« A qui ça, a latique, qué syntasse ? » (« C’est quoi ça, l’article et la syntaxe ? ») (Atipa 1885, 11). Le marqueur nominal la/a(n) en créole guyanais des descriptions grammaticales du xixe siècle jusqu’à aujourd’hui

Evelyn Wiesinger

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Evelyn Wiesinger, « « A qui ça, a latique, qué syntasse ? » (« C’est quoi ça, l’article et la syntaxe ? ») (Atipa 1885, 11). Le marqueur nominal la/a(n) en créole guyanais des descriptions grammaticales du xixe siècle jusqu’à aujourd’hui », Archipélies [En ligne], 16 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 09 mai 2024. URL : https://www.archipelies.org/1937

La présente contribution examine les descriptions grammaticales du marqueur postnominal la/a(n) en créole guyanais, ainsi que son évolution diachronique du xixe au xxie siècle. Partant des remarques faites à propos des « articles » du créole guyanais dans les premiers ouvrages substantiels rédigés en ou sur le créole guyanais dans la deuxième moitié du xixe siècle, les descriptions grammaticales seront comparées à l’usage du marqueur nominal la/a(n) dans un corpus de textes créoles du xixe siècle ainsi que dans un corpus moderne du créole guyanais oral, constitué d’enregistrements effectués lors d’un séjour de recherches sur le terrain en 2011 (cf. Wiesinger, 2017a). L’analyse linguistique révèle qu’à part la forme, qui a évolué de la à a(n), le fonctionnement référentiel et discursif du marqueur la/a(n) est resté largement stable de la seconde moitié du xixe siècle jusqu’à aujourd’hui, de sorte que l’on ne peut pas parler d’une grammaticalisation croissante.

The present contribution examines the grammatical descriptions of the postnominal marker la/a(n) in French Guianese Creole, as well as its diachronic evolution from the 19th to the 21st century. Starting from the remarks made about the Creole ‘articles’ in the first substantial works written in or about French Guianese Creole in the second half of the 19th century, the grammatical descriptions will be compared with the use of the postnominal marker la/a(n) in a corpus of 19th century Creole texts as well as in a modern corpus of oral French Guianese Creole, consisting of recordings made during field research in 2011 (cf. Wiesinger, 2017a). The linguistic analysis reveals that apart from the form, which has evolved from la to a(n), the referential and discourse functioning of the marker la/a(n) has remained largely stable from the second half of the nineteenth century until today, so that one cannot speak of an increasing grammaticalisation.

Introduction

(1) – To wai, Bosobio, nous criole pas gain règue, kou francé ; […]. Mé, francé a òte bois ; […] Ça mo ca songé moceau, ça latique, qué syntasse. Pou syntasse la pa, frè ! si to pas savé li, to pou ca jain palé francé. Gréméci bongué, landans nous langue, nous pas beinsoin okioupé di syntasse.
– A qui ça, doumandé Bosobio, a latique, qué syntasse ? a pronmiè foai, mo ca tendé palé di ça. (Atipa, 1980/[1885] : 11)1
« – Tu vois, Bosobio, notre créole n’a pas de r[è]gles comme le français ; […]. Mais le français, c’est autre chose : […] Ce dont je me souviens un peu, c’est l’article et la syntaxe. Pour la syntaxe, Frère ! Si tu ne la connais pas, tu ne parleras jamais le français. Grâce à Dieu, dans notre langue, nous n’avons pas besoin de nous occuper de la syntaxe.
– C’est quoi ça, [a] demand[é] Bosobio, l’article et la syntaxe ? C’est la première fois que j’entends parler de ça. » (Traduction de Chateau Conde Salazar 2010 [CCS : 12])

Cet extrait en créole guyanais est tiré d’un dialogue entre les personnages fictifs Atipa et Bosobio dans le premier chapitre d’Atipa, le premier « roman » écrit et publié exclusivement dans une langue créole française et paru sous le pseudonyme d’Alfred Parépou en 18852. L’auteur, Pierre Félix Athénodore Météran (1841-1887), un homme de couleur né en Guyane d’une esclave affranchie (Château Conde Salazar, 2015), met cette réflexion apparemment linguistique dans la bouche de son personnage principal. Cependant, la posture sceptique vis-à-vis de l’existence de catégories grammaticales telles que l’« article » et la « syntaxe » en créole guyanais, contrairement au français, est en réalité une critique à peine dissimulée d’un autre ouvrage contemporain. Il s’agit de la première description grammaticale du créole guyanais, contenue dans l’Introduction à l’histoire de Cayenne. Contes, fables & chansons en créole. Notes & Commentaires. Étude sur la grammaire créole, publiée en 1872 par Alfred de Saint-Quentin (1810-1875). L’Étude sur la grammaire créole (101-169) a été rédigée par le neveu d’Alfred, Auguste de Saint-Quentin, qui passe son enfance en Guyane (Alfred de Saint-Quentin, 1872b : V ; Auguste de Saint-Quentin, 1872 : 105). Les Saint-Quentin appartiennent à l’une des « grandes familles de Blancs-Créoles à avoir fait souche en Guyane et dont les membres peuvent, de ce fait, prétendre au titre d’“intellectuels” guyanais » (Fauquenoy, 1989 : 20). Dans une logique qui oscille entre une position universaliste, reconnaissant à chaque langue un potentiel de développement, et un déterminisme pessimiste, marqué par l’idéologie raciale de l’époque (Krämer, 2014 : 59-71), les Saint-Quentin visent explicitement à systématiser pour le créole guyanais les « règles de sa syntaxe » (Alfred de Saint-Quentin, 1872b : LIX) et de « l’article créole », entre autres (Auguste de Saint-Quentin, 1872 : 116s.)3. La référence intertextuelle permet donc déjà d’entrevoir les tensions de la deuxième moitié du xxe siècle : d’une part, la description et l’élaboration d’un standard normatif du créole par une élite intellectuelle (native ou non) et, d’autre part, la position selon laquelle il s’agit d’une intervention négative dans l’évolution naturelle du créole, langue qui doit être avant tout parlée (Wiesinger, 2016). S’il n’est pas possible d’approfondir ici les fondements idéologiques et l’intertextualité de ces deux œuvres centrales du xixe siècle, l’objectif de la présente contribution est de montrer que le personnage Atipa n’a pas totalement tort pour ce qui est de l’« article » créole : Comme nous le verrons dans cette contribution à l’exemple du marqueur4 postposé au nom ou syntagme nominal a(n) (la en créole ancien), ce dernier possède effectivement un fonctionnement différent de l’article défini français (cf., entre autres, Déprez, 2007, Alleesaib et Wiesinger à paraître pour un aperçu d’autres créoles français, et Wiesinger, 2017a : 113-204, pour une discussion détaillée de différentes approches théoriques de la détermination nominale, de la définitude et de la spécificité dans une perspective sémantico-pragmatique et cognitivo-fonctionnelle, qui ne peuvent pas être développées dans le cadre limité de cet article). De plus, nous démontrerons que le marqueur la/a(n) n’a pas subi de grammaticalisation fonctionnelle de la deuxième moitié du xixe siècle jusqu’à aujourd’hui, et est donc resté bien distinct de l’article défini du français.

