession à une personnalité ou à une apparence recherchée, toujours dans le souci d’atteindre un résultat. Dès lors, masquer c’est, mettre tout en œuvre pour se dérober à la vue d’autrui, se soustraire à la connaissance d’un tiers, cacher sous de fausses apparences un être, une chose ou une idée que l’on ne souhaite pas dévoiler.47 Au théâtre, le masque remplit des fonctions identiques, mais il est aussi convoqué pour dénoncer l’hypocrisie. C’est en effet dans la deuxième scène du dernier acte que Dom Juan dénonce le rôle abusif de l’hypocrisie et ceux qui utilisent ce masque pour abuser des « autres » en jouant les moralistes, les gens bien sous tous rapports : « L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. »48.

Dans « PJA », de subtils glissements sémantiques font référence au masque. L’accent est mis notamment sur l’hypocrisie du gouvernement français, détenteur du masque du « cynisme » et de l’« hypocrisie ». Préoccupé « soi-disant » de la situation de détresse humaine et socio-économique qui mine le pays, il se dit prêt à trouver des solutions pour l’insertion des jeunes. En réalité, « il feint toujours de s’intéresser à l’avenir des jeunes […] » (Glissant, 1963 : 18). De telles attitudes ne peuvent qu’heurter l’horizon d’attente d’un lecteur de facétie digne d’une « parodie de culture française » (Glissant, 1963 : 17), tant les ruses déployées et les propos mensongers sont explicites, grossiers et renvoient au « masque européen » (Glissant, 1963 : 18). Le colonialisme « ricanant » de la « sottise des campagnards » (Glissant, 1963 : 19) se targue devant les jeunes instituteurs qui « jouent un rôle de témoins muets d’un drame dont ils sont parfaitement conscients » (Glissant, 1963 : 19), et il « ne manque pas d’humour, même lorsque les conséquences en sont tragiques » (Glissant, 1963).

Quand le « masque va-t-il se déchirer ? » (Glissant, 1963 : 18), se demande Glissant, empruntant au titre célèbre de Peau noire masque blanc, et à la sémantique de l’aliénation de Frantz Fanon. Car Glissant tente aussi de démasquer le projet du colonialisme, ses postures et ses pratiques douteuses, sachant les vives appréhensions de la jeunesse et de leurs parents à l’égard d’un système colonial habitué à travestir ses intentions : « l’intérêt qu’il porte à ces derniers n’est ni l’amour, ni réflexion. Le colonialisme est inquiet ». Glissant note de plus l’attitude hypocrite des autorités coloniales et s’emploie à décrypter la « vérité », le but étant de faire tomber le masque colonialiste de cette infâme départementalisation qui prend la jeunesse en otage.

Par sa connivence et sa complicité avec l’État, l’élite revêt les caractéristiques de bouffon ou de « valet » (Glissant, 1963). Les études sur la fonction du personnage du valet dans le théâtre classique décrivent souvent ce personnage doué d’intelligence et de fourberie, pouvant devenir le très bon adjuvant de son maître, surtout lorsque ce dernier se trouve dans des situations périlleuses49. Détentrice d’un pouvoir aléatoire et versatile, l’élite fait partie du peuple martiniquais, mais elle est liée de par ses fonctions d’élue ou de fonctionnaire, au gouvernement. Toujours prête à se « convertir en valets de l’Administration coloniale » (Glissant, 1963 : 19). L’élite se situe dès lors dans l’inconfortable situation d’un entre-deux qui lui vaut des reproches, d’être accusée de desservir la jeunesse de son pays, de l’exposer à un avenir incertain. Elle se rend coupable en se faisant l’alliée du colonialisme (Glissant, 1963 : 18) représenté par le gouvernement dont elle sert les intérêts de plusieurs manières. D’une part, elle ne s’oppose que rarement à ses décisions et d’autre part, elle privilégie ses propres intérêts en s’assurant une contrepartie financière ou en ne se souciant que de son ascension sociale. Qualifiée d’« actions criminelles » (Glissant, 1963 : 23), la félonne connivence de l’élite rejoint la liste des personnages passifs qui assistent dans une totale indifférence à la dépopulation juvénile. Les parents, « trop anxieux » pour réagir, ne revendiquent que « le pain et l’éducation ». Les enseignants, eux, sont « prêts à se « prostituer » (Glissant, 1963 : 19) pour « un poste de sous-directeur » et deviennent progressivement le « jouet de toutes les ambitions et manœuvres électorales […] de la scène politique aux Antilles » (Glissant, 1963). Même les organismes syndicaux qui prétendent être neutres disent préférer rester en « dehors des grands débats ». Leurs réticences, décriées comme de la « démagogie alliée à un infantilisme stérile », sont assujetties à leur incapacité de « s’ouvrir aux véritables problèmes de leur pays » et à un manque d’audace et de courage politique. Le silence de l’Église, qualifié d’assourdissant, face à cette politique migratoire n’est pas mieux traité. Ce sont donc autant de comportements laxistes et complaisants participant à la mascarade d’injustices que Glissant associe à un dénouement de parodie tragi-comique.

Glissant voit en outre dans les rapports établis entre l’État français et la société antillaise, un terreau d’impostures et de postures iniques visant à favoriser l’émergence de manœuvres et d’« attitudes floues, ambiguës, caractéristiques de la vie politique aux Antilles ». Et pour les dénoncer, il les soumet à une stratégie verbale puisant dans le registre tragique la matière du renversement, de l’inflexion parodique. Cette forme de baroquisme entend montrer comment la politique migratoire, sujet grave et sérieux, constitue une mascarade d’iniquités qui ne peut être tolérée et doit être combattue. D’où le recourt aux éléments de dénouement tragi-comique. En effet, la peur d’affronter le gouvernement français réside en creux dans les comportements de la jeune population qui incarne les valeurs héroïques que lui prête Glissant. En face, l’anti-héros, celui qui use de l’ignorance de sa « victime » pour l’affaiblir, l’enfermer dans l’irresponsabilité, la méfiance et l’inertie, place les Antilles dans une situation qui fait dire à Glissant que ces dernières sont dans « un cul-de-sac, dans une impasse » (Glissant, 1963 : 23).

Les éléments du tragique s’observent à travers la surenchère énonciative du sentiment de fatalité exprimé face au « crime contre les Antilles », qui semble plonger la population dans une grande indifférence. Glissant est de ceux qui « ressentent confusément les problèmes et qui […] prennent conscience de l’importance du combat qui s’engage entre les autorités coloniales et les jeunes » (Glissant, 1963). Il espère certes une prise de conscience, en synergie avec les « situations explosives » dans la Caraïbe et l’Amérique latine ou avec la dynamique de la guerre d’Algérie (Glissant, 1963 : 23) : « on ne remet plus totalement à une mère qui pourvoira à tout ». Il croit aussi en l’action d’une jeunesse consciente ; les situations de 1959 à 1961 en Martinique, en Guadeloupe et en Algérie, sont déterminantes : « car elles ont chaque fois une portée très grande dans l’accélération de la prise de conscience nationales aux Antilles ». Il plaide alors en faveur d’une « action révolutionnaire permanente aux Antilles », avec une organisation « sérieuse de la jeunesse » (Glissant, 1963 : 24).

Mais il est conscient de sa vulnérabilité. C’est pourquoi il évoque aussi l’échec de certaines actions révolutionnaires, cette « vaste Conférence de la jeunesse par exemple », du fait de « l’absence de comité de liaison entre les jeunes de Paris et ceux des Antilles) [et de] l’interdiction de rassemblement de la Préfecture et aux mésententes internes ». L’impuissance de la jeunesse, son inertie, son absence des partis politiques (« les organisations politiques des Antilles n’ont pas en général d’organisation de jeunesse » (Glissant, 1963 : 24-25), son incapacité à résister, à s’organiser pour sa survie et son maintien dans le pays, et ce malgré les nombreux efforts de certains résistants, rallongent la liste des carences constatées chez la jeunesse. Or, ajoute le locuteur : « rien n’est fait pour susciter chez les jeunes des réflexions critiques sur la situation des Antilles, pour développer la prise de conscience nationale. De surcroît, l’espoir d’un renversement de situation paraît très mince voire impossible. Ces constats négatifs forment l’ensemble des éléments déclencheurs du pessimisme glissantien.

