Le geste Jazz et la condition noire féministe : Une étude comparée des dissonances

Philip Sadikalay

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Philip Sadikalay, « Le geste Jazz et la condition noire féministe : Une étude comparée des dissonances », Archipélies [En ligne], 6 | 2018, mis en ligne le 11 décembre 2018, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.archipelies.org/313

Le paradigme de l’intersectionnalité, venant critiquer les cloisonnements théoriques et rhétoriques conventionnels du féminisme « classique » (Crenshaw 1991, Hill Collins 2000), apparaît comme une proposition conceptuelle « dissonante ». La dissonance ne peut être vue seulement comme perturbatrice. La tension et les problèmes qu’elle implique sont en lien original entre les différentes composantes du sonore, bien qu’éprouvant le premier niveau de cohérence de celui-ci. Le jazz, dissonant et hétérodoxe historiquement, a pourtant démontré son adéquation avec l’expérience américaine du XXème siècle, une dimension réflectrice de l’expérience sociale des « acteurs et actrices ». La femme noire, aux prises avec une discrimination multilatérale, trouverait-elle dans le geste jazz une représentation métaphorique de ses luttes et de sa résistance ? C’est à travers des prises de parole d’artistes majeures des courants du Blues et du Jazz que nous évoquerons la naissance d’une prise de parole de la femme Noire, « proto-féministe » de par sa simple existence.

The paradigm of intersectionality, coming to criticize the conventional theoretical and rhetorical divisions of "classical" feminism (Crenshaw 1991, Hill Collins 2000), appears as a "dissonant" conceptual proposition. Dissonance cannot only be considered as disturbing. The tension and the problems that it implies can only be an original link between the different components of the sound, although testing the first level of coherence of the latter. Jazz, eminently dissonant and historically heterodox, has nevertheless demonstrated its adequacy with the American experience of the twentieth century. Moreover, it contains a reflective dimension of its contemporary actors. Would the black woman, struggling with multilateral discrimination, find in the jazz gesture a metaphorical representation of her struggles and resistance? It is through the analysis of the historical pronouncements of major female artists of the Blues and Jazz currents that we will evoke the avant-garde birth of a Black female specific speech, therefore deeply "proto-feminist", by its mere existence.

Introduction

« You don't have to live next to me, just give me my equality!  »
Nina Simone

Le Civil Rights Movement, de par son caractère historique, révolutionnaire et « victorieux » (au sens où on l’entend dans la perspective du mouvement social)1, et ce à plusieurs points de vue, est véritablement fondateur d’un renouveau de la façon dont on pense le mouvement social, et notamment pour les mobilisations qui interrogent les problématiques identitaires. Sa position éminente et cruciale pour la pérennité de l’expérience démocratique étasunienne, en a fait un modèle, et l’objet de nouveaux concepts théoriques, voire de paradigmes, pour les nombreux mouvements sociaux qui suivirent. Il est vrai que certaines écoles de pensée, comme la mobilisation des ressources, ont depuis lors été sérieusement discutées, critiquées et revues, et associées à d’autres écoles de pensée et théories (Mc Adam 1982, Japser ; Polletta 2001). Mais c’est toujours et encore à l’aune de l’observation de cette expérience révolutionnaire et longue dans le temps. C’est en se penchant sur les expériences de ces hommes et de ces femmes avec un regard nouveau que l’on peut discerner l’importance de cet événement socio-historique. Ces mouvements qui émergèrent durant les années 60 firent voler en éclats les concepts et théories qui voyaient par exemple dans le mouvement social un soulèvement des classes les plus défavorisées, et une volonté d’abattre un système au profit d’un autre. Dans ce contexte économiquement florissant aux Etats-Unis et en Europe, ce sont plutôt les couches lettrées, voire bourgeoises, de la société civile, qui eurent pour ambition de contester l’exclusion de minorités ou de groupes identifiés, de l’exercice du pouvoir ou des expériences politique et sociales assumées et justes.

Parmi les nombreuses et différentes mobilisations qui font suite au mouvement pour les droits civiques, les mouvements féministes et en particulier les mouvements féministes noirs, y prennent une partie de leur inspiration, non seulement cette culture organisationnelle, mais également le fond de la revendication principale : Non pas abattre le système, mais y inclure la « minorité », ou le groupe discriminé que représentent ceux (et celles) qui s’engagent dans la mobilisation.

Une filiation que l’on peut discerner aujourd’hui historiquement, davantage au regard des modes opératoires, premièrement, et pas naturelle épistémologiquement. Pourtant, cette expérience de continuité « forcée » entre le Civil Rights Movement et les mouvements féministes annonce déjà la complexité sociale des questions de genre, à l’intersection de plusieurs problématiques.

Cet héritage réel repose donc sur deux positionnements qui semblent à la fois s’opposer et s’associer : Le sens organisationnel, l’exemple de la faisabilité sur le long terme – Près de dix ans se sont écoulés entre la mise en garde à vue de Rosa Parks en décembre 1955 et la ratification du Civil Rights Act en 1964 – avec à la clé l’expérience du succès ; mais également, à l’aune de cette mobilisation sans précédent, l’émergence de revendications plus spécifiques aux droits des femmes, doublement discriminées parce que Noires et femmes.

L’action des femmes au sein du Civil Rights Movement a été déterminante, d’abord sur le terrain, dans les organisations, les syndicats. Mais elle fut aussi cruciale dans la rédaction de la mouture finale du Civil Rights Act de 1964. Un puissant lobbying de la part des associations telles que la National Organization for Women (NOW), associé à la coopération forte de certains membres du Congrès des Etats-Unis, permit d’ajouter l’exclusion de la discrimination sexuelle à l’embauche dans le fameux article VII de la loi2. Une autre disposition législative sanctionnait l’inégalité de salaire, avec ici une mention interdisant cette discrimination sous divers critères, incluant celui de la condition féminine (Equal Pay Act, 1963).

Il est vrai que ces articles, s’ils sont soutenus par les organisations féministes, ont été également étayés par une collection d’arrêts rendus dans les tribunaux locaux ou fédéraux, en somme une véritable jurisprudence féministe (Mayeri 2011) sur le fond, et ce dans l’actualité du Civil Rights Movement.

1. Critical Race Theory

Ce mouvement intellectuel, né au milieu des années 70, émane d’abord d’une volonté exprimée par de nombreuses personnalités scientifiques, d’activistes, ou de la société civile, de ne plus se cantonner aux seules sphères sociales ou au terrain de la culture et aux avancées du civil rights movement, mais de les étendre au-delà, et donc de questionner jusqu’aux fondements mêmes de cet ordre libéral ancien aux Etats-Unis, ou l’égalité dans la loi. Il doit une très large dette cependant au mouvement du Dr King, mais aussi aux critical law studies, cet autre mouvement qui entreprit de glaner les arrêts et conclusions de tribunaux, avec pour thématique les décisions d’ordre « racial »3. La collection de ces arrêts permit une autre fragmentation, encore plus spécialisée dans le domaine, à la faveur des mouvements féministes : le Critical Race Feminism, éponyme donc d’une volonté de cerner une question véritablement spécifique, l’énoncé-même d’une construction, problématique certes, mais typique de l’expérience sociale des femmes noires aux Etats-Unis.