Les analyses qui suivent seront basées sur les données de corpus recueillies dans le cadre de la thèse de Wiesinger (2017a : 9-47). La partie diachronique est constituée par la totalité des textes anciens (de 1799 à 1893) qui sont actuellement disponibles pour le créole guyanais (environ 50 000 mots). La partie synchronique comprend douze enregistrements de conversations libres, d’entretiens semi-directifs et de données élicitées en créole guyanais (Enr. 1-12), réalisés en 2011 dans plusieurs villes et villages situés le long de la côte de la Guyane (Cayenne, Rémire, Montjoly, Matoury, Kourou, Trou Poissons et Iracoubo), avec des locuteurs et locutrices âgés de 41 à 93 ans (environ 74 000 mots) (Wiesinger, 2017a : 48-73 pour plus de détails).5

1. Évolution formelle de la>a(n) en créole guyanais

Dans les textes créoles du xixe siècle, la est un élément tout à fait polyfonctionnel dont les différents emplois semblent être liés par un noyau déictico-démonstratif de base (cf. Ludwig et Pfänder, 2003 : 271 ; Wiesinger, 2017a : 74s. et 437-445).6 Ainsi, la apparaît en tant qu’adverbe déictique et particule de discours (ex. 2a), en tant qu’élément du pronom démonstratif sa (…) -la (ex. 2b), mais aussi comme marqueur à la fin d’un syntagme nominal (simple ou expansé par exemple par une phrase relative) (ex. 2c-d) ou à la fin d’une phrase interrogative ou d’une conjonctive sans antécédent (pro)nominal (ex. 2e-f) (cf. Wiesinger, 2017a : 74-108) :7

(2a) – Gadé mo case, li à dé pas la la ; (Atipa, 1980/[1885] : 39)
« – Regarde ma maison, elle est à deux pas, [là, là] » (CCS : 42)
 
(2b) – Et Pite donc ? mé, ça la, pas té michant ; (Atipa, 1980/[1885] : 149)
« – Et Pitre donc ? Mais celui-là n’était pas méchant ; » (CCS : 147)
 
(2c) – Li té gain oune captainne, qui té mal qué so coumandant ; coumandant la metté li, au zarêt. (Atipa, 1980/[1885] : 151)
« – Il y avait un Capitaine qui s’entendait mal avec son Commandant ; le Commandant l’a mis aux arrêts. » (CCS : 151)
 
(2d) Pou allé la bouchourie, yé passé landans lhanga, côté moune ca kinbè kiò, café qué chicolat la. (Atipa, 1980/[1885] : 29)
« Pour aller à la boucherie, ils [sont passés] à l’intérieur du hangar […] où les gens [prennent le petit-déjeuner], du café et du chocolat. » (CCS : 29)
 
(2e) Dipis nous ca voté la, mo pou ca wai changement. (Atipa, 1980/[1885] : 39)
« Depuis que nous votons, je n’ai pas vu de changement. » (CCS : 42)
 
(2f) – A qui ça mo ca tendé la meinme, dit Bosobio ; (Atipa, 1980/[1885] : 13)
« Qu’est-ce que tu [me racontes ; litt. j’entends] ? [a] dit Bosobio » (CCS : 14)

Dans les données du xixe siècle, la forme unique la ne rentre donc pas forcément dans une classe de mots précise et peut toujours présenter une certaine ambiguïté quant à la distinction analytique des différentes fonctions en discours. Dans les textes de la fin du xixe jusqu’au milieu du xxe siècle, on observe cependant une différenciation formelle de plus en plus systématique entre l’adverbe/particule de discours, qui a toujours la forme la8, et le marqueur à la fin d’un syntagme nominal (simple ou expansé) ou d’une phrase conjonctive ou interrogative, qui passe à la forme a (Wiesinger, 2017a : 83-85). Alors que la première attestation de a se trouve dans un texte créole de 18939, Horth (1948 : XVII) signale enfin qu’« on emploie plus communément -a que -la ».

De plus, dans la deuxième moitié du xxe siècle, il s’effectue une différenciation entre a et an : ainsi, alors que les travaux de Peyraud (1983 : 189), Tchang (1982-83) et Jean Louis (1986-87) font pour la première fois état de l’allomorphe an, il intervient aujourd’hui de manière pratiquement systématique après une consonne ou voyelle nasale en assimilation progressive :

(3) lò ou gen manyòk-a fo ou pliche l ou ka pliche l lò ou fin pliche l ou ka lave l lò ou fin lave l nou ka graje l la annan moulen-an (Enr. 7)
« quand vous avez le manioc, vous devez l’éplucher, vous l’épluchez, quand vous l’avez épluché, vous le lavez, quand vous l’avez lavé, nous le râpons là, dans le moulin »

Les deux processus témoignent non seulement de la différenciation formelle entre le marqueur a(n) et l’adverbe/particule de discours la, mais suggèrent également une plus grande cliticisation du premier, qui pourrait être, d’après Ludwig et Pfänder (2003 : 282), un premier « indice d’une grammaticalisation croissante » du marqueur. Toutefois, la présence de a(n) à la fin d’une interrogative ou conjonctive est loin d’être obligatoire, même dans nos données du créole moderne ; de plus, la question de savoir si elle apporte une valeur sémantico-pragmatique additionnelle mériterait une étude plus détaillée10. Plutôt que sur ce marquage facultatif, nous allons nous concentrer dans ce qui suit sur l’emploi du marqueur à la fin d’un syntagme nominal qui est beaucoup plus systématique, tant dans les données diachroniques que dans les enregistrements modernes.

2. Fonctionnement sémantico-pragmatique de la/a(n) en créole guyanais

2.1. Les travaux existants

Dans les descriptions grammaticales du créole guyanais des xixe, xxe et xxie siècles, le marqueur du syntagme nominal la/a(n) est généralement classé comme article ou déterminant défini ou spécifique singulier (Auguste de Saint-Quentin, 1872 : 115 ; Horth, 1948 : 17 ; Fauquenoy, 1972 : 106 ; 1988 : 140 ; Contout, 1974 : 73 ; Rattier, 1989 : 21 ; Robeiri, 1994 : 21 ; Jadfard, 1997 : 111s. ; Barthèlemi, 2007 : 22 ; Damoiseau, 2003 : 32s. ; 2007 : 501 ; Pfänder, 2013 : 222). Si quelques auteurs apportent des précisions, ils ne mentionnent que son emploi dans les contextes déictiques et anaphoriques, où il s’agit de faire référence à « un être ou objet qui fait partie du cadre physique de l’énonciation […] ou qui a été mentionné antérieurement dans la conversation […] » (Damoiseau, 2003 : 33 ; Auguste de Saint-Quentin, 1872 : 115s. ; Horth, 1948 : 17 ; Fauquenoy, 1988 : 140).

Néanmoins, plusieurs auteurs signalent en même temps des différences quant à l’article défini français : Auguste de Saint-Quentin (1872 : 115-117) fait déjà remarquer que « l’article » « est d’un usage moins fréquent en créole qu’en français », notamment lorsque « le substantif est suffisamment déterminé par un autre substantif ». De plus, la/a(n) n’apparaît pas « après un nom pris dans un sens général et indéterminé » (Horth, 1948 : 17), exprimant « l’“unité” ou la “généralité” d’un concept (la femme, la vie, etc.) » (Fauquenoy, 1972 : 106) voire une valeur générique (cf. Peyraud, 1983 : 191 ; Damoiseau, 2003 : 33).

