Procédés de mémorialisation et ouragan Katrina

Freddy Marcin

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Freddy Marcin, « Procédés de mémorialisation et ouragan Katrina », Archipélies [En ligne], 15 | 2023, mis en ligne le , consulté le 28 avril 2024. URL : https://www.archipelies.org/1536

Cet article se propose de se replonger dans les méandres de l’ouragan Katrina afin de comprendre les mécanismes de mémorialisation mis en place par la population victime. En effet, nous proposons de croiser diverses études sur le recueil des expériences de la population affectée par l’ouragan ainsi que sur les modes d’ancrage mémoriel afin de schématiser les procédés de mémorialisation et d’en retirer un fil conducteur allant des expériences singulières vers le collectif. Nous démontrerons que la mémorialisation a pour but le refus de l’oubli mais aussi de défier les discours médiatiques exogènes. Par ailleurs, il sera noté que le partage des expériences a créé un lien indéniable entre les participants formant ainsi une communauté mémorielle.

This article will delve into the aftermath of Hurricane Katrina in order to understand the memorialization mechanisms put in place by the affected population. Indeed, we will propose to combine various studies on the collection of individual experiences as well as the modes of memorial anchoring in order to schematize the processes of memorialization so as to highlight a common trend which starts from singular experiences to collective memory. Memorialization aims at challenging the dominant media discourse and allows the participants to express themselves while refusing to be forgotten. In addition, emphasis will be laid on the fact that the sharing of experiences created an undeniable link between the participants, thus forming a memorial community.

Introduction

Le passage de l’ouragan Ida en Aout 2021 dans le sud des Etats-Unis, en Louisiane, à la Nouvelle-Orléans, nous rappelle de biens tristes souvenirs et nous oblige à nous replonger dans les méandres du tristement notoire ouragan Katrina de 2005. En effet, en ce début de 21ème siècle l’ouragan Katrina a fait les gros titres aux Etats-Unis mais aussi dans monde entier avec des images insoutenables de dévastation massive, d’inondation et de désolation d’une grande partie de la population africaine américaine en remettant sous les projecteurs la notion de race et des concepts qui en découlent : racisme et racialisation. Les nombreuses études scientifiques et couvertures médiatiques de l’évènement ont été menées sous le prisme des concepts susmentionnés.

Avant Katrina, le monde entier voyait la Nouvelle-Orléans telle une ville ayant un passé colonial riche, sachant entretenir et valoriser les vestiges de ce passé. Lors d’évènements culturels importants comme le jazz Fest ou le carnaval, la Nouvelle-Orléans devient le point focal et le symbole d’une ville en effervescence, notamment lors du célèbre Mardi-Gras (Mitchell 2006 : 789–794). Or, Katrina a révélé la réalité sociale qui gît sous la surface reluisante du Quartier Français. Dans les quartiers limitrophes de ce dernier, la population – majoritairement noire – souffre depuis de nombreuses années de paupérisation et de chômage. (Souther 2007 : 804-811). Les dirigeants ont su créer un leurre mettant en relief une ville apparemment harmonieuse afin de masquer les inégalités raciales. Les raisons de cette disparité semblent provenir directement des contraintes des lois Jim Crow et de l’incapacité à inclure les Africains-Américains dans un modèle social équitable. Les relations intercommunautaires à la Nouvelle-Orléans reproduisent, à bien des égards, un modèle ancestral cherchant à dévaluer et à mettre de côté le Noir vu comme principal obstacle à la croissance économique de la Louisiane (Germany 2006 : 743–751).

Nous nous proposons aujourd’hui de réétudier Katrina sous l’angle de la mémorialisation de la culture (raciale). En effet, conjointement à une étude de la racialisation nous allierons mémoire, culture, histoire et race afin de répondre à la question suivante : Comment les habitants de la Nouvelle-Orléans, au travers de différents procédés de mémorialisation, ont ancré dans les mémoires leurs expériences de l’événement tout en défiant les discours médiatiques et en créant un sentiment d’appartenance à une communauté ?

1. Narration Katrinienne et prisme racial

L’ouragan Katrina a suscité un engouement de la part des chercheurs. Ces derniers ont travaillé de façon collégiale pour constituer un ensemble d’articles scientifiques dans the Journal of American History afin de fournir des renseignements à la fois éclairants et pertinents. En outre, la grande force de ce travail de recherches est la pluralité des points de vue. Les sujets y sont variés et traitent de tous thèmes entourant Katrina. Nous nous proposons d’en faire un état des lieux afin d’en montrer les forces mais aussi les limites.

La Louisiane et particulièrement la Nouvelle-Orléans, ont tissé des liens étroits avec l'esclavage, instaurant des rapports conflictuels et historiques entre Blancs et Noirs. La littérature traitant des rapports sociaux entre ces groupes lors de la guerre de Sécession, fait état d'une peur grandissante émanant des maîtres blancs face à la furie des esclaves révolutionnaires. Un carcan semblait être imposé au Noir qui, en contact avec la civilisation blanche dite supérieure, pouvait être apprivoisé et devenait ce Sambo, esclave docile et servile, à l'opposé de Nat Turner, véritable symbole de l'être sauvage et mentalement stérile (Messner 1975). Turner est devenu dans l’imaginaire collectif l’esclave galvanisant les troupes. (Kaye 2007). Cependant, la vie sur la plantation semblait suivre une certaine logique d'organisation codifiée (Prichard 1927). L'histoire de l'abolition est souvent contée comme étant la résultante de multiples petites insurrections ayant une résonance nationale. Cependant, il existe un lien étroit entre l'économie, les créations de richesses et l'abolition (Williams 1944 ; Cole 2005). La littérature considérant la Nouvelle-Orléans comme l'un des marchés d'esclaves les plus importants du Sud, (Campanella 2007) analyse également le commerce triangulaire ainsi que les enchères rendues publiques au moyen d'un nombre important d'affiches vantant les mérites de ces ‘sous-hommes’ qui étaient vendus comme du bétail dans les années 1850 (Kelleher Schafer1981; Pritchett et Chamberlain 1993). Un parallèle peut être dressé entre l’esclavage, la guerre civile et les conséquences de ces faits marquants sur la géographie et la répartition des Africains-Américains à la Nouvelle-Orléans (Campanella 2007).

Par ailleurs, suite à l’abolition de l’esclavage, les nouveaux hommes libres ont, sur le plan de l’habitat, été victimes de discrimination. En effet, faute de moyens financiers et devant faire face au refus des propriétaires blancs de leur louer des logements, les Africains-Américains se sont dirigés vers les marécages alors que les résidents les plus riches construisaient des maisons le long des levées naturelles. Ceci explique donc la forte proportion des Africains-Américains dans les zones fortement touchées par Katrina. C’est ainsi qu’une ségrégation résidentielle vit le jour, plaçant d’un côté les riches entrepreneurs et propriétaires, et de l’autre, les Africains-Américains et les immigrants peu fortunés, cantonnés dans des quartiers comme le Ninth Ward (Landphair 2006 : 704–715).

Suite aux inondations, les autorités de la Nouvelle-Orléans ont entamé en 1890 un long processus de construction de digues afin de protéger la population et sécuriser la ville. Les digues, véritables prouesses technologiques, sont devenues des emblèmes du pouvoir humain (Kelman 2006 : 695–703). Cependant, loin de répondre aux besoins de la population, les digues ont de lourdes conséquences environnementales. Elles provoquent la perte des barrières naturelles et créent une amplification de la houle émanant des vents des ouragans (Heerden, 2006). Sous Katrina, les digues sont devenues vaines car elles se sont effondrées sous le poids des eaux. Ces barrages, procurant une illusion de protection, avaient incité une grande partie de la population à venir habiter dans des zones vulnérables.