Il est nécessaire d’explorer ce tuilage conceptuel factuel d’ordre juridique pour expliciter la chronologie entre le civil rights movement et les autres mouvements sociaux qui suivirent. En l’espèce : les mouvements féministes des années 70, puis le Black Feminism.

L’angle juridique qui ressort de l’exposé de ces concepts est lié à l’historicité une fois de plus du civil rights movement ; qui donc historiquement marque une avancée dans les jugements rendus en faveur des personnes dites de couleur.

2. Déconstruire, questionner les « victoires »

Ce qu’il ressort de l’étude juridico-historique des mouvements sociaux des années 60-70, c’est qu’il a fallu faire preuve d’une certaine acuité pour constater que les arrêts, les amendements même (alinéas portant précision ou amendant les articles constitutionnels fondateurs), bien qu’historiques, révolutionnaires, manquaient de pertinence ou ne répondaient pas forcément à la question brûlante de la justice rendue aux femmes noires. De couleur elles le sont, certes, mais leur condition féminine leur faisait « rater » l’expérience de la jouissance liée à une justice proprement rendue. C’est ce constat qui donc mit à mal l’une des vertus intrinsèques de la loi : son « caractère neutre, objectif et déterminé » (Adrien Katherine Wing, 2007). Est-ce à dire que la loi, ne rendant pas justice de facto aux femmes noires, puisque ne reconnaissant pas ou n’associant pas ad minima ces deux conditions humaines comme étant discriminées concomitamment, continuerait donc à perpétuer l’inégalité, la discrimination ?

Questionner le caractère juste de la loi, i.e. de textes validés démocratiquement par toutes les voies institutionnelles et républicaines, à la faveur de problématiques imposées par l’expérience sociale. Envisager un cas de déconstruction, sur les modèles théoriques de Jaques Derrida, faisant suite à Heidegger.

Ce concept, s’il se veut avant tout littéraire, a pu trouver dans l’expérience des femmes noires étasuniennes, un cas d’école absolument remarquable et fonctionnel. La translation d’un modèle (ou d’un tropisme) depuis l’expérience sociale ou anthropologique vers la littérature a été illustré par Toni Morisson, lorsqu’elle évoque le caractère essentiel et filigrane de facto du « call and response » dans la façon dont elle bâtit son histoire, met en action ses personnages4. Un écho recherché entre ses mots et leur perception personnalisée par le lecteur. Ici, la pratique inverse est opportune, puisque l’on part du concept, de la théorie littéraire, ou linguistique, pour essayer d’en sortir un paradigme. Cela étant, la dimension littéraire n’en est pas évacuée, puisque c’est bien à l’aune d’écrits que devra être observée la « distance », ou la contradiction au surplus, entre la lettre et ce que celle-ci désigne, voire la menace qui pourrait être lancée contre ce « qui ? », remis en question. Le caractère technique, construit et commenté des décisions de justice, et dont la recherche de précision qui en ressort, est au cœur du questionnement « déconstructif ».

3. De l’expérience de l’intersectionnalité à l’exigence de « l’ajustement »

Mais cela n’est pas suffisant. La nécessité de répondre ou de réagir à toutes ces problématiques sociales qui se posent à la femme noire a forcé une forme d’ajustement à divers niveaux : conceptuel, émotionnel, paradigmatique, symbolique. Cet « adjustment » est une autre notion véritablement filigrane et éminemment anthropologique, liée aux pérégrinations sociales de l’homme noir aux Amériques, depuis la traversée infernale de l’Atlantique, et sa présence sur le continent en tant qu’esclave, en tant que captif. Il a été défini par Samuel Floyd, musicologue et historien des musiques africaines-américaines. À l’étude de l’élaboration des musiques noires étasuniennes modernes (xxe siècle), il discerne une interprétation commentée de la vie quotidienne par l’expression musicale. Ainsi donc, par ce concept d’adjustment, il postule que la musique et l’expérience de vie contemporaine sont liées, non pas seulement parce que la première évoque souvent la seconde par un procédé littéraire, mais aussi dans les techniques de création mises en œuvre, qui sont analogues, que ce soit pour s’adapter, dans la seconde, ou pour élaborer, dans la première. C’est ainsi que la musique sera composée, construite avec des directions harmoniques qui symboliseront les épisodes marquants de l’expérience humaine, voulant symboliser ce que Samuel Floyd appelle les « struggle-fulfillment patterns »5, les représentations de la dualité « lutte-accomplissement ». Des tensions donc, des moments de confrontation, de déséquilibre, puis de retour à l’équilibre, à l’apaisement, seront symbolisés par des choix de notes, de tempérament, d’atmosphère, d’harmonies. Le jazz, bien qu’étant intrinsèquement africain (Gioia 2011) dans sa matrice et son intention, ne demeure pas moins une musique, un art étasunien, et par conséquent, créole. Cette créolité manifeste, signification mouvante et certainement pas univoque6, réunit sans doute dans la musique des éléments divers, hétérogènes (cultures africaines, européennes), pour le bénéfice de l’avancée de l’homme noir vers son existence totale (Baraka 1963).

Il ne faut voir pour autant ces méthodes d’écriture de la musique, ou du jazz en l’espèce, comme étant signifiantes seulement artistiquement. Il faut au surplus déchiffrer dans le sonore noir étasunien une autre expérience d’ajustement. Elle est double par essence, car elle est primitive, à l’origine de l’élaboration du son, comme si ce dernier devait sortir, être extirpé coûte que coûte du cœur de son créateur, bravant et défaisant un à un les ennemis de son existence et se nourrissant d’une double culture forcée. Elle est ensuite organique, à l’aune du processus de commentaire artistique et esthétique du vécu social.

Je propose donc de voir dans l’émergence du féminisme noir un nouvel exemple, un nouveau modèle de tentative d’adaptation, ou de réponse adaptive au sein même du mouvement social.

Le féminisme noir va donc proposer, en association premièrement avec le courant classique, puis s’opposant à celui-ci, une direction plus spécialisée, plus authentiquement adaptée aux questions urgentes de la condition noire féminine, puis féministe. Le commentaire ne peut en effet rester neutre, surtout s’il se veut autre que simplement « gratuit », ainsi l’esthétique ne peut se borner à susciter l’émoi. Elle doit être opérante, d’elle doit émerger une critique, La critique.