Par contre, la/a(n) peut s’employer « si l’on veut fortement préciser » (Auguste de Saint-Quentin, 1872 : 115-117). Horth (1948 : 17) et Fauquenoy (1972 : 106) parlent respectivement d’une détermination « plus précise » et d’un « sens un peu plus fort de détermination » qu’en français. À cause de sa « valeur spécifiante affirmée », Damoiseau (2003 : 33) préfère enfin parler d’un déterminant « spécifique » (cf. de même Damoiseau 2007 : 501).

Enfin, un dernier point avancé par la majorité des auteurs cités concerne la possibilité de combiner la/a(n) avec l’élément sa, antéposé au nom, à l’intérieur d’un même syntagme nominal. Sa est généralement attribué au domaine du démonstratif (cf. Auguste de Saint-Quentin, 1872 : 128 ; Horth, 1948 : 20 ; Fauquenoy, 1972 : 10 ; Contout, 1974 : 72 ; Jadfard, 1997 : 114), alors que Damoiseau (2003 : 35) évoque aussi son usage dans les contextes anaphoriques.

Ces remarques seront ensuite systématisées et approfondies dans une étude de corpus essentiellement qualitative des valeurs sémantico-pragmatiques de la/a(n) en créole guyanais, qui semblent converger à un certain degré avec celles de sa.

2.2. Analyse de corpus

Dans la première partie de notre analyse de corpus (cf. 2.2.1), nous déterminerons d’abord le degré d’individuation d’une entité représentée par un syntagme nominal marqué par la/a(n), à savoir sa compatibilité avec une interprétation spécifique, non spécifique, générique ou non référentielle. Dans la deuxième partie (cf. 2.2.2), nous analyserons le rapport du marqueur la/a(n) avec les différents procédés référentiels définis.11

2.2.1. Types de référents

Pour ce qui est des interprétations référentielles potentielles d’un syntagme nominal marqué par la/a(n), nous pouvons constater qu’il reçoit une interprétation spécifique dans la majorité des occurrences, c’est-à-dire que l’énonciateur a à l’esprit une entité particulière, dont il présuppose l’existence (cf. Wiesinger, 2017a : 218s.) :

(4a) Dé òte nègue entré, en meinme temps, qué yé. […] – To tendé nègue la, dit Atipa. (Atipa, 1980/[1885] : 10)
« Deux autres nègres [sont entrés] en même temps qu’eux. […] – Tu as entendu ce[/le] Nègre, [a] dit Atipa. » (CCS : 12)
 
(4b) i trape oun fiy fiy-a te ka ale ke l (Enr. 8)
« il a trouvé une fille, la fille venait avec lui »

Néanmoins, tant dans les données anciennes que dans les enregistrements modernes, il existe aussi des exemples où nous observons l’absence du marqueur la/a(n) tandis qu’il s’agit d’un référent spécifique (cf. aussi 2.2.2 pour ce type d’exemples) (cf. Wiesinger, 2017a : 219s.) :

(5a) – Oune jou, li té gain bal, la gouvelment ; (Atipa, 1980/[1885] : 151)
« – Un jour, il y avait un bal au Gouvernement. » (CCS : 151)
 
(5b) ye manman ke ye papa te ka travay isi […] manman pa te le rete […] papa te kontan isi (Enr. 5)
« leur mère et leur père travaillaient ici […] la mère ne voulait pas rester […] le père était content ici »

Aussi bien le syntagme nominal marqué par la/a(n) que le syntagme nominal non marqué se prêtent à une interprétation spécifique, les deux types de syntagmes nominaux peuvent de même recevoir une interprétation non spécifique selon les données de notre corpus. Ainsi, la configuration des exemples suivants suggère que l’énonciateur fait référence à n’importe quel exemplaire d’un type ou d’une classe de référents (cf. aussi Wiesinger, 2017a : 220-222) :

(6a) si zot ka fica landan caz’ moun’ ; si zot ka travail lassou so la terr’, faut zot payé moun’-là so-loyé (Proclamation révolutionnaire de 1848, citée d’après Sournia, 1976 : 7)
« si vous habitez dans la maison de quelqu’un [qui que ce soit], si vous travaillez sur sa terre, il vous faut payer le loyer à cette personne » (notre traduction)
 
(6b) non mè si i pa di bon jou-a enben lò i vini wè kaz fèrme wè kaz sere (Enr. 9)
« non mais si elle n’a pas dit le bon jour [quel qu’il soit] eh bien quand elle est venue, elle a trouvé la maison fermée »

Par contre, l’interprétation générique, c’est-à-dire la référence à une classe ou à un type de référents (ex. 7a), et l’interprétation non référentielle (ex. 7b), par exemple dans des structures prédicatives ou attributives, ne sont normalement possibles qu’avec un syntagme nominal non marqué (cf. Wiesinger, 2017a : 222-238) :

(7a) milate qué nègue pas té gain droai poté habit (Atipa, 1980/[1885] : 211)
« les Mulâtres et les Nègres n’avaient pas le droit de porter l’habit » (CCS : 210)
 
(7b) yé té voézin, yé té zami. Chien té sa bon moun ; (Chien ké chat, cité d’après Alfred de Saint-Quentin 1872a : 29)
« [I]ls étaient voisins, ils étaient amis. Le chien était bon garçon ; » (Traduction d’Alfred de Saint-Quentin, 1872a : 28)

Si un syntagme nominal non marqué s’emploie par défaut pour l’interprétation générique, la présence de la/a(n) n’est pourtant pas totalement exclue : l’emploi occasionnel du marqueur dans ce cas est généralement lié au désir d’exprimer des nuances pragmatiques de contraste (ex. 8a) ou d’insistance (ex. 8b). Par conséquent, il apparaît notamment dans des syntagmes nominaux détachés à gauche ou en mise en relief (cf. Wiesinger, 2017a : 225-227 ; 2022) :

(8a) a mouche ki te ka chante sa […] a mouche-a ki te ka chante (Enr. 1)
« c’est l’homme qui chantait ça […] c’est l’homme qui chantait [et non pas la femme] »
 
(8b) Si bitachon bandonnein, jounein jodi, a pas instrit nous trop instrit ; a l’ò la, qui ca foutant di nous oueil. (Atipa, 1980/[1885] : 140)
« Si les [h]abitations sont abandonnées […] aujourd’hui, ce n’est pas que nous soyons trop instruits ; c’est [l’]or qui nous fait des clins d’œil. » (CCS : 142)

2.2.2 Les contextes définis

Dans la deuxième partie de notre analyse nous examinerons le rapport entre l’emploi du marqueur la/a(n) et la définitude, qui concerne le statut discursif d’un référent tel qu’il est signalé et (présumé) percevable pour l’allocutaire. Pour commencer par les contextes déictiques où le référent en question est localisable par l’intermédiaire de la situation d’énonciation immédiate ou s’établit par une référence (méta-)déictique à une partie du discours précédent (la « deixis discursive »), nous observons l’emploi d’un syntagme nominal marqué par la/a(n), tant dans les textes anciens que dans les enregistrements modernes (cf. l’ex. 4a ci-dessus pour un exemple tiré d’Atipa) :

