Introduction

Jean-David Bellonie et Bruce Jno-Baptiste

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Jean-David Bellonie et Bruce Jno-Baptiste, « Introduction », Archipélies [En ligne], 10 | 2020, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.archipelies.org/874

Ce numéro d’Archipélies réunit les communications présentées lors des journées d’étude pluridisciplinaires « Affirmer son identité dans et par le discours » qui se sont tenues les 2 et 3 mai 2019 sur le campus de Schœlcher, à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université des Antilles (Martinique).

Ces deux journées d’étude sont le résultat de la volonté des deux organisateurs et coordinateurs du présent numéro, Jean-David Bellonie et Bruce Jno-Baptiste, de contribuer au débat sur la thématique de l’identité, en lien avec la dimension culturelle du langage (Charaudeau, 2001) et de son expression au travers des différents types de discours. Cette manifestation organisée avec le soutien du CRILLASH (Centre de Recherches Interdisciplinaires en Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines) avait pour objectif de décloisonner les champs de réflexion dans une perspective de complémentarité. Si les cadres théoriques, méthodologiques et les objectifs ne sont nécessairement pas les mêmes, le partage d’un même objet, la langue, a permis un dialogue riche.

Déterminer l’identité d’un individu est un processus qui s’envisage selon différents points de vue. Que l’on adopte une approche psychologique, sociologique, philosophique, linguistique, ou autre, les traits définitoires de l’identité d’une personne ne sont pas du même ordre. Dans tous les cas, on se positionne, le plus souvent, en observateur objectif pour déterminer ce qui particularise ou, au contraire, rassemble les sujets.

Notre objectif a été de mettre en commun des réflexions qui proposent une mise en lumière de la façon dont les identités se révèlent dans et par le discours. De fait, il n’est, a priori, plus question d’une démarche d’objectivation, mais plutôt d’une démarche qui entend considérer la façon dont les individus se déterminent eux-mêmes. Autrement dit, c’est bien la subjectivité des sujets qui fondent l’appréhension de l’identité.

L’hypothèse sous-jacente soutient l’idée que ce que l’on dit de soi-même et les moyens de le faire, dévoilent avec plus ou moins d’intentionnalité l’identité du porteur du discours, peut-être plus finement, assurément de façon plus qualitative. Compte tenu des effets inévitablement complexes du contact des langues et des cultures dans les territoires où, pour des raisons géographiques, socioéconomiques ou politiques, les communautés sont amenées à se croiser, il apparaît important de tenter d’approcher la façon dont les individus se positionnent, se déterminent et se définissent, au-delà de ce que l’on peut en dire avec un regard distancié. Le trait « femme » ou « homme » est-il également définitoire pour toutes les femmes ou tous les hommes ? Est-ce que l’appartenance à une culture ou une autre, quand on est issu de l’immigration par exemple, s’appréhende de façon effectivement binaire ? Comment se construit et se vit une identité métisse ? Quels liens tisse-t-on avec les référents légitimes, les normes, caractérisant une communauté, au-delà des rôles socialement assignés ? Toutes ces questions ne peuvent trouver de réponses sans chercher à comprendre les attitudes et représentations, réelles et déclarées, voire fantasmées, des individus.

Nos journées d’étude ont rassemblé des chercheurs débutants et confirmés travaillant en Martinique, en Guadeloupe, au Canada, en Tunisie, en France hexagonale et en Suisse. Leurs recherches couvrent des zones géographiques allant des Caraïbes à l’Amérique du Nord, en passant par l’Asie et l’Europe.

Au-delà de l’apparente diversité des terrains, ce qui unit ces chercheurs, c’est leur volonté de mettre la parole de l’individu au cœur d’analyses visant une meilleure compréhension de l’état de la société contemporaine, en proposant des interventions qui s’intéressent au fond comme à la forme des discours pour mettre en lumière les identités.