Des directives – tacites – se sont mises en place dès la fin de l’esclavage afin de dénier aux Africains-Américains le statut de citoyens. La biopolitique de la disposability traite de ce problème social majeur (Giroux 2006 : 171-196).

Cette dévaluation historique est en lien direct avec le concept de racisme dont une définition s’impose ici. Le racisme découle du concept de race et résulte de la combinaison de trois éléments :

« 1- Le préjugé qui peut être défini comme étant une attitude négative et injuste envers un groupe social ou une personne.

2- Le stéréotype qui représente une conviction injustifiée reposant sur une généralisation à l’égard d’un groupe ou d’un membre de ce groupe

3- La discrimination qui est un comportement négatif et injuste envers les membres d’un groupe cible. La discrimination se déroule selon un procédé qui nie une égalité de traitement aux membres de ce groupe 1» ( Henkel et al. 2006 :101).

En définitive, le racisme peut être décrit comme étant l’idéologie qui habite certains individus persuadés de la possession d’une supériorité raciale, et qui par conséquent mettra en œuvre une stratégie d’avilissement d’autres races. Cependant, il existe différents types de racisme. Le racisme institutionnel fait référence à des manipulations de mesures institutionnelles qui injustement restreignent les opportunités d’un groupe social. Il faut comprendre qu’à cause du poids de l’histoire – esclavage et ségrégation – certains individus sont habités par des logiques raciales et racistes. Ce concept permet de saisir la dimension raciale liée historiquement et intrinsèquement à l’ouragan Katrina. Il ne faut par ailleurs pas confondre racisme institutionnel et racisme culturel. Ce dernier ajoute des convictions personnelles et collectives au sentiment de supériorité qu’ont certains par rapport à d’autres.

De surcroît, le racisme écologique est un concept fondamental pour une étude de l’ouragan Katrina. La ville de la Nouvelle-Orléans est située à cinq pieds au-dessous du niveau de la mer ce qui rend cette région particulièrement vulnérable aux houles des ouragans. Par ailleurs, 67% de la population de la Nouvelle-Orléans est noire. Cette dernière a été la principale victime de cet ouragan de par sa situation géographique dans les zones vulnérables. Ce concept introduit par Robert Bullard (2009), fait un parallèle entre la situation géographique de cette population et les facteurs de race et de classe. Le racisme écologique peut être défini comme étant, par exemple, la disparité de traitement entre les populations noire et blanche vis-à-vis des industries émettant des gaz polluants et affectant la santé des citoyens. Grâce à ce concept, nous comprenons aisément que la localisation des Africains-Américains dans les zones vulnérables est la résultante d’une logique historique. En effet, les legs culturels racialisés (Marcin 2022) hérités de l’esclavage, de la discrimination, des lois Jim crow et de la ségrégation, ont créé ces schémas de répartition sur le territoire. L’héritage culturel de l’esclavage et de la ségrégation a, d’une part, dicté les schémas inégalitaires de peuplement du territoire, et d’autre part, condamné la population noire lors du passage de Katrina, laquelle a été victime d’un « inconscient racial » (Dyson 2006 : 20-23) suscité par le poids de l’histoire dans les réactions et comportements.

Pour comprendre la condition du Noir ainsi que la raison de la forte prépondérance d’Africains-Américains parmi les victimes de Katrina, il nous faut aborder la dynamique de construction des races. Tout individu se construit par rapport à un autre. C’est lors de ce processus binaire qu’il apprendra à se connaître et à faire la différence entre son être et l’autre. C’est ainsi que débutera sa socialisation et qu’il prendra conscience de son appartenance à un groupe donné. Cet antagonisme lui permettra de se définir et de comprendre quelles sont les caractéristiques mentales et physiques qui le différencient de celui qui lui fait face. Cette binarité est au cœur des tensions qui existent entre Noirs et Blancs. Michelle Wright dans « What is Black identity ? » (2006) analyse les formations identitaires de ces communautés. A cause de cet antagonisme nécessaire à la définition du Soi, le Noir sera placé en périphérie de la société étatsunienne et deviendra cet autre. L’autre nous est vital pour exister mais nous ne voulons pas nécessairement lui ressembler. C’est ce que Rocchi appelle othering et que nous traduisons par processus d’autruïsation. Les Africains-Américains à la Nouvelle-Orléans ont non seulement été les victimes des legs de l’époque coloniale et de l’esclavage, mais ils deviennent les victimes d’un irréconciliable rapport communautaire. « Qu’est-ce que faire l’expérience de l’autre veut dire pour notre impossible rapport racial ? (Rocchi 2006 : 37) […]. Faire l’expérience de l’autre est un jeu voué à l’échec (Rocchi 2006 : 41). […] Cette impossible réflexivité, c’est la mort de l’autre qui la signe » (Rocchi 2006 : 42).

La ségrégation résidentielle est une manifestation physique du processus d’autruïsation. Cet enfermement dans la catégorie du Noir est pourvoyeur de sens dans la mesure où l’Africain- Américain devient l’être à bannir dans l’imaginaire blanc. C’est probablement l’une des raisons de la labellisation à tort des Noirs comme pilleurs et refugiés lors de l’événement en question (Masquelier 2006 : 735-743).

Les articles et ouvrages cités nous apportent une aide pour la compréhension de l’évènement Katrina, notamment en ce qui concerne le rôle joué par le facteur race dans la gestion de la crise. Nous cherchons cependant à aller plus loin qu’une simple généralisation de la débâcle de Katrina liée au racisme et à la discrimination. Nous cherchons à analyser ses répercussions psychologiques en alliant mémoire, histoire et race suite à Katrina.

2. Rhétorique culturelle : lieux de mémoire

Les sociétés semblent avoir une disposition pour le tri sélectif et procèdent ainsi à ce qui est appelé un tri mnémonique conduisant les communautés en présence à se souvenir ou à oublier certains aspects de la vie à la Nouvelle-Orléans. En effet :

« À côté du tri spatial ayant lieu à la Nouvelle-Orléans, déterminant ce qui sera démoli ou réparé, se trouve un tri mnémonique […] Ce dont nous nous rappelons et ce que nous oublions est déterminé par des cadres sociaux. La société, détermine implicitement et explicitement ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas. Ce qui est désigné comme étant important par la société est mis en valeur alors que ce qui semble être inutile est poussé vers la marge2 » (Daina Cheyenne Harvey dans Steinberg et Shields 2008 : 137-138).

L’espace est intrinsèquement lié aux individus qui se meuvent dans un territoire donné. Une réciprocité définitoire peut être établie entre ces deux termes dans la mesure où les individus changent irrémédiablement et de manière durable le territoire qu’ils occupent, mais ce territoire a en retour une influence non négligeable et laissera son empreinte indélébile sur le groupe qu’il abrite à une période donnée. Une relation parentale de mère à enfant se développe au cours du temps, conférant à l’espace dans lequel il se déroule une dimension historique et familiale forte. Cet argument est mis en avant par Sloan, qui argue que « la participation à l'histoire orale a offert aux individus et aux communautés un outil pour réaffirmer leur lien avec le lieu3 » (Sloan 2008 : 184).