(9) ou ka wè kaz-a (Enr. 9)
« vous voyez cette/la maison ? »

Dans les contextes déictiques, situationnels (ex. 10a) et discursifs (ex. 10b), le syntagme nominal marqué par la/a(n) est cependant concurrencé par deux autres types de syntagmes nominaux. Premièrement, le marqueur la/a(n) peut se combiner avec le démonstratif sa, antéposé au nom :

(10a) i te fè sa ti kaz-a ki laba pou mete so pijon ke so poul (Enr. 4)
« il avait fait cette petite maison qui est là-bas pour y mettre ses pigeons et ses poules »
 
(10b) A kou ça moune qui ca voyé yé pitite, jouq en France, la lècole monpè qué massò ; yé crai lai di France, oune so, ké instrit yé. Pou ça pitit moune yé la ca anpprendne, vaut mié yé lessé yé Cayenne, pisse nous gain ça lècole yé la.
– Lessé, lessé meinme, ça palò la, dit Guelman ; mo dit to, nous pou ca d’accò là-sous. (Atipa, 1980/[1885] : 145)
« C’est comme ces gens qui envoient leurs enfants jusqu’en France, dans les [écoles des] prêtres et [d]es religieuses ; ils croient que c’est seulement l’air de la France qui va les instruire. Pour ces enfants qui apprennent, vaut mieux qu’ils les laissent à Cayenne, puisque nous avons ce genre d’école[s] ici.
Laisse, laisse vraiment, [cette discussion], [a] dit Guelman ; je t’ai déjà dit que nous ne pouvons pas être d’accord sur ce sujet. » (CCS : 146)

Deuxièmement, le démonstratif sa peut aussi s’employer seul, notamment lorsque le nom est suivi d’une proposition relative et/ou d’un adverbe déictique comme la ou laba :

(11a) Toute nation qui guin esclave, yé là ka gadé, yé pas pouvé crai, ça bon ki chose la République ka fait. (Proclamation révolutionnaire de 1848, cité d’après Sournia, 1976 : 7)
« Toutes les nations qui ont des esclaves regardent, ils ne peuvent pas croire à cette bonne chose que fait la République. » (notre traduction)
 
(11b) vwala e donk sa simèn ki fin pase la la donk mardi dèrnye (Enr. 1)
« voilà et donc cette semaine qui vient de se terminer, là, là, donc mardi dernier »

Par contre, dans les contextes anaphoriques, le syntagme nominal marqué par la/a(n) (ou un pronom anaphorique) constitue le moyen linguistique par défaut. Alors que le pronom anaphorique sert généralement à reprendre un référent déjà établi un tant que sujet-thème, le syntagme nominal marqué par la/a(n) reprend des référents d’un moindre niveau de saillance (ou d’accessibilité mentale). Ainsi, il s’emploie par exemple lorsqu’il s’agit de transformer en sujet-thème une entité figurant précédemment en position d’objet ou de complément (ex. 12a et 12b), ou bien pour effectuer un changement thématique entre plusieurs référents potentiellement concurrents (ex. 12b) (cf. Wiesinger, 2017a : 185-194 et 260-314). Dans les exemples suivants, la première mention du référent en question est soulignée, tandis que nous indiquons sa ou ses reprise(s) anaphoriques(s) en gras ; si, à l’intérieur du même exemple, nous analysons plusieurs référents anaphoriquement repris, ceux-ci sont numérotés ([1], [2], etc.) :

(12a) i gen oun madanm madanm-an ka tchenbe oun bagaj annan so lanmen (Enr. 12)
« il y a une dame, la dame tient un truc dans la main »
 
(12b) – [1]Oune mouché té ca rouparé pont, crique fouillé la ; ça té oune blangue au bin oune catron, mo pas savé ; mé, [1]li té jorne, kou safra conça. Oune jou, pou so travail, [1]li allé trouvé [2]oune gros commissai yé la.
– Mo crai ou gain mal kiò, doumandé [2]commissai la ?
– Et ou meinme, réponne [1]blangue la, ou pas plein qué chawawa ?
– [2]Commissai la còlè, [2]li fait [3]so planton metté [1]blangue la, la lapòte. (Atipa, 1980/[1885] : 152)
« – Un homme […] réparait le pont de la Crique Fouillée ; c’était un Blanc ou bien un Quarteron, je ne sais pas ; mais il étaut jaune, comme du safran. Un jour, pour son travail, il est allé trouver [l’un des commissaires importants].
– Je crois que vous avez mal au cœur, [a demandé] le [c]ommissaire.
– Et vous-même, [a répondu] le Blanc, vous n’êtes pas plein de chawawa ?
– Le [c]ommissaire s’est mis en colère, il a fait mettre le Blanc à la porte par son planton. » (CCS : 152)

La combinaison du marqueur la/a(n) avec le démonstratif sa ne s’observe que dans des reprises anaphoriques particulièrement « critiques » où la cohésion du discours est mise en danger (p. ex. à cause d’une très grande distance entre les deux mentions du même référent comme dans l’ex. 13a), ou bien dans des contextes emphatiques et des structures syntaxiques marquées qui thématisent ou focalisent le référent en question (ex. 13b) :

(13a) vwala mo fè oun memwar […] e sa memwar-a enben ki fèt an 86 a li ki sèrvi mouche L’INSPECTEUR D’ACADÉMIE (Enr. 2)
« voilà j’ai fait un mémoire […] et ce mémoire, eh bien, qui a été fait en 86, c’est celui dont s’est servi monsieur l’inspecteur d’académie »
 
(13b) – Ça fouè-la nous pouvé dit nous guin oune gouvernè qui pas andan auquine convoè. Li là pou occupé di zaffè di pays. Commandement Loublon tombé ; ça ouhomme qui gouvernè atô la, mo ka dit to, li pou ka lessé pèsonne coumandé li. Li là pou la jistice avant tout. Aussi to ouè kou yé ka jouré li la journal Loublon ?
– Lessé yé dit, lessé yé fait : nous la kaba. A qui ça qui ça Loublon ? Qui compte nous guin ké li ? A nous pou savé qui ça nous ka fait. Povique nous d’accô pou nous occupé zaffè Mana, nous pas binzoin pè. Ké
ça gouvernè là nous oua guin nous raison. (Soleil lévé, publié dans le journal Cri d’alarme du 9 mars 1893 : 22-23)
« – Cette fois-ci, nous pouvons dire que nous avons un gouverneur qui ne favorise aucun groupe. Il est là pour s’occuper des affaires du pays. Le commandement de Leblond est fini ; cet homme qui gouverne maintenant, je te dis, il ne laissera personne le commander. Il est là pour la justice avant tout. Et tu vois comment on l’injurie dans le journal de Leblond ?
– Laisse-les dire, laisse-les faire : nous sommes déjà là. Qui c’est, ce Leblond ? Quels comptes avons-nous à lui rendre ? C’est à nous de savoir ce que nous avons à faire. Pourvu que nous soyons d’accord pour nous occuper des affaires de Mana, nous n’avons pas besoin d’avoir peur. Avec ce gouverneur, nous aurons toujours raison. » (notre traduction)