Dans une perspective pluridisciplinaire, nous avons ainsi envisagé des approches inspirées par de nombreuses disciplines, et en particulier la (socio)linguistique et les Cultural Studies. Les approches en (socio)linguistique permettent de montrer la façon dont les locuteurs se disent, d’une part, par l’étude de l’aspect déclaratif des discours, et, d’autre part, par l’étude des unités et de la construction des discours. Tous les champs des sciences du langage sont potentiellement concernés. Du côté des Cultural Studies, il s’agit d’aborder la question identitaire en contexte postcolonial avec des chercheurs en littérature ou en civilisation. Les études sur les textes littéraires décrivent comment les auteurs s’emparent des représentations communes pour construire l’identité des personnages au travers des dialogues. Quels choix, quelles stratégies sont employées pour signifier au lecteur l’identité du personnage à partir du discours qu’on lui fait porter ? Certaines études portent sur l’identité de l’auteur lui-même, telle qu’elle se révèle à travers un style particulier.

C’est ainsi que nous avons rassemblé dans ce numéro 10 d’Archipélies, douze contributions. L’article d’Emmanuelle Guerin reprend la thématique de sa conférence inaugurale présentée en ouverture de nos journées d’étude. En s’intéressant à la construction identitaire des Français dits « issus de l’immigration », elle questionne l’identité française actuelle à partir de la distinction entre ce qui relève de référents culturels formellement ou socialement légitimes. Roberto Paternostro s’intéresse à la réalité sociolinguistique et au discours de jeunes Parisiens qu’il compare avec celui de jeunes francophones vivant dans la région italienne de Suisse, afin d’examiner la complexité de la relation entre langue et identité. Julian Vasseur nous invite à découvrir la dynamique identitaire liée aux pratiques langagières bilingues (népali-anglais) qui est en œuvre dans un Népal confronté aux effets de la mondialisation. Olivier-Serge Candau, dans le cadre de son article, explore également le discours bilingue (français-créole) à travers la littérature antillaise et plus particulièrement dans le récit. L’expression de l’identité créole est aussi une thématique explorée par Thabette Ouali, qui propose une analyse du roman historique de l’écrivain martiniquais Raphaël Confiant. S’appuyant également sur le même genre discursif, Clara Dauler propose de questionner la construction de l’identité nationale cubaine dans le roman historique de Leonardo Padura.

Sur un tout autre terrain, Carlo Lavoie présente la région canadienne du Madawaska et les résultats de son analyse sur la posture identitaire et la relation à l’Autre à travers l’étude de la poésie de Sébastien Bérubé. Joëlle Constanza s’intéresse quant à elle à l’image médiatique et à la façon dont la presse écrite française (régionale et nationale) construit l’identité des migrants traversant la Méditerranée. Stéphane Partel de son côté, s’interroge sur l’affirmation de l’identité afro-américaine, à partir du discours de personnages de fiction mis en scène dans deux comédies de situation diffusées sur les chaines télévisées américaines. Sara Ziaee Shirvan aborde les dialogues fictifs et réels à travers la lecture d’un récit autobiographique dans lequel l’auteure-narratrice reconstruit sa propre identité. Les discours identitaires dans la littérature américano-caraïbe des xxe et xxie siècles servent de point de départ à Clarissa Charles-Charlery pour mettre en lumière et mieux comprendre l’influence de la pensée moderniste anthropophage brésilienne, qui dynamise la réflexion sur la complexité et la pluralité des appartenances. Ce numéro trouve sa conclusion dans le texte proposé par Afef Benessaieh qui invite le lecteur à se questionner sur l’identité culturelle et le métissage dans la Caraïbe dans le milieu littéraire martiniquais.

Charaudeau, Patrick, « Langue, discours et identité culturelle », Éla. Études de linguistique appliquée, n° 123-124, 2001/3, pp. 341-348. URL : https://www.cairn-int.info/revue-ela-2001-3-page-341.htm.

Jean-David Bellonie

Université des Antilles, Jean-david.Bellonie@univ-antilles.fr

Bruce Jno-Baptiste

Université des Antilles, bruce.jno-baptiste@univ-antilles.fr

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