Par ailleurs, il est à noter que « l'architecture aide à définir qui nous sommes […]. C’est seulement quand elle vacille que nous nous rendons compte de sa présence4» (Fernando Lara dans Steinberg et Shields 2008 : 57) Les individus font de la Nouvelle-Orléans ce qu’elle est au même titre que la Nouvelle- Orléans les définit en leur permettant de se mouvoir comme ils le font. Or suite aux inondations et au(x) déplacement(s) de la population, comment survivre alors que tout n’est plus que synonyme d’otherness? « Un relatif traumatisme lié au déplacement sera probablement ressenti par la diaspora formée par les résidents de la Nouvelle-Orléans qui, après avoir été envoyés au hasard dans des villes distantes n’ont à part des souvenirs, ni maisons ni voisinages vers qui se tourner5 » (Steinberg et Shields 2008 :127).

La mémoire semble être la seule alternative viable face à ce déracinement. La mémoire devient un vecteur beaucoup plus puissant que la présence physique. Alors que les infrastructures ont été détruites et que la population a été évincée, la mémoire pallie ce manque. L’attachement des individus à un lieu pour une raison donnée, fixera de manière irrémédiable ce lieu dans les mémoires, telle une véritable photographie qu’un nécessaire clignement d’œil fera revivre. Cette nouvelle vision de la communauté mémorielle met en échec les plans de reconstruction qui se font forts d’une reconfiguration immobilière car « ceux qui sont familiers avec certains lieux de la Nouvelle-Orléans savent que la mémoire repose sur plus que de la présence ou de l’absence6 » (Daina Cheyenne Harvey dans Steinberg et Shields 2008 : 134-135).

Cependant, ceci vaut uniquement pour les individus de la communauté africaine-américaine qui sont porteurs d’une culture mnémonique et historique commune. Mais qu’en est-il des visiteurs qui seront amenés à se rendre dans ces lieux chargés de culture ancestrale ?

« les lieux de mémoire les plus déconcertants sont des lieux d’amnésie qui sont tombés hors de la mémoire collective […] Hesse (maître de conférences à l’université de Northwestern) considère certains lieux comme « une amnésie blanche » dans laquelle les blancs oublient « l’ espace de l’autre ». Ceci fait partie de la « racialisation de l'espace » dans laquelle l’espace est compris au travers de l’individu qui l’habite […] La racialisation de l'espace nous permet d'investir certains lieux en nous les remémorant et en oubliant les autres7 » (Daina Cheyenne dans Steinberg et Shields 2008 : 131-132).

Suivant cette logique d’inversion entre présence physique et absence, dans laquelle le vide physique devient important, la refondation ou le remplacement d’un bâtiment par un autre revêt également une importance significative. Loin de suivre les diktats de ces plans de reconstruction où des nouveaux bâtiments sortent de terre, un paradoxe mémoriel détourne cette logique en tirant avantage de ces nouveaux édifices, qui deviennent paradoxalement des lieux mnémoniquement chargés en émotion. Ces lieux symbolisant la destruction d’un passé ravivent un désir communautaire, telle une stèle commémorative érigée pour une culture n’existant plus qu’au travers des mémoires et le souvenir de cet emplacement nouvellement habité par une structure autre. De surcroît, « Si le Ninth Ward ainsi que les autres lieux de la vie quotidienne des Noirs ne sont pas reconstruits, ce qui les remplacera sera probablement situé sur un lieu de mémoire. Le vide, ou peu importe ce qui remplace l'original, servira de signe mnémonique […] Le retrait des objets de l'espace, une tentative de changer la mémoire de l'espace, pourraient paradoxalement reconstituer la mémoire de l'espace8 » (Daina Cheyenne Harvey dans Steinberg et Shields 2008, 132-133).

Les plans de reconstruction ont oublié de prendre en compte l'importance de l’histoire sur le devenir des individus. Les objets obtenus du passé sont des liens directs avec le passé. La seule présence d’un objet ayant appartenu à une époque ancienne ramène le possesseur de ce dernier à des temps anciens. Suite à Katrina, certaines personnes n’ont pas pu rebâtir, reconstruire ou habiter leurs propres maisons. Sur les lieux du désastre, certains objets épars, brisés et maculés de boue deviennent d’autant plus importants qu’ils rappellent cette expérience douloureuse et cette participation active à l’histoire de la Nouvelle-Orléans. Ces objets deviennent de véritables symboles d’une histoire commune de la ville. Parallèlement aux logiques de reconstruction immobilière, se sont mises en place des stratégies mnémoniques défiant la fixité et l’ancrage spatial en exhortant à la reconstruction mémorielle.

Comme le stipule David en faisant appel aux travaux de Judith Herman (1997), « le souvenir public est un processus intégral qui aide les victimes à exprimer leur souffrance. Mais la mémoire publique ne concerne pas seulement le passé tel qu'il est incarné dans les monuments commémoratifs publics, les musées ou les anniversaires ; il englobe également la façon dont le travail de la mémoire fonctionne pour faire face aux besoins urgents du présent et pour influencer les conditions à l'avenir9 » (David 2008 : 138).

David met en relation la culture mémorielle, celle du traumatisme et du genre, en analysant les manifestations mises en place par le groupe women of the storm, notamment lors d’un déplacement à Washington en 2006 afin d’attirer l’attention des politiciens à travers la mémorialisation de Katrina. Ces femmes ont utilisé la performance théâtrale et la symbolique afin de véhiculer leur message, à savoir le refus de l’oubli et l’aide aux victimes.

Indéniablement, le plus remarquable dans leur approche est l’ancrage de la mémoire dans les lieux qui deviennent des lieux de mémoire. En effet, la symbolique d’un lieu détruit permet aux personnes qui s’y rendent de pouvoir communier non seulement avec les espaces et les personnes qui y étaient mais aussi avec les souvenirs.

Au travers de codes verbaux et non verbaux, la mémoire occupe une place prépondérante car elle est abstraite. Mais c’est dans cette abstraction qu’elle devient présente car elle habite chaque individu de façon différente avec des degrés d’imprégnation différents. La société mnémonique est une société liée par la mémoire qui transcende l’attachement au sol et élargit les frontières d’une communauté dans laquelle la notion de frontière devient floue et se définit par l’infini formant des communautés et espaces asémiotiques dans lesquels le sens n’est plus lié à une présence physique mais à un souvenir. « Contrairement à la violence symbolique que le traumatisme urbain inflige à la culture des villes, l'assaut sur la mémoire de la ville passe en grande partie inaperçu […] Certains groupes contrôlent des espaces de mémoire au détriment de certains autres. » (Daina Cheyenne Harvey dans Steinberg et Shields 2008 : 129). « Des traumatismes urbains fournissent l'occasion de supprimer les souvenirs de l'espace10 » (Daina Cheyenne Harvey dans Steinberg et Shields 2008 : 130).

3. Mémorialisation protéiforme

Le vocable de mémorialisation diffère à de multiples égards de la mémorisation. En effet, cette dernière traite de l’exposition et d’accumulation de certaines informations et données afin de les graver dans la mémoire dite immédiate à des fins de performance intellectuelle.

La mémorialisation est un processus d’ancrage dans la mémoire historique et collective d’une communauté d’un fait marquant qui sera transmis aux générations futures. Cependant, ce fait marquant peut aussi être oblitéré et altéré en fonction des mécanismes mis en place en procédant à un oubli.