Le sentiment de fatalité se renforce à l’évocation des discours d’espoirs de vie meilleure que l’on fait miroiter à la jeunesse : qu’on « allèch[e] avec des propositions d’embauche », une fois de l’autre côté de l’Atlantique. L’aigreur du propos se voit d’autant plus exacerbée que ce départ massif est aussi un facteur d’appauvrissement identitaire du pays. Glissant, qui a longtemps vécu à Paris durant sa jeunesse, connaît le « sentiment de déracinement » (Glissant, 1963 : 23) qui accompagne le départ du pays natal et l’exil. Les conditions du voyage, les conditions d’accueil réservées à ces expatriés arrivés sur le sol français, sans espoir de retour, renforcent le sentiment d’amertume et d’inimitié de l’auteur face aux fausses promesses : « le plan Némo prétend hypocritement assurer à ces jeunes la possibilité de rentrer chez eux alors qu’il les prive de cette possibilité ». Il n’empêche que la fracture idéologique est là. Elle est à la fois intergénérationnelle et transgénérationnelle. Elle réside entre les jeunes et leurs aînés et surtout entre les jeunes entre eux : entre d’un côté une jeunesse qui adhère à ces « discours mensongers » (Glissant, 1963) et consent à partir et, de l’autre, celle qui cherche à s’émanciper, consciente des vrais problèmes de sa société, et se dit prête à se mobiliser.

Parce que la jeunesse contemporaine « est entièrement livrée à elle-même, non organisée », elle augmente le « désarroi de ceux qui ressentent confusément les problèmes et qui, de plus en plus prennent conscience de l’importance du combat qui s’engage » (Glissant, 1963 : 23). L’espoir d’une « lutte ouverte » annonçant « un combat serré » et l’émergence d’« un mouvement révolutionnaire » ne suffisent pas à dissiper le sentiment de fatalité qui réside en creux à la fin du discours de Glissant, lorsqu’il évoque « le bilan négatif » de luttes antérieures. Perdant toute assurance, il affirme plus loin, sur un ton délibératif : « on n’organise pas la jeunesse pour la jeunesse. […] Le problème de l’organisation de la jeunesse est un impératif. Il doit être pensé et étudié par l’ensemble de toutes les forces anticolonialistes unies », concluant alors : « à l’heure actuelle, un objectif principal de combat reste donc l’unité de toutes les forces anticolonialistes » (Glissant, 1963 : 25).

La relecture signifiante de l’article « PJA » a permis de renouer avec un contexte politique, idéologique et historique crucial dans la construction de la société antillaise. Mais au-delà de sa tonalité polémique et pamphlétaire, le texte de Glissant frappe par ses enjeux prophétiques.

« Problèmes de la jeunesse antillaise aux Antilles », une mise en garde prophétique

Le malaise Glissant ou la frilosité de la réception

La relecture de « Problèmes de la jeunesse antillaise » plus de 60 ans après sa parution, pose la question de sa réception, des conditions de son élaboration et de sa dimension historique. Précisons d’abord que ce texte s’inscrit dans le prolongement des objectifs fixés par la politique éditoriale de la rubrique « Palabre » de Présence africaine qui, comme le rappelle Romuald Fonkoua, entendait :

« donner la parole aux jeunes », c’est-à-dire ceux qui, au moment des indépendances africaines, comme Édouard Glissant, étaient nés trente ans plus tôt et constituaient aux yeux du fondateur de la revue (appartenant lui à la génération antérieure), les forces de demain. (Fonkoua, 2011 : 63)

Il s’agissait de plus, de permettre aux écrivains de « donner un point de vue qui puisse collectivement servir d’orientation pour un acte à faire, d’exemple à méditer, de pistes concrètes d’action à réaliser » (Fonkoua, 2011). Cette rubrique sert alors de tribune d’expression d’une Antillanité militante et d’analyse de la situation de la jeunesse antillaise, non plus sujet de lutte, mais objet d’oppression du colonialisme aux Antilles.

L’article de Glissant répond à ce type d’ambition tout en convoquant l’horizon d’attente d’un lecteur du Discours sur le colonialisme50 d’Aimé Césaire (1950). Dans ce discours, le chantre de la Négritude examine et fustige le colonialisme ainsi que ses effets dans le monde. Ce discours a permis le réveil de la conscience des colonisés, jusqu’à sonner l’avènement des indépendances51. Le Discours sur le colonialisme fut incontestablement un détonateur dans la vie d’intellectuels52 qui osèrent alors pousser violemment la porte de l’ignominie fondatrice de la pensée postcoloniale (puis décoloniale).

Le rapprochement entre Césaire et Glissant, deux intellectuels de même origine et de même culture, partageant une même passion pour l’écriture et la politique, tient aussi au même désir de combattre le colonialisme, même si les voies choisies ne seront pas identiques. Au-delà de l’ipséité rhétorique qui distingue ces deux concitoyens martiniquais, l’action politique et leur rapport au colonialisme montrent en effet des différences sensiblement marquées. Le Discours sur le colonialisme eut sur la scène internationale et aux Antilles, un impact plus retentissant que « PJA ». Même l’essai plus étoffé qu’est Le Discours antillais53 n’aura pas le retentissement du Discours sur le colonialisme. Sans doute parce que Césaire s’est engagé sur la scène politique en tant que Député de la Martinique depuis 1946. De plus, il écrit un Discours plus ancré dans une perspective universaliste et non « localiste » – très en vogue à l’époque, ce qui incontestablement favorisa la réussite d’une réception au niveau international.

Glissant est âgé de vingt-deux ans lorsque paraît Discours sur le colonialisme. Il est à l’écoute de la pensée de son aîné Césaire, de sa praxis, et porte un regard interrogateur sur son action politique. La tessiture rhétorique de Césaire retentit sous forme d’échos dans « PJA », notamment pour critiquer les principes de la rationalité européenne. Toutefois, contrairement à Césaire, Glissant promeut un discours dont l’originalité repose sur une attentive observation du colonialisme et de ses enjeux, et donne naissance à une imposante production littéraire dont : La Lézarde (1958), « PJA » (1963) et le Discours antillais (1981). Il n’a pas franchi la porte du pouvoir électoraliste et ne le fera jamais. Il milite cependant activement auprès des jeunes révolutionnaires et dans les mouvements nationalistes, mais pas dans les partis politiques ou syndicaux. Il est hostile à l’élitisme et se montre davantage proche des populations exclues, des sans-voix, des hommes du peuple et surtout, de la jeunesse. Glissant choisit, répétons-le, d’infléchir la contestation anticolonialiste en la projetant sur la jeunesse des Antilles. Ce sera aussi son choix lorsqu’il créé une école qu’il veut différente : l’IME (Institut Martiniquais d’Études).

« PJA » prend donc le contrepied d’une discontinuité idéologique de la pensée d’Aimé Césaire, en ce qu’il rompt, dans son lieu natal, avec des convictions énoncées au niveau planétaire. Ce schisme local fondé sur l’inadéquation discursive entre l’œuvre et l’action politique fut d’ailleurs relevé par des intellectuels comme Raphaël Confiant qui, dans Aimé Césaire, une traversée paradoxale du siècle, souligne ce paradoxe idéologique : pour avoir dénoncé l’oppression du tiers monde par les Européens en tant que poète dans le Discours sur le colonialisme, tout en défendant la loi de départementalisation pour les Antilles-Guyane et la Réunion, votée en 1946 : « Les Antilles françaises d’aujourd’hui souffrent d’un péché originel : celui de l’assimilation... Césaire n’a conçu qu’un avenir de province française pour les Antilles »54.