L’interprétation de l’intersectionnalité en tant que prisme d’ajustement au sein même du mouvement social, si elle est à juste titre comprise comme ne pouvant émaner de prime abord que d’un contexte racisé et de discrimination de genre, une primo-perspective africaine-américaine salvatrice, elle ne peut échapper à la métaphore artistique. Elle ne peut éviter la symbolisation de l’esquive, du contournement, de la dérision, ni l’expressivité mentale, émotionnelle, mémorielle attachée à la lutte et à l’accomplissement. Elle doit trouver dans l’art les signes de son existence humaine, ou l’art doit contenir, mettre en forme, symboliser cette expérience intersectionnelle typique.

C’est en cela qu’il sera aussi judicieux et opportun d’en observer les effets, les analogies et certainement les avatars dans le « geste jazz ».

4. De la métaphore-analogie

L’expérience humaine de la créolisation est jalonnée de procédés métaphoriques, comme « réponse » à l’impossibilité primale de pouvoir dire, tout simplement. Le geste artistique devient de facto le réceptacle des pensées, le mode d’expression des states of mind.

Les procédés d’évitement quant à eux ont été salutaires à plus d’un titre. Ils ont jalonné l’histoire des Africains en terre d’Amérique, puis les Africains-américains. L’évitement est en effet la première figure qu’arbore la lutte. Car si les Africains déportés ont cherché à s’échapper dès les premières heures de leur présence sur les rivages de ce continent nouveau (Baraka 1963), cette fuite, avant de redevenir un outil de lutte et de résistance via le marronnage, a été le leitmotiv d’une foison de procédés mentaux, émotionnels ou cognitifs de création, de reformulation. Elle a été un procédé de distanciation nécessaire, d’avec la condition d’esclave à qui toute essence humaine est disputée, et ôtée. Combattre le « contrôle total de l’espace total » (Chivallon 2008), cet espace total allant jusqu’à la circonscription de la pensée de l’homme noir. L’artefact musical s’impose donc de par son immatérialité basique, et sa capacité à rendre plus douce la pénétration et la préservation des contenus culturels littéraires ou sonores dans la mémoire.

Le caractère fonctionnel de la musique constitue un puissant héritage culturel africain, qui a traversé les époques et accompagné et commenté les pérégrinations des communautés jusqu’à ce jour. La musique en effet a eu depuis « l’origine » l’impérieuse mission, en plus de ressusciter le Noir dans son humanité, de réorganiser et idéaliser la vie réelle puis la transformer en lui conférant une forme symbolique (Floyd 1995). La mutation, la praxis dans le discours, dans l’élaboration du matériel sonore, les modes d’expressions artistiques donnera naissance à des esthétiques singulières, dont la finalité ne peut s’arrêter à la seule suscitation de l’émoi. C’est donc cela aussi que l’homme noir a réussi à créer avec sa musique : « Une communauté esthétique de la résistance, qui donc a motivé et entretenu l’émergence d’une communauté politique de lutte activiste, pour la liberté » (Davis 1989). Ainsi c’est à l’analyse de certaines directions esthétiques que peut se discerner la démarche métaphorique. Beaucoup de « modèles formels » apparurent pour forger le langage musical – entre autres domaines –, lui donner une structure, un corps et le nourrir d’influences. Des canaux en somme par lesquels devaient passer des contenus, survivances mémorielles, expressions émotionnelles, commentaires live, voire des velléités subversives. Citons entre autres le call-response, le tension and release, l’improvisation bien entendu, voire même le signifyin (G).

La métaphore est à l’origine vue comme un procédé linguistique, stylistique, puis devint un puissant outil d’ordre rhétorique. S’agissant de sa première essence linguistique, disons langagière, nous savons que dans les réalités de nos mondes créoles, la langue est le trophée d’un combat, d’une lutte parfois d’une violence inouïe. La langue, l’idiome donc, ne put donc être mobilisée dès l’origine du besoin de signification. En effet, il apparaît bien que ces procédés d’interpénétration, de modus filigranes, d’illustration-figuration sont bien typiques chez les Africains-américains et précèdent une fois de plus l’utilisation « habituelle » d’un langage, qui eût été nouveau en l’espèce. Pour Aldo Licitra :

« L’opération de métaphorisation dissocie un élément de son contexte habituel pour l’associer – par un phénomène d’induction sémantique réciproque – à un contexte qui lui était entièrement étranger : elle évoque ainsi une nouvelle réalité. Ce processus métaphorique substitue aux codifications conceptuelles (pour lesquelles les objets sont seulement représentatifs d’abstractions) une connaissance de l’objet qui en préserve la concrétude et l’unicité : il ouvre le sujet parlant à de nouvelles possibilités de communication. De ce point de vue, la métaphore n’est pas tant un expédient linguistique ou rhétorique, mais la possibilité de connaître un monde alternatif et d’introduire de nouvelles valeurs culturelles ».

« D’où une première hypothèse de travail : la métaphore n’est pas un phénomène statique plus ou moins isolé dans le développement et la pratique langagière, mais un mode d’approche et de connaissance de la réalité. Tandis que dans la réalité dénotative un objet est plus ou moins bien défini (c’est-à-dire circonscrit dans l’espace et dans le temps), dans la réalité métaphorique, l’objet participe des caractéristiques d’autres objets. Dans ce sens, la fonction primordiale de la métaphore est double : communiquer une nouvelle vision des objets et atteindre l’inconnu à travers le connu. Son fonctionnement postule chez le récepteur la disponibilité à la nouveauté, le renoncement à la sécurité du connu pour la recherche de quelque chose qui le dépasse, et impose donc le renoncement à toute fixation fonctionnelle sur les objets. D’où une deuxième hypothèse : la production métaphorique repose sur un pari »7.

Nous verrons donc également comment ces procédés sont déterminants pour exprimer des parcours, des expériences de vie, au travers d’artefacts, d’habitudes culturelles. En somme, comment ils sont utilisés à des fins de commentaires et d’expression à vocation ontologique, mais également pour exprimer et susciter la contradiction et réclamer justice, aussi bien dans l’art que dans le mouvement social.

5. Analogie des contextes : une première proposition comparative

Nous avons vu que l’expression artistique est très imprégnée de la vie réelle. Elle peut aussi l’anticiper, car elle va mettre en forme les aspirations idéales des individus, puis des communautés. Les « efforts collectifs et concertés qui ont pour but de changer certains aspects d’une société et que nous appelons des mouvements sociaux » (Jasper 1998) portent également un témoignage d’une certaine expérience sociale, et mettent en œuvre certaines stratégies dans le but d’accéder à un idéal.