Il semble opportun, à ce stade, de faire l’état des lieux de la littérature récente concernant les notions de mémoire et de mémorialisation, qui sont par ailleurs au cœur de la thèse de doctorat de Sébastien Ledoux (2014). Ce dernier explore les origines du devoir de mémoire, les nouveaux usages, notamment liés au patrimoine et la notion d’identité, mais aussi les stratégies de politique de la mémoire. La mémoire est pour lui le « nouveau cadre social du rapport au passé ».

Létourneau et Jewsiewicki s’intéressaient aussi à la politique de la mémoire. Ils exploraient le caractère global des « entreprises de commémoration et de (re)mémorialisation [qui] sont au centre des préoccupations et des agissements des pouvoirs publics. » (Létourneau et Jewsiewicki 2003 : 5).

En outre, Ewa Tartakowsky, dans un compte rendu de l’ouvrage Mémoire et mémorialisation. De l’absence à la représentation, de Denis Peschanski (2013), affirme que « la mémoire, comme construction sociale, est modulée en fonction des enjeux du moment, et donc liée aux enjeux politiques » (Tartakowsky 2014 : 57).

Par ailleurs, Bigaud affirmait que cet ouvrage de Peschanski « s’attachait à comprendre les dynamiques mémorielles en associant aux sciences sociales les neurosciences et la neuropsychiatrie pour intégrer les processus cérébraux et cognitifs aux études autour de la mémorialisation. » (Bigaud 2019 : 451) L’apport des neurosciences est également étudié par Fukuda et Woodmanb (2017), qui ont exploré la mémoire humaine, qu’ils divisent en mémoire à long et court terme.

Selon Bigaud, « Denis Peschanski définit [le] concept de mémorialisation comme étant la mise en récit publique d’un passé convoqué dans le présent et pour l’avenir » (Bigaud 2019 : 451). Cette définition clé est d’une importance capitale pour notre étude qui met en exergue l’importance de la verbalisation des expériences singulières de Katrina comme vecteur d’ancrage dans le passé et catalyseur du futur.

Dans le second tome de Mémoire et mémorialisation : La vérité du témoin (Denis Peschanski et Brigitte Sion 2018), le témoin devient une figure phare du processus de mémorialisation, comme nous le démontrons aussi avec les différents acteurs et interviewés suite au passage de Katrina.

Macgilchrist, Christophe et Binnenkade (2015) explorent quant à eux deux notions essentielles de notre présent article, à savoir l’histoire et la mémoire. Ils affirment que : « la mémoire […] est un site de contestation politique, de formation de sujet, de lutte pour le pouvoir, de production de connaissances et de construction communautaire. » Alors que « l'enseignement de l'histoire est un site où les enseignants et les élèves en tant que membres de générations distinctes s'engagent avec des manuels et d'autres matériaux comme des formes spécifiques de textes de mémoire qui guident ce qui doit être transmis à la jeune génération11 » (Macgilchrist et al. 2015 : 1).

Ils explorent aussi l’impact de la digitalisation sur la mémoire et utilisent diverses approches (épistémologique, méthodologique, sociologique, socio-sémiotique) afin de tenter d’avoir une compréhension de l’histoire et de la mémoire culturelle. Par ailleurs, en 2017, Ledoux approfondit ses recherches en explorant aussi l’opposition entre mémoire et histoire. Son travail « pose […] l’enjeu pour la discipline aujourd’hui : dépasser l’opposition entre histoire et mémoire en investiguant l’objet dans sa complexité, avec ses propres outils et questionnements, tout en résistant à la tentation d’une clôture disciplinaire. » (Ledoux 2017 : 113). Il se replonge donc dans la réactualisation de cette opposition portée par un collectif d’historiens contre les lois mémorielles en 2005, en affirmant que « l’historien agit, lui, dans une démarche scientifique » alors que « les mémoires sont plurielles, fragmentées, le plus souvent passionnelles et partisanes. L’histoire, elle, est critique et laïque : elle est le bien de tous » (Ledoux 2017 : 115).

Pour Tann et Tim (2019), « les processus de mémorialisation doivent être dynamiques et pertinents pour une discussion ouverte sur le lien entre l'effort de gestion du passé et le présent. Pour qu'une discussion ouverte relie le passé au présent, les programmes d'éducation pour les jeunes générations devraient aller au-delà des récits traditionnels du conflit pour porter sur ce qui mène au conflit, le conflit lui-même et la façon dont la société s'en remet12 ». Ils questionnent aussi la mémorialisation comme un outil intergénérationnel et de réparation symbolique, arguments que nous soutenons aussi dans ce présent article.

Pour preuve, Keith M. Yanner et Steven J. Ybarrola (2003) ont analysé la perte des traces d’un cimetière africain-américain en Louisiane, dans le quartier de Grand Isle. En effet, un véritable travail anthropologique de la part des auteurs, sans oublier le Grand Isle Oral History Project, permet de se replonger dans une reconstitution mémorielle orale au moyen d’interviews afin de raviver les mémoires des anciens et par conséquent la présence historique de la communauté noire dans ce quartier. L’oubli mémoriel est synonyme de négation historique de la présence physique d’un individu ou d’un fait marquant. C’est la raison pour laquelle la mémorialisation protéiforme (orale, discursive et picturale) suite à Katrina, a joué un grand rôle non seulement dans la verbalisation de la souffrance des personnes les plus affectées par l’ouragan mais aussi dans l’ancrage des mémoires afin d’inscrire leurs expériences dans la narration historique. Cette volonté d’ancrage dans les mémoires et de faire part des expériences individuelles, s’attèle à la notion du droit à la mémoire dont fait mention Donica (2015) dans une étude sur le genre littéraire du mémoire.

Nous proposons dans cette section d’analyser trois types de mémorialisation afin d’en voir les similitudes et créer un schéma récapitulatif mettant en lumière l’opposition entre narration exogène et médiatique de la souffrance des habitants de la Nouvelle-Orléans et discours émanant des victimes afin d’avoir une vision holistique et plus authentique des expériences.

3.1. Mémorialisation orale

Nous commencerons cette sous-section par le croisement de données de deux projets d’envergure basés sur la mémorialisation via l’oralité, à savoir : The center for oral history and cultural heritage à l’université du Mississipi du Sud en Septembre 2005, dont Stephen Sloan fait état (2008), et le surviving huricane Katrina and Rita project décrit par Carl Lindahl (2006) afin de mettre en exergue l’importance de la verbalisation pour la mémorialisation d’une part, mais aussi pour la création d’un lien entre les différents participants et victimes de Katrina.

Sloan a essayé d’appréhender les conséquences de l’ouragan Katrina non seulement à partir de l’oralisation des faits et des expériences, mais surtout en partant des données d’un point de vue individuel, tout en montrant la difficulté d’un tel exercice après un traumatisme de cette ampleur. En effet, il affirme qu’« il y a des problèmes éthiques en jeu, de l'actualisation de la perte à l'aggravation du deuil. C'est un exercice invasif, l'historien de l'oral intervient tandis que d'autres tentent de refaire leur vie. C'est un moment auquel les historiens expérimentés sont mal à l'aise et peu habitués13» (Sloan 2008 : 178).

Par ailleurs, la problématique du laps de temps entre l’évènement traumatique et la collecte d’informations afin de créer les bases de la mémorialisation semble ne pas faire consensus parmi les chercheurs. Sloan aborde la question de la distance temporelle pour la validité du recueil des expériences des personnes affectées par un traumatisme. Contrairement à ceux qui affirment qu’un laps de temps est nécessaire, il pense que la dynamique de l’oralité à visée historique doit se faire rapidement afin de poser les bases d’un travail précis pour constituer une « donnée historique inestimable14»  (Sloan 2008 : 182).