Glissant prône pour sa part une cohérence avec sa réalité d’écrivain antillais en situation néocoloniale. Au sein de Présence africaine, la ferveur militante de l’écrivain s’est poursuivie en actions concrètes et visibles sur le terrain. Ainsi, de retour en Martinique en 1965, Glissant fonde deux ans plus tard, l’Institut martiniquais d’études, une institution privée d’éducation qui visait à restituer aux jeunes antillais un enseignement en adéquation avec la réalité de leur Histoire et de leur géographie et ce, à l’encontre de toute acculturation. Par cette initiative, Glissant actualise des revendications qui consistaient à donner aux jeunes Antillais la possibilité de s’exprimer, de travailler à une prise de conscience identitaire et de mieux penser un avenir inscrit dans le projet d’Antillanité que Glissant promeut à la fin de « PJA » :

D’une manière générale, pour l’ensemble de la population des Antilles qui manque de perspectives et se sent écrasée par son insularité étroite, les étudiants antillais doivent sans cesse dénoncer les mensonges et expliquer que notre avenir s’inscrit dans un mouvement général caraïbe, et que nous devons, pour être en mesure de les réaliser, commencer par nous libérer de nos chaînes. (Glissant, 1963 : 26)

L’ouverture des Antilles à l’environnement insulaire caribéen, visait l’émergence d’une autre conception du développement de l’île. Cette insertion caribéenne des Antilles s’est vue différée, car oblitérée dans la conscience de ses contemporains et dans la conscience collective actuelle. Le discours antillais n’a pas réussi à pénétrer cette conscience collective qui s’est vue morcelée et déstabilisée par les politiques « d’immigration forcenée » (Glissant, 1963) d’un gouvernement hostile à l’idée « de libération totale des Antilles et de la prise en main par les Antillais de la direction de leurs affaires » (Glissant, 1963 : 25). L’idée donc, d’associer la jeunesse à l’avènement d’un nouveau statut institutionnel des Antilles françaises constitua une utopie perdue pour ces îles francophones à la fois américaines, françaises et européennes.

La question des motivations ayant entraîné à la déterritorialisation de nombreux jeunes Antillais dans le cadre du BUMIDOM dans les années 60, a fait l’objet de nombreuses études. Fred Constant, auteur de « La politique française de l’immigration antillaise de 1946 à 1987 »55, a analysé le contexte de mise en œuvre du BUMIDOM qu’il qualifie d’« instrument de la politique française de l’immigration antillaise » (Constant, 1987). Cette étude décrit le fonctionnement du BUMIDOM en s’appuyant sur la version officielle du gouvernement, lequel entendait pallier par l’émigration des Antillais vers la France hexagonale, le besoin en main d’œuvre de « travailleurs d’Outre-Mer ». Ces derniers devaient « rejoindre les régions de la métropole plus développées, créatrices de richesses »56 dans une France en pleine croissance économique :

Posée, à l’origine, comme préalable au décollage économique et solution au déséquilibre démographique des sociétés de départ (Martinique, Guadeloupe), la politique française de l’immigration antillaise (2) prend naissance dans une conjoncture nationale, marquée par l’expansion économique, le développement industriel et l’augmentation du nombre des emplois ; conjoncture qui rend nécessaire l’appel à une main-d’œuvre extérieure. (Constant, 1987)

Fred Constant fait état de la situation de tension aux Antilles et le contexte de trouble (« la révolution “castriste” cubaine, aux événements sanglants d’Algérie, au processus international de décolonisation, aux émeutes de Fort-de-France, de décembre 1959, les premières organisations indépendantistes »), qui agite le monde et particulièrement la Caraïbe. Il semble reconnaître dans les motivations de la politique migratoire la montée du nationalisme et les velléités indépendantistes, mais sans jamais faire référence ni à Glissant ni à son texte, « Problèmes de la jeunesse aux Antilles ».

Monique Milia s’est aussi intéressée aux origines du BUMIDOM dans une étude comparative sur le fonctionnement des dispositifs migratoires et de leurs impacts, plus spécifiquement dans les départements de la Réunion et de la Guyane, dans : « Histoire d’une politique d’émigration organisée pour les départements d’outre-mer »57. Cette étude met en exergue une politique migratoire présentée officiellement comme une solution aux problèmes cruciaux des Départements d’Outre-mer, à savoir l’accroissement démographique et le chômage. Elle apporte également des éclairages sur l’émergence de mouvements autonomistes et indépendantistes qui tentent de court-circuiter le dispositif du BUMIDOM mis en place par le gouvernement français. Ce point de vue historique n’aborde pas le contexte des tensions révolutionnaires qui entourent les conditions de fonctionnement du BUMIDOM. Encore une fois, il n’est fait mention nulle part de l’analyse de Glissant. Il en est de même pour le second article « La grande migration des Antillais en France ou les années BUMIDOM » (Milia-Marie-Luce, 2007), qui aborde la question de la naissance du BUMIDOM dans le contexte plus large des Antilles.

Une troisième étude nous a aussi interpellée : celle de Clara Palmiste, qui examine le « concept de génocide par substitution » formulé dans certains discours d’élus politiques, à l’instar d’Aimé Césaire en 2006, en parlant du BUMIDOM. Clara Palmiste souligne également la frilosité scientifique à l’égard des motivations réelles de la création de ce dispositif migratoire :

Les chercheurs ont rarement cherché à savoir s’il existait un lien entre les revendications d’autonomie, les tensions dans les départements d’Outre-mer et le changement de politique migratoire. Monique Milia a observé que la mise en place du BUMIDOM a coïncidé avec des velléités d’indépendance dans les départements (2), mais privilégia la piste de la grande capacité d’accueil de la Métropole pour expliquer la décision du gouvernement français d’orienter l’émigration des Ultramarins vers l’Hexagone. Compte tenu de la décision du conseil d’administration du BUMIDOM de revenir à son schéma initial d’émigration vers la Guyane […], l’argument de la capacité d’accueil est difficilement convaincant.58

Clara Palmiste se réfère à M. Milia, sans pour autant évoquer une fois encore « PJA » dans sa bibliographie. Problème de diffusion ou de disponibilité de l’article ? Ainsi, voyons-nous que les véritables conditions d’émergence du BUMIDOM et de ses sources restent posées. Ces trois études, qui sont loin d’être exhaustives, sans juger de la fiabilité des sources, montrent indéniablement un évitement du texte de Glissant en tant que source possible d’information. Cécile Bertin-Élisabeth a d’ailleurs montré que c’est la réception de toute l’œuvre de Glissant qui a été mise à mal aux Antilles59.

Pour notre part, nous considérons cependant que cet article de Glissant a toute sa place dans le questionnement de la situation problématique de la jeunesse aux Antilles, très largement concernée par la question migratoire. Ostracisme volontaire ou malaise inconscient ?

Nous avons cependant découvert une mention de ce texte sur le site Sociologie de la jeunesse aux Antilles françaises créé par Michel Tondellier, Maître de conférences en sciences de l’éducation60 à l’Université des Antilles en Martinique. Ce texte est référencé comme seule source textuelle de la rubrique « Histoire » de ce site.

La subjectivité de Glissant est-elle en cause dans cette timide réception ? Surtout vu son implication dans les mouvements indépendantistes. En quoi ce texte a-t-il pu paraître problématique ? La verve pamphlétaire peut-elle être en cause dans l’occultation de ce document comme source ? Dans le Dictionnaire des termes littéraires, Hendrik van Gorp rappelle que « la littérature pamphlétaire apparaît souvent à l’occasion d’événements historiques importants […] et revêt, par conséquent, une valeur documentaire »61. Il est vrai que ce texte dérange à plus d’un titre. Ce texte est de surcroît subversif en ce qu’il s’oppose à la pensée dominante d’alors. Maurice Angenot affirme que « le pamphlet est un révélateur, il signale le moment où un système de valeurs “craque”, s’effondre sous les contradictions. Il fait communier avec l’auteur dans l’incompréhension, le ressentiment, le désespoir et l’impuissance »62. Ainsi, « PJA » a toute sa place dans la documentation historique et ce, dès le moment où l’intention qui préside la démarche d’écrire émerge de l’actualité sociale et ce, quel que soit le risque encouru.

Une réception ratée est cependant significative et peut être perçue comme une sanction des lecteurs. Celle-ci peut aussi masquer une peur, une opposition ou une désapprobation. Toujours est-il qu’en tant qu’acte de communication, tout texte a sa place dans la société. Ainsi Roland Barthes soutient que :

L’intervention sociale d’un texte (qui ne s’accomplit pas forcément dans le temps où ce texte paraît) ne se mesure ni à la popularité de son audience ni à la fidélité du reflet économico-social qui s’y inscrit ou qu’il projette vers quelques sociologues avides de l’y recueillir, mais plutôt à la violence qui lui permet d’excéder les lois qu’une société, une idéologie, une philosophie se donnent pour accorder à elles-mêmes dans un beau mouvement d’intelligible historique. Cet excès a un nom : écriture (Barthes, 1971)63.