L’emploi du syntagme nominal marqué par la/a(n) n’est pourtant pas restreint aux contextes déictiques et anaphoriques. Il peut également être employé pour introduire un nouveau référent discursif qui est localisable à partir de l’information supplémentaire contenue dans les expansions du nom. Celles-ci incluent des modificateurs restrictifs (p. ex. une relative ou un complément) (ex. 14a et aussi ex. 2d ci-dessus), des superlatifs, des ordinaux ou des adjectifs classifiants (p. ex. « autre », « même », « seul », etc.) (ex. 14b-c), qui permettent de classer le nouveau référent par rapport à d’autres référents discursifs :

(14a) òbò mouche ki gen chimiz maron-an (Enr. 12)
« à côté du monsieur qui porte une chemise marron »
 
(14b) Dimain, to oua prenn dézième pêche-là, to vlé ? (Soucougnangnan ké Tòti, cité d’après Haurigot, 1893 : 2)
« Demain, tu prendras la deuxième pêche, veux-tu ? » (Traduction de Haurigot 1893 : 3)
 
(14c) obou di trwazyèm jou-a nou ka koumanse koulevre l (Enr. 7)
« au bout du troisième jour, nous commençons à le presser [le manioc] »

En combinaison avec une phrase relative restrictive, on peut cependant aussi observer l’emploi de sa sans que la relative soit suivie du marqueur la/a(n) (cf. Wiesinger, 2017a : 408-410) :

(15a) Madanme la pas té jain content, di mangé mo té ca poté, pou ça soumaqué li té ca baille mo bonmantin. (Atipa, 1980/[1885] : 31)
« La dame n’était jamais contente de la nourriture que je rapportais pour l’argent qu’elle me donnait le matin. » (CCS : 32)
 
(15b)sa kreyòl ye ka pale aprezan a pa kreyòl mo toujou di a pa kreyòl lontan (Enr. 4)
« mais le créole qu’on parle maintenant, ce n’est pas le créole… je dis toujours, ce n’est pas le créole d’autrefois »

Dans les contextes anaphorico-associatifs, où le référent en question est identifiable par l’intermédiaire d’un cadre (frame) ou scénario sémantico-pragmatique conventionnellement et culturellement déterminé auquel il est prototypiquement associé (par exemple celui d’une église qui évoque les parties typiques, ainsi que les gens qui travaillent dedans), nous ne constatons que l’emploi du syntagme nominal marqué par la/a(n) :

(16a) legliz a te pi ròt […] annan prèsbitèr-a i te gen oun gro trou annan planche-a (Enr. 4)
« l’église, c’était plus haut […] dans le presbytère, il y avait un grand trou dans le plancher »
 
(16b) Jou li soti, yé voyé li coumandé sodat, la lanmesse. Kou li rivé la léglise, li wai souisse la, qué so zèpaulette gros grain, oune bò. (Atipa, 1980/[1885] : 151)
« Le jour où il est sorti, on l’a envoyé commander des soldats à la messe. Comme il arrive à l’église, il voit le [s]uisse (bedeau) avec son épaulette en gros grain sur un côté. » (CCS : 151)

Le syntagme nominal marqué par la/a(n) apparaît enfin également lorsque ce n’est que le savoir situationnel étendu ou culturel, partagé par les interlocuteurs (dans les exemples suivants, c’est le savoir partagé de vivre en Guyane), qui permet l’identification du nouveau référent discursif :

(17a) Couac, cassaves bânnânne pas pouver vender qui endans péye-la. (Proclamation révolutionnaire de 1848, cité d’après Horth, 1948 : 97)
« Le couac, la cassave, les bananes ne peuvent se vendre que dans la colonie (= la Guyane). » (Traduction de Horth, 1948 : 97)
 
(17b) nou travay mè vrèman vrèman bokou bokou bokou pou fè sa pou lide-a rantre andan peyi-a (Enr. 2)
« nous avons vraiment énormément travaillé pour faire ça, pour que l’idée s’implante dans le pays (= la Guyane) »

Nous avons donc constaté jusqu’ici que le marqueur la/a(n) ne s’emploie pas seulement dans le domaine de la deixis et de l’anaphore, mais également dans les différents contextes inférables, qui sont caractéristiques d’un article défini grammaticalisé (cf. Hawkins, 1977 : 16-20 ; Greenberg, 1978 ; Lehmann, 2002 : 33-37 ; Himmelmann, 1997 ; 2001). Cependant, les exemples suivants montrent qu’un référent défini peut également être représenté par un syntagme nominal non marqué (cf. également Wiesinger, 2017a : 415-417 ; 2022) :

(18a) Chien té sa bon moun ; […] Oun jou chien té lachas et li té-pran bich. (Chien ké chat, cité d’après Alfred de Saint-Quentin, 1872a : 29-31)
« Le chien était bon garçon ; […] Un jour le chien était allé à la chasse et avait tué un cerf. » (Traduction d’Alfred de Saint-Quentin, 1872a : 28-30)
 
(18b) i ka di so garson to madanm-an pa pròp ga –/garson mèm i kontan so madanm […] ti garson ke pale so / so madanm (Enr. 8)
« elle dit à son fils, ta femme n’est pas propre, le garçon, lui, il aime sa femme […] le jeune homme va parler avec sa femme »
 
(18c) Oun jou yé alé lavansé é yé achté oun piti fréken dibè pou manjé ké yé gniam. Yé poté-li la kaz, kouvri-li ké bon moso disèl, vlopé-li ké lenj pou li pa rans. Dipi tan-là, sa dibè ounso chat té-ka-chonjé san li pa trouvé kouman pou fè pou vòlò-li. […] Nou chat pran kouri jouk la-kaz, dékouvri fréken, tiré disèl, valé bon moso dibè, ranjé tout bonbon enkò, é li rivé là bati ké kiò kontan. […] Sa kou-là, chat fini fréken dibè oun fwè. […] Oun kou wey chien tonbé lasou fréken dibè é li pran rélé : (Chien ké chat, cité d’après Alfred de Saint-Quentin, 1872a : 41-43)
« Un jour ils allèrent au marché et achetèrent un petit pot de beurre pour accommoder leurs ignames. Ils le portèrent à la maison, le recouvrirent d’une bonne couche de sel et l’enveloppèrent d’un linge pour l’empêcher de rancir. Depuis cet instant, le chat ne rêvait plus qu’au beurre sans trouver le moyen de le voler. […] Le chat courut à la case, découvrit le pot, retira le sel, se régala de beurre, remit tout en ordre et revint au champ le cœur joyeux. […] Cette fois, le chat vit le fond du pot de beurre. […] Tout à coup les yeux du chien s’arrêtèrent sur le pot de beurre et il s’écria : » (Traduction d’Alfred de Saint-Quentin, 1872a : 40-42)
 
(18d) i ka gade so tramay […] i ka roumete tramay ankò (Enr. 1)
« il regarde son/ses tramail(s) […] il remet le(s) tramail(s) encore une fois »
 