Les différents rapprochements esquissés entre le jazz et le nouveau mouvement social – que l’on peut situer depuis l’ère Freedom Movement des années 60 – sont assez éloquents quant à la dimension anthropologique, filigrane, méta-artistique des habitus culturels africains-américains. En effet, Charles Tilly8 discerne une puissante analogie entre ces deux expériences. La plus éloquente est l’adaptation au terrain : Bien qu’étant toutes deux préparées, la performance jazzistique en club par exemple et l’action de terrain (activisme sur site ou dans la rue, meetings, prises de parole, etc) ne pourront échapper à l’adaptation, à l’improvisation. Mettant en scène plusieurs acteurs, publics, audiences, ils génèrent donc des relations, et par conséquent, des exigences de signification, ainsi la codification de celles-ci s’opère par des repères culturels, qu’il nomme des « répertoires ». Ceux-ci donc « jouent avec le lieu, le temps, le couple sujet-objet » (Tilly, Tarrow 2015). Les lieux dans lesquels le jazz est interprété, en petite formation ont une réelle influence sur son esthétique, sur le jeu des musiciens, leurs attitudes, leurs discours (Becker 2002). La longueur des pièces, des soli, la teneur des échanges entre musiciens, leur dynamique dépendront d’autres échanges, conscients ou non, avec la foule. Les différents momentum de l’action collective quant à eux, connaîtront également ces fluctuations dans le tempo et les épisodes du mouvement social, dans le strict respect d’un scénario non écrit, imprévisible (Tilly op. cit.). Pour autant, dans les deux situations, c’est à l’aide de moyens puisés dans un fonds commun et codifié, préparé et maîtrisé que seront formulés les réponses, les éléments d’échange. Lors du procès de Rosa Parks par une cour locale à Montgomery, à l’annonce du verdict la condamnant à une amende de 14 dollars, il nous est rapporté que Martin Luther King en est resté « stupéfait »9. Cette condamnation, qui n’est donc pas une victoire, fut pour autant la façon la plus directe d’accéder à une cour supérieure en interjetant appel. La saisine d’une cour fédérale était une occasion à ne pas rater pour poser la question fondamentale de la légalité constitutionnelle des lois Jim Crow. Elle ouvrait donc la voie du succès du Civil Rights Movement sur le plan judiciaire. Le 28 Août 1963 au Lincoln Memorial, le docteur King prononça le fameux discours historique « I have a dream ». Cette prise de parole historique, face à la nation étasunienne et au monde, a suscité beaucoup d’interrogations, car au tout début de cette allocution, King semble « réciter », lire un discours préparé, ce qui manifestement n’était pas du tout son habitude, lui-même préférant agglomérer ses précédents sermons ou discours, et parler en « ressentant » la foule (Oates 1982, Hansen 2009).

C’est alors qu’il s’arrêta et prit une autre direction. Alors qu’il avait les yeux levés, il est de notoriété publique que l’artiste de gospel Mahalia Jackson, qui était présente à la tribune, lui suggéra de parler de ce fameux « dream »10, preuve manifeste que cette parabole n’était pas inédite, sans pour autant être prévue dans cette allocution.

L’effort d’analogie est donc bien davantage pénétrant que simplement mimétique. Il dénote une interpénétration des méthodes de création ou d’action, individuelles ou collectives. Nous verrons aussi, à l’observation des deux phénomènes de production communautaire que sont le jazz et l’action féministe noire, qu’il existe une forme d’harmonie des revendications, une forme d’accordance, forcée par une certaine homogénéité du contexte discriminatoire, une tectonique sociale cohérente qui par conséquent produit des effets similaires à des couches, ou dans des domaines différents, d’où une cohérence des luttes et des revendications.

6. Le paradigme « Struggle-fulfillment » à l’essai de la dissonance

Alors que le jazz veut s’émanciper de la musique européenne et ne veut plus être comparé à elle ou jugé selon elle, alors qu’il veut marquer une véritable différence – liberté des formes, liberté du langage et des esthétiques sonores – il veut en réclamer les fruits, les privilèges, dont la plus belle récompense, si l’on en croit les nombreux témoignages des artistes de l’époque, est d’être reconnu comme un art à part entière. Or comment être reconnu comme tel en l’état, sinon par les mêmes critères qui l’ostracisent ?

L’on peut dire par analogie que de par les mêmes problématiques féministes qui questionnent le pourquoi de ce fardeau porté par la condition noire féminine, il y a ce même principe de distanciation-inclusion, ce qui ne contrecarre aucunement dans les deux cas de sérieuses velléités d’indépendance. Ayant déjà rappelé le caractère absolument central, historique et providentiel du mouvement pour les droits civiques dans l’émergence des autres mouvements sociaux, le féminisme en hérite les formes novatrices et la force, mais également une première expérience pratique de discrimination à l’égard des femmes noires, au sein même du (des) mouvement(s). Les femmes ont tout de suite été mobilisées, engagées, à la base du mouvement, dans les équipes pastorales, la logistique, l’organisation. Une ressource humaine redoutable d’efficacité (Oates 1982, Hill Collins 2000).

Ainsi l’expérience sociale vécue par ces femmes dans le freedom movement ne put échapper aux affres de l’hégémonie masculine culturelle, presque civilisationnelle. Angela Davis fustigeait la position automatiquement subalterne que les membres masculins du Black Panther Party imposaient aux femmes du mouvement11, bien qu’elle n’y ait jamais été officiellement adhérente. Un autre témoignage concordant nous est rapporté par la militante féministe Michelle Wallace :

Il m’a fallu trois ans pour comprendre que Stokely [Carmichael] était sérieux quand il disait que ma position dans le mouvement était « couchée », trois ans pour réaliser que je n’étais pas incluse dans les innombrables discours invoquant « l’homme noir »... J’ai appris.12

Qu’est-ce que cela signifie ? Que ces militantes engagées pour l’égalité entre « races », durent en quelque sorte démasquer un nouvel ennemi, double ? Le male, non seulement blanc, mais noir, aussi ? À ce niveau de l’avancée de cette étude, l’on ne peut ignorer la providentielle opportunité d’essai métaphorique que nous offre Serena Mayeri avec son essai « Reasonning from race » (Mayeri 2011). Elle voit l’appréhension difficile des questions féministes noires, à contre-courant des traditions africaines-américaines et du féminisme « classique » comme étant illustrée et commentée dans ce jeu de saut à la corde, typiquement africain-américain : le double-dutch rope (Iniss 2011). Ce sport, faisant partie des jeux de type « corde à sauter », s’exécute en faisant tournoyer simultanément deux cordes entre deux partenaires. La troisième participante au jeu doit donc enjamber les deux cordes en mouvement, sans les toucher ni s’y mêler les pieds. L’effort produit par la troisième équipière illustre assez clairement la façon dont s’opère l’oppression de genre spécifique à la femme racisée, car celle-ci doit affronter plusieurs courants ([main] – streams) et vents de face, sans aucune maîtrise du durcissement de ces conditions sociales – symbolisés par la vitesse et les mouvements des cordes, imposés par les deux partenaires à la sauteuse au centre. Mais cette expérience du double-dutch illustre également par extension la façon dont les cas d’études juridiques ont été abordés, soit théoriquement, soit en procès. L’approche théorique visant à circonscrire les questions féministes de « race » proposée par Delgado, s’inscrit dans ces mêmes procédés déconstructivistes dont l’ambition est de décrire la réalité. Il nomme ce paradigme « Critical Race Feminism », le faisant naître de deux autres écoles de pensée, le courant historique « Critical Race Theory » et les « Critical Law Studies » (Delgado, Stefancic 2012). De façon analogue à Mayeri – elle-même s’appuyant sur l’expérience d’une troisième juriste, Pauli Murray – il démontre que la question des femmes racisées n’est pas soldée dans les avancées promues par la CRT. Comme vu précédemment et dans la continuité juridique héritée des nombreux arrêts d’ordre racial, les juristes s’appuient sur les conclusions de procédure pour démontrer une convergence entre discrimination de genre et discrimination raciale. Il ne demeure pas moins que la spécification de la question féminine dans les questions d’ordre racial constitue une critique forte de tout ce mouvement théorique exposant un système social démocratique libéral et capitaliste dont la discrimination et l’exploitation des individus sont basées sur la « race ».