La violence de « PJA » se situe moins dans le contexte dans lequel il s’inscrit et s’écrit que dans le projet d’une indépendance des Antilles, Glissant étant lui-même un ex-membre de l’OJAM. Mais plus que ses textes littéraires, son action politique (OJAM) semble escamotée dans les mémoires auxquelles s’imposent une loi de silence dès qu’on évoque le nom de Glissant. La mémoire collective, hantée par le spectre de l’indépendance, préfère entretenir la mémoire de Césaire et ostraciser Glissant. Aussi, soucieux de favoriser l’émergence de la conscience collective, Glissant transfère dans l’acte d’écrire l’expérience du sentiment d’impuissance face à la situation d’injustice qui se joue sous ses yeux.

Rappelons qu’à l’ombre de la Négritude et de la Créolité, comme l’a montré Cécile Bertin-Elisabeth64, l’œuvre de l’Antillanité de Glissant est demeurée sans reconnaissance comme sans éclat dans son propre lieu. Alors, comment réhabiliter la postérité d’un texte où la subjectivité et l’engagement cohabitent avec l’esthétique, l’imaginaire d’un écrivain mû par le besoin d’exercer sa responsabilité dans la société ?

La dimension prophétique du texte

Le texte de Glissant a une dimension prophétique. L’écriture de Glissant est anticipatrice : elle questionne les perspectives et les lignes de fuite à partir d’une actualité en résonance avec le passé et le présent. D’aucuns estiment qu’instrumentaliser la littérature, c’est outrepasser les attentes et les rigueurs académiques. Or dans les sociétés postcoloniales, l’œuvre littéraire est souvent recherchée comme support d’interprétation (et de compréhension) des problématiques sociales, historiques, socio-économiques et des carences d’une Histoire écrite par d’autres. On peut partir de « PJA »  pour éclairer les failles de la société antillaise actuelle, même si ce n’est pas la fonction première de la littérature. Comme de nombreux écrivains à l’écoute des soubresauts du monde, Glissant éprouve face à l’actualité le besoin d’écrire et de dire dans L’Intention poétique : « Si je veux comprendre mon état du monde […], il faut que je rattrape à l’instant les énormes étendues de silences où mon histoire s’est égarée…, la durée dans le cri raisonné » (Glissant, 1969)65. De même, écrira-t-il dans Traité du Tout-monde, publié vers la fin de sa vie : « écrire c’est dire littéralement » (Glissant, 1997)66. Ainsi, d’un bout à l’autre de sa vie, Glissant n’aura de cesse d’énoncer et de traduire sa perception du réel au prisme de l’écrit et de l’oralité, entre ce que dit le roman et le « dire ce qu’il écrit » dans d’autres genres (poésie, essai, discours).

Peut-on affirmer que la situation de la jeunesse actuelle avait été prophétisée dans cette déclaration que Glissant formulait dans « PJA » : « la grande détresse de la jeunesse des Antilles est là, et pour nous apparaît comme le phénomène le plus dramatique, car c’est de l’avenir de nos pays, l’avenir de ces îles jeunes que le colonialisme français veut priver de leur jeunesse, veut ruiner définitivement et ainsi vieillir d’une façon inhumaine » (Glissant, 1963) ? Il s’agissait d’un cri d’alarme pour faire prendre conscience de la situation désastreuse qui hantait l’écrivain à l’époque, mais dont les émanations se répandent sans discontinuer et avec plus d’acuité de nos jours, car la jeunesse continue de poser problème et « l’ancienne » jeunesse a vieilli...

En effet, la jeunesse des années 50 est aujourd’hui aux Antilles, la tranche d’âge, vieille de près de 80 ans. Et les îles sont durement frappées de dénatalité. La nouvelle génération juvénile actuelle, quant à elle, continue de subir le processus d’émigration massive que Glissant dénonçait jadis comme un fléau entretenu par l’appareil colonial. L’accélération du vieillissement de la population et l’exode massif des jeunes demeurent plus que jamais des questions cruciales touchant actuellement ces pays « vidés de leurs forces vives ». C’est pourquoi la valeur proleptique des prédictions de Glissant donne matière à interpeller l’actualité des sociétés antillaises contemporaines.

Une solution : retour à La Lézarde ?

Glissant est un écrivain polymorphe, tantôt écrivain, tantôt historien, tantôt au cœur de l’action politique et idéologique, et en tous les cas, un être engagé contre le colonialisme. Après le constat déplorable sur la situation de la jeunesse antillaise, Glissant postule des solutions et des perspectives en militant politique, en poète et en romancier. Considérée dans Étude d’un roman : « La Lézarde » d’Édouard Glissant 67par Juliette Eloi-Blézès comme les « prémices de l’Antillanité », la jeunesse chez Glissant est partie prenante du processus de réappropriation identitaire, géographique et culturelle qui sera théorisée et développée en poétique jusqu’à la publication de sa Poétique de la Relation en 1990. Dans « PJA », cette population juvénile est transposée au rang d’objet et d’agent passif, victime d’un processus de réification dans l’échiquier politique et social. Dans La Lézarde au contraire, elle s’énonce elle-même « prête à s’ancrer dans l’affirmation collective appuyée par l’acte des peuples » (Glissant, 1997 : 729). C’est pourquoi le roman apparaît comme un cheminement utopique qui, tout en faisant l’éloge de l’action collective de la jeunesse antillaise, dévoile celle-ci comme une source d’inquiétude et un « problème » majeur pour les autorités coloniales...

Glissant a choisi d’ancrer l’intrigue du roman dans un cadre spatio-temporel situé dans un carrefour historique pour l’avenir de la Martinique, c’est-à-dire après la seconde Guerre mondiale68 et avant la promulgation de la loi de la départementalisation en 1946. Issus de milieux ruraux ou citadins, comme Thaël qui vit dans les mornes ou comme Mathieu, résidant en ville, les jeunes de La Lézarde se réveillent du long « trou noir de la guerre » (Glissant, 1997 : 191) et après un « long isolement imposé par la guerre » et l’Amiral Robert. Leurs chemins se sont croisés. Ils s’attirent : « la jeunesse appelle la jeunesse » (Glissant, 1997 : 172) et en dépit des différences sociales, elle entreprend de scruter le pays et vivent « des destins poussés à l’extrême du pays » (Glissant, 1997 : 11). Avec d’autres camarades, les héros participent à l’« obscur mouvement de ceux qui sont le levain du pays ». Juliette Eloi-Blézès situe ces personnages dans le genre du roman d’apprentissage, car « ils font leur expérience de la lutte », ils découvrent leur pays, sa nature, sa terre, son passé et ses alentours, les îles qui l’encerclent. A la découverte des lieux, s’ajoute l’apprentissage affectif et sentimental, soit le propre d’une grande majorité de jeunes. Les relations amoureuses entre Mathieu et Mycéa, entre Thaël et Valérie sont toutefois indéfinies, impalpables. Elles ne sont pas la priorité d’un l’auteur qui privilégie une intrigue axée sur l’action militante plutôt qu’affective. Il n’empêche que chacun incarne un idéal : Mathieu rêve de connaître le passé, Thaël choisit de combattre pour la terre, c’est un paysan. Mycéa quant à elle, recherche les traces, l’origine. Les jeunes de La Lézarde représentent ainsi les rescapés du schisme ontologique antillais. Ils ont besoin de comprendre et veulent, à leur tour, « naître avec » : re-découvrir leurs origines, leur lieu, leur culture et remonter les obscurs du temps : « Voilà. Il avait compris que cette terre qu’ils portaient en eux, il fallait la conquérir » (Glissant, 1997 : 58). Alors ils scrutent, fouillent, examinent et quêtent les aurores d’une humanité antillaise libérée du poids de la misère, de l’isolement et du joug colonialiste.

À l’écart des adultes qui les craignent, les jeunes se sachant surveillés, parviennent néanmoins à déjouer l’attention des autorités qu’ils contestent. En se retrouvant avec leurs pairs, ils comprennent qu’à plusieurs ils sont plus forts et qu’ensemble ils peuvent se défendre. Ils ne craignent pas la misère et n’ont pas peur de l’affronter, de la combattre et de l’apprivoiser (Glissant, 1997 : 134) avec les armes d’un communisme qui prône des valeurs d’égalité et d’équité (Glissant, 1997 : 29).