(18e) É lô yé rivè la kaz, pendan chien katorné-viré landan chamb, limé difè, lavé gniam mété la chouguiè ké dilo, li mèm diokoti divan fouyé ka chonjé kisa pou li fè. […] Chat té lévé dousman é ka-maché bò di lapôt. […] chat, ké kiò fad, séré so kò enba lit. (Chien ké chat, cité d’après Alfred de Saint-Quentin, 1872a : 45)
« De retour à la maison, pendant que le chien allait et venait dans la chambre, allumait le feu, lavait les ignames et les mettait avec de l’eau dans la marmite, lui, accroupi devant le foyer, il songeait à se tirer d’affaire. […] Le chat s’était levé doucement et s’acheminait vers la porte. […] [L]e [chat], troublé par la crainte, se blottit sous le lit […]. » (Traduction d’Alfred de Saint-Quentin, 1872a : 44)
 
(18f) mo tande bow lapòrt gran louvri douvan (Enr. 5)
« j’ai entendu bow, la porte est ouverte en grand devant »

D’un côté, l’emploi d’un syntagme nominal non marqué peut être observé avec un référent thématique, généralement animé ou personnifié, qui constitue un topique important au niveau du discours où il revient à plusieurs reprises (ex. 18a-b). Ces occurrences sont typiques des contes traditionnels (où les protagonistes sont souvent représentés par des syntagmes nominaux non marqués) mais s’observent aussi dans les narrations orales spontanées (cf. aussi Wiesinger, 2017a : 356-359 et 434-436). Alors qu’un syntagme nominal non marqué peut aussi être employé pour la reprise anaphorique d’un référent non animé dans une position autre que le sujet dans les contes (ex. 18c), ces occurrences sont rares en dehors de cette tradition discursive. Dans les enregistrements modernes, elles semblent même limitées à des entités non animées qui font partie de certaines actions stéréotypiques (par exemple le tramail de l’activité de pêcher dans l’exemple 18d). L’emploi d’un syntagme nominal non marqué pour l’introduction d’un nouveau référent défini qui fait stéréotypiquement partie d’un certain cadre sémantico-pragmatique (comme par exemple les parties d’une maison et le mobilier typique) est cependant observable dans les données anciennes et modernes (ex. 18e-f) (cf. aussi Wiesinger, 2017a : 342-345 ; 2022).

Un syntagme nominal non marqué s’emploie enfin par défaut dans les contextes situationnels étendus où l’identification du référent est largement indépendante du « contexte » actuel (incluant la situation d’énonciation immédiate, le contexte discursif et les informations fournies au niveau du syntagme nominal). Ceci concerne par exemple les noms de parenté (qui se trouvent en relation avec le locuteur ou avec un autre référent discursif, cf. ex. 19a), les unicas universels (tel que « le soleil », « la lune », etc., cf. ex. 19b), ainsi qu’un nombre considérable d’institutions ou d’autorités publiques ou religieuses (comme « le diable », « le prêtre », etc., cf. ex. 19c-d) et de lieux géographiques ou bâtiments importants du village ou de la ville dont on parle (par exemple « le marché (à Cayenne) », « l’église/la cathédrale (Saint-Sauveur) », etc., cf. ex. 19e-f). Toutes ces entités ont en commun de posséder une certaine pertinence personnelle, publique ou culturelle dans le milieu physico-psychologique des interlocuteurs ou de la communauté linguistique en question :

(19a) li menm i pa bouje i pa bouje i rete la i rete ke manman ke papa donk […] te ka rete ke konpè […] donk lò i pran so fanm […] i mete l ke papa ke gran-pèr (Enr. 9)
« lui-même, il n’a pas bougé, il n’a pas bougé, il est resté là, il est resté là avec sa mère et son père donc […] il habitait avec le compère […] donc quand il s’est marié avec sa femme […] il l’a mise avec son père, avec le grand-père »
 
(19b) – To wlé moune jounein jodi crai, Zosé rété solé ; (Atipa, 1980/[1885] : 143)
« [Veux-tu] que les gens [d’]aujourd’hui croient que Josué a arrêté le soleil ; » (CCS : 144)
 
(19c) li engagé ké guiabe, li guin oune chaplé li ka dit (Louis ké sous-maqués bèf, publié dans le journal Cri d’alarme du 09/02/1893 : 6)
« il a fait un pacte avec le diable, il a un chapelet qu’il récite » (notre traduction)
 
(19d) e monpèr te ka èstime l (Enr. 10)
« et le prêtre l’estimait »
 
(19e) Òtefoai, dégrad té la grand savanne ; (Atipa, 1980/[1885] : 26)
« Autrefois, le marché se tenait à la grande savanne ; » (CCS : 27)
 
(19f) bò di legliz kote lakatedral bò la i te ka rete (Enr. 4)
« à côté de l’église, de la cathédrale, [c’est] vers là [qu’]elle habitait »

La présence du marqueur la/a(n) n’est cependant pas totalement exclue avec ce type de noms, mais il apporte généralement une nuance déictique ou emphatique et apparaît, entre autres, dans des structures syntaxiques qui thématisent le référent (ex. 20b) :

(20a) sole-a cho (Enr. 4)
« il fait [vraiment] chaud [aujourd’hui] »
 
(20b) lamèri-a i te diferan (Enr. 10)
« la mairie, elle était [vraiment] différente »

À part l’absence du marqueur la/a(n) dans les syntagmes nominaux simples, un syntagme nominal non marqué peut enfin également s’observer lorsqu’il contient une densité d’information élevée. Ceci est notamment le cas lorsque plusieurs compléments ou modificateurs sont combinés, comme le superlatif et la relative restrictive dans les exemples suivants :12

(21a) a pronmiè foai, mo ca tendé palé di ça (Atipa, 1980/[1885] : 11)
« c’est la première fois que j’entends parler de ça » (CCS : 12)
 
(21b) a premye fwa to vin Matoury (Enr. 4)
« c’est la première fois que tu viens à Matoury »

3. Discussion des résultats et conclusion : « A qui ça, a latique, qué syntasse ? »

Si nous résumons les résultats de notre étude de corpus portant sur le rapport entre l’emploi des marqueurs la/a(n) et sa et les procédés référentiels définis, nous avons constaté la répartition suivante selon les différents contextes, tant dans les textes anciens que dans les enregistrements modernes du créole guyanais :

Tableau 1 : Emploi d’un syntagme nominal marqué par la/a(n) et/ou sa ou d’un syntagme nominal non marqué dans les contextes définis

Tableau 1 : Emploi d’un syntagme nominal marqué par la/a(n) et/ou sa ou d’un syntagme nominal non marqué dans les contextes définis

Élaboré sur la base de Wiesinger, 2017a : 404, 407, 415.

Pour ce qui est d’abord de l’emploi du marqueur sa, il est beaucoup plus restreint que celui de la/a(n). Le domaine d’emploi le plus typique de sa est clairement la deixis (situationnelle ou discursive) où il peut aussi apparaître seul, notamment avec des syntagmes nominaux expansés. Par contre, il ne s’utilise qu’occasionnellement dans les contextes anaphoriques et inférables restrictifs et est complètement absent des autres contextes inférables. Dans les contextes anaphoriques, sa ne contribue que de manière facultative à assurer un lien coréférentiel « critique » ou une nuance d’emphase en combinaison avec le marqueur la/a(n). Le point commun entre les occurrences déictiques et inférables restrictives est la présence de modificateurs fournissant une information supplémentaire sur le référent nouvellement introduit dans l’univers du discours : tandis que les modificateurs facilitent seulement l’identification du référent visé, en principe repérable grâce à la situation de communication dans les contextes déictiques, ils peuvent ensuite devenir une caractéristique suffisante pour l’identification du référent et, par conséquent, pour l’emploi du marqueur sa dans les contextes inférables restrictifs. Tel qu’il a été démontré pour d’autres langues comme l’anglais, ces emplois relativement restreints sont caractéristiques d’éléments démonstratifs (cf. par exemple Lakoff, 1974 ; Himmelmann, 1997 : 73, 79s. ; Wolter, 2006), ce qui confirme le caractère avant tout déictique du marqueur sa.