La collecte d’informations au travers d’entretiens avec les personnes victimes d’un évènement traumatique semble par ailleurs être, d’une part, une donnée historique de grande valeur, comme l’énonce Sloan en citant Mary Marshall Clark, qui affirme que « les entretiens d'histoire orale dépendent de la mémoire non seulement comme source de détails, ‘mais aussi comme un riche référentiel de pensées, de croyances et d'impressions d'auto-compréhension et de compréhensions historiques qui ont évolué au fil du temps’15 » (Sloan 2008 : 182).

Mais d’autre part, cette interaction avec pour visée la création de la base d’expériences pour la mémorialisation, fait aussi ressortir la création de liens intrinsèques forgeant une identité de groupe. En effet, Lindahl soutient que « la grande force du projet réside dans le lien commun établi lorsqu'un survivant écoute respectueusement l'histoire d'un autre16 » (Lindahl 2006 : 534).

Le partage d’expérience entre personnes ayant vécu le même évènement douloureux avec plus ou moins d’intensité, crée du lien. Toutefois, le ressenti et les interprétations peuvent varier en fonction de chacun. Cependant, des expériences communes, en se regroupant, permettent de mettre exergue un lien identitaire. Pour preuve, « l'une des valeurs de l'histoire orale à un tel moment est le pouvoir du processus de réaffirmer et de renforcer l'identité communautaire, surtout pendant une période de pression intense17 » (Sloan 2008 : 184).

De surcroît, outre la dialectique identitaire résultant du partage d’émotion et d’expérience, ces projets de mémorialisation font état de la construction d’un attachement à la notion de lieu. Lindahl affirme à ce sujet que :

« Tous les récits […] sont centrés sur le concept de communauté. Chaque conteur est invité, dans un premier temps, à décrire la communauté où il vivait avant que la tempête ne frappe. Bon nombre des quartiers les plus pauvres de la Nouvelle-Orléans étaient extrêmement riches en culture traditionnelle. Dans le Sixth, Seventh, and Lower Ninth Wards, les souvenirs partagés et la créativité culturelle avaient créé des réseaux de vie religieuse, musicale et festive. Les groupes religieux, les clubs sociaux et de loisirs et les familles élargies avaient créé certaines des réponses à la pauvreté les plus ingénieuses et les plus valorisantes que l'on puisse trouver sur la planète. Ces communautés, aujourd'hui brisées, n'existent souvent que dans la mémoire des survivants18 » (Lindahl 2006 : 1533).

De surcroit, Lindahl met en avant la transformation psychologique des intervieweurs et des bénévoles au contact des personnes victimes de Katrina. Ce point rejoint le témoignage d’une infirmière qui affirme « qu’elle a réfléchi à l'importance du temps qu'elle a passé au Mississippi et à ce qu'elle a découvert sur l'importance de l’histoire de chaque individu19 » (Sloan 2008 : 185).

Le but des entretiens via l’oralisation d’expériences passées et douloureuses est de de faire barrage à l’oubli mémoriel, d’inscrire dans les mémoires ce traumatisme afin de « donner la parole aux survivants20» (Lindahl 2006 : 1530) en leur permettant de narrer leurs propres histoires d’un point de vue endogène et personnel pour perpétuer cette mémoire. Sloan lui-même affirme : « Je ne les oublierai pas et je ferai en sorte que les autres ne les oublient pas21 » (Sloan : 185).

La mémorialisation via l’oralité semble suivre un schéma commun. En effet, il s’agit pour les protagonistes de partir de l’individuel afin de mettre bout à bout des expériences solitaires pour créer du sens collégial et de la mémoire collective, dans l’optique de contredire la couverture médiatique dépeignant les victimes à tort, sans prendre en compte leurs véritables histoires. Lindahl indique que « le projet est conçu pour briser les cadres trop souvent désobligeants et condescendants des comptes rendus médiatiques standards en engageant des survivants-intervieweurs à enregistrer les histoires de leurs camarades survivants, et en diffusant ces histoires dans le monde entier à travers des sessions de narration en direct22 » (Lindahl 2006 : 1528).

Ce travail de legs à la postérité des expériences individuelles a également une composante curative et thérapeutique permettant aux participants d’expurger leur souffrance pour aller de l’avant. Pour preuve : «  Certains insistent sur les aspects thérapeutiques du partage de leurs expériences avec d'autres : Vincent Trotter [ un intervenant] nous a dit : « Je suis venu ici pour guérir23 » (Lindahl 2006 : 1531). C’est en ce sens que la mémorialisation diffère de l’historicisation. « La mémoire est distincte de l'histoire en ce que l'histoire appartient à tout le monde et a une prétention à l'autorité universelle tandis que la mémoire sert une fonction pour le présent en fournissant à une communauté ce dont elle a besoin pour survivre dans ce présent24 » (Donica 2015 : 57).

3.2. La photographie au seuil de la dynamique présence /absence

L’absence d’un être cher pour cause de mort ou de déplacement du fait des inondations suite à Katrina, peut avoir de lourdes répercussions sur la psyché d’un individu, comme le démontrent Barbara Hebert et Mary B. Ballard (2007), qui ont analysé les mécanismes permettant aux enfants de verbaliser leur souffrance afin d’aller mieux, notamment à travers les jeux et le dessin. L’impact psychologique est aussi abordé de manière remarquable par V. Adams et al., qui affirment que : « beaucoup de résidents avaient une peur chronique de se réveiller sous les eaux durant leur sommeil. Ils parlaient de dépressions régulières. Une étude menée en 2007 a prouvé que 20 % des résidents de la Nouvelle-Orléans avaient une maladie mentale sérieuse liée à Katrina et 19 % montraient des signes de folie douce et parfois sérieuse. Même les thérapeutes et les assistants sociaux travaillant lors de la phase de reconstruction éclataient en sanglots de manière récurrente25 » (Adams et al. 2009 : 619). Ceci rejoint la ligne argumentaire de I. White, qui stipule que : « les événements entourant l'ouragan Katrina ont profondément affecté la psyché de l'Amérique noire26 » (White 2007).

Jaksch, dans l’article intitulé « The Empty Chair Is Not So Empty: Ghosts and the Performance of Memory in Post Katrina New Orleans », nous propose de nous plonger dans la rhétorique de la notion de présence/absence au travers de la photographie de la chaise vide. Demandons-nous alors si l’ancrage mémoriel doit se limiter à la simple présence physique ? Ou au contraire, si le vide ne peut pas être synonyme de présence (non physique mais) mémorielle ?

Selon Jaksch, rejoignant Rayner, « la photographie accorde au spectateur la capacité d'assister aux "présences absentes qui sont et ne sont pas là" 27» Rayner 2006 : 48, cité par Jaksch 2013 : 106) Pour prouver son argumentaire basé sur la rhétorique présence/absence, Jaksch propose de se replonger dans l’étymologie du vocable remembrance. Elle argue que « le préfixe « re » vient du latin « re » – ou « red » –, qui signifie « encore » ; et « membre » vient du mot allemand gothique « mimz » qui signifie « chair ». Se souvenir, dans ce cas, est « le renouveau de la chair ». Pour ramener de la chair. Reconstituer la chair. Le fantôme est en train de faire un retour. Un retour de l'absence à la présence. Le fantôme est une sorte de revenant, il revient pour s'assurer qu'il n'est pas oublié28 » (Jaksch 2013 : 111).