Ils sont tous animés d’une passion : ils ont la « flamme » et campent dans le « feu souverain » (Glissant, 1997 : 26) de l’histoire. Ils découvrent le tumulte colonial et ses effets. En ligne de mire, le système colonial, car « ils ont étendu sur nos terres le manteau de la mort. Ils ont tué, voici dix ans, le meilleur de nos défenseurs, le plus capable de nos frères. C’est ainsi qu’ils pouvaient agir dans leur temps » (Glissant, 1997 : 135). Eux, ils comprennent la nécessité de l’engagement politique et c’est dans l’observation de son fonctionnement qu’ils peuvent entretenir sa flamme. Assoiffés de liberté, ils connaissent alors les souffrances à endurer pour l’obtenir : « notre peuple a donné un nouveau contenu, son contenu, au mot de Liberté » (Glissant, 1997 : 134). La lutte est une évidence : « Aujourd’hui, le peuple se réveille, comme Lazare il sort du tombeau. Mais il n’y a plus de miracle. Il n’y aura plus que la vigilance et le combat » (Glissant, 1997 : 135).

Acteurs de leur destin, les jeunes de Glissant savent comment faire pour atteindre leurs objectifs : se rassembler, militer, résister, revendiquer, interroger, prendre position, réfléchir, s’informer, s’organiser, débattre, (Glissant, 1997 : 64) tenir des comptes rendus de réunions, écrire (Glissant, 1997 : 150), penser, créer.

Favorisé par les amitiés ou les premières expériences amoureuses, le phénomène de groupe est une spécificité chez les jeunes qui se laissent emporter par la passion commune de l’engagement : « acteurs eux-mêmes par quoi venait à jour mille obscurités hargneuses l’ébauche peut-être d’une passion sans égale » (Glissant, 1997 : 27). Ils sont différents, mais ils se comprennent : « une organisation tacite » (Glissant, 1997 : 26) qui se constitue « autour d’une commune ardeur militante ». Le malaise que suscitent les rassemblements de jeunes tient justement au fait qu’ils peuvent déborder en mouvements révolutionnaires incontrôlables pouvant entraîner la répression. Dans le cas des jeunes de Lambrianne, les rassemblements peuvent être à la fois des conciliabules poétiques, des colloques politiques ou prendre l’allure de « conclave[s] » (Glissant, 1997 : 47) décisionnaire(s).

L’action politique ne les effraie nullement. Ils l’idéalisent même69, la considérant comme le « nouveau domaine de la dignité », de l’utopie et du rêve. Ils rêvent d’aider le peuple à entrer « dans la vérité de son soleil » (Glissant, 1997 : 53) et [de la voir] revenir à son royaume. Ils rêvent d’un « peuple […] ivre d’affirmer sa naissance » (Glissant, 1997 : 191) et pleinement conscient des enjeux politiques à assumer. C’est d’ailleurs un élément fondamental de l’intrigue, car en réponse à la volonté d’« étouffer les “mouvements” de Lambrianne70, ils opèrent avec intelligence et discernement. Résister à la répression, mettre en place des stratégies, élire un représentant comme Thaël, ces actions illustrent leur capacité à analyser, à discuter les principes démocratiques. Ils ont le sens de la solidarité et de la fraternité : “à cette époque de notre histoire, nous ne pouvons pas laisser grandir parmi les frères la haine du frère. Comprends-tu ?” (Glissant, 1997 : 115).

Ils ont conscience de leur insularité, mais également de la proximité culturelle, archipélique et géographique avec leurs voisins caribéens. Ils rêvent d’un monde autre : “Nous voulons, avec les peuples nos voisins, combattre l’aridité séculaire de notre tradition. Nous voulons la lumière, nous voulons l’ouverture, la passe” (Glissant, 1997 : 134). Ils rêvent également de “raccorder le passé bruissant au présent plein d’amertume” (Glissant, 1997 : 84). Ils vivent sans limite d’amitié, de ferveur, d’amour et d’une foi commune dans la lutte et l’engagement. En somme, ces jeunes semblent avoir compris le sens de l’Histoire et veulent y participer. Ils aspirent à voir leur pays “relever la tête” et adhèrent aux idées du Représentant71 qui leur semble être aux côtés du peuple72. Ce n’est donc pas par hasard si on les retrouve au cœur de l’ambiance tendue de la politique et des élections.

Mais les anciens jeunes de La Lézarde sont aujourd’hui ceux qui répètent à la nouvelle génération, comme l’avait fait entendre un vieillard à Thaël au lendemain des élections : “Pour vous le travail commence. Nous les vieux c’est trop tard, il y a bien de choses que nous ne verrons pas, mais on a aidé. Vous ne savez pas, parce que nous sommes sans-la-voix, mais on a aidé, oui. Souvenez-vous” (Glissant, 1997 : 169). C’est alors une jeunesse antillaise idéalisée, attachée à des valeurs nobles et révolutionnaires, insouciante qui rêve d’espace et de grandeur, de réussite et d’engagement, qui a trépassé dans les filets colonialistes, et dans ceux du BUMIDOM.

Quel que soit le mode de représentation de la jeunesse antillaise, celle-ci véhicule les motivations, les aspirations et les sources d’inquiétude propres à Glissant. Deux visions antinomiques de la jeunesse antillaise s’imposent alors : l’une militante, engagée contre la colonisation et idéalisée dans La Lézarde, l’autre victime d’une machine coloniale qui ne peut être combattue que par la jeunesse elle-même.

Mais les porteurs de l’Antillanité n’ont pas su transmettre aux nouvelles générations l’utopie ensemencée dans l’idéal de la contestation émancipatrice exaltée par la jeunesse de La Lézarde, pensée par un jeune écrivain pour la jeunesse. Reflet d’un idéal politique, ce roman amorce les mécanismes destinés à prendre le contrepied de la politique d’assimilation analysée ultérieurement dans “Problèmes de la jeunesse aux Antilles”. Entre idéalisme et désillusions, tout n’est-il pas déjà dit ?

Conclusion

Objet de toutes les attentions, la jeunesse des Antilles est l’espace-temps de la prise de conscience, de la remise en question, métaphore d’un pays prêt à prendre son envol et sa destinée en main. À travers les textes de Glissant, de La Lézarde à “Problèmes de la jeunesse aux Antilles”, nous pouvons comprendre désormais pourquoi l’utopie de l’Antillanité ne s’est jamais réalisée… Cette Caribéanité en devenir se trouve pourtant en filigrane, enveloppée de la profondeur messianique de l’écriture glissantienne : “œuvres en marche ; non pas hommes seulement, mais destins poussés à l’extrême du pays et tenus en exemple” (Glissant, 1997 : 108). Faut-il évoquer une utopie perdue ? La portée politique et transgressive de cet article résonne en tous les cas avec la tonalité pamphlétaire du Discours sur le colonialisme de Césaire. Et même si l’esprit de la Négritude fut plus habile à étreindre la conscience collective que les audaces de l’Antillanité, les discours actuels ne reprennent-ils pas les formulations prémonitoires glissantiennes ?

1 Pierre Bourdieu, (Entretien avec Anne-Marie Métailié), in Questions de sociologie, Éditions de Minuit, 1984. Ed. 1992, p.143-154.

2 Nathalie Dupont, « Jeunesse(s) », Caen, Presses universitaires de Caen, Le Télémaque, 2014/2 n° 46, p. 21 à 34.

3 Véronique Bordes, « Approche sociologique de la jeunesse », Paris, INJEP, Conseil et développement en politique de jeunesse, 2006-2007, https://

4 Nathalie Prince, La littérature de jeunesse en question(s), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 10.

5 Par exemple, sur HAL.archives.ouvertes.fr, la recherche d’études sur le thème de la jeunesse dans la catégorie des thèses fait davantage ressortir

6 Les idéologies marxistes, capitalistes, communistes.

7 Les premières journées de la Jeunesse Ouvrière Catholique (1926).

8 La jeunesse devient une préoccupation d’État sous le Front populaire (1944) puis sous le Gouvernement de Vichy qui instaure une véritable politique

9 « La commission des affaires extérieures a le travail primordial de faire entendre la voix de la jeunesse martiniquaise dans le monde entier, en

10 L’engagement de Glissant s’étend sur une longue période d’activités politiques et militantes : en 1956, il milite au sein du Cercle international

11 La revue Franc-Jeu est née d’une association de jeunes Lamentinois (habitants de la ville du Lamentin en Martinique) dont fait partie Glissant

12 Édouard Glissant, La Lézarde, Paris, Gallimard, 1997 (1958).