Le principe dissonant en musicologie se définit premièrement par la « rupture de l’harmonie d’un accord ou d’une ligne mélodique par l’introduction d’une ou plusieurs notes qui leur sont étrangères. »13 Ces procédés de composition, d’orchestration qui jalonnent toute l’histoire de la musique en en redéfinissant régulièrement les canons esthétiques – non sans remous, débats, jusqu’aux scandales – prennent une importance éminemment essentielle dans l’histoire des musiques africaines-américaines, car elles vont illustrer et commenter toute l’expérience humaine des afro-descendants, et donc clairement marquer l’identification d’un large pan du sonore étasunien. Samuel Floyd décrit ces choix esthétiques d’écriture et d’harmonie comme des marqueurs anthropologiques signifiants.

Lolita Buckner Inniss compare les relances et les défis lancés par les obédiences féministes défendant la cause « Noire » comme des riffs typiques d’une partition jazz de big band. Ces parties d’orchestre, écrites pour une ou plusieurs parties spécifiques de l’instrumentarium présent, appelées sections (cuivres, bois, rythmique, etc.), joueront donc des phrases, des motifs parfois répétitifs, comme des rappels, des césures (breaks), ou des ritournelles. Elles ont donc la faculté d’animer ou de perturber l’exposition claire, linéaire et paisible du texte musical principal. Les soli improvisés auront également ces facultés, et pourront même être accompagnés par ces fameux riffs. Des « perturbations » prévues accompagnant l’imprévu, i. e. les soli. L’on peut comprendre cette analogie forte avec l’expérience sociale, qui prônera pour le meilleur et luttant contre le pire, les ententes, les associations entre groupes opportunément antagonistes, Blancs et Noirs, hommes et femmes, producteurs et interprètes.

C’est ainsi qu’Archie Shepp14 dénonçait ces « alliances » conflictuelles basées sur une domination inique et typique d’un rapport maître-esclave. Un attelage déséquilibré et qui impose les modalités d’une destinée ensemble :

Vous êtes propriétaires de la musique, mais c’est nous qui l’avons créée. Ainsi par définition, vous possédez les personnes qui font la musique. Vous possédez jusqu’à des morceaux entiers de notre chair15 (Hentoff 1966).

Ce rapport de domination fondé sur la race et le pouvoir économique dans le jazz illustre une forme de prototype des questions spécifiques de genre et de race. Depuis les années 40 et l’émergence du Be-Bop, le jazz désormais entres les mains d’une nouvelle génération assez jeune, deviendra davantage le résonateur du rejet de toute forme de domination. Des allers-retours stylistiques seront d’ailleurs interprétés comme autant de modalités différentes pour résister à ou composer avec cette domination blanche tous azimuts (propriétaires de lieux, producteurs, radios, critiques). Mais les années soixante, en pleine époque Hard-Bop puis New-Thing (appelé plus tard Free Jazz), feront clairement place à une critique forte, politisée. La critique de la critique fut décochée aussitôt, notamment par Nat Hentoff toujours, qui décrivit ces [nouvelles musiques] ce « Jazz nouveau » comme étant « aigri, noir et difficile à comprendre »16. Faut-il y voir une analogie presque contemporaine avec la promotion plus récente d’un nouveau stéréotype, la « angry black woman » ? La similitude lexicale est frappante et certainement digne d’intérêt.

En effet, la mouture féminine de l’aigreur ou de la colère s’intéresse notamment aux rapports conjugaux hétérosexuels et inter raciaux (Childs 2005), mais plus largement à la supposée agressivité quasi intrinsèque de la femme noire. Le canevas, le moule sociologique reste le même, puisqu’il est forgé dans ses fondements de domination de race et de genre. S’agissant du jazz, les motifs de colère et de rébellion sont légitimes et nombreux, à l’instar de l’exploitation de l’homme noir dans l’industrie musicale depuis le début du xxe siècle. Ainsi, de façon analogue au milieu économique du Jazz, il est impérieux de contrôler drastiquement par la subordination et des images négatives et dénigrantes, les expressions féminines/féministes noires légitimes de réprobation d’un système, et la colère face à l’injustice, en orchestrant justement la « dé-crédibilisation » de son expression (Hill-Collins 1990, Walley-Jean 2009). Sur le front de cette bataille en règle, Archie Shepp avait répondu ceci en son temps : « En tant que jeunes hommes, nous ne sommes plus simplement en colère, nous sommes enragés. Et à mon avis, il est temps plus que jamais, bordel ! »17.

Cette mise en parallèle ne fait qu’abonder davantage vers une cohérence des luttes face à des discriminations elles-mêmes tout aussi cohérentes entre elles. L’on y ajoute un axe supplémentaire, la vision réflectrice qu’offre le jazz à une expérience qui comme souvent sera commentée et reformulée de façon avant-gardiste, aussi bien artistiquement qu’intellectuellement. Ainsi, poursuivant cette analyse, et à l’instar des constats faits dans le freedom movement, nous nous intéresserons à l’expérience féminine noire au sein même de ce mouvement Jazz centenaire.

7. Du Jazz au féminin au Jazz Feminism ?

Il est toujours aussi étonnant de constater une sous-représentativité de l’activité humaine féminine recensée ou reconnue ad minima dans un domaine donné. Par exemple, d’observer comment une proportion de 50% par défaut de la population britannique – les femmes – n’est seulement concernée que par 4% de la production historienne. Le rôle de pionnières qu’ont pu endosser les femmes dans l’émergence des musiques noires étasuniennes est aujourd’hui reconnu, tant il est vrai qu’elles eurent accès peut-être plus facilement que les femmes blanches dans leurs espaces, à une expression artistique telle que la musique. A l’instar de la littérature, la musique africaine-américaine a bien été un domaine où les voix des femmes ont pu se faire entendre (Jackson 1981, Hill Collins 2000).