Cette définition rejoint notre propre argumentaire sur la mémorialisation, qui, comme nous l’avons vu dans la section précédente avec les projets d’ancrage mémoriel via la parole, a pour but ultime de faire perdurer le souvenir pour faire face à l’oubli mémoriel. Si l’on en croit Jaksch, les chaises sont des traces tangibles et physiques du passé, dans le sens où elles ont vécu l’ouragan, mais surtout ont fait partie du quotidien des victimes. En effet :

« Une chaise est faite uniquement dans le but d'être remplie par un corps. Une chaise est même parfois décrite comme un corps humain : « Les chaises ont des jambes, des pieds – certains avec des griffes – des genoux, des bras, des coups de poing et même, parfois, des oreilles » (de Dampierre 2006 : 8). Ainsi, lorsqu'une chaise est vide, elle nous invite à nous asseoir. Elle nous appelle pour la remplir. […] Et lorsque nous nous levons, lorsque nous quittons la chaise, notre « corps laisse son empreinte sur la chaise, qui maintient la mémoire du corps en place » (Rayner 2006 : 112). […] Ces couches construisent un corps à la fois absent et présent29 » (Jaksch 2013 : 105).

L’importance de la photographie de la chaise vide ne se limite donc pas à la mise en image d’un objet inanimé, qui a vieilli et dont l’état laisse présager la force de l’ouragan et de la dévastation par les eaux. La photographie doit être considérée comme un seuil permettant aux spectateurs de franchir le pont mémoriel entre le moment présent post-Katrina et la mémoire de l’habitation dans laquelle la chaise se trouvait. La symbolique de la chaise vide permet d’accéder au souvenir de la personne à qui elle appartenait. « Cet espace liminal est le territoire du fantôme. En tant que marqueurs/mémoriaux privés et publics, les chaises sont ‘les traces des morts sous la forme de meubles’, les souvenirs et les fantômes des personnes perdues et les traumatismes subis par ceux qui ont survécu30 » (Gibson 2008, cité par Jaksch 2013 : 108).

La photographie de la chaise vide doit se comprendre dans la dialectique de la présence vivante non visible de tous mais accessible par la mémoire. En effet, « les chaises vides nous permettent de voir les "choses et les gens qui sont principalement invisibles et bannis à la périphérie de notre bienveillance sociale"31 » (Gordon 2008 : 196, cité par Jaksch 2013 : 109).

La chaise n’est donc point vide, elle demeure habitée par l’ombre mémorielle de la personne qui y fut assise à travers ce que Jaksch nomme « le fantôme », qui joue activement sur les mémoires tout en étant absent. Pour preuve, elle définit le fantôme comme suit : « en un sens, le fantôme est notre mémoire de l'événement. Parfois, c'est une manifestation de personnes spécifiques perdues à cause de la tragédie. Le fantôme est personnel et social, singulier et communautaire32 » (Jaksch 2013 : 107).

3.3. Mémoire de la mémoire, vers la mémorialisation écrite

Au cours de la première sous-section, nous avons pu voir que la mémorialisation au travers de l’échange oral, était aussi synonyme de catharsis thérapeutique aidant les victimes d’un évènement dramatique à aller de l’avant. Ici, nous verrons comment l’écriture peut aussi rejoindre cette dynamique. Donica analyse l’importance de l’écriture pour la mémorialisation en débutant par un questionnement autour du récit mémoriel et en montrant que ce dernier était autrefois réservé aux vies des rois et saints.

La problématique du droit à la mémoire est primordiale. En effet, comme mentionné précédemment, les divers types de mémorialisation vus ici s’engagent dans un processus de refus de l’oubli. La mémorialisation protéiforme (discursive, scripturale et picturale) permet aux participants de réclamer le droit à la mémoire.

Dans son analyse, Donica met en relation trois mémoires (textes) qui ont utilisé la forme discursive à des fins différentes. Le mémoire de Natasha Trethewey intitulée Beyond Katrina : A Meditation on the Mississippi Gulf Coast, relate son enfance au Mississippi et sa tentative de retrouver quelque chose dans le nouveau paysage qui pourrait la connecter au souvenir de sa grand-mère. Le mémoire de Ken Wells, The Good Pirates of the Forgotten Bayous : Fighting to Save a Way of Life in the Wake of Katrina, raconte l’histoire d’une famille juste après Katrina. Celui de Billy Sotherns, Down in New Orleans : Reflections from a Drowned City, retrace l’expérience du déménagement de New York à la Nouvelle Orléans juste avant Katrina et la quête de justice.

Il est très intéressant de voir à quel point l’objectif du récit mémoriel est proche du projet d’histoire orale (section 1), notamment en suivant une méthodologie débutant par le récit individuel afin de créer une histoire collective. Pour preuve, Donica argue que : « la relation de mémoire au mémorial est rendue encore plus intéressante parce que la relation montre la trajectoire de la mémoire à mesure qu'elle passe de la perte individuelle à la perte collective et de quelque chose d'immatériel à quelque chose de physique, de plus permanent, de concret33 » (Donica 2015 : 43).

Au même titre que la photographie de la chaise vide était un seuil, il y a une ligne fine entre la mémoire privée et collective. Les mémoires sont des points d’accès permettant d’archiver mais aussi de se reconnecter à un lieu antérieur. De plus, Donica, au travers de ce qu’il appelle « negative memory », explicite le lien entre mémoire, histoire et présence/absence des lieux et des personnes. En effet, « la ‘mémoire négative’ traite des évocations mémorielles négatives de lieux qui n'existent plus dans leurs formes d'avant-catastrophe. La mémoire négative travaille sur les espaces qui ne sont plus là, ces espaces vers lesquels nous souhaitons revenir mais ne le pouvons pas. Ou du moins, nous ne pouvons pas revenir à eux tels qu'ils existaient autrefois 34» (Donica 2015 : 44). Cet argumentaire semble également rejoindre la rhétorique du fantôme et de la chaise vide de Jaksch.

De plus, Donica affirme qu’ « à travers la contemplation de ce qui n'est plus visible dans la géographie d'un lieu, l'imaginaire cartographie les souvenirs anciens sur le paysage modifié. Ce processus projette nécessairement de la contemplation personnelle vers quelque chose de plus vaste et de plus social, et il a la capacité de permettre à la mémoire personnelle de se reconstruire et d'orienter cette mémoire vers l'avenir d'un paysage modifié et vers ceux qui y vivent maintenant, qui ont été aussi dévastés comme le paysage35 » (Donica 2015 : 44).

La distance physique n’est pas obligatoirement synonyme d’oubli mémoriel. La mémoire fait fi de ces préoccupations physiques en créant des ponts permettant aux personnes affectées de rester en lien avec le lieu et les personnes qu’elles affectionnent. Cependant, la verbalisation, par l’écriture ou la photographie sont des conditions à remplir pour la pérennisation de la mémorialisation. Pour preuve : « L'identité est intimement liée à la mémoire : à la fois nos mémoires personnelles (d'où nous venons et où nous avons habité) et les mémoires collectives ou sociales […] Pourtant, même des endroits totalement détruits au bulldozer peuvent être marqués pour restaurer un sens public partagé, une reconnaissance de l'expérience du conflit spatial, de l'amertume ou du désespoir 36 » (Donica 2015 : 51-52)

4. Schéma de la mémorialisation

A partir des éléments recueillis dans les sections précédentes, je propose ici de rendre compte de la mémorialisation sous forme schématique, en prenant en considération les trois procédés utilisés et cités précédemment.