Contrairement au marqueur sa, l’emploi de la/a(n) est observable dans tous les contextes analysés. Il n’est toutefois pas non plus complètement généralisé dans le domaine du défini : ainsi, dans les contextes déictiques, il se combine ou alterne avec le démonstratif sa (v. supra). Dans les contextes anaphoriques, le pronom anaphorique et le syntagme nominal marqué par la/a(n) sont les moyens linguistiques par défaut. L’emploi d’un syntagme nominal non marqué est pourtant également possible, tout comme dans les différents contextes inférables : premièrement, notamment dans le mode narratif, le marqueur la/a(n) peut être absent avec les topiques discursifs importants, animés ou personnifiés, qui ont un statut thématique, mais également avec des entités non animées et en position postverbale qui font prototypiquement partie de certains cadres (frames) sémantico-pragmatiques. Deuxièmement, l’absence de la/a(n) peut aussi être observée avec les syntagmes nominaux expansés. Troisièmement, les noms de parenté et les (quasi-)unicas peuvent se passer du marqueur la/a(n) étant donné que l’identification du référent s’effectue indépendamment du contexte actuel (dans un sens large) et dépend plutôt de connaissances liées à la pertinence (personnelle ou culturelle) des entités en question.

Contrairement à l’usage obligatoire de l’article défini français, un référent défini n’est donc pas automatiquement représenté par un syntagme nominal marqué par la/a(n) en créole guyanais. Par contre, la présence ou l’absence de la/a(n) dépend d’une conjonction complexe de facteurs d’ordre sémantico-pragmatique, ontologico-cognitif, informationnel-syntaxique et discursif13. Ces facteurs incluent la topicalité discursive et le statut informationnel du référent au niveau de la phrase, son animéité (ou, plus généralement, son degré de prototypicalité14), la position syntaxique du syntagme nominal, ainsi que le type de tradition discursive. D’autres facteurs concernent la structure interne du syntagme nominal, c’est-à-dire la présence de certains modificateurs ou compléments qui permettent l’absence du marqueur, ainsi que le type d’identifiabilité : un référent qui est localisable à partir des « entours » linguistiques et extralinguistiques actuels est plutôt représenté par un syntagme marqué par la/a(n). Par contre, un syntagme nominal non marqué peut être employé pour un référent qui appartient de manière stéréotypique à certains cadres sémantico-pragmatiques ou qui est identifiable par l’intermédiaire du savoir général et culturellement déterminé qui est partagé par les interlocuteurs indépendamment de l’énonciation immédiate. Nous avons enfin aussi constaté que le marqueur la/a(n) peut s’utiliser afin d’attribuer de l’emphase déictique ou pragmatique à un référent (généralement) thématique dans les contextes où l’emploi d’un syntagme nominal non marqué serait attendu, par exemple avec l’interprétation générique ou des (quasi-)unicas.

Afin de répondre à la question posée par Bosobio à Atipa, « A qui ça, a latique, qué syntasse ? » (cf. l’introduction), nous pouvons conclure que le marqueur guyanais la/a(n) est certes un marqueur défini dans la mesure que l’identifiabilité du référent pour l’allocutaire constitue l’une des bases principales de son fonctionnement discursif, qui s’étend de la deixis et de l’anaphore aux contextes inférables. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un article défini obligatoire tel qu’il existe en français, vu que le marqueur la/a(n) répond en même temps à certaines configurations discursives, sémantico-pragmatiques, ontologico-cognitives et syntaxico-informationnelles et peut par ailleurs être absent. De plus, contrairement à l’article défini français qui s’emploie aussi de manière systématique dans le domaine du générique, un syntagme nominal marqué par la/a(n) est limité aux interprétations référentielles spécifiques et non spécifiques, et généralement exclu d’interprétations qui ne sont plus liées à l’identifiabilité d’un référent particulier à partir des « entours » linguistiques et extralinguistiques actuels. Un autre aspect qui distingue le marqueur la/a(n) de l’article défini français est l’usage du premier à des fins emphatiques ou expressives dans des contextes où il serait normalement absent. Dans l’ensemble, le fonctionnement du marqueur la/a(n) semble donc parfaitement adapté au discours oral dont la complexité réside dans le recours à la présuppositionnalité pragmatique « qui compense l’aspect non marqué de la sémantique et de la syntaxe » (Ludwig, 1989 : 27), leur décodage correct dépendant de l’environnement situationnel, discursif et social partagé par les interlocuteurs (cf. aussi Kriegel, 2007 : 81).

L’emploi non obligatoire et la dépendance de facteurs sémantico-pragmatiques sont aussi considérés comme caractéristiques des stades préliminaires à la grammaticalisation d’un article défini à partir d’un démonstratif (cf. 2.2). Ce processus n’est toutefois pas un procédé universel qui s’effectue inévitablement ou de manière uniforme dans toutes les langues (cf. aussi Himmelmann, 1997 : 98, Kabatek, 2002 : 75s. et Wiesinger, 2017a : 422-427). Pour ce qui est du créole guyanais, nous avons vu dans la section 1 qu’une différenciation formelle entre le marqueur a(n) et l’adverbe/particule du discours la, et donc une plus grande cliticisation du premier, se sont bien opérées au cours du dernier siècle. Comme l’a démontré notre étude de corpus dans la section 2.3, ces processus ne correspondent pourtant pas à une grammaticalisation croissante du marqueur en termes sémantico-pragmatiques : les contextes d’emploi du xixe siècle jusqu’à aujourd’hui se caractérisent par une relative homogénéité et ne laissent pas entrevoir une évolution fonctionnelle significative du marqueur la/a(n).15 Ainsi, notre étude confirme également la nécessité de faire une distinction plus fine entre les différents (sous-)procédés phonologiques, prosodiques, formels et fonctionnels qui sont potentiellement, mais pas nécessairement, impliqués dans des processus de grammaticalisation et qui n’apparaissent pas nécessairement ensemble ou simultanément (cf. récemment aussi Lehmann, 2015 ; 2020).

1 Pour les exemples d’Atipa, nous avons recours à l’édition en fac-similé parue en 1980 aux Éditions Caribéennes à Paris. Pour les traductions

2 Il ne s’agit pas d’un ‘roman’ au sens strict du terme, car 80 % de l’ouvrage sont constitués par des monologues ou de dialogues au discours direct (

3 D’autres références critiques concernant les Saint-Quentin se trouvent dans Atipa (1980/[1885] : 5, 11-16, 175).

4 Nous employons dans notre étude la notion générale de « marqueur », au lieu de « déterminant » ou « article », afin d’éviter une attribution

5 La région littorale « centrale » allant de Cayenne à Iracoubo rassemble la majorité des locuteurs du créole guyanais et se caractérise par son usage

6 De plus, il existe une préposition la « chez, dans, à, vers », ainsi qu’un présentatif a en créole guyanais (Fauquenoy, 1972 : 105, et 119).