Citons pêle-mêle quelques personnalités : Ma’ Rainey (venant pour sa part du Gospel), Sister Rosetta Tharpe, une guitariste électrique très charismatique qui innova dans ce style de soli à l’instrument, Bessie Smith. Ella fitzgerald (1917-1996), qui fait bien évidemment figure de monument. Mentionnons également Mary-Lou Williams (1910-1981), qui était une excellente pianiste. La tendance quasi atavique à repousser naturellement toute velléité musicale de la jeune femme dans les sociétés européennes, était aussi présente dans le monde du jazz. Une mentalité voulant reléguer la femme à une certaine retenue, à de la réserve et à du quant-à-soi. Le piano était donc un moindre mal, dans les milieux plus confortables des communautés noires. Néanmoins cette tendance, si elle eut ses effets, ne pouvait tenir uniformément, pour plusieurs raisons.

Le début du xxe siècle fait entrer l’occident dans l’ère moderne, et le jazz porte une formidable énergie pro-libertaire, d’expression, de parodie, de dérision, de désinhibition. Le renouveau intellectuel promu par la Harlem Renaissance dès 1925, prône davantage de liberté, et les modes d’expression même de cette musique (improvisation, liberté des sons, des formes, danse omniprésente) interagissent avec les comportements, les mentalités et les pratiques sociales, dont les tendances vestimentaires. Ceci profita à davantage d’implication féminine que dans les milieux blancs ou européens. Mais il est vrai que la voix reste le domaine de performance privilégié et majoritaire dans les choix féminins d’expression, peut-être accordé tacitement par les hommes. Beaucoup d’autres femmes parmi lesquelles de grandes stars ont largement contribué à l’évolution du langage technique du jazz comme Nina Simone, qui fut une grande pianiste classique également. Mais il fallait tout de même sortir des clichés. Car si beaucoup de femmes jouaient des instruments, elles ont pâti du manque de contrats, de confiance, c’est à dire des partis pris habituels masculins. La chanteuse le subissait particulièrement, bien souvent en proie à un pathos, un spleen, dont Billy Holiday semblait faire figure d’emblème. Mais pour le sujet de cette étude, le cas de Bille Holiday doit être considéré autrement, et même à contre courant de ce stéréotype. Elle est au contraire un exemple puissant de l’avancée historique de l’expression féminine face au grand public : la chanteuse interprète Strange fruits en 1939. Ce texte écrit par Abel Méropool, décrit et dénonce avec force les lynchages dans les territoires ségrégationnistes du sud des Etats-Unis. Reconnue comme la première chanson protestataire et antiraciste de l’histoire, elle permit à B. Holiday d’exprimer son dégoût et sa révolte, ce qui tranchait totalement avec son répertoire habituel, prompt à être stéréotypé. Ce courage est doublement respecté et applaudi, car elle est noire et femme. Cet acte est révolutionnaire pour cette époque d’avant-guerre, et précède le geste de résistance de deux autres femmes avec 16 ans d’avance, celui de Claudette Colvin, 15 ans, qui refusa de laisser sa place à un Blanc dans un autobus, et l’acte analogue et initiateur de Rosa Parks, le 1er Décembre 1955. Le fait qu’une femme prenne ainsi la parole pour la cause africaine-américaine, presque en autonomie et à contre-courant des mœurs commerciaux de l’époque, est éminemment fondateur.

Abbey Lincoln fut mariée au batteur Max Roach, et comme lui, fut une activiste durant le Civil Rights Movement. En tant que chanteuse et parolière, ses œuvres furent marquées par un engagement politique fort. Le disque de Max Roach « Long as you’re living » (1960) contient lui aussi une chanson historique pour l’expression féminine, titre éponyme de l’album. Dans ce texte, bien que commençant par présenter ses excuses si elle semble prêcher, elle s’adresse directement à son compatriote noir :

I hope you listen carefully / They say the truth will make you free / And that's the way you want to be / 'cause brother, this is your life.18

Elle exhorte plus tard ses « frères » à une bonne attitude, productive, positive, sensée :

Tant que vous vivez, rappelez-vous toujours ceci/Vous ne survivrez jamais à la vie, alors n’essayez pas de tricher./Sœurs et frères, agissez envers les autres/L’amour est pour le bonheur, la haine pour destruction/Ne l’oubliez jamais, ou vous le regretterez tant que vous vivez. 

Citons en dernier exemple Mississippi Goddam (1964), de Nina Simone, thème de révolte également à l’instar de Strange fruits, et en réponse à l’assassinat de Medgar Evers et à l’attentat à la bombe de Birmingham, cette même année. Elle y exprime sa colère et sa révolte :

Ne le vois-tu pas ?/Ne le ressens-tu pas ?/ça flotte dans l’air/Je ne peux plus supporter cette pression/Que quelqu’un dise une prière./L’Alabama m’a rendue folle de rage/Le Tennessee m’a fait perdre le sommeil/Et tout le monde sait ce qu’il en est du Mississippi, bon sang ! 

Ces prises de parole ne sont pas féministes à proprement parler, mais elles sont indéniablement une avancée majeure et avant-gardiste dans le poids et l’influence des expressions féminines et au surplus féministes face au monde. Elles témoignent d’une illustration d’un idéal féministe. Elles ont été une voie ouverte à une émancipation de la pensée, à une prise de position courageuse et à contre courant, autonome et assumée. Elles purent exprimer leurs états d’esprit, leurs ressentis. Il n’est point présomptueux d’y discerner les premiers jalons d’une émancipation unilatérale rêvée de la femme noire, d’autant que les combats furent rudes, ne serait-ce que pour la publication de ces œuvres, notamment Strange fruits et Mississippi Goddam.19 En d’autres temps, Billie Holiday a essuyé les humiliations de la part des hommes du milieu du jazz, l’intimidation, y compris sexuelle, mais aussi les affres de la ségrégation, car elle avait un orchestre mixte racialement. À l’inverse, Mari Lou Williams disait ne jamais avoir été confrontée à des problématiques de genre, disant même que ça n’existait pas dans le jazz. Étant devenues des figures historiques de cette musique, elles ont donc bien contribué à l’ouverture de certaines portes, y compris mentales et culturelles, en tant que pionnières : Elles ont pu infiltrer en quelque sorte le monde patriarcal de la musique, et économiquement se hisser à un niveau d’indépendance et de popularité, sans pour autant avoir de lien avec les milieux féministes de l’époque, essentiellement blancs.

Est-il possible d’affirmer pour autant que le milieu du jazz était épuré des problématiques de discrimination liées au genre et à l’ethnicité ? Comment interpréter l’axiome d’Archie Shepp, après plus de quarante ans de féminisme noir ?

Les femmes dans le milieu du jazz n’ont jamais pu s’exprimer à plusieurs de façon normale, elles furent majoritairement considérées comme inférieures aux hommes, bien que talentueuses, ne furent jamais les grandes figures, les monuments, les géantes, statuts et éloges échus aux seuls hommes. En tant que noires et femmes, elles furent en butte à un establishment blanc, détenteur du pouvoir économique. Ainsi, percer dans ce milieu correspondait – et correspond encore – à une lutte non seulement contre des atavismes solides avilissants, mais aussi à une lutte contre elles-mêmes et les fruits de ces clichés et constructions socio-mentales « infériorisants » (Lawson 1980).