13 Voir l’ouvrage de Dominique Berthet, André Breton, L’éloge de la rencontre, Paris, HC Éditions, 2008.

14 Le Sang rivé, « Les yeux la voix » (1947-1954), in Poèmes complets, Paris, Gallimard, 1994, p. 15.

15 Par exemple : Un champ d’îles (1952) : « Quel est ce cri, ô quel, sinon du seul pays désenlacé ? Il portait sur l’espoir ces vocables des mers :

16 Édouard Glissant, Soleil de la conscience. Poétique I, Paris, Seuil, 1956.

17 Romuald Fonkoua « Édouard Glissant à Présence africaine ou l’intellectuel accompli », Paris, Présence africaine, 2011, n° 184, p. 63-65.

18 « Édouard Glissant à Présence africaine ou l’intellectuel accompli », p. 65.

19 Sont publiés successivement dès 1956, l’essai Soleil de la conscience (1956), puis deux années plus tard le roman La Lézarde, récompensé par le

20 Le Journal Justice du Parti Communiste Martiniquais (1960-1963).

21 Raphaël Confiant, « Justice (n° 49), l’hebdo d’information communiste de la Martinique, Décembre 2017, https://www.montraykreyol.org/article/

22 Tiré d’un article paru dans Justice qu’écrit Édouard Glissant décrivant les faits de sa seconde assignation à résidence décrétée par les autorités

23 Jean-François Sirinelli, « Algérie, Manifeste des 121. “Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie”, Libération, le 12

24 Les 20, 21 et 22 décembre 1959, la Martinique est touchée par des émeutes populaires importantes et mortelles. Des incidents racistes anti-nègre

25 Ce mouvement, faisant suite aux émeutes « à caractère nationaliste » de 1959 à Fort-de-France, entendait renverser le système de répression et

26 Le 22 juin 1962, le Boeing 707 d’Air France qui transportait plusieurs étudiants vers les Antilles, s’écrase, faisant 173 morts. Parmi les victimes

27 Voir le film documentaire de Camille Mauduech, La Martinique aux Martiniquais, l’Affaire de l’OJAM (long métrage, 128 minutes), Paris, Hévadis

28 Est créé en 1963 par le gouvernement français, à l’instigation de Michel Debré, ancien Premier ministre et député de la Réunion.

29 Jean-Christophe Pellat, Stéphanie Fonvielle, Maurice Grévisse, Le Grévisse de l’enseignant, Paris, Magnard, 2016.

30 Loïc Céry, Édouard Glissant – Une pensée archipélique, Site officiel d’Édouard Glissant, http://www.edouardglissant.fr/essais.html, consulté le 4

31 Le BUMIDOM est créé dans les années 60 à la suite d’une planification politique qui commence au début des années 50 avec la création du BDPA (

32 Renvoyez au texte où glissant développera cet aspect ultérieurement.

33 Empruntée à Roger Bastide, L’archipel inachevé. Culture et société aux Antilles, Jean Benoist (dir.), Montréal, Presses de l’Université de Montréal

34 « Digenèse », http://www.edouardglissant.fr/digenese.html, consulté le 3 octobre 2019.

35 Tel que le définit Eugenio d’Ors, Du Baroque, Paris, Gallimard, 1937. « Le Baroque est un phénomène dont la naissance, la décadence et la fin se

36 Aimé Césaire, « Crise dans les départements d’Outre-Mer ou crise de la départementalisation », Présence Africaine, Paris, Présence Africaine, 1961

37 Voir analyse de Sophie Duval, « Une analyse littéraire des discours satiriques contre la réforme Pécresse », Paris, Fabula, 2009, https://www.

38 Vladimir Jankélévitch, L’ironie, Flammarion, 1964.

39 Figure qui consiste à déclarer un sens et à rendre implicite le sens exactement contraire.

40 Il s’agit d’une énonciation double, une énonciation à deux degrés, par laquelle l’énonciateur fait semblant de dire une chose (signifié 1) pour en

41 Northrop Frye, Anatomie de la critique, Paris, NRF Gallimard, 1969 (1957), p. 272.

42 Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, p. 67 : « Je supposerai donc qu’il y a, non point un vrai Dieu, qui est la

43 « Problèmes de la jeunesse antillaise aux Antilles », op. cit., p. 18.

44 Nicolas Machiavel (1469-1527), Le Prince, tr. de J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, puf, (2000.

45 Op. cit., p. 14.

46 La création du BUMIDOM en 1963 est à l’initiative du Député Michel Debré et du général de Gaulle.

47 François Bruno Traoré, « Le masque, enjeu de la dissimulation dans le roman français », http://www.literaturacomparata.ro/Site_Acta/Old/acta9/

48 Molière, Dom Juan ou le Festin de Pierre, Acte V, scène 2, 1665.

49 Par exemple Sganarelle dans Dom Juan ou le Festin de Pierre de Molière (1665) ou Scapin, valet fourbe, intelligent et rusé, manigance des

50 Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1955.

51 Le Camerounais Mongo Beti, dans Ville cruelle (1954), un premier roman désespéré, décrit son pays tel qu’il le voit, avec ses yeux d’Africain

52 Nombre d’écrivains, qu’ils soient d’origine martiniquaise, d’Asie, d’Afrique ont ajusté leur voix à celle de Césaire pour lutter contre le

53 Édouard Glissant, Le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, (1981).

54 Raphaël Confiant, Aimé Césaire, une traversée paradoxale, Paris, Écriture, 2006.

55 Fred Constant, (Constant, 1987) « La politique française de l’immigration antillaise de 1946 à 1987 », in : Revue européenne des migrations

56 « La politique française de l’immigration antillaise de 1946 à 1987 », op. cit., p. 12.

57 Monique Milia, « Histoire d’une politique d’émigration organisée pour les départements d’outre-mer », Pouvoirs dans la Caraïbe [En ligne], n°

58 Clara Palmiste, « Génocide par substitution : usages et cadre théorique », https://hal.univ-antilles.fr/hal-01771854/document, consulté le 5

59 Cécile Bertin-Élisabeth, « Étudier Glissant aux Antilles ou la paradoxale aporie de l’origine », in Colloque international mars 2018 : « Édouard

60 Voir site https://micheltondellier.com/home/ressources-sociologie-de-la-jeunesse-aux-antilles-francaises/, (Angenot, 1978) consulté le 5 octobre

61 Hendrik van Gorp, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Champion, 2005, p. 344.

62 Marc Angenot, « La parole pamphlétaire », Études littéraires, volume 11, numéro 2, août 1978, p. 255–264. https://doi.org/10.7202/500462ar

63 Roland Barthes, Sade, Fourrier, Loyola, Paris, Éditions du Seuil, 1971, p. 16.

64 Cécile Bertin-Élisabeth, « Étudier Glissant aux Antilles ou la paradoxale aporie de l’origine », op. cit.

65 Édouard Glissant, l’Intention poétique, Paris, Seuil, coll. « Pierres vives », 1969, p. 38-39.

66 Édouard Glissant, Traité du Tout-monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 121.

67 Juliette Éloi-Blézès, Étude d’un roman : « La Lézarde » d’Édouard Glissant, Fort-de-France, CRDP Martinique, 2011.

68 « Le premier dimanche de ce mois de septembre 1945 », La Lézarde, op. cit., p. 200.

69 « La politique n’était plus un vain jeu de personnes acculées à défendre leurs misérables privilèges, leurs positions, leurs situations : elle

70 La Lézarde, op. cit., p. 20.

71 Allusion à Aimé Césaire, candidat élu député à l’Assemblée législative en octobre 1945.

72 Deux camps s’affrontent : le parti des propriétaires terriens qui affirment leur attachement à la France, et le parti communiste représenté par la

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1 Pierre Bourdieu, (Entretien avec Anne-Marie Métailié), in Questions de sociologie, Éditions de Minuit, 1984. Ed. 1992, p.143-154.