7 Nous laissons de côté dans la présente contribution la combinaison de la avec le pronom de la 3e personne du pluriel ye (ya(n) en créole guyanais

8 En combinaison avec un autre adverbe ou particule de discours, la peut cependant aussi être soumis à une attrition phonétique, v. par exemple les

9 Il s’agit du texte créole intitulé Emba dégrad (« Au marché »), paru dans le journal guyanais Cri d’alarme du 2 février 1893 (Wiesinger, 2017a :

10 Au moins dans les exemples introduits par le pronom interrogatif kisa, la présence de a(n) semble apporter la nuance d’une certaine incrédulité ou

11 Cf. aussi Wiesinger (2017a : 126-204) pour une discussion détaillée des notions de définitude et de spécificité par rapport à l’étude du syntagme

12 Un contexte où la présence et l’absence de la/a(n) semblent alterner de manière relativement libre est celui de certains syntagmes nominaux en

13 Il en est d’ailleurs de même pour le marqueur indéfini roun/oun/n et la marque de pluriel ya(n) du créole guyanais (cf. Wiesinger, 2017b ; 2017 c

14 Un autre critère ontologico-cognitif qui est lié à un moindre degré de prototypicalité et un plus faible degré d’individuation d’une entité est son

15 Nous n’excluons cependant pas qu’il s’effectuera une évolution sémantico-pragmatique du marqueur dans l’avenir ; il existe en tout cas plusieurs

Alleesaib, Muhsina/Wiesinger, Evelyn, « Le syntagme nominal dans les créoles français », Manuel des langues romanes/Manual of Romance Linguistics: Les langues créoles à base française (P. Krämer/K. Mutz/P. Stein éds.), Berlin/Boston, De Gruyter, à paraître. 

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1 Pour les exemples d’Atipa, nous avons recours à l’édition en fac-similé parue en 1980 aux Éditions Caribéennes à Paris. Pour les traductions françaises, nous suivons la traduction très littérale qui a été proposée par Francine Chateau Conde Salazar (abrégé en CCS) en 2010 ; des modifications apportées de notre part sont indiquées entre crochets.

2 Il ne s’agit pas d’un ‘roman’ au sens strict du terme, car 80 % de l’ouvrage sont constitués par des monologues ou de dialogues au discours direct (cf. aussi Confiant 1989 et Wiesinger 2017a : 39-41).

3 D’autres références critiques concernant les Saint-Quentin se trouvent dans Atipa (1980/[1885] : 5, 11-16, 175).

4 Nous employons dans notre étude la notion générale de « marqueur », au lieu de « déterminant » ou « article », afin d’éviter une attribution fonctionnelle a priori (cf. aussi Wiesinger, 2017a : 2).

5 La région littorale « centrale » allant de Cayenne à Iracoubo rassemble la majorité des locuteurs du créole guyanais et se caractérise par son usage comme langue de proximité, mais aussi comme langue véhiculaire (Robinson, 2010). Pour les extraits des textes anciens, nous avons conservé l’orthographe initiale. Pour les enregistrements du créole moderne, nous suivons essentiellement la graphie d’inspiration phonétique du GEREC (Wiesinger, 2017a : 67-70). Les parties françaises (changements de code, voyelles françaises) sont transcrites selon l’orthographe française et en majuscules.

6 De plus, il existe une préposition la « chez, dans, à, vers », ainsi qu’un présentatif a en créole guyanais (Fauquenoy, 1972 : 105, et 119).

7 Nous laissons de côté dans la présente contribution la combinaison de la avec le pronom de la 3e personne du pluriel ye (ya(n) en créole guyanais moderne) pour le marquage du pluriel ; celui-ci est traité dans Wiesinger (2017a ; 2017c ; 2022) dans une perspective synchronique et diachronique.

8 En combinaison avec un autre adverbe ou particule de discours, la peut cependant aussi être soumis à une attrition phonétique, v. par exemple les formes isi-a « ici », laro-a « là-haut » ou talò-a « tout à l’heure ».

9 Il s’agit du texte créole intitulé Emba dégrad (« Au marché »), paru dans le journal guyanais Cri d’alarme du 2 février 1893 (Wiesinger, 2017a : 42-47, pour plus de détails). Nous n’excluons toutefois pas que certains procédés d’assimilation aient été en cours à l’oral bien avant cette date, sans se refléter à l’écrit dans des graphies éventuellement plus conservatrices.

10 Au moins dans les exemples introduits par le pronom interrogatif kisa, la présence de a(n) semble apporter la nuance d’une certaine incrédulité ou d’une évaluation négative de la part de l’énonciateur (Wiesinger, 2017a : 106s.).

11 Cf. aussi Wiesinger (2017a : 126-204) pour une discussion détaillée des notions de définitude et de spécificité par rapport à l’étude du syntagme nominal dans différentes langues créoles.

12 Un contexte où la présence et l’absence de la/a(n) semblent alterner de manière relativement libre est celui de certains syntagmes nominaux en fonction de complément circonstanciel temporel, p. ex. lòt/wòt/òt jou(-a) « l’autre jour ».

13 Il en est d’ailleurs de même pour le marqueur indéfini roun/oun/n et la marque de pluriel ya(n) du créole guyanais (cf. Wiesinger, 2017b ; 2017 c pour une étude détaillée de ces marqueurs).

14 Un autre critère ontologico-cognitif qui est lié à un moindre degré de prototypicalité et un plus faible degré d’individuation d’une entité est son caractère abstrait (cf. Wiesinger, 2017a : 375-379). Ainsi, les référents abstraits sont généralement représentés par un syntagme nominal non marqué en créole guyanais (cf. par exemple les noms latique, syntasse, francé dans l’ex. 1 supra) ; le marqueur la/a(n) peut cependant être employé sous certaines conditions, p. ex. à des fins contrastives ou emphatiques (cf. l’emploi de la dans l’exclamation segmentée Pou syntasse la pa, frè ! dans l’ex. 1).

15 Nous n’excluons cependant pas qu’il s’effectuera une évolution sémantico-pragmatique du marqueur dans l’avenir ; il existe en tout cas plusieurs facteurs qui pourraient désormais favoriser certains changements. Ce sont par exemple le contact avec des langues possédant un article défini grammaticalisé dans les différentes situations de bi- ou multilinguisme présentes en Guyane (cf. Renault-Lescure et Goury, 2009), l’acquisition formelle du créole à l’école ou son emploi plus systématique dans des domaines qui relèvent plutôt des conditions de la communication de distance, menant éventuellement à des changements répondant aux besoins linguistiques particuliers de l’écrit (cf. aussi Ludwig, 1989 : 17 et Wiesinger, 2017a : 432).

Tableau 1 : Emploi d’un syntagme nominal marqué par la/a(n) et/ou sa ou d’un syntagme nominal non marqué dans les contextes définis

Tableau 1 : Emploi d’un syntagme nominal marqué par la/a(n) et/ou sa ou d’un syntagme nominal non marqué dans les contextes définis

Élaboré sur la base de Wiesinger, 2017a : 404, 407, 415.

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