8. Perspectives : D’une parole « libre » au Jazz Feminism, un laboratoire du « Free space »

Nous pouvons attester que tout au long de l’histoire de la musique du xxe siècle aux Etats-Unis, les femmes noires, dans un corpus d’œuvres certes assez minoritaire dans les deux styles qui furent commentés ici (le jazz et le blues), ont produit régulièrement et souvent de façon révolutionnaire, provocante, une prise de parole inédite, courageuse et forte. Plusieurs dynamiques souvent opposées aux membres masculins des communautés, aux hommes blancs détenteurs de prérogatives économiques et politiques, aux femmes noires des classes socio-économiques plus élevées, aux femmes blanches. Un véritable périple social, aux prises avec des atavismes puissants et violents, contre des mœurs conservatrices solidement ancrées. La femme noire dut elle-même discerner à quel point son identité put être perçue comme antagoniste. Ce constat, du point de vue théorique des mouvements sociaux, est absolument essentiel, c’est l’un des piliers des processus anthropologiques, sociologiques qui pourraient ouvrir la voie d’un protest, ou d’un mouvement social.

Les diverses analyses ont bien montré l’antériorité d’une expérience intersectionnelle déjà séculaire, à travers le prisme de lecture du blues puis du jazz, si l’on va au-delà de la vision artistique première. Mais selon Francesca Polletta et James Jasper, les identités antagonistes – ou perçues comme telles – « se développent à l’aune d’une distance d’avec la coercition physique et du contrôle idéologique » (Polletta Jasper), à l’intérieur d’un espace – symbolique ou physique, existant – inventé ou recréé mais en tous points fragile, une forme d’institution nouvelle, à la mission protectrice. Ce paradigme arbore plusieurs noms, suivant les chercheurs.20 Retenons l’appellation free spaces, retenue par Jasper et Polletta (citant Sarah Evans et Harry Boyte).

Ces espaces de liberté créative regroupent des formes d’entités nouvelles qui échappent à la coercition idéologique, physique des détenteurs d’un pouvoir hégémonique opposé, et opportunément adversaire des velléités de ceux-celles qui chercheraient un asile socio-identitaire. Ces espaces deviennent véritablement des « havres de paix » (Hirsch 1990a, in Polletta, Jasper 2001), et libèrent la parole, la créativité, les émotions, la pensée. Les idées anti-hégémoniques sont promues avec force et développées avec zèle. Le moule sociologique d’isolation de fait, inhérent à l’expérience noire, fut tout à fait propice à la genèse de ce type d’espace avant la lettre. Il existe depuis les quartiers de cases sur les plantations (rues case-nègre) de la Louisiane historique notamment, il fut développé de façon institutionnelle, officielle dans les églises des mouvements spirituels chrétiens dès le début du xxe siècle, et fut encore recréé ou rasséréné dans les mouvements culturels et/ou spirituels de la Black experience, tels que le rastafarianisme, la Harlem Renaissance, mais aussi le Jazz engagé.

La démarcation nette d’avec un mouvement féministe essentialiste mais finalement incompétent sur les questions mêlant le genre et la « race », n’est qu’un autre exemple paradigmatique de l’expérience vitale du free space.

Comme nous l’avons vu, les prises de paroles des femmes dans le blues et dans le jazz, bien que révolutionnaires et fondatrices, ne sont pas nécessairement féministes à proprement parler. Elles le deviennent à l’aune d’une interprétation contemporaine pour sûr, mais aussi parce qu’elles préfigurent et symbolisent un idéal démocratique, illustré également par une réussite économique très ostentatoire affichée par les chanteuses de blues, Bessie Smith par exemple.

Le jazz complète l’éventail des sujets évoqués dans la littérature des chansons, avec des thématiques plus sociales, davantage politiques, bien vissées dans la chair, l’affect et le vécu des interprètes. Le blues en effet faisait une part belle à l’amour et au sexe, qui sont en vérité les premiers symboles et les premiers signes de l’émancipation sociale de l’homme noir. Une symbolique très forte, liée à la biologie, au plaisir, disons à la vie et à l’existence. La marche vers la maîtrise de sa biologie et de son plaisir est en effet l’une des plus impérieuses pétitions, injonction présentée et exprimée au monde par la femme, noire en l’espèce.

9. Conclusion

Dans les années 70, en 1977 précisément, se monte le premier festival féminin de Jazz à Kansas City : le KC Women Jazz Fest. Les pionnières en sont Carol Croner, et Diane Gregg. A ce jour, j’ai pu recenser 13 Festivals de ce type aux Etats-Unis, qui entre mai et septembre, peuvent réunir jusqu’à 10 000 festivaliers, selon les événements. Les questions du genre et des sexualités sont très pertinentes, puisque parmi ces événements, certains dans leur dénomination intègrent les préférences sexuelles, gay, lesbienne, ou LGBT. Leur survie ou leur pérennité sont assez aléatoires, pour des raisons de rentabilité économique, d’opposition idéologique, politique de certains milieux. Mais il semble que cette expérience sociale humaine du free space soit en l’état un moyen d’expression et de revendication essentielles de toutes les problématiques féminines et féministes racisées. Un positionnement fort et fédérateur dans son ambition, alliant art et militantisme ciblé. Ainsi plusieurs combinaisons sont possibles et envisageables. Mais, nous l’avons dit, cela suscite des tensions.

L’exemple du Festival Afro-féministe Nyansapo de Paris, prévu en juillet 2017, en est une illustration contemporaine concrète, en raison du tollé, et de l’opposition aveugle et non argumentée qu’il suscita à la lecture de son programme, et notamment du fait de la tenue de forums thématisés « non mixtes » (réservés aux femmes, ou aux femmes dites de couleur).

Ces espaces, pérennes ou événementiels, symboliques, artistiques, stylistiques étaient à l’origine éminemment marginaux, sous-jacents, mobiles, perçus comme subversifs, voire immoraux. Mais, ils persisteront, car ils sont protecteurs, et libèrent la parole. Ils ont une histoire désormais ancienne dans leur genèse, leurs prototypes, au sein desquels ont devra y inclure le marronnage ancestral et constructeur.

Mais, il apparaît également que ces espaces, qu’ils soient dissonants dans une même discipline artistique, dans une pensée ou un courant, qu’ils soient discursifs, activistes sur le terrain, artistiques, etc., tendent à s’institutionnaliser, à se figer, peut-être s’embourgeoiser. Seront-ils, dans ce cas, toujours représentatifs des catégories de populations qu’ils sont censés représenter et libérer ? La sociologie étant elle-même mouvante et nourrie d’introspective, elle devra à nouveau se réinventer et redéfinir les concepts en y intégrant les nouvelles formes paradigmatiques qui suivront, à coup sûr.