2 Nathalie Dupont, « Jeunesse(s) », Caen, Presses universitaires de Caen, Le Télémaque, 2014/2 n° 46, p. 21 à 34.

3 Véronique Bordes, « Approche sociologique de la jeunesse », Paris, INJEP, Conseil et développement en politique de jeunesse, 2006-2007, https://blogs.univ-tlse2.fr/bordesveronique/files/2017/05/approche-socio-jeunnesse.pdf, consulté le 2 août 2019.

4 Nathalie Prince, La littérature de jeunesse en question(s), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 10.

5 Par exemple, sur HAL.archives.ouvertes.fr, la recherche d’études sur le thème de la jeunesse dans la catégorie des thèses fait davantage ressortir un intérêt majeur pour la « littérature de jeunesse » et pour « l’enfance dans la littérature ».

6 Les idéologies marxistes, capitalistes, communistes.

7 Les premières journées de la Jeunesse Ouvrière Catholique (1926).

8 La jeunesse devient une préoccupation d’État sous le Front populaire (1944) puis sous le Gouvernement de Vichy qui instaure une véritable politique d’encadrement des institutions et de la jeunesse. Ainsi sont créées des écoles de cadres, le corps des inspecteurs généraux de la jeunesse (1940), le Commissariat général de la jeunesse (1943). D’autres initiatives naissent à l’instar des « maisons de la jeunesse ». Le souvenir de la Résistance, constituée essentiellement de jeunes (par ex. Jean Guéhenno directeur des mouvements de jeunesse), donne lieu à un « secrétariat d’État à l’enseignement technique, à la jeunesse et aux sports » (1950), signe que la jeunesse est dès lors inscrite comme objet politique.

9 « La commission des affaires extérieures a le travail primordial de faire entendre la voix de la jeunesse martiniquaise dans le monde entier, en particulier aux Caraïbes et en Amériques latine. Car la lutte engagée ne triomphera qu’avec l’appui des étudiants et des démocrates de ce monde » : extraits des Étudiants des départements d’outre-mer en Métropole, brochure rédigée par la direction des renseignements généraux, juin 1963 (Archives Nationales), https://edouardglissant.world/du-tout-monde/front-antillo-guyanais-et-ses-documents/, consulté le 12 juin 2019. « C’est aussi un deuil national ; tous ces camarades, étudiants, fils de pays sous-développés, représentaient un capital inestimable pour leur pays tant dans la lutte pour l’émancipation que dans la nécessaire reconstruction. Nous sommes décidés à les assumer jusqu’au bout, surtout lorsque nous voyons l’utilisation propagandiste que l’administration préfectorale n’a pas hésité à faire de leurs cadavres », Discours prononcé par Édouard Glissant au nom de l’Association générale des Étudiants martiniquais à la soirée commémorative d’Albert Béville, Justin Catayée et Roger Tropos, à Paris, Palais de la Mutualité, le 6 juillet 1962. http://www.edouardglissant.fr/discoursmutualite.html, consulté le 25 juillet 2019.

10 L’engagement de Glissant s’étend sur une longue période d’activités politiques et militantes : en 1956, il milite au sein du Cercle international des intellectuels révolutionnaires (Budapest) ; intègre la Fédération des Étudiants africains noirs et de la Société africaine de Culture en septembre 1956, participe à la revue Présence africaine ; assiste au Congrès international des Écrivains et Artistes noirs où il rencontre Albert Béville (Paul Niger).

11 La revue Franc-Jeu est née d’une association de jeunes Lamentinois (habitants de la ville du Lamentin en Martinique) dont fait partie Glissant, créée en 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale (marquée en Martinique par le gouvernement de Vichy sous l’égide de l’Amiral Robert, période dite « antan Wobè »).

12 Édouard Glissant, La Lézarde, Paris, Gallimard, 1997 (1958).

13 Voir l’ouvrage de Dominique Berthet, André Breton, L’éloge de la rencontre, Paris, HC Éditions, 2008.

14 Le Sang rivé, « Les yeux la voix » (1947-1954), in Poèmes complets, Paris, Gallimard, 1994, p. 15.

15 Par exemple : Un champ d’îles (1952) : « Quel est ce cri, ô quel, sinon du seul pays désenlacé ? Il portait sur l’espoir ces vocables des mers : des îles prononcées nettes, des archipels balbutiés, les continents (c’est un cri sourd,) disant “j’ouvre pour vous ces rivages […]” ». La terre inquiète (1955) : « Ô ce lieu est lice d’outrages / La ronce y fleurit bassement / Les amours y vivent de ruines / Je vous connais donjon des eaux », Les Indes (1956), Le Sel noir (1960) : « L’Histoire ainsi passait. Loin de ce sable où nous veillons. Une île », Le Sang rivé (1961), Boises (1979).

16 Édouard Glissant, Soleil de la conscience. Poétique I, Paris, Seuil, 1956.

17 Romuald Fonkoua « Édouard Glissant à Présence africaine ou l’intellectuel accompli », Paris, Présence africaine, 2011, n° 184, p. 63-65.

18 « Édouard Glissant à Présence africaine ou l’intellectuel accompli », p. 65.

19 Sont publiés successivement dès 1956, l’essai Soleil de la conscience (1956), puis deux années plus tard le roman La Lézarde, récompensé par le Prix Renaudot (1958) – et auxquels s’ajoutent deux autres recueils de poésie : Le Sel noir (1960) et Le Sang rivé (1961), la pièce de théâtre Monsieur Toussaint (1961) et Quatrième siècle (1964), un deuxième roman qui parachève une première étape de la carrière à la fois poétique et militante.

20 Le Journal Justice du Parti Communiste Martiniquais (1960-1963).

21 Raphaël Confiant, « Justice (n° 49), l’hebdo d’information communiste de la Martinique, Décembre 2017, https://www.montraykreyol.org/article/justice-ndeg-49-lhebdo-dinformation-communiste-de-la-martinique, consulté le 10 novembre.

22 Tiré d’un article paru dans Justice qu’écrit Édouard Glissant décrivant les faits de sa seconde assignation à résidence décrétée par les autorités françaises en 1962.

23 Jean-François Sirinelli, « Algérie, Manifeste des 121. “Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie”, Libération, le 12 janvier 1998, https://www.liberation.fr/cahier-special/1998/01/12/algerie-manifeste-des-121-declaration-sur-le-droit-a-l-insoumission-dans-la-guerre-d-algerie_544819, consulté le 10 septembre 2019.

24 Les 20, 21 et 22 décembre 1959, la Martinique est touchée par des émeutes populaires importantes et mortelles. Des incidents racistes anti-nègre, du fait des CRS et des fonctionnaires français, déclenchés à cause d’un banal accrochage routier à Fort de France entre un pilote de scooter (vespa) martiniquais et un automobiliste métropolitain ayant conduit à une altercation corps à corps.

25 Ce mouvement, faisant suite aux émeutes « à caractère nationaliste » de 1959 à Fort-de-France, entendait renverser le système de répression et réclamer l’émancipation pour la Martinique En effet, ces affrontements avaient abouti à la mort de trois jeunes Martiniquais et engendré l’indignation de tous les Antillais et surtout ceux étudiant en France. Voir article Hirota Satoshi (Japon), « Front antillo-guyanais. Le Front des Antilles et la Guyane pour l’autonomie (FAGA) », 28 janvier 2018, https://edouardglissant.world/lieux/front-antillo-guyanais, consulté le 4/02/19.

26 Le 22 juin 1962, le Boeing 707 d’Air France qui transportait plusieurs étudiants vers les Antilles, s’écrase, faisant 173 morts. Parmi les victimes, se trouvaient Albert Béville, Tomy Thaly et deux autres militants anticolonialistes antillo-guyanais, Justin Catayée et Roger Tropos.

27 Voir le film documentaire de Camille Mauduech, La Martinique aux Martiniquais, l’Affaire de l’OJAM (long métrage, 128 minutes), Paris, Hévadis, 2010.

28 Est créé en 1963 par le gouvernement français, à l’instigation de Michel Debré, ancien Premier ministre et député de la Réunion.