Le premier constat émis ici est en rapport avec le fait que ce travail de mémorialisation inscrit dans la mémoire historique les expériences de chacun en partant de l’optique individuelle vers le global. De plus, la mémorialisation permet aussi aux participants du collectif d’entamer via l’oralisation des mécanismes de soulagement individuel. La mémorialisation, doit donc se comprendre dans une dialectique du groupe et du singulier, du collectif et de l’individuel, mais aussi de l’histoire de la mémoire. La mémorialisation et la perpétuation des expériences singulières ne peut se faire, comme nous pouvons le voir avec la Figure 1, qu’après l’assemblage de données individuelles et des ressentis personnels des protagonistes. Bien que le but ultime soit la construction d’une mémoire collective, la dimension globale se construit à partir de l’individualité.

Fig 1 : procédés de mémorialisation suite à Katrina face à la couverture médiatique

Fig 1 : procédés de mémorialisation suite à Katrina face à la couverture médiatique

Par ailleurs, comme nous le voyons grâce au schéma ci-dessus, et comme les analyses des procédés de construction de la mémorialisation l’ont montré, le recueil des expériences individuelles cherche à créer un cadre de référence qui sera ancré dans la réalité des victimes, qui permet de faire face à la couverture médiatique dépeignant les victimes de manière négative (Masquellier 2006). Cependant, les narrations ont permis non seulement de mettre en lumière des expériences diverses mais aussi de créer un sentiment d’appartenance à la terre et à une communauté fondé sur des souvenirs communs d’un événement catastrophique. De plus, au contact des victimes, les bénévoles et les intervieweurs semblent eux aussi se transformer en découvrant les histoires narrées par les victimes, qui pénètrent la psyché et contredisent les clichés dus à la narration médiatique exogène.

Conclusion

L’ouragan Katrina a causé effroi, peine et dévastation, poussant de nombreux Africains-Américains à quitter la ville de la Nouvelle-Orléans pour des contrées plus ou moins proches et pour une durée indéterminée. La couverture médiatique aux Etats-Unis mais aussi de par le monde, a dépeint jour après jour des situations épouvantables dans lesquelles les Africains Américains ont dû lutter par tous les moyens pour survivre en essayant de se frayer un chemin dans les eaux turbides, mais aussi en essayant de garder un minimum de dignité quand ils furent regroupés au Convention center et au Superdome. Cependant, la narration médiatique a impacté les habitants de la Nouvelle-Orléans car les expériences personnelles n’étaient que peu prises en compte. Ici, dans ce présent article sur la mémorialisation, nous avons tenté de rendre compte des différents procédés permettant à cette population de partager ses expériences singulières afin d’ancrer dans les mémoires ses ressentis. Cette mémorialisation lui a donc permis de mettre bout à bout des expériences et histoires individuelles afin de fonder le socle de la culture mémorielle de Katrina, à partager non seulement avec les bénévoles qui ont recueilli ses impressions (projet d’oralisation), les spectateurs (projet pictural) et les lecteurs (projet scriptural) de ses histoires personnelles, mais surtout de reprendre en main une narration qui excluait cette population, afin de léguer à la postérité une expérience singulière.

Ce partage d’expérience semble également procurer aux différents participants un fort sens communautaire, le développement d’une identité commune ainsi qu’un réel attachement à la terre, notamment grâce à la dialectique des lieux de mémoire, qui sont de véritables seuils entre le présent, le passé et le futur à la Nouvelle Orléans. La mémoire semble donc défier tous les postulats de fixité, car même dans les états adjacents, les habitants évacués se remémorent les évènements et créent un lien déterritorialisé.

1 Prejudice is commonly defined as an unfair negative attitude toward a social group or a person

[…] A stereotype is a generalization of beliefs about a group or its members that is unjustified because it reflects faulty thought processes or

or groups of people equality of treatment”

2 Alongside the spatial triage that is now taking place in New Orleans as the city decides which structures merit demolition and which merit repair

3 Participating in oral history offered individuals and communities a tool to reaffirm their connection to place.

4 Architecture helps to define who we are […] it is only when it falters that we become fully aware of is presence.

5 A related trauma of displacement is likely being experienced by the diaspora of New Orleans residents who, having been evacuated to random, distant

6 Those familiar with certain spaces in New Orleans‘neighborhoods know that memory rests on more than simply presence and absence.

7 Places that have fallen out of the collective memory […] spaces that we are socialized to ignore Hesse writes of a white amnesia in urban spaces

8 If the ninth ward and other everyday black spaces are not rebuilt , whatever replaces them will certainly be located in a space of anamnesis. The

9 Public remembering is an integral process that helps victims voice their suffering. But public remembering is not only concerned with the past, as

10 Unlike the symbolic violence that urban trauma inflicts on the culture of cities, the assault on the memory of the city largely goes unnoticed…

11 Memory […] ) is a site of political contestation, subject formation, power struggle, knowledge production, and community-building”. […] “history

12 Memorialization processes should be dynamic and relevant for an open discussion about linking the effort in dealing with the past with the present.

13 There are ethical issues involved, from discounting loss to compounding grief. It is an invasive exercise, the oral historian stepping in while

14 Priceless historical record.

15 Mary Marshall Clark […] oral history interviewing depends on memory not just as a source of details, "but also as a rich repository of thoughts

16 The great strength of the project lies in the common bond established when one survivor listens respectfully to the story of another.

17 One of the values of oral history at such a moment is the power of the process to reaffirm and buttress community identity, especially during a

18 All […] narratives center on the concept of community. Each storyteller is asked, first, to describe the community where he lived before the storm

19 She reflected on the significance of the time she spent in Mississippi and what she discovered about the importance of each individual story.

20 Giving voice to the survivors .

21 I will not forget them and I will make sure other people do not forget them.

22 The project is conceived to break the too-often disparaging and condescending frames of the standard media accounts by engaging

23 Some stress the therapeutic aspects of sharing their experiences with fellow sufferers: Vincent Trotter, […] told us, "I came here to heal."

24  Memory is distinct from history in that history belongs to everyone and has a claim to universal authority while memory serves a function for the

25 Many residents had regular nightmares of waking up in water. They talked about recurring breakdowns. A 2007 study showed that 20 percent of New

26 The results presented indicate that the events surrounding Hurricane Katrina deeply affected the psyche of Black America.

27 The photograph grants the spectator the ability to witness the "absent presences who are and are not here.

28 The prefix "re" comes from the Latin re— or red—, which means "again"; and "member" comes from the Gothic German word mimz meaning flesh. To

29 A chair is made purely for the purpose of being filled by a body. A chair is even sometimes described as a human body: "Chairs have legs, feet—some

30 This liminal space is the territory of the ghost. As private and public markers/memorials, the chairs are "the traces of the dead in the form of

31 The empty chairs allow us to see the "things and the people who are primarily unseen and banished to the periphery of our social graciousness".

32 In one sense, the ghost is our memory of the event. Sometimes it is a manifestation of specific people lost to tragedy. The ghost is personal and

33 Memoir's relationship to memorial is made even more interesting because the relationship exhibits the trajectory of one's memory as it moves from

34 Negative memory: evocations of places that no longer exist in their pre-disaster forms. Negative memory works on the spaces that are no longer

35 Through contemplating what is no longer visible in the geography of a place, one's imagination maps former memories onto the changed landscape.

