La Forge de Zobel, de Charles Scheel

Corinne Mencé-Caster

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Corinne Mencé-Caster, « La Forge de Zobel, de Charles Scheel », Archipélies [Online], 7 | 2019, Online since 15 June 2019, connection on 05 November 2024. URL : https://www.archipelies.org/463

Joseph Zobel est essentiellement connu à travers son roman La Rue Cases-Nègres, mis en film sous quasiment le même titre – Rue Cases-Nègres – par Euzhan Palcy en 1983. Si certains de ses lecteurs assidus connaissent aussi Diab’-là, ce premier roman publié à Fort-de-France en 1945 et réédité à Paris en 1946, il n’en va pas nécessairement de même pour ses autres textes, parmi lesquels Les Jours immobiles (1946), La Fête à Paris (1953), ou encore Laghia de la mort, recueil de nouvelles paru en 1946.

Il est donc légitime de considérer que la publication de La Forge de Zobel aux éditions Scitep (2018), par Charles Scheel, professeur des universités sur le pôle Martinique de l’Université des Antilles, constitue un événement majeur, et ce, pour au moins deux raisons.

La première est que, par cette parution, sont dévoilés au grand public des écrits inédits, et totalement inconnus pour la plupart, de l’auteur de La Rue Cases-Nègres – ce qui en soi est déjà une contribution majeure à l’apport d’une meilleure connaissance de la littérature antillaise.

La seconde, non moins essentielle, vient de la manière même dont Charles Scheel a conçu son ouvrage : le riche paratexte qu’il a élaboré, offre la double opportunité de revisiter, dans son ampleur et sa plénitude, l’ensemble de l’œuvre de Joseph Zobel et d’accéder à des éléments de sa biographie souvent peu connus. C’est ainsi, par exemple, que le lecteur amateur apprend ou se remémore que certains des textes de Joseph Zobel ont été réédités sous des titres différents : en témoignent, par exemple, ses romans Les Jours immobiles, réédité en 1978 sous l’intitulé Les Mains pleines d’oiseaux et La Fête à Paris, plus connu sans doute à travers son titre de réédition, Quand la Neige aura fondu (1979).

Loin de constituer des éléments anecdotiques, ces informations qui sont fournies par Charles Scheel sous la forme d’une bibliographie thématique de l’œuvre de Zobel, mettent en lumière le cheminement éditorial des textes de l’écrivain, depuis Fort-de-France jusqu’à Paris où les changements d’éditeurs ne sont pas rares (Diab’-là en est l’exemple type), mais aussi à travers les maisons sises à Paris qui, tour à tour, peuvent prendre en charge l’édition d’un même livre (son roman La Rue Cases-Nègres sera successivement édité par Froissart, Les Quatre Jeudis et Présence Africaine). Cheminement qui mériterait d’être étudié de plus près pour en saisir les significations au sein de la trajectoire de l’auteur mais aussi au cœur même du parcours méandreux de la littérature dite antillaise.

Les itinéraires des œuvres de Zobel croisent aussi ceux de l’homme énigmatique qu’il fut, amoureux du journalisme et de la culture : de la Martinique à Paris, de Paris à Dakar, de Dakar à la région du Gard, un parcours duquel son île natale ne fut jamais exclue.

La préface de sa fille, Jenny Zobel, en dit long sur le mystère de l’homme Zobel, sur le passionné de negro-spirituals qui oscilla sans cesse entre la retraite d’écriture et le goût des autres. Elle témoigne aussi de la manière dont les éléments textuels contenus dans La Forge de Zobel sont pour elle, des indices inestimables pour remonter la trace du père en sa première vie martiniquaise, qu’elle, en tant que fille, n’a presque point connue.

C’est pourquoi les différents chapitres constitutifs de La Forge : « Contes », « Reporter à Fort-de-France », « Reporter du Sportif à Paris », « Par monts et par vaux », « À propos de Zobel dans le Sportif », s’attachent à retracer un itinéraire d’écrivain et de « reporter », sans que les deux plumes ne se distinguent jamais de manière si tranchée. Partout, un même regard, une même propension à « raconter » avec minutie, à ciseler portraits et descriptions de lieux, à recréer ambiances et petits rites de la vie quotidienne, à traquer l’humain en quelque sorte.

Mon coup de cœur va peut-être aux contes, tels que ceux-ci furent initialement publiés dans le journal Le Sportif. L’on y savoure à perdre haleine le Zobel, observateur attentif des siens, capable de restituer en un nombre condensé de mots, une Martinique d’antan dont les menus détails, tels des clichés d’époque, nous transportent dans les us et travers d’un temps enfui.

Le chapitre intitulé « À propos de Zobel dans Le Sportif » ne retient pas moins mon attention. Il s’intéresse aux modalités de la réception « locale », nationale et internationale des premiers textes de Zobel, à partir de « pièces » authentiques, qui rendent compte du patient travail de collecte et de recherche de Charles Scheel. À cet égard, la publication de l’article du journal Le Sportif intitulé « M'man Tine est morte », est un moment admirable où fiction et réalité se rejoignent, vu que l’article traite du décès de la grand-mère de Joseph Zobel, qui se voit identifiée ni plus ni moins à la M'man Tine de La Rue Cases-Nègres.

Nous n’en dirons pas plus pour laisser au lecteur le plaisir de la découverte et de l’exploration des textes par lui-même, chaque chapitre ayant ce petit quelque chose qui captive. Nous ajouterons seulement que La Forge de Zobel est, à n’en pas douter, une mine pour le lecteur avide d’en savoir plus sur un écrivain antillais qui restait jusqu’alors entouré d’un halo de mystère, mystère que Charles Scheel ne dissout pas mais projette sur des horizons plus intelligibles. C’est aussi une pépinière pour le chercheur qui y trouvera une matière fiable, pertinemment agencée et d’une richesse incomparable.

Comme l’écrit lui-même le professeur Scheel : « […] le présent ouvrage a pour ambition principale d’offrir aux amateurs de Zobel une version lisible de textes en grande partie inconnus, pour avoir été redécouverts sous au moins un demi-siècle de poussière1 ».

Autant dire que La Forge de Zobel est un livre à acquérir au plus vite. La belle qualité de l’édition et des images en font un ouvrage de magnifique tenue, tout à la fois signé par un professeur passionné et porté par une maison d’édition – Scitep – déjà incontournable.

1 Charles Scheel, La Forge de Zobel, Paris, Scitep éditions, 2018, p. 12.

1 Charles Scheel, La Forge de Zobel, Paris, Scitep éditions, 2018, p. 12.

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