29 Jean-Christophe Pellat, Stéphanie Fonvielle, Maurice Grévisse, Le Grévisse de l’enseignant, Paris, Magnard, 2016.

30 Loïc Céry, Édouard Glissant – Une pensée archipélique, Site officiel d’Édouard Glissant, http://www.edouardglissant.fr/essais.html, consulté le 4 septembre 2019.

31 Le BUMIDOM est créé dans les années 60 à la suite d’une planification politique qui commence au début des années 50 avec la création du BDPA (Bureau Pour le Développement Agricole). Cet organisme était chargé d’expérimenter la politique migratoire depuis la Réunion vers la France. Voir Monique Milia-Marie-Luce, « La grande migration des Antillais en France ou les années BUMIDOM », in Dynamiques migratoires de la Caraïbe, Centre de recherche GEODE, Paris, Karthala, 2007, p. 93-103, p. 97.

32 Renvoyez au texte où glissant développera cet aspect ultérieurement.

33 Empruntée à Roger Bastide, L’archipel inachevé. Culture et société aux Antilles, Jean Benoist (dir.), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1972.

34 « Digenèse », http://www.edouardglissant.fr/digenese.html, consulté le 3 octobre 2019.

35 Tel que le définit Eugenio d’Ors, Du Baroque, Paris, Gallimard, 1937. « Le Baroque est un phénomène dont la naissance, la décadence et la fin se situent vers les XVIIe et XVIIIe siècle et qui n’a touché que le monde occidental. […] Le Baroque est une constante historique qui se retrouve à des époques aussi réciproquement éloignées que l’Alexandrinisme de la Contre-Réforme ou celle-ci de la période de “Fin de siècle”, c’est-à-dire du XIXe, et qu’il s’est manifesté dans les régions les plus diverses, tant en Orient qu’en Occident », p. 83-84.

36 Aimé Césaire, « Crise dans les départements d’Outre-Mer ou crise de la départementalisation », Présence Africaine, Paris, Présence Africaine, 1961, p. 109-112.

37 Voir analyse de Sophie Duval, « Une analyse littéraire des discours satiriques contre la réforme Pécresse », Paris, Fabula, 2009, https://www.fabula.org/actualites/une-analyse-litteraire-des-discours-satiriques-contre-la-reforme-pecresse-par-s-duval_30482.php, consulté le 4 octobre 2019.

38 Vladimir Jankélévitch, L’ironie, Flammarion, 1964.

39 Figure qui consiste à déclarer un sens et à rendre implicite le sens exactement contraire.

40 Il s’agit d’une énonciation double, une énonciation à deux degrés, par laquelle l’énonciateur fait semblant de dire une chose (signifié 1) pour en dire une autre (signifié 2).

41 Northrop Frye, Anatomie de la critique, Paris, NRF Gallimard, 1969 (1957), p. 272.

42 Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, p. 67 : « Je supposerai donc qu’il y a, non point un vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité, mais un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, qui a employé toute son industrie à me tromper ». Le Malin génie est la puissance supposée me tromper toujours et en tout, la puissance supposée frapper de fausseté tous mes jugements.

43 « Problèmes de la jeunesse antillaise aux Antilles », op. cit., p. 18.

44 Nicolas Machiavel (1469-1527), Le Prince, tr. de J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, puf, (2000.

45 Op. cit., p. 14.

46 La création du BUMIDOM en 1963 est à l’initiative du Député Michel Debré et du général de Gaulle.

47 François Bruno Traoré, « Le masque, enjeu de la dissimulation dans le roman français », http://www.literaturacomparata.ro/Site_Acta/Old/acta9/traore_9.2011.pdf, consulté le 5 octobre 2019.

48 Molière, Dom Juan ou le Festin de Pierre, Acte V, scène 2, 1665.

49 Par exemple Sganarelle dans Dom Juan ou le Festin de Pierre de Molière (1665) ou Scapin, valet fourbe, intelligent et rusé, manigance des stratagèmes pour aider son maître Léandre à épouser Zerbinette, une jeune esclave égyptienne menacée d’enlèvement (Les Fourberies de Scapin, 1671).

50 Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1955.

51 Le Camerounais Mongo Beti, dans Ville cruelle (1954), un premier roman désespéré, décrit son pays tel qu’il le voit, avec ses yeux d’Africain ulcéré par l’injustice. Les luttes sociales deviennent le cadre de nouveaux romans qui abordent de front les turpitudes de la colonisation.

52 Nombre d’écrivains, qu’ils soient d’origine martiniquaise, d’Asie, d’Afrique ont ajusté leur voix à celle de Césaire pour lutter contre le colonialisme. La multiplication des textes et les nombreux appels à lutter ont souligné l’acuité de la situation coloniale et permis l’émancipation des peuples colonisés : Senghor (« Je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France »), Damas, Memmi, Franz Fanon (1925-1961), médecin-psychiatre de formation, sonnera l’heure de la révolte des peuples opprimés dans Peaux poires, masques blancs (1952). Son ouvrage suivant, Les damnés de la terre, préfacé par J-P Sartre, (Ed. Maspéro, 1961), inspirera des générations de militants anticolonialistes.

53 Édouard Glissant, Le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, (1981).

54 Raphaël Confiant, Aimé Césaire, une traversée paradoxale, Paris, Écriture, 2006.

55 Fred Constant, (Constant, 1987) « La politique française de l’immigration antillaise de 1946 à 1987 », in : Revue européenne des migrations internationales, vol. 3, n° 3, 4ème trimestre 1987, Les Antillais en Europe, p. 9-30, https://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1987_num_3_3_1142

56 « La politique française de l’immigration antillaise de 1946 à 1987 », op. cit., p. 12.

57 Monique Milia, « Histoire d’une politique d’émigration organisée pour les départements d’outre-mer », Pouvoirs dans la Caraïbe [En ligne], n° spécial, 1997, consulté le 17 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/plc/739 ; DOI : 10.4000/plc.739

58 Clara Palmiste, « Génocide par substitution : usages et cadre théorique », https://hal.univ-antilles.fr/hal-01771854/document, consulté le 5 octobre 2019.

59 Cécile Bertin-Élisabeth, « Étudier Glissant aux Antilles ou la paradoxale aporie de l’origine », in Colloque international mars 2018 : « Édouard Glissant : l’éclat et l’obscur », Université des Antilles, http://www.manioc.org., en cours de publication.

60 Voir site https://micheltondellier.com/home/ressources-sociologie-de-la-jeunesse-aux-antilles-francaises/, (Angenot, 1978) consulté le 5 octobre 2019.

61 Hendrik van Gorp, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Champion, 2005, p. 344.

62 Marc Angenot, « La parole pamphlétaire », Études littéraires, volume 11, numéro 2, août 1978, p. 255–264. https://doi.org/10.7202/500462ar, consulté le 26 septembre 2019.

63 Roland Barthes, Sade, Fourrier, Loyola, Paris, Éditions du Seuil, 1971, p. 16.

64 Cécile Bertin-Élisabeth, « Étudier Glissant aux Antilles ou la paradoxale aporie de l’origine », op. cit.

65 Édouard Glissant, l’Intention poétique, Paris, Seuil, coll. « Pierres vives », 1969, p. 38-39.

66 Édouard Glissant, Traité du Tout-monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 121.

67 Juliette Éloi-Blézès, Étude d’un roman : « La Lézarde » d’Édouard Glissant, Fort-de-France, CRDP Martinique, 2011.

68 « Le premier dimanche de ce mois de septembre 1945 », La Lézarde, op. cit., p. 200.

69 « La politique n’était plus un vain jeu de personnes acculées à défendre leurs misérables privilèges, leurs positions, leurs situations : elle était maintenant l’image précise de ce drame, la force de ce peuple, le scénario patient dont le déroulement conduisait vers la seule et vraie richesse », op. cit., p. 184.

70 La Lézarde, op. cit., p. 20.

71 Allusion à Aimé Césaire, candidat élu député à l’Assemblée législative en octobre 1945.

72 Deux camps s’affrontent : le parti des propriétaires terriens qui affirment leur attachement à la France, et le parti communiste représenté par la Fédération Communiste de la Martinique, prônant des conditions de vie plus dignes pour le peuple martiniquais, l’organisation des ressources terriennes, l’abandon du système d’Habitation.

Patricia Conflon Gros-Désirs

Université des Antilles, patricia.grosdesirs@laposte.net

licence CC BY-NC 4.0