36 Identity is intimately tied to memory: both our personal memories (where we have come from and where we have dwelt) and the collective or social

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1 Prejudice is commonly defined as an unfair negative attitude toward a social group or a person

[…] A stereotype is a generalization of beliefs about a group or its members that is unjustified because it reflects faulty thought processes or overgeneralization […] Discrimination is defined as a selectively unjustified negative behavior toward members of the target group that involves denying “individuals

or groups of people equality of treatment”

2 Alongside the spatial triage that is now taking place in New Orleans as the city decides which structures merit demolition and which merit repair, mnemonic triage is occurring […] What we remember and consequently forget is determined by social frames. Society, implicitly and explicitly determines what is relevant and what is irrelevant. That which society deems relevant is framed and that which is not relevant is pushed to the margins.

3 Participating in oral history offered individuals and communities a tool to reaffirm their connection to place.

4 Architecture helps to define who we are […] it is only when it falters that we become fully aware of is presence.

5 A related trauma of displacement is likely being experienced by the diaspora of New Orleans residents who, having been evacuated to random, distant cities and having no homes or even neighborhoods to turn to.

6 Those familiar with certain spaces in New Orleans‘neighborhoods know that memory rests on more than simply presence and absence.

7 Places that have fallen out of the collective memory […] spaces that we are socialized to ignore Hesse writes of a white amnesia in urban spaces where whites forget about the spaces of the other. This is part of the “racing of space” where space becomes reflexively understood as representing the individuals who inhabit it […] The racing of space allows us to invest in remembering certain spaces and forgetting others.

8 If the ninth ward and other everyday black spaces are not rebuilt , whatever replaces them will certainly be located in a space of anamnesis. The void or whatever replaces the original will serve as a mnemonic prompt… The removal of objects from the space, an attempt to change the memory of the space, paradoxically might restore the memory of the space.

9 Public remembering is an integral process that helps victims voice their suffering. But public remembering is not only concerned with the past, as embodied in public memorials, museums, or anniversaries; it also encompasses how memory work functions to confront urgent needs in the present and to influence conditions in the future.

10 Unlike the symbolic violence that urban trauma inflicts on the culture of cities, the assault on the memory of the city largely goes unnoticed… Certain groups control spaces of memory to the detriment of others… Urban traumas provide the opportunity to remove memories from space.

11 Memory […] ) is a site of political contestation, subject formation, power struggle, knowledge production, and community-building”. […] “history education is a site where teachers and pupils as members of distinct generations engage with textbooks and other materials as specific forms of memory texts that guide what should be passed on to the younger generation.”

12 Memorialization processes should be dynamic and relevant for an open discussion about linking the effort in dealing with the past with the present. In order for an open discussion to link the past with the present, education programs for younger generations should move beyond traditional narratives of the conflict to be about what leads to the conflict, the conflict itself and how society recovers from it.

13 There are ethical issues involved, from discounting loss to compounding grief. It is an invasive exercise, the oral historian stepping in while others are trying to put their lives back together. This is a moment with which experienced historians are uncomfortable and unaccustomed”.

14 Priceless historical record.

15 Mary Marshall Clark […] oral history interviewing depends on memory not just as a source of details, "but also as a rich repository of thoughts, beliefs, and impressions of self-understandings and historical understandings that have evolved over time."

16 The great strength of the project lies in the common bond established when one survivor listens respectfully to the story of another.

17 One of the values of oral history at such a moment is the power of the process to reaffirm and buttress community identity, especially during a period of intense pressure.

18 All […] narratives center on the concept of community. Each storyteller is asked, first, to describe the community where he lived before the storm hit. Many of New Orleans's materially poorest neighborhoods were extremely rich in traditional culture. In the Sixth, Seventh, and Lower Ninth Wards, shared memories and cultural creativity had crafted networks of religious, musical, and festive life. Church groups, social and pleasure clubs, and extended families had created some of the most resourceful and soul- affirming responses to poverty to be found anywhere on the planet. These communities, now shattered, often exist only in the survivors' memories.”

19 She reflected on the significance of the time she spent in Mississippi and what she discovered about the importance of each individual story.

20 Giving voice to the survivors .

21 I will not forget them and I will make sure other people do not forget them.

22 The project is conceived to break the too-often disparaging and condescending frames of the standard media accounts by engaging survivor-interviewers to record the stories of their fellow survivors, and by getting those stories out to the world at large, through live storytelling sessions.

23 Some stress the therapeutic aspects of sharing their experiences with fellow sufferers: Vincent Trotter, […] told us, "I came here to heal."

24  Memory is distinct from history in that history belongs to everyone and has a claim to universal authority while memory serves a function for the present by providing a community with what it needs for survival in that present.

25 Many residents had regular nightmares of waking up in water. They talked about recurring breakdowns. A 2007 study showed that 20 percent of New Orleans residents were categorized as having a Katrina-related serious mental illness, and 19 percent showed signs of minimal to mild mental illness .Even therapists and social workers who were able to serve in the recovery effort to help support the emotional recovery of others found themselves breaking down in tears on a regular basis

26 The results presented indicate that the events surrounding Hurricane Katrina deeply affected the psyche of Black America.

27 The photograph grants the spectator the ability to witness the "absent presences who are and are not here.

28 The prefix "re" comes from the Latin re— or red—, which means "again"; and "member" comes from the Gothic German word mimz meaning flesh. To remember in this case is "again flesh." To bring back flesh. To put flesh back together. The ghost is per forming a return. A return from absence to presence. The ghost is a revenant of sorts, returning to make sure it is not forgotten.

29 A chair is made purely for the purpose of being filled by a body. A chair is even sometimes described as a human body: "Chairs have legs, feet—some with claws—knees, arms, knuckles, and even, occasionally, ears" (de Dampierre 2006 : 8). So when a chair is empty, it beckons us to sit. […] And when we stand up, when we leave the chair, our "body leaves its imprint on the chair, which holds the memory of the body in place" (Rayner 2006 : 112). […] These layers build a body that is both absent and present.

30 This liminal space is the territory of the ghost. As private and public markers/memorials, the chairs are "the traces of the dead in the form of furniture," the memories and ghosts of the people who were lost, and the trauma suffered by those who survived.

31 The empty chairs allow us to see the "things and the people who are primarily unseen and banished to the periphery of our social graciousness".

32 In one sense, the ghost is our memory of the event. Sometimes it is a manifestation of specific people lost to tragedy. The ghost is personal and social, singular and communal.

33 Memoir's relationship to memorial is made even more interesting because the relationship exhibits the trajectory of one's memory as it moves from individual to collective loss and from something intangible to something that is physical, more permanent, concrete.

34 Negative memory: evocations of places that no longer exist in their pre-disaster forms. Negative memory works on the spaces that are no longer there, those spaces we wish to return to but cannot. Or at least we cannot return to them as they once existed.

35 Through contemplating what is no longer visible in the geography of a place, one's imagination maps former memories onto the changed landscape. This process necessarily projects one from personal contemplation to something larger and more social, and it has the ability to allow personal memory to reconstruct itself and orient that memory toward the future of a changed landscape and toward those who live there now, who have been as devastated as the landscape.

36 Identity is intimately tied to memory: both our personal memories (where we have come from and where we have dwelt) and the collective or social memories […] Yet even totally bulldozed places can be marked to restore some shared public meaning, a recognition of the experience of spatial conflict, or bitterness, or despair.

Fig 1 : procédés de mémorialisation suite à Katrina face à la couverture médiatique

Fig 1 : procédés de mémorialisation suite à Katrina face à la couverture médiatique

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