1 Selon Didier Lapeyronnie, « l’incorporation progressive des minorités dans le système politique américain […] peut être considéré comme une victoire

2 « L’alinéa VII de la Loi, codifiée dans le paragraphe VI du chapitre 21 de l’article 42 du Code des États-Unis, interdit la discrimination par les

3 La National Association for the Advancement of Colored People, plus connue par son acronyme NAACP, est une organisation étasunienne de défense des

4 Morisson, T. 1984. Revue Thought.

5 Floyd, S. A. Jr (1995). The Power of Black Music: Interpreting its History from Africa to the United States. Oxord University Press.

6 Ludwig, R. (1994) Ecrire la Parole de Nuit. Paris. Folio Essais. Textes inédits de Edouard Glissant. P. 120.

7 Licitra, A. (1978) « Métaphore et analogie. Cadre méthodologie et application au discours pédagogique en linguistique ». In: Langage et société

8 Tilly, C., & Tarrow, S. (2015). Politique (s) du conflit : De la grève à la révolution. 2e édition augmentée d’une préface. Presses de Sciences Po.

9 Oates, S. B. (1982). New York. Let the trumpet sound: A life of Martin Luther King, Jr. Harper & Row.

10 Hansen, D. (2009). The dream: Martin Luther King, Jr., and the speech that inspired a nation. Harper Collins.

11 Film documentaire « Free Angela ». Shola Lynch 2011 (Sortie française en 2013).

12 Wallace, M. (1982). « Une féministe en quête de sororité », Invisibility Blues.

13 Cherubini L. (1835). Cours contrepoint et fugue, p. 2.

14 Archie Shepp (né le 24 mai 1937 en Floride) est un saxophoniste de jazz et intellectuel étasunien. Pionnier dans plusieurs courants de musique

15 Traduction de l’auteur. Texte original : « You own the music, we make it. By definition, then you own the people who make the music. You own in us

16 Chronique de Nat Hentoff publiée dans le New York Times du 23 décembre 1966, dont le titre original est : « The New Jazz : Black, angry, and hard

17 Lewis, G E (2008). Chicago, London. A power stronger than itself (The AACM en American and Experimental Music). The University of Chicago Press.

18 « J’espère que tu écoutes attentivement/ils disent que la vérité vous rendra libres/et c’est ainsi que vous voulez être/parce que mon frère, c’est

19 Le label de production de B. Holiday, à l’époque Columbia, refusa de publier Strange fruits, et c’est finalement une petite maison de production

20 Voir Polletta, F., & Jasper, J. M. (2001). « Culture and identity in social movements », 283–305.

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Discographie 

Billie Holiday Fine and mellow (face A). NYC. Production : Comodore Records. (Titre Strange Fruits en face B), 1939.

Max Roach Long as you’re living. Berlin. Producteur : Joachim-Ernst Berendt (Label : Enja), 1960 .

Nina Simone Nina Simone in concert. NYC. Enregistrement en public au Carnegie Hall. Production : Philips Records, 1964.

Filmographie

Free Angela. Shola Lynch, 2011 (Sortie française en 2013).

1 Selon Didier Lapeyronnie, « l’incorporation progressive des minorités dans le système politique américain […] peut être considéré comme une victoire, même si l’utopie participative pomue par les mouvements ne s’est pas pleinement réalisée (Lapeyronnie 1988).

2 « L’alinéa VII de la Loi, codifiée dans le paragraphe VI du chapitre 21 de l’article 42 du Code des États-Unis, interdit la discrimination par les employeurs sur la base de la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale (Source : U.S. Code/42 § 2000e-2[41]).

3 La National Association for the Advancement of Colored People, plus connue par son acronyme NAACP, est une organisation étasunienne de défense des droits civiques, crée en 1909. Sa mission, telle que déclinée dans ses statuts, est « d’assurer l’égalité politique, éducative, sociale et économique des droits de tout individu et d’éliminer la discrimination fondée sur la “race”. (Source : www.naacp.org). Elle fut historiquement à l’origine du mouvement du Dr M-L King dès 1955, et innova par une stratégie double : l’activisme de terrain associé à une bataille judiciaire tous azimuts.

4 Morisson, T. 1984. Revue Thought.

5 Floyd, S. A. Jr (1995). The Power of Black Music: Interpreting its History from Africa to the United States. Oxord University Press.

6 Ludwig, R. (1994) Ecrire la Parole de Nuit. Paris. Folio Essais. Textes inédits de Edouard Glissant. P. 120.

7 Licitra, A. (1978) « Métaphore et analogie. Cadre méthodologie et application au discours pédagogique en linguistique ». In: Langage et société, supplément au n°5. Rencontre annuelle. Documents préparatoires. pp. 28-29.

8 Tilly, C., & Tarrow, S. (2015). Politique (s) du conflit : De la grève à la révolution. 2e édition augmentée d’une préface. Presses de Sciences Po.

9 Oates, S. B. (1982). New York. Let the trumpet sound: A life of Martin Luther King, Jr. Harper & Row.

10 Hansen, D. (2009). The dream: Martin Luther King, Jr., and the speech that inspired a nation. Harper Collins.

11 Film documentaire « Free Angela ». Shola Lynch 2011 (Sortie française en 2013).

12 Wallace, M. (1982). « Une féministe en quête de sororité », Invisibility Blues.

13 Cherubini L. (1835). Cours contrepoint et fugue, p. 2.

14 Archie Shepp (né le 24 mai 1937 en Floride) est un saxophoniste de jazz et intellectuel étasunien. Pionnier dans plusieurs courants de musique improvisée, il est aussi connu pour son engagement activiste « pro-black » et contre les injustices liées à la discrimination raciale.

15 Traduction de l’auteur. Texte original : « You own the music, we make it. By definition, then you own the people who make the music. You own in us whole chunks of flesh ».

16 Chronique de Nat Hentoff publiée dans le New York Times du 23 décembre 1966, dont le titre original est : « The New Jazz : Black, angry, and hard to understand ». pp 34-39.

17 Lewis, G E (2008). Chicago, London. A power stronger than itself (The AACM en American and Experimental Music). The University of Chicago Press.

18 « J’espère que tu écoutes attentivement/ils disent que la vérité vous rendra libres/et c’est ainsi que vous voulez être/parce que mon frère, c’est de ta vie qu’il s’agit. » (traduction de l’auteur).

19 Le label de production de B. Holiday, à l’époque Columbia, refusa de publier Strange fruits, et c’est finalement une petite maison de production tenue par des juifs new-yorkais, Commodore Records, qui la produisit.

20 Voir Polletta, F., & Jasper, J. M. (2001). « Culture and identity in social movements », 283–305.

Philip Sadikalay

Université des Antilles, sadikalay@yahoo.fr

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